La lettre juridique n°644 du 18 février 2016 : Éditorial

"L'art. 1382 devient donc le 1240 ; l'art. 1134, le 1103 ; l'art. 1165, le 1199 ; l'art. 1166, le 1341-1... Bon courage à tous." * : pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ?

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"L'art. 1382 devient donc le 1240 ; l'art. 1134, le 1103 ; l'art. 1165, le 1199 ; l'art. 1166, le 1341-1... Bon courage à tous." * : pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ?. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/29437852--i-lart-1382-devient-donc-le-1240-lart-1134-le-1103-lart-1165-le-1199-lart-1166-le-13411-bon-courage
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 18 Février 2016


Enfin ! Comme annoncée, la réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations a été publiée, dans les temps, au Journal officiel du 11 février 2016.

A vos marques, prêts, feu, doctrinez !

Bon, nous laisserons le soin aux Professeurs et à ceux méritants d'interpréter, d'expliquer, encore pour nombre d'entre nous, la portée de chacune des nouvelles dispositions de ce texte. Poursuivant l'objectif à valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la règle de droit, l'ordonnance consacre et codifie de nombreuses solutions jurisprudentielles, rendant le droit plus prévisible pour tous, paraît-il ? Pas si évident que cela à lire et à en croire la doxa.

Nous ouvrerons donc le bal, la semaine prochaine, à travers la revue Lexbase de droit social, dont Christophe Radé est l'éminent chef d'orchestre et ne pouvait laisser à l'Index la portée de cette réforme sur l'un des contrats les plus spéciaux qui soient -au regard du nombre d'articles codifiés qui lui sont consacrés- : le contrat de travail. La symphonie doctrinale s'achèvera le 10 mars par une édition spéciale de la revue Lexbase de droit privé -encore que sa résonance n'ait pas fini d'hanter nos esprits pour les années à venir-.

Non, en ces jours révolutionnaires pour un juriste d'Ancien régime -c'est-à-dire un juriste rompu aux articles 1134 et 1382 du Code civil comme l'alpha et l'oméga de la sapiens juridique- une seule question taraude : pourquoi avoir remplacé les dispositions de 1804 aussi sèchement, aussi brutalement, par les nouvelles ? Pourquoi les avoir bannies du Code civil alors... qu'elles constituent toujours la loi des contrats conclus avant le 1er octobre 2016 ? Ce n'est pas comme si nous attendions l'extinction de ce droit bicentenaire par l'effet d'une quelconque prescription. Non ! Ici, les effets du droit des contrats napoléonien perdureront tant que les contrats ante-octobriens ne seront toujours "en vigeur". Rien de moins !

Nous n'irions pas jusqu'à suivre le hashtag "Je suis 1382", comme nous l'avons vu fleurir sur les réseaux sociaux. L'amalgame avec les drames de l'an dernier semble assez inopportun, d'autant que la "brutalité" de la recodification est toute relative puisque annoncée depuis plus de 10 ans !

Mais, on aurait pu procéder, par exemple, comme on l'a fait pour le Code de procédure civile de 1975. L'amorce du Nouveau code (NCPC) entamée en 1973 par voie de décrets successifs avait donné lieu à la coexistence de deux codes, certes, mais pour des raisons d'intelligibilité et de praticité bien ordonnées : une partie de l'ancien code était encore en vigueur alors que le Nouveau code était déjà promulgué... Finalement, ce n'est qu'en 2007 que le législateur prit le soin d'abroger l'ancien code et amputa le code de 1975 de son sobriquet, "Nouveau".

L'uchronie juridique nous aurait alors livré un Code civil avec une simple nouvelle partie, avec son plan et sa codification propres, applicable à compter du 1er octobre 2016 et qui aurait vocation à tuer la "mère" partie, dans les lointaines années à venir, une fois les contrats d'Ancien temps disparus, une fois les juristes habitués à la nouvelle numérotation, une fois tous les modèles d'actes consolidés et les tableaux de correspondance bien rodés.

Tel ne fut pas le choix du législateur, enfin de la Chancellerie -car le législateur pour le moment n'a été consulté qu'a minima-.

Pourtant, la légistique nous enseigne que la codification permet de créer un document unique dans une matière du droit, le code, composé d'une partie législative et d'une partie réglementaire ; de rassembler des normes dispersées, législatives ou réglementaires, qu'elle coordonne pour les rendre cohérentes et accessibles à travers un plan logique ; de clarifier le droit et l'actualiser en abrogeant les textes obsolètes, incompatibles ou contraires à la Constitution, aux engagements communautaires ou internationaux ; de mettre en évidence les lacunes du système juridique et préparer les réformes nécessaires. Rien n'oblige donc à la disparition de nos codes des régimes certes abrogés -du fait de leur remplacement- mais non obsolètes car toujours de plein effet sur la vie de nos actes juridiques.

Que dit la Commission supérieure de codification sur le sujet ? Nous n'en avons pas trouvé trace. La codification emporte nécessairement perte de la chronologie. Un code n'a aucune épaisseur historique : les dispositions abrogées disparaissent à jamais. Seules figurent au code les dispositions en vigueur, comme si elles avaient toujours été de tout temps les mêmes. Le code repose sur une fiction : il est atemporel. Or l'utilisateur, qu'il soit juriste, magistrat, historien, étudiant, a besoin des versions successives d'une disposition. La pratique des tables de concordance est extrêmement difficile et source de nombreuses erreurs pour le praticien ; elle est, reconnaissons-le, quasi incompréhensible pour le citoyen. Tel était le précieux avertissement formulé par Catherine Bergeal, Conseiller d'Etat, Directrice des affaires juridiques, dans un article sur les Apports et limites de la codification à la clarté de la loi : les enseignements de la pratique française.

Pour le codificateur historique, que ce soit Hammourabi, l'empereur romain Justinien ou le consul Bonaparte, la codification remplit, d'abord, une fonction politique : la codification est une prise de pouvoir. Le codificateur affirme son autorité sur ses sujets en leur dictant sa loi, qui l'emporte sur les droits divers, en particulier les droits coutumiers. Il a dès lors l'obligation d'exhaustivité : le code opère un partage définitif entre ce qui est la loi (le contenu du code) et ce qui n'existe plus (tout ce qui n'est pas dans le code).

Dans le même sens, le Gouvernement, par la volonté de sortir du Code civil les anciennes dispositions pourtant toujours applicables, entend imposer sa loi nouvelle dans la pratique, sans distinction, sans retard et sans discussion à venir sur l'opportunité de sa réforme. Il serait, à ce propos, intéressant de se procurer l'étude d'impact de la Commission supérieure de codification sur les effets escomptés de cette réforme dite à droit constant, emportant recodification du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.

"Un article c'est comme un bas de femme : l'important, c'est de bien garder le fil à l'esprit". Groucho Marx prophète de la légistique, qui l'eut cru ?

* Nous nous permettons ici d'emprunter la formule à l'éminent @APietrancosta, à l'occasion d'un tweet publié le 12 février 2016.

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