La lettre juridique n°644 du 18 février 2016 : Entreprises en difficulté

[Chronique] Chronique de droit des entreprises en difficulté - Février 2016

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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises, et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l'Université de Nice Sophia-Antipolis

le 18 Février 2016

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises, et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l'Université de Nice Sophia-Antipolis, Co-directrice du Master 2 Droit des difficultés d'entreprise, Membre du CERDP (EA 1201), retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures collectives. Le Professeur Le Corre a sélectionné un arrêt publié au Bulletin rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 26 janvier 2016 qui vient préciser le mode d'emploi de la résolution du plan de redressement pour apparition de l'état de cessation des paiements ou pour inexécution (Cass. com., 26 janvier 2016, n° 14-17.672, 14.25.541, 14.28.826 et 14.28.856, F-P+B). Emmanuelle Le Corre-Broly commente pour sa part un arrêt également rendu le 26 janvier 2016 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation qui présente le grand intérêt de souligner la distinction entre le warrant agricole stricto sensu et le warrant simplifié qui ne répond pas aux mêmes exigences quant à la qualité du constituant (Cass. com., 26 janvier 2016, n° 14-23.390, F-D).

Avant la loi de sauvegarde des entreprises (loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 N° Lexbase : L5150HGT), la résolution du plan de continuation n'avait, dans les textes, qu'une seule cause : l'inexécution du plan. Rapidement, cependant, il a fallu traiter en jurisprudence la question de l'apparition de l'état de cessation des paiements pendant l'exécution du plan. Il a été décidé qu'un nouvel état de cessation des paiements devait également entraîner la résolution du plan. Et la solution était incontournable : comment payer les dividendes du plan si on est en état de cessation des paiements ?

Ces solutions ont été consacrées par la loi de sauvegarde des entreprises qui distingue soigneusement deux hypothèses de résolution du plan. L'article L. 626-27, I, alinéa 1er du Code de commerce (N° Lexbase : L7300IZE) s'intéresse à la résolution du plan pour apparition de l'état de cessation des paiements. Elle est obligatoire. L'article L. 626-27, I, alinéa 2, du même code vise l'hypothèse de la résolution du plan pour inexécution, sans cessation des paiements. Elle est facultative.

Il faut comprendre que s'il y a résolution du plan pour inexécution avec cessation des paiements, on appliquera l'alinéa 1er. Autrement dit, la résolution du plan pour cessation des paiements intervient avec ou sans inexécution.

Cette distinction n'aurait aucun intérêt si elle ne devait être qu'académique. Mais tel n'est pas le cas. Et ce sont ces problématiques qui sont au coeur d'un très intéressant arrêt rendu par la Chambre commerciale le 26 janvier 2016, appelé, compte tenu de son importance, à la publication au Bulletin.

En l'espèce, un jugement ouvre, en 2004, une procédure collective contre une SARL, lequel est étendu un mois plus tard à une société civile immobilière (SCI) et deux personnes physiques. Huit mois plus tard, au cours de l'année 2005, un plan de continuation est arrêté au profit de l'ensemble des personnes à patrimoine confondu, en vertu du principe de l'unicité de solution qui s'applique en cas d'extension sur le fondement de la confusion des patrimoines. Le 17 décembre 2010, le tribunal, saisi par le commissaire à l'exécution du plan, rejette une demande de résolution du plan pour inexécution. Mais le même jour, le tribunal, après avoir constaté l'état de cessation des paiements au cours de l'exécution du plan, prononce sa résolution et ouvre une liquidation judiciaire distincte à l'encontre de chacune des personnes initialement parties à la confusion. La cour d'appel confirme en 2013 cette décision de résolution du plan (1). Un an plus tard, la cour d'appel confirme la jonction des procédures qui avait été décidée entre temps par le tribunal, mais rejette la demande du liquidateur tendant à leur extension à une autre personne physique (2).

Les deux personnes physiques à l'égard desquelles le jugement d'ouverture initial avait été étendu demandent l'annulation de l'arrêt de 2014 qui avait confirmé la décision du 17 décembre 2010 ayant prononcé la résolution sur le constat de l'état de cessation des paiements en faisant valoir une contrariété de décision par rapport à celle du même jour qui avait rejeté la demande de résolution du plan pour inexécution émanant du commissaire à l'exécution du plan.

Avant d'apprécier la portée de cette argumentation, il faut comprendre pourquoi ces deux personnes physiques avaient le plus grand intérêt à soutenir pareille argumentation et pourquoi, sans doute, elles auraient préféré que la résolution du plan soit prononcée pour inexécution du plan et non par pour cessation des paiements. Et pour cela, il faut maintenant apporter des précisions sur les effets respectifs de ces deux causes de résolution du plan.

Si la résolution du plan de continuation, et aujourd'hui de redressement, intervient pour apparition de l'état de cessation des paiements pendant l'exécution du plan, l'article L. 626-27, I, alinéa 1er, du Code de commerce indique la conséquence : le tribunal ouvre simultanément une liquidation judiciaire. Le droit à la seconde chance n'existe pas. Notons toutefois que, depuis l'ordonnance du 18 décembre 2008 (ordonnance n° 2008-1345 N° Lexbase : L2777ICT), la résolution d'un plan de sauvegarde pour apparition de l'état de cessation des paiements autorise le tribunal à choisir entre l'ouverture d'un redressement ou d'une liquidation judiciaire.

Si la résolution du plan de continuation, et aujourd'hui de redressement, intervient pour inexécution, sans cessation des paiements, l'article L 626-27, I, alinéa 2, du Code, qui la régit, ne précise pas qu'il y a lieu d'ouvrir une seconde procédure. Ce silence conduit à décider que le tribunal n'ouvrira pas de procédure collective concomitamment à la décision prononçant la résolution du plan.

Si l'on applique maintenant ces solutions à l'hypothèse d'un plan de continuation -et désormais de redressement- adopté au profit de plusieurs personnes à patrimoine confondu, on aboutit au résultat suivant.

Commençons par préciser que le plan adopté au profit de plusieurs personnes à patrimoine confondu est indivis. Il en résulte que sa résolution est elle-même indivise (3).

Si la résolution intervient pour cessation des paiements, toutes les personnes à patrimoine confondu vont être obligatoirement placées en liquidation judiciaire. Il s'agira cependant, comme l'a justement décidé le tribunal dans la présente affaire, de procédures de liquidations judiciaires distinctes. Pourquoi ? Parce que la confusion des patrimoines ne dure que le temps de la procédure et de son traitement. Elle cesse, par conséquent, soit en cas de complète exécution du plan, soit en cas de résolution du plan (4).

Si la résolution du plan indivis intervient sans cessation des paiements, il n'y a pas lieu d'ouvrir une liquidation judiciaire à l'encontre de chacune des personnes initialement parties à la confusion des patrimoines. L'autonomie patrimoniale retrouvée, et alors que toutes les personnes sont in bonis, autorise leur traitement séparé dès lors que subsistent des difficultés. L'unicité de solution, conséquence de l'unicité de procédure et de masse active et passive, n'a plus lieu d'être. Certaines personnes pourront prétendre à une procédure de conciliation. La solution a été justement admise en jurisprudence (5). D'autres solliciteront une procédure de sauvegarde. L'utilisation astucieuse des textes permettrait même à une personne initialement placée en redressement judiciaire, de bénéficier d'un plan de sauvegarde, alors même qu'elle serait en état de cessation des paiements lors de l'ouverture de sa seconde procédure collective. Comment ? En demandant, dès la résolution de son plan, l'ouverture d'une procédure de conciliation. Puis elle chercherait à obtenir une sauvegarde accélérée. Et le tour est joué, ave ce curieux enchaînement : redressement judiciaire, plan de redressement, résolution du plan pour inexécution sans cessation des paiements, ouverture d'une conciliation, passage en sauvegarde accélérée et obtention d'un plan de sauvegarde accélérée. La mécanique des textes ne s'y oppose pas, pour étrange que cela apparaisse ! Et ainsi on contourne le principe : plan sur plan ne vaut !

Si la cessation des paiements est la conséquence et non la cause de la résolution du plan, il peut même être envisagé un redressement judiciaire de telles ou telles personnes. En effet, le redressement judiciaire est exclu après résolution du plan pour cessation des paiements mais nullement en cas de résolution du plan pour inexécution, lequel entraîne la suppression des remises et des délais accordés dans le cadre du plan, ce qui peut justifier un nouvel état de cessation des paiements. Le débiteur pourra donc obtenir un second plan de redressement, ce qu'admet la jurisprudence (6) et ce qui avait clairement été énoncé lors des travaux parlementaires (7).

Ces explications permettent de comprendre tout l'intérêt que les débiteurs pouvaient avoir à éviter la résolution du plan pour cessation des paiements et à préférer largement la résolution du plan pour inexécution.

Mais elles justifient aussi pleinement la réponse apportée par la Cour de cassation à la prétendue contradiction entre la décision qui refuse la résolution du plan pour inexécution et celle du même jour qui prononce la résolution pour apparition de l'état de cessation des paiements. Comme nous l'avons vu, non seulement les causes de résolution du plan sont distinctes, ce que qu'affirme pour la première fois avec netteté la Cour de cassation, et c'est ce qui justifie sans doute la publication de la décision au Bulletin, la décision apparaissant de principe à cet égard, mais encore et surtout, elles ne produisent absolument pas les mêmes effets.

Pour intéressante que soit, pour le débiteur, en termes d'opportunités procédurales subséquentes, la distinction entre résolution du plan pour inexécution et résolution du plan pour apparition de l'état de cessation des paiements, il faut bien reconnaître que la marge de manoeuvre du débiteur est mince. Il doit y avoir une inexécution. A priori, on imagine assez mal que ce soit le débiteur qui s'en prévale. Il serait donc préférable, comme cela était le cas en l'espèce, que ce soit le commissaire à l'exécution du plan. Mais surtout, il ne doit pas y avoir cessation des paiements. Le seul fait pour le débiteur, en cours d'exécution de son plan de redressement, de solliciter l'ouverture de son redressement judiciaire est une grave maladresse ; il se condamne lui-même à la liquidation judiciaire, puisque, comme le juge dans le présente affaire la Cour de cassation, il reconnaît, en sollicitant l'ouverture de son redressement judiciaire, son état de cessation des paiements, puisque c'est une condition sine qua non d'ouverture du redressement judiciaire, encore que l'on sache aujourd'hui que ce n'est plus une condition sine qua non de conversion d'une sauvegarde en redressement judiciaire.

En cas d'extension sur le fondement de la confusion des patrimoines, il y a, a-t-on dit, masse active et passive unique. L'unicité de solution oblige à l'adoption d'un plan indivis. La résolution du plan est elle aussi indivise. Mais alors, comment s'apprécie l'état de cessation des paiements ? Tant que dure la confusion des patrimoines et c'est le cas jusqu'au jugement de résolution du plan, l'état de cessation des paiements doit s'apprécier en tenant compte des actifs disponibles à court terme et du passif exigible de toutes les personnes parties à la confusion des patrimoines ; on ne sait en l'espèce si la discussion avait été menée sur ce terrain. Mais on voit qu'il peut s'agir là d'un axe permettant la résolution du plan indivis pour inexécution sans cessation des paiements. Il suffit que certaines personnes, parties à la confusion des patrimoines ne puissent contribuer au paiement de leur part de dividendes, pour aboutir à une inexécution, sans pour autant nécessairement caractériser la cessation des paiements de l'ensemble. Mais la discussion avait-elle été menée sur ce terrain ? C'était semble-t-il l'axe intéressant pour tenter le traitement délicat de ce dossier, comme chaque fois qu'un problème se présente en cas de plan indivisément adopté au profit de personnes à patrimoine confondu.

Conseils, gardez bien les idées claires sur la... confusion !

Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises

Alors qu'il s'agit d'une sûreté ancienne, le warrant a, ces derniers temps, fait couler beaucoup d'encre doctrinale et jurisprudentielle. L'arrêt rendu récemment par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 26 janvier 2016 en témoigne à nouveau. L'importance de cette sûreté, notamment dans le monde du financement de l'activité viticole, justifie qu'un intérêt soit apporté à cet arrêt.

Dans l'espèce rapportée, un établissement de crédit avait déclaré sa créance au passif d'une société productrice de champagne en faisant mention de sa garantie constituée par un "engagement de garantie" portant sur des bouteilles de vin. Le représentant des créanciers avait contesté, d'une part, la régularité de la délégation de pouvoirs du préposé qui avait procédé à la déclaration de créance et, d'autre part, la qualité de la société débitrice à consentir à la banque la sûreté garantissant la créance déclarée.

La cour d'appel avait, à la fois, déclaré régulière la déclaration de créance et admis la banque à titre privilégié.

Le représentant des créanciers, qui s'était alors pourvu en cassation, soutenait d'abord à l'appui de son pourvoi que la déclaration de créance aurait été irrégulièrement effectuée. Selon lui, le préposé avait agi en vertu d'une subdélégation de pouvoirs libellée en termes généraux reçue d'un autre préposé subdélégant qui n'avait reçu une faculté de subdélégation qu'à la condition qu'elle s'opère à la faveur d'un pouvoir spécial. Cet argument aurait pu s'avérer particulièrement pertinent puisque le préposé titulaire de cette délégation n'aurait pu valablement déclarer sur le fondement de celle-ci que si la subdélégation avait été spéciale, c'est-à-dire donnée dans les termes prévus par la délégation principale. Fort heureusement pour le créancier, en l'espèce, le préposé était également titulaire d'une délégation de pouvoirs qui lui avait été donnée en 1995 par le président du conseil d'administration de la banque. Dès lors que cette délégation n'avait pas été dénoncée, la cour d'appel en avait exactement déduit que le préposé était directement investi par le représentant légal de la banque du pouvoir de déclarer les créances, peu important qu'il ait indiqué dans la déclaration de créance litigieuse, agir en vertu de la subdélégation plutôt que de cette délégation.

Afin d'éviter toute difficulté, la prudence conduira les créanciers à prévoir, dans le cadre des délégations de pouvoirs prévoyant la faculté de subdélégation, la possibilité de subdéléguer le pouvoir de déclarer les créances sans restriction, et non pas de façon spéciale, c'est-à-dire dossier par dossier.

Le représentant des créanciers soutenait, en outre, que la garantie -dont il prétendait qu'il s'agissait d'un warrant agricole- prise par la banque était nulle au motif que la société débitrice n'était pas agricultrice. On sait que, au titre des conditions de fond du warrant agricole, figure celle tenant à la nécessité pour le constituant d'être un agriculteur (C. rur., art. L. 342-1 N° Lexbase : L3894AEX). Sont agricoles toutes les activités correspondant à la maîtrise et à l'exploitation d'un cycle biologique de caractère végétal ou animal et constituant une ou plusieurs étapes nécessaires au déroulement de ce cycle ainsi que les activités exercées par un exploitant agricole dans le prolongement de l'acte qui ont pour support l'exploitation (loi n° 88-1202 du 30 décembre 1988, relative à l'adaptation de l'exploitation agricole à son environnement économique et social, art. 2 N° Lexbase : L9121AGW). Or, en l'espèce, la société débitrice n'intervenait ni de près, ni de loin dans un processus de production vinicole et se livrait exclusivement au négoce. Cependant, en l'espèce, ce n'était pas du warrant agricole stricto sensu dont il s'agissait mais d'un engagement de garantie, dénommé en pratique "warrant simplifié" qui ne répond pas aux mêmes exigences quant à la qualité du constituant.

L'arrêt rapporté présente le grand intérêt de souligner la distinction entre ces deux sûretés. Le warrant agricole classique ne doit pas être confondu avec la sûreté voisine qui est l'engagement de garantie du stock de vins, certes appelé "warrant" par la pratique. Cette sûreté, instituée par un décret-loi du 23 octobre 1935, intégré dans les articles 56 et suivants du Code du vin, devenus les articles 661 (N° Lexbase : L6740HH4) (8) et 662 (N° Lexbase : L6739HH3) du Code rural ancien, était à l'origine réservée aux producteurs de vin, y compris les caves coopératives qui achètent le raisin. Ce régime a ensuite été étendu à toutes les entreprises vitivinicoles exerçant leur activité en tant qu'entrepositaire agréé (9). Ainsi, la qualité de commerçant ne fait pas obstacle à la souscription d'un engagement de garantie et il a été admis en jurisprudence qu'un négociant puisse constituer cette garantie (10).

Dans l'espèce rapportée, cette distinction avait été parfaitement opérée par l'arrêt d'appel qui avait retenu que "le warrant agricole diffère de l'engagement de garantie, dénommé warrant simplifié, en ce qui concerne la qualité de l'emprunteur habilité à procéder la sûreté, le premier étant réservé aux agriculteurs, notamment aux viticulteurs, tandis que le second est mis à la disposition des propriétaires de vin, dont l'activité, qui est plus large que celle de viticulteur, peut notamment s'étendre au négociant manipulant comme la société [débitrice], qui élabore le vin de Champagne avant de le commercialiser".

La constitution de ce gage résulte de la signature d'un titre à ordre, lequel doit être inscrit sur un registre spécial tenu par l'administration des contributions indirectes. Cette inscription confère aux créanciers un droit proche de celui du porteur de warrant agricole (11), sûreté dont la jurisprudence a pendant longtemps considéré qu'elle conférait au créancier une possession fictive. Cependant, la nature juridique du warrant agricole a récemment connu une modification induite par la réforme du droit du gage issue de l'ordonnance du 23 mars 2006 (ordonnance n° 2006-346 N° Lexbase : L8127HHH). Cette évolution, d'abord prédite en doctrine (12) alors qu'elle n'avait rien d'évidente (13), a été très récemment consacrée par la première chambre civile de la Cour de cassation (14) : le warrant agricole -et également l'engagement de garantie- est analysé comme un gage sans dépossession.

Puisque ces sûretés sont des gages sans dépossession, assortis à ce titre du droit de rétention fictif de l'article 2286, 4° du Code civil (N° Lexbase : L2439IBX), il convient d'en tirer la conséquence de leur neutralisation partielle par l'article L. 622-7, I, alinéa 2, du Code de commerce (N° Lexbase : L7285IZT). Il résulte de cette disposition, applicable en sauvegarde et, par renvoi de texte (art. L. 631-14 N° Lexbase : L7317IZZ), en redressement judiciaire, que le droit de rétention reconnu par l'article 2286, 4° du Code civil aux créanciers gagistes sans dépossession est inopposable pendant la période d'observation et pendant l'exécution des plans de sauvegarde ou de redressement.

La fragilisation de ces sûretés est également perceptible lorsqu'il est question du conflit susceptible d'opposer le créancier porteur du warrant agricole ou de l'engagement de garantie au vendeur réservataire de propriété.

Parce que, avant l'ordonnance du 23 mars 2006, le warrant agricole était, comme tous les gages, nécessairement un gage avec dépossession -en l'occurrence fictive-, la jurisprudence considérait que, comme tout créancier gagiste (15) de bonne foi (16), le créancier porteur du warrant était en droit d'invoquer la maxime de l'article 2279, alinéa 1er, ancien, du Code civil N° Lexbase : L2567ABP devenu C. civ., art. 2276 N° Lexbase : L7197IAS) "en fait de meuble possession vaut titre" (17).

Puisque le warrant ou l'engagement de garantie sur stocks de vins doit, depuis la réforme de 2006, être analysé en un gage sans dépossession, son titulaire n'est désormais plus protégé par l'article 2276. En conséquence, au contraire de la solution posée en matière de gage avec dépossession (fictive ou effective), le droit du créancier gagiste sans dépossession devra céder face à l'action en revendication du véritable propriétaire, généralement réservataire de propriété (18).

Force est alors de constater que, dans l'attente d'une nouvelle réforme annoncée du droit du gage, la supériorité du gage sur stocks de vin avec dépossession par rapport à l'engagement de garantie sur stocks de vins reste donc de mise.

Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l'Université de Nice Sophia-Antipolis, Co-directrice du Master 2 Droit des difficultés d'entreprise, Membre du CERDP (EA 1201)


(1) CA Aix-en-Provence, 28 juin 2013, n° 10/23025 (N° Lexbase : A3775KIN).
(2) CA Aix-en-Provence, 9 octobre 2014, n° 12/00307 (N° Lexbase : A0107MYM).
(3) Cass. com., 23 juin 1998, n° 96-19.997, inédit (N° Lexbase : A8209AHI), RJDA, 1998/11, p. 938, n° 1247, RTDCom., 1998, 924, obs. C. Saint-Alary-Houin ; Cass. com., 17 septembre 2013, n° 12-17.657, F-D (N° Lexbase : A4818KLZ), Gaz. Pal., 12 janvier 2014, p. 17, note Fl. Reille, Bull. Joly Entrep. en diff., janvier 2014, p. 16, note Th. Favario, Rev. proc. coll., janvier 2014, comm. 23, note J.-J. Fraimout, Rev. proc. coll., mars 2014, comm. 52, note B. Saintourens ; CA Montpellier, 2ème ch., sect. B, 5 octobre 2004, Act. proc. coll., 2005/10, n° 124, note C. Régnaut-Moutier.
(4) Cass. com., 29 avril 2014, n° 12-27.058, FS-P+B (N° Lexbase : A6856MK7), Bull. civ. IV, n° 74, D., 2014, actu 1038, note A. Lienhard ; Gaz. pal., 5 octobre 2014, n° 278, p. 26, note Fl. Reille; Rev. sociétés, 2014. 403, note Ph. Roussel Galle ; Act. proc. coll., 2014/10, comm. 189, note L. Thiberge; JCP éd. E, 2014, chron. 1447, n° 3, obs. crit. Ph. Pétel ; Rev. proc. coll., 2014, comm. 162, note J.-J. Fraimout.
(5) T. com. Pontoise, 9 décembre 2013, n° 2013/P01137, LEDEN, mars 2014, comm. 52, note F.-X. Lucas.
(6) Aussi : Ph. Roussel Galle, Réforme du droit des entreprises en difficulté - De la théorie à la pratique, 2ème éd., Litec, 2007, n° 651 ; A. Lienhard, Procédures collectives, 4ème éd., Delmas, 2011, n° 84-16.
(7) Rapport J.-J. Hyest, n° 335, p. 289.
(8) Les prêts consentis à des producteurs de vin, à leurs coopératives agricoles et aux unions constituées par ces dernières peuvent, dans les conditions ci-après indiquées, faire l'objet, si ces récoltes ne sont pas déjà warrantées, d'un engagement de garantie sur récoltes souscrit auprès de l'administration des contributions indirectes dans les conditions fixées par le décret du 23 octobre 1935 accordant des facilités nouvelles aux viticulteurs pour le financement de leurs récoltes.
(9) Circ. min., NOR: BCRD1025719C, du 5 octobre 2010, Contributions indirectes - Facilitation du financement des stocks de vins à rotation lente - Convention ministérielle du 2 juin 2009 (N° Lexbase : L1640KZR).
(10) Cass. com., 12 janvier 2010, n° 08-17.420, F-D (N° Lexbase : A2950EQC), Rev. droit banc. et fin., 2010, n° 2, p. 63, obs. D. Legeais : "attendu que la qualité de commerçant du débiteur ne fait pas obstacle à la souscription par lui d'engagements de garantie sur récoltes, dès lors qu'il a la qualité de producteur au sens des articles 59 et 60 du Code du vin devenus les articles 661 et 662 du Code rural ancien ; qu'ayant retenu que la notion de producteur de vin' est plus large que celle de viticulteur et qu'il résultait des statuts de la société que son activité portait sur toute opération de fabrication, achat, vente de vin, la cour d'appel n'a pas encouru les griefs du moyen ; que celui-ci n'est pas fondé".
(11) V. Lamy Droit du financement, 2015, n° 4711.
(12) Nos obs., La situation du porteur d'un warrant agricole après l'ordonnance du 23 mars 2006 et la LME, JCP éd. E, 2013, 1446.
(13) Sur ce constat et sur la question, Ch. Juillet, Le warrant agricole, les sûretés mobilières spéciales et le droit commun du gage, D., 2016, p. 178, n° 4.
(14) Cass. civ. 1, 12 novembre 2015, n° 14-23.106, FS-P+B (N° Lexbase : A7430NW4), D. 2016, p. 179, note Ch. Juillet ; G. Piette, Warrant agricole et droit commun du gage, Lexbase Hebdo n° 446 du 3 décembre 2015 - édition affaires (N° Lexbase : N0183BWP).
(15) Cass. com., 28 novembre 1989, n° 87-19.626, publié (N° Lexbase : A4065AGN), Bull. civ. IV, n° 300 ; Cass. com. 26 mai 2010, n° 09-65.812, F-P+B (N° Lexbase : A7373EXD), Bull. civ. IV, n° 98, D., 2010, 1412, note Lienhard, D., 2011, pan. comm. 410, obs. P. Crocq, Gaz. Pal., éd. sp. Droit des entreprises en difficulté, 15 et 16 octobre 2010, p. 19, note F. Pérochon, JCP éd. E, 2010, 1601, note D. Legeais, RTDCiv., 2010, 597, n° 4, note P. Crocq ; JCP éd. E, 2011, chron. 1251, n° 17, obs. Ph. Delebecque ; Cass. com., 26 mai 2010, n° 09-65.813, F-D (N° Lexbase : A7374EXE) ; CA Poitiers, 2ème ch. civ., 11 janvier 2011, n° 09/02106 (N° Lexbase : A6059GQH), Act. proc. coll., 2011/20, comm. 305. Sur le rappel de cette solution, QE n° 16491 de M. Suguenot Alain, JOANQ 12 février 2008 p. 1110, Justice, réponse publ. 29 avril 2008 p. 3668, 13ème législature (N° Lexbase : L8926H3Y), D., 2008, 1335 ; Act. proc. coll., 2008/8 ; RTDCiv., 2008, 319, n° 2, obs. P. Crocq.
(16) C'est-à-dire qui ignore l'absence de propriété de son auteur. Le créancier n'a pas à rechercher, lors de la constitution du gage, si les biens remis en gage ont fait l'objet d'une clause de réserve de propriété : Cass. com., 11 septembre 2012, n° 11-22.240, F-D (N° Lexbase : A7407IS7), RTDCiv., 2012, 755, obs. P. Crocq ; QE n° 16491 de M. Suguenot Alain, JOANQ 12 février 2008 p. 1110, Justice, réponse publ. 29 avril 2008 p. 3668, 13ème législature, préc..
(17) Cass. civ., 23 avril 1918, DP, 1919, I, p. 3, note Capitant ; S., 1919, 1, p. 153, note Lyon Caen
(18) En ce sens, Ch. Albigès, M.-P. Dumont-Lefranc, Droit des sûretés, Hypercours, Dalloz, n° 405 ; G. Ansaloni, Sur l'opposabilité du gage sans dépossession de droit commun, JCP éd. E, 2009, 1672, spéc. n° 12, p. 14. Dans le même sens QE n° 16491 de M. Suguenot Alain, JOANQ 12 février 2008 p. 1110, Justice, réponse publ. 29 avril 2008 p. 3668, 13ème législature, préc., D., 2008, 1335 ; RTDCiv., 2008, 519, obs. P. Crocq ; Dr., Sociétés 2008, Alerte 32.

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Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

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Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.