La lettre juridique n°644 du 18 février 2016 : Avocats/Responsabilité

[Jurisprudence] Le point de départ du délai de prescription de la responsabilité professionnelle de l'avocat au titre d'une faute commise dans l'exécution de sa mission d'interjeter appel

Réf. : Cass. civ. 1, 14 janvier 2016, n° 14-23.200, FS-P+B (N° Lexbase : A9310N39)

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par Olivia Baldes, Docteur en droit, qualifié Maitre de conférences

le 05 Mai 2016

C'est par un motif de pur droit, substitué, aux motifs repris au moyen que la Cour de cassation, dans un arrêt du 14 janvier 2016, se positionne quant au point de départ du délai de prescription de l'action en responsabilité contre un avocat au titre d'une faute commise dans l'exécution de sa mission d'interjeter appel. La décision est claire ; cette action se prescrit "à compter du prononcé de la décision constatant l'irrecevabilité de l'appel". A la suite du transfert des établissements industriels du ministère de la Défense à la société G., créée en 1989, un large contentieux est né en 1995 entre l'entreprise et les organismes sociaux, relatif à l'obligation de soumettre les ouvriers sous statut au régime général de la Sécurité sociale et à la prise en charge des risques assurance maladie et accidents du travail.

De nombreuses procédures ont été engagées devant les tribunaux et cours d'appel jusqu'à ce que la Cour de cassation réunie en Assemblée plénière a décidé, par quatre arrêts du 6 février 2004 (Ass. plén., 6 février 2004, quatre arrêts, n° 03-30.305 N° Lexbase : A2416DB4, n° 01-21.435 N° Lexbase : A2300DBS, n° 03-30.070 N° Lexbase : A2414DBZ, et n° 03-30.086 N° Lexbase : A2415DB3), que l'application immédiate du taux de cotisations du régime général de la Sécurité sociale à ces salariés était impossible avant le décret de mai 1995, relatif à la protection sociale des intéressés ; ce qui a eu pour conséquence l'annulation des redressements ordonnés auparavant à la charge de la société G..

C'est dans ce contexte que notre affaire prend naissance.

En l'espèce, par jugement du 9 janvier 1997, notifié le 23 janvier 1998, le tribunal des affaires de la Sécurité sociale de Bourges a condamné la société G. à payer à l'URSSAF du Cher la somme de 1 128 083 francs (soit 171 975,37 euros) au titre des primes retour défense et, par jugement du 22 mai 1998, notifié le 12 juin 1998, la même juridiction a confirmé le redressement opéré par l'URSSAF du Cher au titre des cotisations applicables aux rémunérations servies par la société G. aux "ouvriers sous décret" de 1993 à 1995 et l'a condamnée à payer à l'URSSAF la somme de 13 061 563 francs (soit 1 991 225 euros), déclarant irrecevable comme prescrite l'action en répétition de l'indu formée par la société G. contre la CPAM du Cher.

Par arrêt du 26 février 1999, la cour d'appel de Bourges a déclaré irrecevable l'appel interjeté par la société G.. Cet arrêt est devenu irrévocable à la suite du rejet, le 7 décembre 2000 (Cass. civ. 2, 7 décembre 2000, n° 99-14.091 N° Lexbase : A4873CP8), du pourvoi formé par la société.

Par acte du 23 novembre 2010, la société G. engageait la responsabilité professionnelle de son avocat pour avoir relevé appel hors délais des deux décisions de première instance en réparation de la perte de chance subie.

Mais le tribunal de grande instance de Paris, confirmé par la cour d'appel de Paris le 18 juin 2014 (CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 18 juin 2014, n° 12/11666 N° Lexbase : A4123MR7), constate la prescription de la demande formée par la société G. à l'encontre de Me X..

La société G. a formé aussitôt un pourvoi en cassation exposant trois arguments majeurs.

Elle soulève, d'abord, que la fin de mission de l'avocat doit être fixée au plus tôt à la date de l'arrêt de la Cour de cassation du 7 décembre 2000, ayant constaté définitivement l'irrecevabilité de l'appel et confirmant par ce biais la faute professionnelle de l'avocat.

Elle évoque, ensuite, qu'elle avait confié un mandat général d'assistance à Me X, qui s'est maintenu bien après l'arrêt du 7 décembre 2000.

Elle soutient, enfin, que la mission confiée à Me X ne s'est achevée que postérieurement aux arrêts rendus le 6 février 2004 par la Cour de cassation, qui ont mis fin au contentieux l'opposant à l'URSSAF.

Toutefois, par motif de pur droit substitué, la Cour de cassation énonce, en application des dispositions transitoires de la loi n° 2008-561 du 27 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile (N° Lexbase : L9102H3I) (loi du 27 juin 2008, art. 26), que l'action décennale "en responsabilité contre un avocat au titre d'une faute commise dans l'exécution de sa mission d'interjeter appel se prescrit à compter du prononcé de la décision constatant l'irrecevabilité de l'appel", date fixée en l'espèce à celle de l'arrêt de la cour d'appel de Bourges du 26 février 1999.

Par cet arrêt, la Cour de cassation revient sur une conception traditionnelle de la fin de mission de l'avocat (I) en s'attachant davantage à la nature de la mission de ce dernier (II).

I - Le retour sur une conception large de la fin de mission de l'avocat

La fin de mission de l'avocat, qui peut émaner soit de l'avocat soit du client, marque le point de départ du délai de prescription de l'action en responsabilité contre l'avocat.

Ainsi, l'article 156 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, organisant la profession d'avocat (N° Lexbase : L8168AID), aujourd'hui abrogé par le décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005, relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat (N° Lexbase : L6025IGA), mais applicable à l'espèce, précisait que "l'avocat doit conduire jusqu'à son terme l'affaire dont il est chargé, sauf si son client l'en décharge ou si lui-­même décide de ne pas poursuivre sa mission, sous réserve, dans ce dernier cas, que le client soit prévenu en temps utile pour pourvoir à la défense de ses intérêts. Il doit observer les règles de prudence et de diligence qu'inspire la sauvegarde des intérêts qui lui sont confiés par ses clients".

Aucune condition de forme de la constatation de la fin de mission n'était nécessaire.

Ceci étant, lorsqu'elle émane de l'avocat, les articles 419 (N° Lexbase : L0431IT7) et 420 (N° Lexbase : L0430IT4) du Code de procédure civile viennent ajouter que "le représentant qui entend mettre fin à son mandat n'en est déchargé qu'après avoir informé de son intention son mandant, le juge et la partie adverse" et que "l'avocat remplit les obligations de son mandat sans nouveau pouvoir jusqu'à l'exécution du jugement pourvu que celle-­ci soit entreprise moins d'un an après que ce jugement passé soit en force de chose jugée".

La fin de mission émanant du client doit être expresse et non équivoque. Celle-ci peut alors correspondre à la date de l'envoi par le client d'une lettre prenant acte que celui-ci entendait mettre fin à la mission de son avocat (1).

En l'espèce, aucune lettre de fin de mission n'a été remise de la part de l'avocat ou de son client.

Au contraire, la société G. demanderesse revendique au delà du cadre de la représentation ad litem, un mandat général d'assistance pour l'ensemble du contentieux l'opposant à l'URSSAF. Ainsi, bien que le mandat de représentation comporte mission d'assistance (C. pr. civ., art. 413 N° Lexbase : L6514H7E), la société G. met en évidence une mission d'assistance générale (C. pr. civ., art. 412 N° Lexbase : L6513H7D) bien distincte et qui, selon le texte, emporte notamment pouvoir et devoir de conseiller la partie. La société G. évoque d'ailleurs que Me X servait d'intermédiaire avec l'avocat à la Cour de cassation et au Conseil d'Etat constitué leur organisant des réunions ou lui rendant compte de l'avancement des procédures. Par ce biais, la société G. tente de repousser la date de fin de mission de Me X à la fin de l'ensemble du contentieux l'opposant à l'URSSAF et la fixer à la date des arrêts de la Cour de cassation du 6 février 2004.

Cette argumentation de la société G. ne sera pas retenue.

La cour d'appel de Paris, rappelant que le point de départ du délai de prescription en matière de responsabilité d'un avocat est la date de la fin de sa mission et non pas celle du jour où le dommage s'est révélé (2), précise que le mandat de l'avocat ne prend pas fin dès le prononcé du jugement puisqu'il entre dans sa mission d'informer son client de la teneur de la décision, de lui fournir les explications utiles à sa compréhension, de l'aviser des voies de recours existantes et de l'opportunité de les exercer au regard des chances de succès (3). Cependant, elle relève qu'il est constant de retenir que le mandat donné pour une procédure ne peut s'étendre à la procédure d'appel sans un nouveau mandat exprès.

Dès lors, la cour d'appel de Paris considère dans cette affaire que l'introduction du pourvoi en cassation a nécessairement permis de déplacer le dossier sous la responsabilité de l'avocat à la Cour de cassation et au Conseil d'Etat mettant automatiquement fin au mandat de représentation de l'avocat initialement constitué. Elle situe donc la fin de mission de l'avocat entre la décision de la cour d'appel constatant l'irrecevabilité de l'appel et la constitution de l'avocat à la Cour de cassation et au Conseil d'Etat.

Si la décision de la cour d'appel de Paris constate la prescription de l'action en responsabilité menée contre l'avocat, la Cour de cassation par motif de pur droit substitué tiendra une toute autre argumentation pour rejeter le pourvoi.

II - Les balbutiements d'une conception restrictive de la fin de mission de l'avocat

On rappellera que l'article 620, alinéa 1, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6779H79) permet à la Cour de cassation de "rejeter le pourvoi en substituant un motif de pur droit à un motif erroné".

La substitution de motifs est de pur droit lorsqu'elle ne s'applique qu'à des faits constatés par les juges du fond sans faire appel à d'autres constatations ou appréciations nouvelles. Par ce biais, la première chambre civile rejette donc le pourvoi formé par la société G. et déclare que "l'action en responsabilité contre un avocat au titre d'une faute commise dans l'exécution de sa mission d'interjeter appel se prescrit à compter du prononcé de la décision constatant l'irrecevabilité de l'appel" tout en précisant que la durée de ce délai est de 10 ans.

Concernant d'abord l'application du délai décennal, on retiendra que la Cour de cassation fait une juste appréciation de l'application des dispositions transitoires de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 précitée.

En effet, les dispositions transitoires de l'article 26 de la loi précisent bien que "les dispositions de la présente loi qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la présente loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure".

En l'espèce, l'action a été introduite postérieurement à la loi de 2008. Or, cette loi a réduit le délai de prescription de l'action en responsabilité contre les personnes légalement habilitées à représenter ou à assister les parties en justice de 10 ans à 5 ans à compter de leur fin de mission.

Cela signifie donc que ce délai de 5 ans doit être computé à compter du 19 juin 2008, mais que le délai total ne pourra pas excéder 10 ans. Ainsi, partant de la date de fin de mission fixée par la Cour de cassation qui est celle de l'arrêt du 26 février 1999 constatant l'irrecevabilité de l'appel de Me X, un délai de 9 ans et environ 4 mois se sont écoulés jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi de 2008. Il restait donc environ 8 mois à la société G. pour agir soit jusqu'au 26 février 2008. L'introduction de la nouvelle loi en matière de prescription, en application de ses dispositions transitoires, n'était pas plus avantageuse pour la société G..

On observera ensuite que par cette décision la Cour de cassation semble adopter une conception restrictive du contenu de la mission de l'avocat. Ainsi, elle envisage que la mission d'interjeter appel d'une décision serait un acte de procédure autonome et prendrait naturellement fin au prononcé de la décision constatant l'irrecevabilité ou pas de l'appel.

Bien que l'on puisse approuver que l'avocat ait une responsabilité attachée aux actes de procédure lorsque ceux-ci pourraient être détachables d'une mission générale, cette solution souffre toutefois de critiques.

En effet, par cette solution, la Cour de cassation n'exige pas de décision définitive de constatation de l'irrecevabilité de l'appel comme condition d'engagement de la responsabilité professionnelle de l'avocat, rappelant ainsi que le pourvoi n'est pas suspensif. De plus, cette décision de la Cour de cassation implique que le pourvoi en cassation formé par la société G. ne puisse être considéré comme un acte d'interruption ou de suspension de prescription.

Dès lors, il apparaît que la seule interruption de prescription envisageable aurait consisté de la part de la société G. à engager la responsabilité professionnelle de son avocat à la suite de l'arrêt de la cour d'appel de Paris constatant l'irrecevabilité de l'appel comme tardif, et ce d'autant, qu'en l'espèce la société G. avait eu connaissance de la déclaration de sinistre effectuée le 12 mai 1999 auprès de l'assureur garantissant la responsabilité professionnelle de l'avocat. Dans ce cas, la juridiction aurait alors sursis à statuer jusqu'au pourvoi et permis de reporter le point de départ du délai de prescription de la responsabilité professionnelle de l'avocat au titre d'une faute commise dans l'exécution de sa mission d'interjeter appel.


(1) Cass. civ. 1, 17 octobre 2012, n° 11-15.635 (pourvoi non admis). Cf. l'arrêt d'appel : CA Paris, 30 novembre 2010, n° 10/03855 (N° Lexbase : A5738GMH) ; J. Jeannin et M. Mahy-Ma-Somga, La notion de fin de mission de l'avocat, Dalloz avocats - Exercer et entreprendre, 2013 p. 9.
(2) Voir déjà en ce sens, Cass. civ. 1, 14 novembre 2012, n° 11-24.396, F-D (N° Lexbase : A0431IXA).
(3) CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 18 juin 2014, n° 12/11666, précité ; cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" (N° Lexbase : E9775ET9).

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