Lexbase Fiscal n°629 du 15 octobre 2015 : Impôts locaux

[Jurisprudence] De nouveaux éclairages sur la notion de fraction de propriété et sur la régularité du local type servant à la détermination de la valeur locative des locaux commerciaux

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 18 septembre 2015, n° 374782, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4017NPH) et CE 3° et 8° s-s-r., 18 septembre 2015, n° 384046, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4021NPM)

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par Marie-Cécile Clémence, collaboratrice fiscaliste spécialisée en fiscalité locale et doctorante à l'Université Paris Panthéon Sorbonne sous la direction du professeur Marie-Christine Esclassan

le 15 Octobre 2015

C'est en matière d'évaluation foncière des locaux commerciaux que le Conseil d'Etat a rendu, le 18 septembre 2015, deux décisions lui ayant permis de se prononcer de manière inédite, d'une part, sur la portée de la notion de fraction de propriété normalement destinée à une utilisation distincte (CE 3° et 8° s-s-r., 18 septembre 2015, n° 374782, mentionné aux tables du recueil Lebon) et, d'autre part, sur la régularité de la valeur locative d'un local type déterminée en application du coefficient d'ajustement prévu à l'article 324 AA de l'annexe III au CGI (N° Lexbase : L3147HMI) (CE 3° et 8° s-s-r., 18 septembre 2015, n° 384046, mentionné aux tables du recueil Lebon). 1. Rappelons tout d'abord que les dispositions de l'article 1494 du CGI (N° Lexbase : L0258HMI) prévoient que "la valeur locative des biens passibles de la taxe foncière sur les propriétés bâties [...] est déterminée pour chaque propriété ou fraction de propriété normalement destinée à une utilisation distincte". S'agissant de locaux commerciaux situés dans un immeuble collectif ou un ensemble immobilier, tels que ceux objet de la première affaire, la fraction de propriété normalement destinée à une utilisation distincte, s'entend du local normalement destiné, à raison de son agencement, à être utilisé par un même occupant (CGI, ann. III, art. 324 A N° Lexbase : L3121HMK).

La question inédite posée par la société requérante était la suivante : un ensemble immobilier de bureaux composé de plusieurs unités identiques doit-il être évalué comme une fraction de propriété unique ou comme autant de fractions de propriété distinctes qu'il comporte ?

En l'espèce, une société était propriétaire de deux immeubles à usage de bureaux situés sur la commune du Blanc Mesnil à raison desquels elle a sollicité la réduction des taxes foncières 2011 et 2012 mises en recouvrement à son nom. Alors que la société requérante soutenait que ces deux ensembles immobiliers devaient être évalués dans leur globalité, et non par unité d'évaluation distincte, le tribunal administratif de Montreuil (TA Montreuil, 30 juin 2014, n° 1308666) a rejeté sa demande en considérant que l'administration fiscale avait valablement procédé à une évaluation distincte par lot dont la polyvalence permettait une utilisation distincte ainsi que l'exercice d'activités autonomes.

La notion d'utilisation distincte, centrale s'agissant de l'appréciation d'une fraction de propriété, repose sur le critère de l'utilisation des locaux par un même occupant ou sur la vocation à être utilisé par un même occupant au regard de son agencement. Ainsi, Nathalie Escaut souligne dans ses conclusions, sous l'arrêt commenté, que "lorsqu'est en cause un immeuble de bureaux composé de plusieurs unités identiques, qui peuvent être utilisées par des occupant différents, on peut admettre que le caractère modulaire du bien est un élément d'agencement qui conduit à regarder chacune de ses unités comme un local normalement destiné, à raison de son agencement, à être utilisé par un même occupant". Elle ajoute, néanmoins, que cette analyse "ne peut être transposée à un immeuble de bureaux qui comporte des modules, qui, à raison de leur agencement, sont destinés à être utilisé par des locataires distinctes".

Tel était bien le cas, en l'espèce, puisque la société requérante était propriétaire de deux immeubles, d'une surface de 12 757 m² et de 12 192 m², dont chaque niveau était divisé en quatre lots de copropriété dont leur nature et leur polyvalence en permet une utilisation distincte ainsi que l'exercice d'activités autonomes les unes par rapport aux autres. Ainsi, au regard de la configuration desdits locaux, telle qu'elle ressortait de l'instruction, il était raisonnable de penser que ces deux immeubles de bureaux étaient composés d'unités qui pouvaient être utilisées par des occupants différents.

C'est la solution retenue par le Conseil d'Etat qui a considéré ces deux ensembles immobiliers devaient être regardés comme comportant autant de fraction de propriétés normalement destinées à une utilisation distincte que de modules de bureaux destinés à la location. Ainsi, tel que le relève Nathalie Escaut, l'utilisation distincte d'une fraction de propriété n'impose pas l'exercice d'une activité différente mais uniquement son utilisation par un occupant différent.

En pratique, il découle de cette solution que ces deux immeubles doivent faire l'objet d'une évaluation foncière distincte par lot et que la valeur locative de l'immeuble doit être déterminée au regard d'un local type dont les caractéristiques et la surface permettent d'être comparées à la nature et la surface pondérée de chaque lot.

2. Dès lors que la fraction de propriété à évaluer a été déterminée, arrive, alors, le temps de fixer la valeur locative l'immeuble. L'article 1498 2° b du CGI (N° Lexbase : L0267HMT) prévoit que "la valeur locative des termes de comparaison est arrêtée [...] par comparaison avec des immeubles similaires situés dans la commune ou dans une localité présentant, du point de vue économique, une situation analogue à celle de la commune en cause et qui faisaient l'objet à cette date de locations consenties à des conditions de prix normales au regard d'un local type comparable au local en cause". Encore faut-il que ce local type soit régulier.

C'est sur ce point que le Conseil d'Etat a été saisi dans la deuxième affaire commentée. Au cas présent, deux SCI étaient propriétaires d'immeubles à usage d'entrepôt sur la commune de Pantin et de Bobigny à raison desquels elles ont, toutes deux, sollicité la réduction de la taxe foncière 2011 mise en recouvrement entre leurs mains au motif que le local type initialement retenu par l'administration fiscale n'était pas pertinent.

Rejetant les demandes des requérantes, le tribunal administratif de Montreuil (TA Montreuil, 30 juin 2014, n° 1308666) a refusé de retenir le local type n° 38 du procès-verbal des opérations de révision des évaluations foncières de la commune de Créteil, proposé par les sociétés requérantes, soulevant son irrégularité en ce que la valeur locative du local type n° 38 avait été déterminée par comparaison à la valeur locative du local type n° 55 du procès-verbal de la commune de Charenton, laquelle avait été majorée de 20 %.

En effet, il ressort des conclusions de Nathalie Escaut sous cette affaire que "la colonne observations du procès-verbal mentionnait [...] que la valeur locative du local type n° 38 de la commune de Créteil avait été déterminée par comparaison avec le local type n° 55 de Charenton, compte tenu d'une majoration de 20 %". Dès lors, les juges du fond ont considéré, pour rejeter le local type proposé par les société requérantes, que "le local-type n° 38 du procès-verbal de la commune de Créteil n'est pas pertinent dès lors que la valeur locative a été déterminée par comparaison avec un local type n° 55 de la commune de Charenton, dont la valeur locative a été majorée de 20 % alors qu'aucune disposition ne prévoit que la valeur locative mentionnée sur le procès-verbal puisse être déterminée par l'application directe sur le procès-verbal d'un abattement ou d'une majoration afin d'assurer la représentativité du local type retenu par rapport au marché locatif existant au 1er janvier 1970".

Conduit à se prononcer sur la régularité d'un local type dont la valeur locative avait été déterminée après application d'un coefficient d'ajustement, le Conseil a censuré les juges du fond en considérant qu'ils avaient commis une erreur de droit, "en se fondant uniquement, pour juger qu'un local-type figurant sur le procès-verbal des opérations de révision des évaluations foncières de la commune de Créteil ne pouvait être retenu comme terme de comparaison, sur la circonstance que sa valeur locative avait été déterminée en appliquant une majoration de 20 % à la valeur locative d'un autre local-type figurant sur le procès-verbal des opérations de révision des évaluations foncières de la commune de Charenton-le-Pont".

Tel que le soulignaient les sociétés requérantes, il n'était pas question, en l'espèce, de l'application des valeurs locatives encadrantes inscrites sur le procès-verbal des opérations de révision des valeurs locatives visant à assurer la représentativité du local type retenu par rapport au marché locatif au 1er janvier 1970 pour lesquelles le Conseil d'Etat s'est déjà prononcé sur leur exclusion s'agissant de la détermination de la valeur locative d'un local (CE 3° et 8° s-s-r., 28 décembre 2012, n° 346811, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6849IZP). Le litige portait, en effet, sur l'application du coefficient d'ajustement, prévu à l'article 324 AA de l'annexe III au CGI, permettant de tenir compte des différences entre le local type et le local à évaluer.

Ainsi, le local type n° 38 évalué par référence au local type n° 55, après application dudit coefficient d'ajustement, pouvait-il être considéré comme régulier ? C'est par l'affirmative que le Conseil d'Etat répond à cette question inédite.

Il convient d'appréhender le fondement de cette décision à la lumière des conclusions de Nathalie Escaut sous cet arrêt. Elle précisait, à juste titre, que le coefficient d'ajustement, qui fait partie intégrante de la méthode comparative d'évaluation des locaux commerciaux, "permet d'ajuster la valeur d'un bien pour tenir compte des différences qui peuvent exister entre le local considéré et l'immeuble à évaluer, notamment du point de vue de la situation, de la nature de la construction, de son état d'entretien, de son aménagement ainsi que de l'importance plus ou moins grande de ses dépenses".

Ainsi, le coefficient d'ajustement prévu à l'article 324 AA de l'annexe III au CGI ne saurait être considéré comme un abattement ou une majoration tendant à assurer la représentativité du local-type retenu par rapport au marché locatif existant au 1er janvier 1970, mais comme une étape de calcul de la valeur locative d'un bien selon la méthode par comparaison prévue à l'article 1498, 2° du CGI, validant la régularité du local type.

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