Lexbase Social n°627 du 1 octobre 2015 : Contrat de travail

[Jurisprudence] La profession d'avocat à l'épreuve du salariat

Réf. : Cass. soc., 16 septembre 2015, n° 14-17.842, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A1088NPY)

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par Bernard Gauriau, Professeur à l'Université d'Angers, Avocat

le 01 Octobre 2015

Il résulte de l'article 7 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ), dans sa rédaction applicable antérieurement au 1er janvier 1992, que, pour la période allant de février 1988 au 31 décembre 1991, un avocat ne pouvant exercer sa profession dans le cadre d'un contrat de travail, le juge ne saurait, par l'effet d'une requalification des relations contractuelles, conclure à l'existence d'un tel contrat, et que, pour la période allant du 1er janvier 1992 au 31 décembre 2011, un avocat ne pouvant exercer sa profession dans le cadre d'un contrat de travail le liant à une personne physique ou morale autre qu'un avocat, une association ou une société d'avocats, le juge ne saurait, par l'effet d'une requalification des relations contractuelles, conclure, en dehors de ces hypothèses, à l'existence d'un contrat de travail. Tel est l'enseignement d'un arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 16 septembre 2015 (Cass. soc., 16 septembre 2015, n° 14-17.842, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A1088NPY). En l'espèce, une avocate est engagée en février 1988 par une avouée. En juin 2012, elle prend acte de la rupture de son contrat aux torts de l'avouée et saisit le Conseil de prud'hommes de diverses demandes à ce titre. La compétence du juge saisi va susciter quelques interrogations. L'avouée prétend que le conseil de prud'hommes n'est pas compétent au motif que l'intéressée ne pouvait notamment pas être salariée au profit d'une personne autre qu'un avocat, étant entendu, par ailleurs, que l'intéressée cotisait au régime social des indépendants, à la CNBF, à l'URSSAF et à l'Ordre des avocats, s'acquittait de la taxe professionnelle et signait des notes mensuelles d'honoraires dont l'en-tête la désignait en qualité d'avocat à la cour. La cour d'appel, saisie sur contredit, dit que le conseil de prud'hommes est compétent pour connaître du litige pour la période allant de février 1988 au 31 décembre 2011. Elle retient, d'abord, que l'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité, et, ensuite, que l'intéressée rapporte la preuve du lien de subordination allégué, et donc de l'existence du contrat de travail dont elle se prévaut au titre de la période ayant couru du mois de février 1988 au 31 décembre 2011. La Cour de cassation distingue plusieurs périodes sous le visa de l'article 7 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, au fur et à mesure des modifications par lui subies.
Résumé

Période antérieure au 1er janvier 1992 : la profession d'avocat est une profession libérale et indépendante et l'avocat, qui exerce sa profession en qualité d'avocat collaborateur ou comme membre d'une société ou d'une association d'avocats, n'a pas la qualité de salarié. Par ailleurs, l'article 7, dans sa rédaction d'alors, qui est interprétative, a un caractère d'ordre public.

Période postérieure au 1er janvier 1992 : l'avocat peut exercer sa profession en qualité de salarié ou de collaborateur libéral d'un avocat ou d'une association ou société d'avocats.

Application de la règle au litige :

- pour la période allant de février 1988 au 31 décembre 1991, un avocat ne pouvant exercer sa profession dans le cadre d'un contrat de travail, le juge ne saurait, par l'effet d'une requalification des relations contractuelles, conclure à l'existence d'un tel contrat ;

- pour la période allant du 1er janvier 1992 au 31 décembre 2011, un avocat ne pouvant exercer sa profession dans le cadre d'un contrat de travail le liant à une personne physique ou morale autre qu'un avocat, une association ou une société d'avocats, le juge ne saurait, par l'effet d'une requalification des relations contractuelles, conclure, en dehors de ces hypothèses, à l'existence d'un contrat de travail.

Observations

I - Les modifications successives de l'article 7 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971

Dans sa version antérieure au 1er janvier 1991, l'article 7 excluait que l'avocat puisse être salarié : "l'avocat [...] qui exerce sa profession en qualité d'avocat collaborateur ou comme membre d'une société ou d'une association d'avocats, n'a pas la qualité de salarié". Il s'agit certainement d'une présomption irréfragable, ne serait-ce que parce que le mode indicatif (négatif) a valeur d'impératif (négatif). Il s'agit aussi d'un texte qualifié d'ordre public par la Cour de cassation, et n'autorisant donc pas de dérogation conventionnelle. Il n'autorise pas non plus l'exercice par le juge de son pouvoir de requalification.

A partir de 1991 jusqu'au 31 décembre 2011, l'avocat peut être salarié mais ne saurait être salarié de n'importe qui, si l'on peut s'exprimer de façon triviale. L'article 7 dispose, en effet, que "l'avocat peut exercer sa profession [...] en qualité de salarié [...] d'un avocat ou d'une association ou société d'avocats" (1). La rédaction peut prêter à confusion : il faut comprendre qu'il ne peut être salarié que d'un avocat ou d'une société d'avocat, en conséquence, en la présente espèce, l'intéressée ne pouvait donc être salariée d'une avouée.

Notons, enfin, que depuis la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques (N° Lexbase : L4876KEC), dite loi "Macron" (art. 63), l'article 7 a été une nouvelle fois modifié dans son premier alinéa pour spécifier que l'avocat peut exercer sa profession, notamment au sein d'entités dotées de la personnalité morale, à l'exception des formes juridiques qui confèrent à leurs associés la qualité de commerçant. Mais cela est sans incidence sur le présent litige.

II - Conséquences

En substance, cet arrêt nous explique qu'un avocat ne peut être le salarié que d'un autre avocat, et ce, seulement à partir de 1992. Dans sa portée pratique, l'arrêt n'a sans doute pas l'importance qu'il semble avoir, au regard du faible nombre de requalifications opérées chaque année. En revanche, au plan proprement juridique (voire déontologique), il est remarquable à plusieurs titres.

Tout d'abord, il nous rappelle que la profession d'avocat est, par essence, une profession libérale et indépendante, certes à des degrés divers selon les périodes, mais elle l'est.

Ensuite, il marque l'importance qui s'attache au changement opéré à compter de 2012 et à l'occasion de la fusion des deux professions concernées dans l'espèce. La loi n° 2011-94 du 25 janvier 2011, portant réforme de la représentation devant les cours d'appel (N° Lexbase : L2387IP4) prend ici toute son importance : depuis le 1er janvier 2012, en effet, la fonction d'avoué a disparu. Sauf renonciation de leur part, les avoués sont devenus avocats du seul fait de la loi.

Dans un souci de simplifier la démarche du justiciable et de réduire le coût du procès en appel et face à la double présence de l'avocat (assistance) et de l'avoué (représentation) qui était difficilement compréhensible pour le justiciable, la réforme est intervenue (2). Quoiqu'il en soit, et en conséquence, dans cette espèce, la requalification en contrat de travail ne pouvait être envisageable (pour autant que les conditions de celle-ci fussent réunies) qu'à compter du 1er janvier 2012, correspondant à la date où l'avouée-employeur... est devenue avocat.

La Cour de cassation nous livre en définitive une interprétation littérale de l'article 7, dans ses rédactions successives. Sans doute peut-on penser que d'autres magistrats auraient fait montre de plus de souplesse dans l'interprétation du texte, au regard d'une fusion entre deux professions annoncée depuis déjà quelque temps. Professions qui, pour être distinctes, n'en étaient pas moins cousines quand on se souvient que la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques avait supprimé les offices d'avoués auprès des tribunaux de grande instance, leurs titulaires devenant avocats par l'effet de la loi. De là à faire une application rétroactive du texte et accueillir la demande pour la période antérieure au 31 décembre 2011, c'était sans doute un pas qui ne pouvait être franchi.


(1) Loi n° 2011-331 du 28 mars 2011 de modernisation des professions judiciaires ou juridiques et certaines professions réglementées, art. 5 (N° Lexbase : L8851IPI).
(2) V. loi n° 2011-94 du 25 janvier 2011, préc., exposés des motifs ; v. J. Héron, Th. Le Bars, Droit judiciaire privé, LGDJ, 6ème éd., 2015, n° 773.

Décision

Cass. soc., 16 septembre 2015, n° 14-17.842, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A1088NPY).

Cassation partielle (CA Paris, Pôle 6, 2ème ch., 10 avril 2014, n° S 13/07620 N° Lexbase : A9737MIH).

Textes visés : loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, art. 7 (N° Lexbase : L6343AGZ).

Mots-clés : exercice de la profession d'avocat ; hypothèses de conclusion ou non d'un contrat de travail.

Lien base : (N° Lexbase : E7648ES3).

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