Lexbase Droit privé - Archive n°622 du 23 juillet 2015 : Contrats et obligations

[Le point sur...] L'action en garantie dans les cessions à titre onéreux d'animaux

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par Sylvia Stalteri, Docteur en droit privé et Philippe Létienne, Doctorant en droit privé

le 23 Juillet 2015

Le principe "Lex specialis derogat legi generali" ("les règles spéciales dérogent aux règles générales") est ancré en matière de cessions d'animaux (1) et oblige le juge du fond à relever d'office que "l'action en garantie dans les ventes d'animaux domestiques est régie, à défaut de convention contraire" par le Code rural et de la pêche maritime (2). La mention "à défaut de convention contraire" met en lumière le caractère supplétif du régime de l'action en garantie. Ledit régime doit être replacé dans un contexte qui est que "tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce" (C. rur., art. L. 214-1 N° Lexbase : L3263IK3). Le naturaliste anglais Charles Darwin faisait déjà état en 1872 de L'Expression des émotions chez l'homme et les animaux. Mais les acquéreurs ont d'autres impératifs, plus économiques que biologiques. Aussi, l'article L. 213-1 du Code rural et de la pêche maritime (N° Lexbase : L4590I4R) précise que l'action en garantie s'applique dès lors qu'apparaissent des défauts qualifiés de vices rédhibitoires aux "ventes ou échanges d'animaux". En pratique, le vice est difficile à déceler même pour un acheteur "professionnel" (3), ce qui fait du droit rural, un droit éminemment spécial. La cession onéreuse d'un animal, à l'instar de "l'achat d'un cheval de course comporte de manière évidente un aléa" (4) qui franchit les marches du Palais. L'action en garantie dans les cessions à titre onéreux d'animaux est, sauf contournement conventionnel (II), régie par un droit spécial (I). I - Un droit spécial irréductible

Les dispositions spéciales intégrées dans le Code rural et de la pêche maritime délimitent strictement les actions en résolution de cessions onéreuses d'animaux. Une confusion peut survenir compte tenu du nombre de codes applicables à un même contrat de vente.

De surcroît, les articles en la matière s'échinent à effectuer des renvois vers d'autres articles, ce qui laisse une impression d'incomplétude. L'article L. 213-1 du Code rural, premier article sous la Section 1 : Les vices rédhibitoires, censé poser un principe où à tout le moins être explicite, fait référence aux "articles L. 211-1 à L. 211-6, L. 211-8 à L. 211-15, L. 211-17 et L. 211-18 du code de la consommation" et "L. 211-7 du même code".

Dans ce foisonnement de textes, il appartient au juge "de relever d'office que l'action en garantie dans les ventes d'animaux domestiques est régie, à défaut de conventions contraires dont elle n'a pas constaté l'existence, par les dispositions des articles L. 213-1 et suivants du Code rural" (5).

La Haute juridiction considère, dans une affaire d'achat d'"un chien de race Rottweiller", qu'indifféremment de la qualité des cocontractants, le "seul motif" du constat que le "vice allégué" n'est pas "un vice rédhibitoire au sens des articles L. 213-1 et suivants du Code rural" suffit à écarter la "résolution de la vente" (6).

Pourtant, la qualité des cocontractants est source de subtilité pour les juges. La cour d'appel de Pau a relevé la qualité de vendeur "amateur très éclairé", pour ne pas retenir la qualité de "professionnel de la vente" (7).

Le vice rédhibitoire étant un défaut réglementairement listé (C. rur., art. R. 213-1 N° Lexbase : L6561IT8), il serait judicieux de mettre à jour la liste des vices en l'élargissant à d'autres pathologies (ex. : "la fourbure ne figure pas dans la liste de l'article R. 213-1 du Code rural" (8) puisque le caractère désuet de la liste est patent. Ce positionnement est d'autant plus avéré que la dernière modification du texte n'a eu que pour effet de modifier les mots "comité consultatif de la santé et de la protection animales" par "Conseil national d'orientation de la politique sanitaire animale et végétale" (9).

Il convient d'ajouter que l'anomalie affectant l'animal doit constituer une "condition essentielle de la vente", à défaut, la demande de résolution du contrat de vente d'un animal (en l'espèce un "chiot de race Staffordshire Bull-Terrier, dénommé Ree-Play") qui "serait taré" ne peut prospérer (10).

Les délais procéduraux impartis à l'acheteur sont extrêmement courts, puisque sauf deux cas exceptionnels, "pour introduire l'une des actions ouvertes par l'existence d'un vice rédhibitoire" et "pour provoquer la nomination d'experts", le délai est de dix jours (C. rur., art. R. 213-5 N° Lexbase : L1118DZG) à compter de la livraison de l'animal (C. rur., art. R. 213-7 N° Lexbase : L2089IBY) et non de la découverte du vice. Néanmoins, une parade existe en jurisprudence car le délai pour exercer l'action en résolution de la vente ne commencera pas à courir, si "la date ne figure pas sur la facture et qu'il n'y a pas eu d'avis de livraison" (11).

Concernant le diagnostic, dès lors qu'un animal a été examiné avant l'expiration du délai légal, il importe peu que le certificat de diagnostic de suspicion d'une maladie ait été signé après ledit délai (12).

Quand bien même, l'irréductibilité du droit rural est manifeste, son contournement est agreste.

II - Un droit spécial contournable

L'exception textuelle (C. rur., art. L. 213-1) permet l'application du droit commun à la place du droit spécial. Ainsi, les règles de garanties des vices rédhibitoires peuvent être écartées par une convention contraire implicite et résulter de la nature de l'animal et de sa destination (13), ainsi que du but que les parties se sont proposé et qui constitue la condition essentielle du contrat (14).

Le vice doit rendre l'animal impropre à sa destination alors que, si l'on se réfère aux dispositions du Code rural, les vices rédhibitoires ne posent pas la démonstration d'une impropriété.

Il en résulte que la convention tacite dérogatoire au droit spécial produit un alourdissement des obligations contractuelles incombant aux vendeurs, ce qui risque de rompre l'équilibre du contrat et ralentir le marché par un formalisme trop accru, sauf à ériger en norme, des conventions tacites.

Le régime actuel est justement conçu pour encadrer un droit spécial. A force de déspécialiser ce qui est spécialisé, le spécial ne perdra-t-il pas de sa substance pour se noyer dans des considérations générales ? Le risque in fine est une augmentation des procédures à l'encontre des éleveurs. La pratique étant riche de contentieux, gageons que le décret n° 2015-282 du 11 mars 2015 (N° Lexbase : L1333I8U) trouve ici une source intarissable de résolution amiable de différents.

Le droit commun de la vente sera applicable s'il est prévu explicitement ou tacitement dans un acte de vente, les conventions doivent être respectées ("pacta sunt servanda"). La preuve de la commune intention des parties d'écarter le droit spécial doit transparaître, notamment par le constat de "l'existence d'une telle convention" (15) et par "la destination des animaux vendus et du but que les parties se sont proposé et qui constitue la condition essentielle du contrat" (16). De la sorte, la destination de l'animal revêt une importance capitale puisque venant à l'appui du régime applicable (17). Le droit spécial doit être aussi malléable, tant les implications concrètes peuvent être délicates. L'aléa chasse la garantie, l'achat s'étant effectué en dépit d'une anomalie génitale évidente par une convention dérogatoire tacite. L'étalon était donc "peu performant mais non stérile". Malgré cela, les juges ont retenu une présomption en faveur de l'acquéreur et prononcé la résolution de la vente (18).

L'article 6 du Code civil (N° Lexbase : L2231ABA) dispose qu'"on ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes moeurs". Or, "les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité" (C. civ., art. 515-14 N° Lexbase : L9450I77 ; loi n° 2015-177 du 16 février 2015, art. 2 N° Lexbase : L9386I7R) et l'action en garantie dans les cessions onéreuses d'animaux n'est plus régie par le Code rural et de la pêche maritime en présence d'une convention contraire, le droit commun de la vente retrouvant ses lettres de noblesse.

Est-ce à dire que les cessions d'animaux n'intéressent pas l'ordre public et les bonnes moeurs ?


(1) Vente de deux chattes de race : Cass. civ. 1, 6 mars 2001, n° 98-16.332 (N° Lexbase : A4842ARR) ; vente d'un cheval mort six jours après sa livraison : Cass. civ. 1, 29 janvier 2002, n° 99-18.343 (N° Lexbase : A8646AXI) ; et cf. l’Ouvrage "Contrats spéciaux" (N° Lexbase : E7915EXG).
(2) Cass. civ. 1, 15 octobre 2014, n°13-22.042, F-D (N° Lexbase : A6583MYH).
(3) Cass. civ. 1, 15 octobre 2014, n° 13-21.555, F-D (N° Lexbase : A6578MYB).
(4) Cass. civ. 1, 3 juin 2015, n° 14-11.970, F-D (N° Lexbase : A2228NKQ).
(5) Cass. civ. 1, 13 décembre 2005, n° 03-19.827, F-D (N° Lexbase : A9838DLX).
(6) Cass. civ. 1, 5 juillet 2005, n° 03-12.139, F-D (N° Lexbase : A8814DIB).
(7) CA Pau, 30 janvier 2012, n° 12/415.
(8) CA Pau, 20 mai 2013 n° 14/1765 (N° Lexbase : A4532MLG).
(9) Décret n° 2012-842 du 30 juin 2012, art. 4 (N° Lexbase : L5193ITI).
(10) CA Versailles, 24 février 2004, n° 2002/07365 (N° Lexbase : A7274DGI).
(11) CA Limoges, ch. civ., 9 février 2010, n° 08/01199 (N° Lexbase : A3130GMU).
(12) CE 5° et 4° s-s-r., 30 novembre 2007, n° 282017, mentionné dans les tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9620DZC).
(13) Cass. civ. 1, 17 octobre 2012, n° 11-10.577, F-D (N° Lexbase : A2962MQR).
(14) Cass. civ. 1, 1er juillet 2015, n° 13-25.489, F-P+B (N° Lexbase : A5400NMX).
(15) Cass. civ. 1, 5 février 2009, n° 08-10.345, F-D (N° Lexbase : A9612ECY).
(16) Cass. civ. 1, 19 novembre 2009, n° 08-17.797, F-D (N° Lexbase : A7460ENM).
(17) Exemples en droit équin : CA Montpellier, 11 avril 2013, n° 11/06348 (N° Lexbase : A9821KBD) ; CA Rouen, 11 mars 2009, n° 08/00626 (N° Lexbase : A5568G8Q) ; CA Nîmes, 19 mai 2009, n° 08/00781 (N° Lexbase : A8863GXK).
(18) Par exemple, CA Riom, 19 janvier 2015, n° 13/03433 (N° Lexbase : A2994NA7) : "le cheval Jeriko" avait un bon état général mais "il était cryptorchide (ne présentant qu'un seul testicule dans les bourses)".

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