Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., 17 juin 2015, n° 388457, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5442NL7)
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par Ana Gonzalez, Avocat au barreau de Paris, cabinet Alma Monceau
le 09 Juillet 2015
Le pouvoir adjudicateur a notifié leur éviction aux candidats non retenus et a précisé qu'un délai de suspension (ou "stand still") de cinq jours serait respecté avant la signature du contrat.
Une entreprise évincée saisit le juge du référé précontractuel d'une demande d'annulation de la procédure, et "transforme" son recours en référé contractuel en raison de la signature du marché en cours d'instance.
Il faut préciser que le pouvoir adjudicateur, bien qu'ayant indiqué un délai de stand still erroné, avait respecté le délai réglementaire de seize jours avant de signer.
La requête est regardée comme irrecevable par le premier juge au motif que le pouvoir adjudicateur avait, dans les faits, respecté le délai de seize jours avant de signer.
Le Conseil d'Etat censure l'ordonnance et retient que, si le délai de suspension notifié aux candidats évincés est inférieur au délai minimal, ils sont néanmoins recevables à contester le marché en référé contractuel, y compris lorsque, in fine, le délai réglementaire (de seize ou onze jours) a bien été respecté par le pouvoir adjudicateur.
Sur le plan de la recevabilité, cet arrêt rappelle la portée de l'obligation d'information des candidats évincés sur la recevabilité du référé contractuel (I). Il fournit par ailleurs une illustration du contrôle du juge sur les manquements susceptibles de conduire à l'annulation du marché (II).
I - Portée de l'obligation d'information des candidats évincés sur la recevabilité du référé contractuel
Le Conseil d'Etat apporte des précisions relatives à la portée (B) de l'obligation de notification aux candidats évincés du délai de suspension (A).
A - La règle de l'obligation de notification aux candidats évincés du délai de suspension
Règle issue, pour les marchés soumis à l'ordonnance du 6 juin 2005, de l'article 46, I, 1°) du décret n° 2005-1742 du 30 décembre 2005, pris en application de l'ordonnance du 6 juin 2005, l'obligation de notification du délai de suspension aux candidats évincés est particulièrement importante pour ces derniers.
Ainsi, et après avoir sélectionné un candidat, le pouvoir adjudicateur est tenu, avant la conclusion d'un contrat, d'observer un délai de stand still afin de permettre aux candidats évincés de former un référé précontractuel devant le juge administratif ou judiciaire, selon la nature du contrat, dans le but de contester la procédure de passation.
Ce délai d'au moins seize jours, ou onze jours en cas de transmission électronique, doit être respecté entre la date d'envoi de la notification de l'attribution du marché et la date de conclusion du marché, et notifié aux candidats évincés.
La jurisprudence administrative a eu l'occasion, dans un arrêt "Office Public de l'Habitat interdépartementale de l'Essonne, du Val d'Oise et des Yvelines" (2), de faire application de ce principe et de sanctionner le pouvoir adjudicateur n'ayant pas notifié aux candidats évincés le délai de suspension. Le juge judiciaire fait également application de ce principe (3).
B - Conséquences de l'indication d'un délai de suspension erroné
En principe, un référé contractuel ne peut être engagé que si le requérant a été privé du droit d'exercer un référé précontractuel (4). Il n'obtiendra, par ailleurs, l'annulation du contrat que s'il montre qu'un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence a affecté ses chances d'obtenir le contrat (5).
Si le référé contractuel ne peut être introduit par un requérant évincé, après que ce dernier a exercé un référé précontractuel, il en est autrement dès lors que le pouvoir adjudicateur n'a pas notifié le délai de suspension aux candidats évincés (6).
Dès lors, le candidat évincé peut "transformer" son référé précontractuel en référé contractuel (7).
Le juge apprécie le caractère suffisant des informations données aux candidats évincés (8).
Le Conseil d'Etat apporte ici trois précisions importantes : le dispositif n'a pas pour effet de rendre irrecevable un référé contractuel présenté par un candidat qui avait antérieurement présenté un référé précontractuel :
- alors qu'il était dans l'ignorance du rejet de son offre et de la signature du marché par suite d'un manquement du pouvoir adjudicateur à son obligation d'informer les candidats ;
- ni dans l'hypothèse où le candidat n'est pas informé du délai de suspension ;
- ni enfin dans l'hypothèse où le pouvoir adjudicateur "indique un délai [de stand still] inférieur au délai minimum prévu [...] alors même que le marché aurait été finalement signé dans le respect de ce délai minimum".
Autrement dit, une "erreur de plume" dans l'indication du délai, sans conséquence sur la date effective de signature, permet au candidat évincé d'actionner le référé contractuel, y compris si le délai de seize (ou onze) jours a finalement été respecté pour signer le marché.
Une vigilance particulière s'impose donc dans la rédaction des courriers d'éviction.
II - Contrôle du juge sur les manquements susceptibles de conduire à l'annulation du marché
Une fois le référé contractuel regardé comme recevable, le candidat n'obtiendra la censure du marché qu'à la double condition de démontrer que la violation du délai de stand still a obéré son recours en référé précontractuel et qu'un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence a été commis à son détriment (A). La sanction n'est toutefois pas automatique (B).
A - Complexité des conditions à remplir pour faire censurer le contrat
L'arrêt rapporté illustre la teneur du contrôle du juge sur les critères d'attribution : s'il ne peut, selon la solution classique, se substituer au pouvoir adjudicateur dans l'examen des mérites respectifs des candidats, les critères et leur notation sont soumis au contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation (9).
Il résulte de la jurisprudence que le pouvoir adjudicateur doit porter à la connaissance des candidats la pondération des sous-critères d'analyse des offres, dans la mesure où elle exerce une influence sur la présentation des offres et sur le choix, et que les sous-critères doivent être regardés comme des critères (10).
Au cas présent, le requérant parvient à démontrer que le pouvoir adjudicateur avait omis de porter à la connaissance des candidats la pondération des sous-critères d'analyse du prix, critère pondéré à 50 %. Cette omission caractérise un manquement.
Eu égard à la note obtenue par le requérant sur les différents sous-critères, le défaut d'information sur leur pondération a affecté ses chances d'emporter le marché.
Le juge apprécie ici souverainement que le faible écart de points (un point) entre le lauréat et la société requérante, qui était par ailleurs la moins chère, a affecté ses chances d'emporter le marché.
B - La sanction : l'annulation différée du contrat
Conformément à l'article L. 551-19 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L6357IQI), le juge examine ensuite si des motifs tirés de raisons impérieuses d'intérêt général (11) pourraient justifier une sanction alternative à l'annulation du marché. Il les écarte tous.
Fait rare dans le cadre de cette procédure, parfois proche du "parcours du combattant" pour le candidat évincé, le requérant bien-fondé obtient donc l'annulation du marché au terme de la procédure de référé contractuel.
Cela étant, lorsque le juge prononce l'annulation du contrat, il est en mesure d'en différer l'effet (12), selon la formule : "compte tenu notamment de la nécessité d'assurer la continuité des prestations [...] durant le délai nécessaire au lancement d'une nouvelle procédure" (13).
En l'espèce, le juge prononce l'annulation avec un effet différé de quatre mois (délai classique) afin de garantir la continuité des prestations de relevé et de maintenance des compteurs, avec l'intérêt général qui s'y attache, pendant l'organisation d'une nouvelle procédure d'attribution.
(1) Décret n° 2005-1742 du 30 décembre 2005, fixant les règles applicables aux marchés passés par les pouvoirs adjudicateurs mentionnés à l'article 3 de l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 (N° Lexbase : L6446HEH), art. 28 et 29.
(2) CE 2° et 7° s-s-r., 24 juin 2011, n° 346665 et n° 346746, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3555HU9).
(3) Cass. com., 6 janvier 2015, n° 13-20.213, F-D ([LXB=A0769M9D)]) et lire nos obs., Le référé contractuel vu par le juge judiciaire : conséquences du défaut de notification du délai de "stand still" aux candidats évincés, Lexbase Hebdo n° 364 du 5 mars 2015 - édition publique (N° Lexbase : A0769M9D).
(4) CJA, art. L. 551-14 (N° Lexbase : L1603IE4).
(5) CJA, art. L. 551-18 (N° Lexbase : L1598IEW).
(6) CE 2° et 7° s-s-r., 24 juin 2011, n° 346665 et n° 346746, mentionné aux tables du recueil Lebon, préc..
(7) CE 2° et 7° s-s-r., 10 novembre 2010, n° 340944, mentionné dans les tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8947GGH).
(8) CE 2° et 7° s-s-r., 18 décembre 2012, n° 363342, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A1288IZQ) : "Considérant qu'en statuant ainsi, alors qu'il ressortait du dossier qui lui était soumis que cette notification mentionnait, outre le délai de suspension de la signature du marché, le classement de l'offre de la société [X] en deuxième position, les notes qui lui avaient été attribuées et celles qu'avait reçues l'offre retenue, inférieure à la sienne pour le critère du prix mais supérieure pour le critère de la valeur technique, de sorte que les motifs de rejet de l'offre de la société [X] et de choix de l'attributaire se déduisaient nécessairement des termes de cette notification, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a dénaturé les pièces du dossier ; que, par suite et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, la métropole Nice Côte d'Azur est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée".
(9) CE 2° et 7° s-s-r., 20 février 2013, n° 363244, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A2762I8S) : "Considérant que s'il appartient au juge des référés précontractuels de relever un manquement aux obligations de mise en concurrence résultant de la définition par le pouvoir adjudicateur d'un système d'évaluation des offres susceptible de conduire au choix de celle qui n'est pas économiquement la plus avantageuse, un tel manquement ne peut résulter que d'une erreur manifeste du pouvoir adjudicateur dans le choix des critères et de leurs modalités de mise en oeuvre, eu égard aux diverses possibilités dont il dispose en la matière".
(10) CE 2° et 7° s-s-r., 18 juin 2010, n° 337377, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9865EZE): "Considérant que ces dispositions imposent au pouvoir adjudicateur d'informer les candidats des critères de sélection des offres ainsi que de leur pondération ou hiérarchisation ; que si le pouvoir adjudicateur décide, pour mettre en oeuvre ces critères de sélection des offres, de faire usage de sous-critères également pondérés ou hiérarchisés, il doit porter à la connaissance des candidats la pondération ou la hiérarchisation de ces sous-critères dès lors que, eu égard à leur nature et à l'importance de cette pondération ou hiérarchisation, ils sont susceptibles d'exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats ainsi que sur leur sélection et doivent en conséquence être eux-mêmes regardés comme des critères de sélection" ; CE 2° et 7° s-s-r., 1er avril 2009, n° 321752, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5008EE9).
(11) CE 2° et 7° s-s-r., 30 novembre 2011, n° 350788, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1061H3P), préc..
(12) CE 2° et 7° s-s-r., 1er juin 2011, n° 346405, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0433HT9), : "Compte tenu de la nécessité d'assurer la continuité des prestations de dépannage et d'entretien des ascenseurs durant le délai nécessaire au lancement d'une nouvelle procédure de publicité et de mise en concurrence et à l'attribution des nouveaux marchés correspondant aux lots en cause et de l'intérêt général qui s'attache à ce que cette continuité soit préservée, il y a lieu de ne prononcer l'annulation de ces deux marchés qu'à l'expiration d'un délai de quatre mois à compter de la date de la présente décision".
(13) CE 2° et 7° s-s-r., 30 novembre 2011, n° 350788, publié au recueil Lebon, préc. ; ou CE 2° et 7° s-s-r., 23 novembre 2011, n° 349746, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9963HZZ).
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