Réf. : CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 21 janvier 2015, n° 13/10984 (N° Lexbase : A8569M9A)
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par Uguette Pétillion, Avocate au barreau de La Rochelle - Rochefort
le 17 Mars 2015
En l'espèce, Mme A., avocat collaboratrice au sein cabinet d'avocat C. en vertu d'un contrat en date du 2 novembre 2004, a conclu un nouveau contrat, le 5 novembre 2007, avec la Partnership D. (1), venant aux droits du premier cabinet d'avocats. Par lettre en date du 12 octobre 2010, la Partnership D. lui a notifié sa décision de mettre fin à leur collaboration, avec un délai de prévenance débutant le jour même et expirant le 11 mars 2011. Estimant les conditions de la rupture brutales et tardives, la collaboratrice a saisi le Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Paris pour arbitrer le litige consécutif. Selon elle, la rupture de son contrat de collaboration est intervenue de façon brutale et tardive et, pendant six ans, la Partnership D. l'a maintenue dans l'espoir d'une association avant de la lui refuser sans raison, de sorte que son attente et sa confiance ont été trahies. Dans sa sentence du 12 avril 2013, le Bâtonnier de Paris a considéré les conditions de la rupture du contrat fautives aux torts exclusifs de la Partnership et préjudiciables, justifiant l'allocation à la collaboratrice des dommages et intérêts d'un montant de 25 000 euros.
Cette sentence a été déférée à la cour d'appel par la collaboratrice, dont les demandes étaient plus importantes, notamment au titre de la perte des gains professionnels actuels, de la perte des gains professionnels futurs, de la perte de chance, des frais de reclassement professionnel, formation, changement de poste, du manque à gagner de la rente retraite capitalisée et la publication de l'arrêt à venir dans cinq journaux de son choix au frais de la Partnership D.. Faisant une interprétation stricte des textes applicables et notamment l'article 14.4.1 du règlement intérieur du barreau de Paris (2), la cour d'appel a considéré comme satisfaisantes, les conditions de la rupture du contrat de collaboration litigieux. Les juges du fond ont retenu, au regard des circonstances de l'espèce, que Mme A. ne peut "justifier ni d'une rupture brutale de son contrat de collaboration, ni du non- respect par la Partnership D. d'un engagement de la faire accéder au statut d'associé, ni même de l'avoir maintenue dans l'illusion qu'elle serait promue". En conséquence, la sentence du Bâtonnier de Paris est infirmée et la collaboratrice déboutée de la totalité de ses demandes.
Il en ressort que la rupture ne peut être regardée comme brutale dès lors qu'un délai de prévenance conforme à la présence du collaborateur a été observé (I) et le non-respect d'une promesse d'association illusoire n'est pas constitutif d'abus (II).
I - Respect du délai de prévenance, condition de régularité de la rupture du contrat de collaboration libérale
Aux termes de l'article 14.4.1 du RIBP, relatif à la rupture du contrat de collaboration libéral et au délai de prévenance : "sous réserve des dispositions relatives à la rupture du contrat en cas de paternité et sauf meilleur accord des parties, chaque cocontractant peut mettre fin au contrat de collaboration en avisant l'autre au moins trois mois à l'avance.
Ce délai est augmenté d'un mois par année au-delà de trois ans de présence sans qu'il puisse excéder six mois. Ces délais n'ont pas à être observés en cas de manquement grave aux règles professionnelles [...]".
Il en résulte que les parties à un contrat de collaboration libérale disposent d'une faculté d'y mettre un terme à tout moment, sans avoir à justifier d'un motif de rupture. La seule condition à la régularité d'une telle rupture est l'observation d'un délai de prévenance de trois mois et plus, en fonction de la présence du collaborateur dans la structure. La charge de ce délai de prévenance pèse sur la partie à l'initiative de la rupture. Aussi, excepté l'hypothèse où elle justifie d'un manquement grave aux règles professionnelles, la partie qui prend l'initiative de la rupture est tenue de laisser à l'autre un délai de prévenance. La rupture du contrat de collaboration ne peut alors prendre effet qu'à l'expiration dudit délai. La cour d'appel de Pau l'a rappelé dans un arrêt du 24 juin 2013 (3).
Telle est précisément la différence entre le contrat de collaboration libérale et le contrat de travail dont la rupture nécessite la démonstration d'un motif, d'une cause réelle et sérieuse.
La faculté ainsi laissée aux parties de mettre fin au contrat de collaboration libérale sans avoir à faire une démonstration d'un motif de rupture est source de précarité et litige, surtout pour l'avocat collaborateur.
Dans son arrêt commenté, la cour d'appel fait un rappel de la règle applicable en la matière. C'est donc, en faisant une application stricte de l'article 14.4 du RIBP qu'elle considère que la rupture du contrat de collaboration notifiée à Mme A. n'était pas brutale, dès lors qu'elle avait été avisée du délai de prévenance applicable à sa situation, en l'occurrence cinq mois. La cour n'examine que de manière purement surabondante, ce pour être complète, les arguments des parties sur le motif à l'origine de la rupture, invoqué par l'intimée et contesté par l'appelante.
Aussi, aucune brutalité ne peut donc être reprochée à un cabinet d'avocat qui met fin au contrat de collaboration libérale le liant à son collaborateur dès lors qu'il l'a avisé du délai de prévenance qui lui est ouvert. Tout autre motif, tel que le maintien dans une illusion d'association future ne pourrait remettre cette rupture en cause.
II - Absence d'abus dans le non-respect d'une promesse d'association illusoire
Le barreau de Paris s'est doté d'une Charte des bonnes pratiques de la collaboration en octobre 2012. La vocation de ce document de bonne conduite, précisée en préambule, est "de rappeler les principes fondamentaux attachés à tous les modes d'exercice de la profession d'avocat(e) ; de constituer un référentiel et un guide de bonnes pratiques du contrat de collaboration de l'avocat(e)" (4). Ce document, fondé sur le bloc normatif constitué par la constitution, les lois et règlements en vigueur, notamment le RIN et le RIBP, est sensé régir les relations de collaboration entre avocats dudit barreau.
Aussi, à son point 5.2 relatif à l'avocat collaborateur expérimenté, il est stipulé que "la délicatesse et la loyauté commandent au cabinet d'éviter de laisser le collaborateur/la collaboratrice croire en une association qui ne peut être envisagée" (5).
En effet, la délicatesse et la loyauté sont deux des règles fondamentales de la profession d'avocat (6), lesquelles s'appliquent tant dans les relations avec les clients que dans celles entre avocats.
Aussi, suivant la Charte des bonnes pratiques de la collaboration, ce serait manquer à ces règles que de laisser son collaborateur dans l'expectative d'une association illusoire. Il est manifeste que l'introduction d'une telle stipulation procède du constat d'une pratique réellement installée au sein de certains cabinets d'avocats.
Dès lors la rupture de la collaboration libérale intervenue dans un tel contexte devrait être regardée comme abusive. Telle a sans doute été l'analyse effectuée par le Bâtonnier du barreau de Paris qui a considéré la rupture fautive aux torts exclusifs de la Partnership D.. En effet, dès lors qu'il apparaissait que l'association de la collaboratrice ne pouvait être envisagée en raison de l'existence d'un processus long et complexe, impliquant de multiples intervenants, ce qui rendait tout accès au statut d'associé parfaitement illusoire, le maintien de celle-ci dans la croyance de la survenance d'un tel évènement a été contraire à la délicatesse et la loyauté. Ce qui a rendu la rupture intervenue abusive.
Toutefois, la cour ne partage pas cette analyse et considère qu'il s'agit d'une promesse de promotion en qualité d'associé dont la non réalisation n'est pas constitutive d'un abus, mais simplement d'une perte de chance de prendre d'autres dispositions. En effet, la cour voit au long et complexe processus d'intégration en qualité d 'associé dans la structure intimée, un obstacle, quasiment insurmontable, à la survenance d'un tel évènement favorable, qui le rend alors purement hypothétique. Autrement dit, dès lors que le processus d'intégration en qualité d'associé apparaissait éminemment aléatoire, l'appelante ne pouvait se prévaloir d'une promesse de promotion directe, ferme et précise, de sorte que son association relevait du seul domaine du possible. La survenance de cet évènement a donc clairement été rendue impossible avec la rupture de son contrat de collaboration, de sorte qu'elle n'a rien perdu de considérable. Elle ne saurait donc, dans ces circonstances, obtenir la réparation de la perte de ce qui n'a été que pure éventualité.
La cour rejette, en conséquence, les demandes de l'appelante par une application des règles gouvernant la perte de chance, qui suppose, pour être indemnisée, que la réalisation de l'évènement favorable soit certaine et non simplement hypothétique. Dans le premier cas la probabilité de survenance de l'évènement favorable est importante alors que dans l'autre, elle est purement éventuelle et donc aucunement sérieuse.
Il est, cependant, permis de se demander si l'appréciation de la cour aurait été identique dans l'hypothèse où le processus d'association n'aurait pas été compliqué, l'avocat collaborateur ayant tout de même été maintenu dans l'attente d'une accession au statut d'associé ? Dans cette hypothèse, l'atteinte à la loyauté aurait parfaitement été établie dès lors que l'appelante invoque une expérience avérée, des compétences affirmées, la gratitude qui lui a été témoignée et surtout une correspondance envisageant clairement sa promotion future en qualité d'associé, autant d'éléments qui laissaient entrevoir une possible association.
Cet arrêt s'inscrit en contradiction avec la volonté du barreau de Paris, qui est de mettre fin à la pratique des associations illusoires miroitées à l'avocat collaborateur, courantes dans certains cabinets d'avocats. Un pourvoi contre cette décision permettrait, dans l'hypothèse d'un succès, de recadrer cette pratique qui contrevient incontestablement aux règles de la délicatesse et de la loyauté à l'égard de l'avocat collaborateur libéral. Ce serait une réelle avancée pour le statut du collaborateur libéral.
(1) Entité des droits anglais et américain, et de manière générale, des droits d'expression anglaise, caractéristique d'un groupement de personnes entre lesquelles il existe une communauté d'intérêts économiques. Ce groupement ne se confond cependant pas à la société, company (en droit anglais) ou corporation (en droit américain). Dans un arrêt du 17 mars 2011(Cass. civ. 1, 17 mars 2011, n° 10-30.283, FS-P+B+I N° Lexbase : A2317HCS), la Cour de cassation a réaffirmé, en application de la Convention franco-américaine d'établissement du 25 novembre 1959, entrée en vigueur le 21 décembre 1960, que la partnership américaine est dotée de la personnalité juridique.
(2) Ce règlement est composé de l'intégralité du RIN, des dispositions du Code de déontologie des avocats de l'Union européenne et les règles propres au barreau de Paris, connexes au RIN.
(3) CA Pau, 24 juin 2013, n° 13/2657 (N° Lexbase : A2213KHG).
(4) Charte des bonnes pratiques de la collaboration adoptée par le conseil de l'Ordre du Barreau de Paris en octobre 2012, soumise aux avocats collaborateurs et aux cabinets d'avocats. Au 28 novembre 2012, 64 cabinets d'avocats étaient déjà signataires de ladite charte.
(5) Ibid, p. 8.
(6) RIN, art. 1.3.
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