La lettre juridique n°592 du 27 novembre 2014 : Droit pénal des affaires

[Le point sur...] Peut-on encore être jugé deux fois pour les mêmes faits ? La France au milieu du gué

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par Henri Carpentier et Cécile Madec, Avocats au barreau de Nantes

le 27 Novembre 2014

Un des acquis de la Révolution Française est de donner au justiciable la certitude qu'il ne pourra être poursuivi, et à plus forte raison sanctionné, deux fois pour les mêmes faits. Une manière claire de mettre fin à l'absolutisme étatique et à un certain opportunisme de sa politique pénale.
Cette certitude est désormais battue en brèche : en dépit des plus hauts traités internationaux, des fermes coups de semonce de la CEDH, la France persiste à vouloir poursuivre ses citoyens deux fois pour les mêmes faits. La raison ? Le juge qui sanctionne ne serait pas à chaque fois le même : le juge administratif et le juge pénal se succèdent ainsi pour infliger la peine. Mais si la main qui tient le bâton diffère, le dos de celui qui en subit les affronts n'en est pas moins pareillement rougi. L'interdiction du cumul des poursuites et du cumul de sanction. Le principe non bis in idem est consacré à l'article 6 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9881IQZ), par l'article 4 du Protocole n° 7 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (CESDH) et par l'article 50 de la Charte des droits fondamentaux (N° Lexbase : L8117ANX).
Pourtant, la France s'est toujours refusée à en faire pleine application s'agissant de la dualité du cumul des sanctions prononcées par l'Autorité des marchés financiers (AMF) et par le juge pénal.

La position de la France sur la dualité des poursuites et le cumul des sanctions jusqu'à l'arrêt Grande Stevens (1). Le Conseil constitutionnel considère, depuis sa décision du 28 juillet 1989 (2), que dans l'éventualité d'une double procédure, le cumul des sanctions pénale et administrative est possible en raison de la nature différente des sanctions. La seule limite apportée est celle de la proportionnalité. Ainsi, lorsque se produit le cumul des peines, le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne doit pas dépasser le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues. Il peut déjà être observé que cette condition restreint la portée protectrice des textes rappelés ci-dessus : elle ne vise que le cumul des sanctions et fait fi du cumul des poursuites. Un citoyen peut donc être poursuivi puis relaxé par l'AMF avant d'être poursuivi puis condamné devant le tribunal correctionnel, ou inversement !
La Chambre criminelle de la Cour de cassation soutient de manière constante que la dualité des sanctions administrative et pénale ne viole pas la règle du non bis in idem consacrée par l'article 4 du Protocole n° 7 à la CESDH dès lors que la réserve d'application française au Protocole limite l'application du principe aux procédures soumises aux juridictions pénales (3).

En janvier dernier, dans un arrêt du 22 janvier 2014, la Cour de cassation validait à nouveau le cumul des sanctions administrative et pénale, affirmant que l'article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne s'opposait pas au cumul des sanctions dès lors qu'il "garantit la sanction effective, proportionnée et dissuasive [...] dont dépend la réalisation de l'objectif d'intérêt général reconnu par l'Union européenne" (4) et que le principe de proportionnalité est respecté.
Le Conseil d'Etat a, de son côté, discrètement introduit une première brèche en jugeant que l'AMF, lorsqu'elle prononce des sanctions, doit être regardée comme décidant du bien-fondé d'accusations en matière pénale. Ce faisant, le Conseil d'Etat rejoint clairement la position adoptée par la CEDH (5).

Les critères d'application du principe non bis in idem posés par la CEDH. La CEDH a été saisie par des justiciables estimant que subir deux fois la même accusation puis la même peine, certes prononcée par des autorités administratives ou judiciaires différentes, contrevenait au principe non bis in idem.
Pour définir si les accusations ou les peines étaient identiques, donc idem, la Cour s'est attachée au contenu des poursuites et des peines prononcées, davantage qu'à leur simple dénomination légale.

En matière d'accusation, depuis l'arrêt "Zolotoukhine c/ Russie" du 10 février 2009, la Cour considère que "l'article 4 du protocole 7 doit être compris comme interdisant de poursuivre ou de juger une personne pour une seconde infraction' pour autant que celle-ci a pour origine des faits identiques ou des faits qui sont en substance les mêmes" (6). Dès lors, la qualification juridique des faits poursuivis à deux reprises par les autorités nationales importe moins que la nature des faits eux-mêmes.

De même, en matière de sanction, depuis l'arrêt "Engel c/ Pays-Bas" (7), une sanction est à caractère pénal selon trois critères alternatifs : (i) si la mesure est qualifiée comme telle en droit interne, (ii) si la nature de la sanction est par essence de nature pénale ou (iii) si la gravité de la sanction est telle qu'elle revêt un caractère nécessairement pénal. La Cour européenne des droits de l'Homme rejette ainsi une lecture organique de la peine prononcée qui ne se définirait que par la juridiction l'ayant prononcée, au profit d'une lecture pragmatique : quel que soit le tribunal l'ayant prononcé, une peine est de nature pénale, si elle en présente les caractéristiques. Par voie de conséquence, les juridictions dites pénales comme le tribunal correctionnel ne disposent plus du monopole de la sanction pénale.

A titre concret, la CEDH, se prononçant à propos de certaines autorités administratives françaises compétentes en droit économique et financier et disposant de pouvoir de sanction, avait déjà jugé que l'article 6 dans son volet pénal s'appliquait à la Commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers (8). Au cours de l'année 2014, la Cour européenne a été plus loin dans l'affirmation de son strict refus de tout contournement par les instances nationales du principe non bis in idem. Dans un arrêt rendu à l'unanimité le 4 mars 2014, définitif depuis le rejet du recours exercé par l'Italie en date du 8 juillet 2014, la CEDH a condamné l'Italie en raison du cumul des poursuites pénale et administrative en matière d'infractions boursières et a instamment demandé à l'Italie de "clôturer dans les plus brefs délais les poursuites pénales à l'encontre des deux mis en cause" (9).
Cet arrêt entend mettre fin aux réserves d'application apportées par les juridictions nationales au principe non bis in idem.

La validité de la réserve française au Protocole n° 7 à la CESDH. La France et l'Italie, pour se préserver la faculté de poursuivre un même individu devant l'autorité administrative en matière boursière puis devant le tribunal correctionnel, invoquaient la réserve qu'elles avaient introduite, en terme similaire, quant à l'application du Protocole n° 7 à la CESDH selon laquelle, pour la France : "le Gouvernement de la République française déclare que seules les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale doivent être regardées comme des infractions au sens des articles 2 à 4 du présent protocole".
Cette réserve était strictement liée à une lecture organique de la sanction : constitue une sanction pénale une sanction délivrée par une juridiction statuant en matière pénale.

Cependant, la Cour avait déjà remis en cause la validité d'une réserve formulée par l'Autriche à l'identique à la réserve française (10), sans succès, puisque les juridictions nationales persistaient à utiliser cette réserve pour préserver le principe de la double poursuite.

A travers l'arrêt "Grande Stevens", la Cour a écarté formellement cette réserve en raison de son caractère trop général en contradiction avec les dispositions de l'article 57 de la CESDH (N° Lexbase : L4794AQM). Elle relève notamment "qu'une réserve qui n'invoque ni ne mentionne les dispositions spécifiques de l'ordre juridique national excluant des infractions ou des procédures du champ d'application de l'article 4 du protocole 7, n'offre pas à un degré suffisant la garantie qu'elle ne va pas au-delà des dispositions explicitement écartées par l'Etat contractant. Par conséquent, la réserve invoquée par l'Italie ne satisfait pas aux exigences de l'article 57 et n'est de ce fait pas valide".

La réserve apportée par la France n'est donc plus de nature à lui permettre d'écarter davantage l'application du principe non bis in idem en droit interne, sauf à contrevenir directement au principe posé par la Cour européenne des droits de l'Homme.

Qu'en est-il de l'application du droit européen en France ? La Cour de cassation a rappelé dans ses quatre arrêts d'Assemblée plénière du 15 avril 2011 que "les Etats adhérents à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l'Homme, sans attendre d'être attaqués devant elle ni d'avoir modifié leur législation" (11). Les droits garantis par la Convention devant être effectifs et concrets, le principe de sécurité juridique et les nécessités d'une bonne administration de la justice ne peuvent être invoqués pour priver un justiciable de son droit à un procès équitable.
L'arrêt "Grande Stevens étant devenu définitif depuis le 8 juillet 2014, le débat sur la dualité des poursuites et le cumul des sanctions administrative et pénale a été vivement relancé dans les prétoires.

L'impact immédiat de la décision "Grande Stevens" dans l'ordre juridique français. Si les avocats plaidaient jusqu'à présent avec conviction, mais sans grand espoir de recevoir application du principe non bis in idem en cas de dualité des poursuites et de cumul des sanctions administrative et pénale, l'arrêt "Grande Stevens" de la CEDH constitue un tournant majeur.

Pour rappel, la cour d'appel de Paris avait déjà entamé les prémices d'une réforme à venir en considérant, dans un arrêt du 14 février 2012 (12), que les sanctions de l'AMF des dispositions de l'article L. 621-15, III du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L5045IZU) revêtent un caractère pénal, rappelant notamment que "le montant particulièrement élevé de ces sanctions pécuniaires et la possibilité offerte à l'Autorité des marchés financiers de leur donner une publicité les rendent assimilables à des amendes pénales ; que le caractère para-pénal de ces sanctions est renforcé par les dispositions de l'article L. 621-16 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L3132G9U), qui offre la possibilité au juge pénal d'imputer le montant de ce type de sanction sur l'amende qu'il prononce lorsqu'il statue sur les faits dont l'Autorité des marchés financiers a eu à connaître, ce qui démontre que ces deux sanctions sont de même nature".

Ainsi, par jugement en date du 4 juin 2014, le tribunal correctionnel de Paris, dans l'affaire "Altran" a annulé l'ordonnance de renvoi et a renvoyé l'affaire devant le juge d'instruction, et ce notamment parce que ce dernier avait refusé de répondre aux observations d'une partie sur la possibilité de poursuivre les prévenus déjà condamnés par l'AMF, en violation du principe non bis in idem.

Par jugement du 26 septembre 2014, dans l'affaire Pechiney et de l'OPA d'Alcan, la 11ème chambre du tribunal correctionnel a rendu une première décision au fond faisant écho direct à l'arrêt "Grande Stevens".
Le tribunal correctionnel a jugé qu'il y a tout lieu d'appliquer la règle du principe non bis in idem lorsque des sanctions ont été infligées par une autorité administrative et pénale : "il est donc vraisemblable que la jurisprudence de la Cour EDH pourrait conduire à constater comme contraire à la règle non bis in idem toute condamnation prononcée par une juridiction pénale lorsqu'est déjà intervenue une sanction de l'AMF". Ils ont également affirmé que la réserve de la France risque effectivement d'être invalidée à l'instar de la réserve de l'Autriche et de l'Italie.

Les deux principaux obstacles à l'application du principe non bis in idem viennent ainsi d'être levés.

Cependant, le tribunal a rejeté l'application de la règle non bis in idem au cas d'espèce, au regard des objectifs imposés par le législateur européen concernant la réglementation en matière d'abus de marché. Il est ainsi fait application de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européennes dans l'affaire "Äklagaren c/ Hans Äkerberg Fransson" (13). Cet arrêt établit que l'article 50 de la Charte des droits fondamentaux ne s'oppose pas à ce qu'un Etat membre impose une sanction fiscale et une sanction administrative, à la condition que la première sanction ne revête pas un caractère pénal, ce qu'il appartient à la juridiction nationale de vérifier au regard des critères "Engel" posés par la CEDH.
Le tribunal correctionnel a également retenu que le cumul des sanctions est possible lorsqu'il permet de garantir une sanction effective, proportionnée et dissuasive pour garantir l'intégrité des marchés financiers communautaires. C'est principalement sur ce dernier fondement que le tribunal a décidé que la dualité des poursuites entraînant un cumul des sanctions ne contrevenait pas à la règle non bis in idem.

Ce jugement peut faire l'objet de plusieurs remarques.

L'Union européenne a adhéré à la CESDH (TUE, art. 6 N° Lexbase : L3059INM) : elle s'est engagée à respecter les droits fondamentaux tels que reconnus dans la CESDH en tant que partie intégrante du droit de l'Union. Ainsi, si la législation européenne ne s'oppose pas au cumul des sanctions, elle impose que ce cumul ne contrevienne pas à la règle non bis in idem, comme le rappelle les juges de la 11ème chambre. Cependant, pour s'en assurer, il est essentiel de déterminer la nature des infractions en concours avant de pouvoir apprécier si le cumul des sanctions est possible.
Aussi, au regard de la jurisprudence "Grande Stevens", la décision des juges de réfuter le caractère pénal d'une sanction pécuniaire à hauteur de 1,5 million d'euros est apparue inattendue. En effet, la CEDH a considéré que les amendes allant de 500 000 à 3 000 000 d'euros revêtaient un caractère pénal : "les amendes étaient, par leur montant, d'une sévérité indéniable, entraînant pour les intéressés des conséquences patrimoniales importantes" (14).

Or, sauf à considérer de façon rétrograde et injustifiée que seul l'emprisonnement dispose du caractère pénal, une peine d'amende constitue, en toute certitude, une sanction pénale : selon l'article 132-17, alinéa 2, du Code pénal (N° Lexbase : L3757HGA), dans l'hypothèse où la loi prévoit plusieurs peines principales (peine privative de liberté, amende, etc.), la juridiction saisie a la faculté de ne prononcer que l'une des peines encourues.

Le tribunal correctionnel a également fondé son jugement eu égard aux objectifs fixés par le législateur européen pour garantir l'intégrité des marchés financiers communautaires. A ce titre, les juges se sont référés à la Directive de 2003 (Directive 2003/6 du 28 janvier 2003, sur les opérations d'initiés et les manipulations de marché N° Lexbase : L8022BBQ), mais également et surtout, au Règlement n° 596/2014 sur les abus de marché (N° Lexbase : L4814I3P) et à la Directive 2014/57/UE du 16 avril 2014, relative aux sanctions pénales applicables aux abus de marché (N° Lexbase : L5914I3G). Or, cette dernière Directive vient alourdir le dispositif actuellement en place en imposant des sanctions pénales avec un quantum minimal pour les abus de marché commis intentionnellement. Elle prévoit des peines d'emprisonnement d'au moins deux ans pour la divulgation illicite d'informations privilégiées et d'au moins quatre ans pour les opérations d'initiés ou les manipulations de marché.

Ce raisonnement se heurte aux principes posés par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme de 1789 (N° Lexbase : L1372A9P), selon lequel "nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée" et par l'article 112-1 du Code pénal (N° Lexbase : L2215AMY) qui énonce que les dispositions nouvelles s'appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur, et n'ayant pas été définitivement jugées, lorsqu'elles sont moins sévères que les dispositions anciennes. La Directive n'a certes pas encore été transposée dans l'ordre juridique français. Mais ses objectifs de répression, sur lesquels les juges ont fondé leur décision, interfèrent directement avec le principe de non-rétroactivité du droit pénal.

In fine, le jugement du 26 septembre 2014 reconnaît l'application de la règle non bis in idem, tout en posant une première exception pour les infractions soumises à la législation boursière européenne, par ailleurs plus répressive et postérieure aux infractions. Pourtant, la jurisprudence de l'arrêt "Grande Stevens" a prononcé une décision dépourvue de toute ambiguïté : la règle non bis in idem s'applique en cas de dualité des poursuites pénale et administrative.

Ce jugement du 26 septembre 2014 n'est pas sans retombées sur les autres dossiers en matière d'infractions boursières, et notamment l'affaire "EADS" qui concerne également des infractions relatives aux abus de marché, jugé par la même chambre à compter du 3 octobre 2014.

Le commencement d'une nouvelle "bataille" de procédure. Dans l'affaire "EADS", les avocats de la défense ont engagé la bataille de la constitutionnalité. Deux questions prioritaire de constitutionnalité (QPC) sur le respect de la règle non bis in idem en matière boursière ont ainsi été transmises à la Cour de cassation, les juges de la 11è chambre estimant que "le Conseil constitutionnel s'est[déjà] prononcé sur le cumul des sanctions [mais] pas sur le cumul des poursuites". La Cour de cassation a désormais trois mois pour se prononcer sur la transmission (ou non) de la QPC au Conseil constitutionnel.

Quelle que soit la décision prise à l'égard de ces QPC, il ne faut pas sous-estimer l'impact de ce jugement. Il reconnaît à nouveau l'application du principe non bis in idem dans l'éventualité de poursuites administrative et pénale pour les infractions qui ne sont pas soumises au droit de l'Union.

Les autorités françaises vont donc devoir envisager une réforme du système actuellement en place concernant l'articulation des procédures administrative et judiciaire.

Quelles sont les solutions qui vont s'offrir à la France ? La France va devoir réfléchir à l'articulation ou à la refonte de la procédure AMF et de la procédure pénale pour des faits identiques punissables au titre de sanctions dites administratives et de sanctions pénales. Un choix va devoir s'opérer, mais lequel ?

Le rapport "Coulon" de 2008 (15) a déjà proposé une articulation entre la procédure de l'AMF et la procédure pénale qui tendait à ce que l'AMF saisisse le Parquet lorsque des faits lui étant soumis étaient susceptibles d'être sanctionnés pénalement et administrativement. En contrepartie, l'AMF s'engageait à surseoir à l'engagement des sanctions, le temps que l'enquête pénale soit achevée et que le Parquet considère l'opportunité des poursuites.

Une partie de la doctrine préconise la création d'un "tribunal des marchés financiers", juridiction spécialisée. D'autres envisagent d'investir l'AMF de pouvoirs juridictionnels ou d'investir une juridiction existante en lui donnant le rôle et les pouvoirs de l'AMF (16). Ces solutions visant à la création d'une juridiction ad hoc présentent toutefois l'inconvénient de faire sortir des juridictions de droit commun tout un pan du droit, tandis qu'il existe déjà des chambres spécialisées à la compétence reconnue.

A cet égard, l'articulation des procédure pénale et administrative autour du principe de subsidiarité, tel qu'il existe actuellement à la Cour pénale internationale, paraît préférable. Le principe de subsidiarité pourrait s'opérer au profit de l'AMF et ne donner pouvoir aux instances judiciaires de ne poursuivre les infractions qu'en cas d'inaction de l'AMF, ou de demande d'arbitrage en faveur de l'ordre judiciaire sollicitée par le Ministère public ou les parties au procès.

La France, si elle ne veut pas subir à nouveau l'affront d'une condamnation par la CEDH, devra choisir d'abandonner ce cumul de poursuites, qui apparaît effectivement bien artificiel : l'AMF condamne, puis transmet son dossier au juge d'instruction, lequel se fonde sur ce même dossier pour renvoyer le justiciable devant le tribunal correctionnel, qui prononce à nouveau une condamnation. Définitivement, que la peine soit qualifiée d'administrative puis de pénale, les épaules de la personne poursuivie subissent à deux reprises le même fardeau. Ce cumul doit cesser.


(1) CEDH, 4 mars 2014, Req. 18640/10 (N° Lexbase : A1275MGC).
(2) Cons. const., décision n° 89-260 DC du 28 juillet 1989 (N° Lexbase : A8202ACR). Cette décision était confirmée le 20 juillet 2012 : Cons. const., décision n° 2012-266 QPC, du 20 juillet 2012 (N° Lexbase : A9426IQ8).
(3) Cass. crim, 1er mars 2000, n° 99-86.299, publié (N° Lexbase : A1572ATE).
(4) Cass. Crim., 22 janvier 2014, n° 12-83.579, FS+P+B+R+I (N° Lexbase : A9859KZ8).
(5) CE, 6° et 1°s-s-r., 4 février 2005, n° 269001, (N° Lexbase : A4652DGE).
(6) CEDH, 10 février 2009, Req. 14939/03 N° Lexbase : A0804ED7).
(7) CEDH, 8 juin 1976, Req. 5100/71 (N° Lexbase : A5111AYX).
(8) CEDH, 30 juin 2011, Req. 25041/07 (N° Lexbase : A5583HUC).
(9) CEDH, 4 mars 2014, Req. 18640/10, préc..
(10) CEDH, 23 octobre 1995, Req. 33/1994/480/562 (N° Lexbase : A8370AWW).
(11) Ass. plén., 15 avril 2011, 4 arrêts, n° 10-17.049, P+B+R+I (N° Lexbase : A5043HN4) ; n° 10-30.242, P+B+R+I N° Lexbase : A5044HN7) ; n° 10-30.313, P+B+R+I N° Lexbase : A5050HND) et n° 10-30.316, P+B+R+I (N° Lexbase : A5045HN8) ; R. Ollard, Le droit à un procès équitable justifie la mise à mort immédiate et sans délai du régime de la garde à vue, Lexbase Hebdo n° 437 du - édition privée (N° Lexbase : N0626BSY).
(12) CA Paris, Pôle 2, 5ème ch., 14 février 2012, n° 09/06711 (N° Lexbase : A4178ICQ).
(13) CJUE, 26 février 2013, aff. C-617/10 (N° Lexbase : A6106I8N).
(14)§ 97-98 de l'arrêt "Grande Stevens", préc..
(15) Cf. rapport, La dépénalisation de la vie des affaires, La documentation française, février 2008.
(16) D. Kling et N. Huet Juridiction ad hoc. - Pourquoi ne pas traiter tout le contentieux boursier devant une seule juridiction ?, JCP éd. G, 2014, n° 493, p. 819.

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