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N4774BUD
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par Jules Bellaiche, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale
le 27 Novembre 2014
Le CIR a été créé en 1983, puis réformé de manière importante en 2008, avec désormais, la prise en compte en volume des dépenses de recherche pour déterminer le montant du CIR. Depuis cette date, ce dispositif n'a pas évolué et reste très utilisé par les entreprises. Le Président de la République a même indiqué, le 19 octobre 2014, que le CIR était, encore aujourd'hui, le moyen le plus puissant pour soutenir et développer les investissements en France en matière de R&D.
Il faut tout d'abord faire la différence entre le CIR et le crédit d'impôt innovation (CII). Le CII est arrivé en complément du dispositif CIR et permet de prendre en compte, depuis 2013, les dépenses qui sont affectées strictement à l'innovation, et est réservé aux PME réalisant des opérations de conception de prototype ou d'installations pilotes de nouveaux produits. Le CIR a comme objectif d'aider uniquement les entreprises à accroître leur R&D, et ce, quel que soit leur taille et leur secteur d'activité. Les opérations de recherche éligibles au CIR sont : les activités de recherche fondamentale, les activités de recherche appliquée, et les activités de développement expérimental. Les dépenses éligibles au CIR sont principalement les dépenses de personnel, les frais de fonctionnement, et les dépenses de sous-traitance. Le CIR étant déclaratif, la remise du dossier justificatif intervient après le contrôle de l'administration. Il est important de signaler que toute la charge de la preuve incombe à l'entreprise.
Le CIR démarre par la définition d'un périmètre technique éligible. En avançant de la recherche fondamentale au développement expérimental, l'entreprise s'approche des besoins du marché, et par conséquent, des phases dont l'éligibilité peut être la plus critique. Le développement expérimental concerne l'extrême majorité des entreprises qui usent du CIR. Cette phase doit être la plus justifiée. Le critère le plus important, pour permettre l'éligibilité d'une opération au niveau du développement expérimental, est la référence à l'état de l'art. Elle permet de caractériser l'aspect technique novateur des développements réalisés par rapport à l'ensemble des techniques disponibles. Le second critère est la dissipation d'une incertitude. La résolution du problème ne doit pas aller de soi, il faut qu'il existe un verrou technique, et ce sont les travaux réalisés pour dissiper ces verrous qui satisferont au critère d'éligibilité. Il existe également un troisième critère qui prévoit que si l'entreprise a été au-delà de l'état de l'art et a résolu un verrou technique, elle a contribué à accroître ses connaissances en termes de savoir-faire. Ce savoir-faire étant plus facilement justifiable auprès de l'administration fiscale. En matière de développement expérimental, pour satisfaire aux conditions d'éligibilité, il faut une amélioration substantielle. Surmonter une incertitude technique n'est pas suffisant, il faut prouver un caractère de nouveauté, l'opération ne doit pas relever d'une ingénierie de routine. Les techniques utilisées par les ingénieurs ne doivent pas déjà être maîtrisées.
La finalité d'un projet R&D est l'accroissement des connaissances. Les incertitudes techniques et/ou scientifiques doivent être distinguées des incertitudes économiques ou commerciales. L'accroissement des connaissances ne doit pas être confondu avec une réduction pour une entreprise de carences particulières.
Il ne faut pas confondre un projet commercial et un projet R&D. Pour illustrer la différence entre ces deux notions, il convient de prendre l'exemple d'une entreprise qui se positionne sur un marché et crée un projet de développement d'un produit existant sur le marché. Le seul fait d'identifier des performances supérieures sur le plan technique, de l'ergonomie, ou des fonctionnalités, n'est pas une condition d'éligibilité au CII.
Par contre, s'agissant du même produit, si l'entreprise a identifié un verrou technique qui n'a jamais trouvé de solution, les travaux visant à lever le verrou seront éligibles au CIR, et l'intégration de ces travaux sous la forme d'un prototype ou d'une installation pilote (afin de prouver l'amélioration des performances) sera une opération éligible au CII.
Sur un même produit, il est possible d'avoir deux types d'opérations éligibles à la fois au CIR et au CII.
Par exemple, la première entreprise ayant créé l'airbag conducteur a dû soulever de nombreux verrous technologiques. L'entreprise qui a développé un airbag passager a juste adapté un produit existant, ce qui ne constituait pas un projet permettant d'octroyer un CIR. Par contre, l'entreprise qui a voulu installer un airbag latéral sur la portière n'a pas simplement adapté l'airbag conducteur. En effet, le fait de changer d'environnement (portière et non plus tableau de bord) a généré de nouveaux verrous, de nouvelles difficultés, rendant éligible au CIR cette adaptation. Ici l'amélioration d'un produit existant a été substantielle.
Les nouveaux services sont très difficilement éligibles au CIR. Il est quasiment impossible de prouver l'accroissement des connaissances concernant un service, même si l'innovation est réelle (par exemple le "vélib" ou le covoiturage).
II - Actualités du CIR
Trois jurisprudences récentes, portant sur les dépenses de personnel, sont à signaler. Tout d'abord s'agissant des gratifications versées aux stagiaires étudiants, le tribunal administratif de Montreuil, le 18 novembre 2013 (TA Montreuil, 18 novembre 2013, n° 1206938 N° Lexbase : A1042MGP), a précisé que les stagiaires qui travaillent en étroite collaboration avec les chercheurs pour assurer le soutien technique indispensable aux travaux de recherche et de développement expérimental doivent être regardés comme des techniciens de recherche, de sorte que les gratifications qui leur sont versées doivent être prises en compte dans les bases de calcul du CIR.
Sur l'intéressement et la participation, le Conseil d'Etat, le 12 mars 2014 (CE 3° et 8° s-s-r., 12 mars 2014, n° 365875, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9193MGL), a précisé que les sommes versées dans ce cadre sont prises en compte dans l'assiette du CIR car elles constituent un accessoire de la rémunération. Cette solution est valable pour les déclarations 2011, 2012, et 2013.
Une dernière décision du tribunal administratif de Paris (TA Paris, 6 mars 2014, n° 1301796/2-3 N° Lexbase : A8371MUL) a indiqué que la contribution de l'employeur à une mutuelle santé collective et obligatoire, en application d'un accord d'entreprise, est un élément de rémunération des salariés qui doit être retenu pour le calcul du CIR.
S'agissant de la doctrine administrative, cette dernière a précisé, cette année, le sort des sous-traitants agréés. Le 4 avril 2014, l'administration a modifié sa doctrine relative à la prise en compte des dépenses externalisées auprès d'organismes de recherche privés dans l'assiette du CIR (BOI-BIC-RICI-10-10-20-30 N° Lexbase : X8541ALW). Les dépenses de sous-traitance ne sont éligibles que si les sociétés sont agréées auprès du ministère de la Recherche (agrément sur dossier). Mais désormais, les dépenses de recherche externalisées auprès d'un organisme agréé doivent être exclusivement retenues dans l'assiette du CIR d'un donneur d'ordre privé lorsque celui-ci peut bénéficier de ce régime. L'organisme agréé est donc tenu de déduire de la base de calcul de son propre CIR les sommes reçues du donneur d'ordre. Plus précisément, la prise en compte des dépenses externalisées dans l'assiette du CIR étant plafonnée, le montant des dépenses excédentaires, qui ne peut donc pas être pris en compte dans l'assiette du CIR du donneur d'ordre, ne peut davantage être inclus dans la base de calcul du CIR propre de l'organisme sous-traitant agréé. Ce dispositif permet d'éviter la double prise en compte du CIR à la fois chez le donneur d'ordre et chez le sous-traitant agréé. Conséquemment, de nombreuses sociétés ont demandé le retrait de leur agrément pour bénéficier du CIR.
La solution serait différente avec un donneur d'ordre public ou étranger.
La doctrine a également précisé, le même jour, que les subventions publiques remboursables ou non doivent être déduites de l'assiette du CIR au titre de l'année au cours de laquelle ou desquelles l'engagement des dépenses R&D a été réalisé (BOI-BIC-RICI -10-10-30-20 N° Lexbase : X4473ALA). Cela permet d'éviter une trop forte optimisation fiscale à ce niveau.
Le ministère de la Recherche prépare actuellement une doctrine administrative importante et attendue sur les dépenses de personnel éligibles au CIR, qui sera publiée début 2015, et qui prendra en compte ces jurisprudences.
Par ailleurs, la médiation inter-entreprise a créé, en 2014, un agrément pour des cabinets de conseils en innovation pour sécuriser l'utilisation du CIR pour les entreprises et fluidifier les relations avec l'administration.
Enfin, toujours en 2014, un comité consultatif du CIR et du CII a été créé dans le but d'intervenir sur les désaccords portant sur la réalité de l'affectation à la recherche ou à l'innovation des dépenses prises en compte pour la détermination du CIR. Les contribuables pourront poursuivre le dialogue et présenter leurs arguments techniques devant des personnes n'ayant pas pris part à la procédure de rectification. L'avis rendu par ce comité sur la qualification des dépenses ouvrant droit au CIR sera communiqué à l'entreprise. La création de ce comité était très attendue par les contribuables qui réclamaient plus de dialogue avec l'administration fiscale et les experts en charge d'évaluer l'assiette du CIR.
III - Retour d'expériences relatives aux contrôles fiscaux
Le contrôle, dans le domaine du CIR, est une nécessité. C'est un système déclaratif ; les entreprises peuvent bénéficier du dispositif CIR sur simple dépôt d'une déclaration auprès des services fiscaux. Il est fortement conseillé à l'entreprise de constituer un dossier au fur et à mesure de l'avancement de ses travaux. Et s'agissant d'une mesure fiscale, l'administration est en droit de vérifier si les éléments déclarés sont en conformité avec la législation.
L'administration fiscale est seule compétente pour déclencher les contrôles et donc pour l'application des procédures de rectification. Elle sollicite soit le ministère de la Recherche pour l'aspect R&D, soit le ministère de l'Industrie pour l'aspect innovation. Les obligations de ces deux ministères, dans le cadre d'un contrôle, sont actées respectivement aux articles L. 103 A du LPF (N° Lexbase : L3809HWY) et R. 45 B-1 du LPF (N° Lexbase : L1660IWE).
Un protocole a été signé entre les trois directeurs généraux rattachés respectivement au ministère des Finances, au ministère de la Recherche, et au ministère de l'Industrie, pour harmoniser les contrôles et répartir les tâches. L'administration fiscale va collecter les informations, les expertises seront réalisées par le ministère de la Recherche pour le CIR, et par le ministère de l'Industrie pour le CII.
L'expert ne requalifie pas les dépenses R&D en dépenses d'innovation et inversement. Il appartient à l'entreprise, si elle l'estime fondée, de faire une demande en ce sens auprès de la Direction générale des Finances publiques. Il doit également préserver le secret professionnel, il ne peut divulguer les informations relatives à son expertise qu'au service qui l'aura mandaté, à l'administration fiscale, et à la société concernée.
Un des objectifs principaux du ministère de la Recherche, grâce à ce protocole, est de monter en puissance au niveau de la rencontre avec l'expert pour essayer d'arriver à une "quasi exhaustivité" de rencontre sur tous les dossiers. Le ministère de la Recherche dispose d'environ 450 experts répartis sur l'ensemble du territoire, issus de formations diverses, et au fait de l'état des connaissances dans différents domaines.
Les principaux chefs de redressement dans le cadre du contrôle fiscal sont : l'éligibilité des projets de R&D, le calcul des dépenses de personnel éligibles, et l'établissement des dépenses de sous-traitance.
S'agissant de l'éligibilité des projets de R&D, les contrôles sont devenus beaucoup plus importants depuis la réforme de 2008. Le ministère de la Recherche fait preuve de plus en plus d'exigence concernant la justification des travaux. Cela aboutit à de nombreux rejets de dossiers en raison, notamment, d'une documentation incomplète ou qui n'apportait pas suffisamment la preuve du caractère innovant des travaux.
En pratique, certaines entreprises ont beaucoup de mal à établir un dossier complet et suffisant. La méthode et la mise en forme du dossier est primordiale. Un dossier "fourre-tout" de 300 pages ne sera même pas ouvert et amènera systématiquement à un contrôle. Par contre, un dossier synthétique d'une vingtaine de pages contenant les éléments nécessaires suffit, et est conseillé pour se voir valider l'obtention du CIR.
S'agissant du calcul des dépenses de personnel éligibles, il faut regarder, tout d'abord, la qualification de l'employé. Le salaire d'un chercheur ou d'un ingénieur entrera facilement dans l'assiette du CIR. Sinon, comme il a été vu précédemment, tout dépend de l'étroite collaboration avec les chercheurs ou encore que le salarié soit un soutien indispensable aux travaux de R&D. Le salaire d'un commercial a pu être intégré dans l'assiette du CIR car il a été prouvé que son travail était nécessaire à la réalisation du projet.
Ces notions de qualification sont assez floues et la prochaine parution au BoFip des règles concernant les dépenses de personnel éligibles, et notamment les charges sociales éligibles, viendra certainement éclaircir cette situation. Enfin, dans le but de justifier le temps consacré par un employé à la R&D, il est recommandé de mettre en place des feuilles de temps, très appréciées par l'administration.
S'agissant des dépenses de sous-traitance, le sujet a été évoqué dans la deuxième partie. Il convient cependant de préciser qu'au-delà de justifier que le sous-traitant soit agréé. Il faut désormais pouvoir transmettre les contrats de R&D signés avec le sous-traitant, les factures détaillées, les cahiers des charges, etc..
D'autre part, pour les entreprises de vêtements de luxe, il existe le crédit d'impôt collection (CIC). Néanmoins, deux obstacles subsistent à ce jour pour ces entreprises. Dans ce secteur d'activité, le déclarant délocalise la fabrication industrielle et la commercialisation, ce qui constitue un motif de rejet important du CIC. Et lorsqu'une nouvelle collection est réalisée, le prototype créé ne doit pas être vendu mais conservé par l'entreprise en stock pour bénéficier du CIC, critère difficilement respectable dans ce milieu.
Pour terminer ce chapitre sur le contrôle fiscal, il semble intéressant d'évoquer le cas particulier des CIR portant sur des projets informatiques. Ils sont très rarement considérés comme de la R&D car les sociétés informatiques travaillent beaucoup sur de l'adaptation, de l'application, de l'intégration de technologies existantes, et très peu sur de la création, même si les produits créés sont nouveaux. Il existe, par conséquent, dans ce domaine, de nombreux redressements et requalifications.
IV - Principales évolutions des pratiques de l'administration en matière de formalisation de la documentation du CIR
Il convient de préciser la nécessité pour l'entreprise de remplir correctement la déclaration 2069A et justifier la réalité des travaux effectués et l'affectation des dépenses correspondantes. La justification doit se faire en rapprochant les aspects techniques avec les dépenses qui vont valoriser ces projets.
L'administration a, pour orienter les entreprises, sorti un document présentant tous les points qui sont à renseigner, notamment dans le cadre des descriptions techniques. Il faut présenter la stratégie R&D de la société, montrer le contexte économique et scientifique du projet, et identifier les opérations R&D de manière méticuleuse en mettant en avant chacune des phases du projet, en distinguant celles qui peuvent être imputées au CIR de celles qui doivent en être écartées. La manière d'établir le dossier importe autant que le résultat obtenu. Si une entreprise démontre l'évolution par rapport à l'état de l'art, les verrous résolus, et le résultat des recherches, mais ne rend pas compte des travaux effectués, directement liés aux incertitudes et nécessaires aux opérations R&D, le dossier ne pourra pas être accepté par l'administration. La nature des travaux doit présenter un caractère éligible, c'est la principale caractéristique observée par l'administration en faveur de l'octroi du CIR.
Le dossier doit présenter les ressources humaines, montrer la qualification du personnel, prouver le temps passé par le personnel aux travaux de R&D, identifier les dépenses sous-traitées, ou encore faire l'inventaire des factures d'achat des biens amortis. Le ministère de la Recherche a mis en ligne un modèle efficace et simplifié permettant d'aider à préparer un dossier, accompagné de la liste des pièces justificatives nécessaires.
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