La lettre juridique n°584 du 25 septembre 2014 : Expropriation

[Doctrine] Le droit de l'expropriation à l'épreuve de la procédure de question prioritaire de constitutionnalité

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N3741BU4

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par Pierre Tifine, Professeur à l'Université de Lorraine et directeur adjoint de l'Institut de recherches sur l'évolution de la Nation et de l'Etat (IRENEE), Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition publique

le 25 Septembre 2014

Depuis une loi du 8 mars 1810, la procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique présente pour principale caractéristique d'être scindée en deux phases, l'une administrative, au cours de laquelle est déclarée l'utilité publique de l'opération et la cessibilité des biens, l'autre judiciaire qui donne lieu, à défaut d'accord amiable, au transfert de propriété et à l'indemnisation des personnes évincées. Cette mixité procédurale se retrouve dans les différents textes qui ont régi cette procédure, qu'il s'agisse des décrets-lois du 8 août 1935, ou de l'ordonnance n° 58-997 du 23 octobre 1958, portant réforme des règles relatives à l'expropriation d'utilité publique (N° Lexbase : L2987DYB), laquelle est à l'origine du Code de l'expropriation actuellement en vigueur. Au début du XIXème siècle, ce caractère dual de la procédure est directement lié au statut de la juridiction administrative et à l'importance du droit de propriété (1). Dans un système de justice retenue, il n'était pas concevable de faire du juge administratif le garant de ce droit, lequel est qualifié "d'inviolable et sacré" par l'article 17 de la DDHC (N° Lexbase : L1364A9E). Aujourd'hui, si cette défiance vis-à-vis de la juridiction administrative n'a plus lieu d'être, la compétence de la juridiction judiciaire n'en est pas moins garantie constitutionnellement. Dans sa décision "TGV nord" du 25 juillet 1989 (2), le Conseil constitutionnel a en effet dégagé un principe fondamental reconnu par les lois de la République en vertu duquel l'autorité judiciaire est compétente pour garantir la protection de la propriété privée immobilière.

Ainsi, la principale caractéristique du droit de l'expropriation, à savoir le partage établi entre une phase administrative et une phase judiciaire, s'est-elle vue décerner un brevet de constitutionnalité en dépit des nombreuses difficultés pratiques que ce partage peut engendrer pour les justiciables. Tout au plus pourrait-on considérer que, dans la mesure où le Conseil constitutionnel attribue une compétence exclusive au juge judiciaire pour fixer le montant de l'indemnité d'expropriation, une loi pourrait transférer au juge administratif la compétence pour prononcer le transfert de propriété. En revanche, s'agissant d'actes caractéristiques de l'exercice de la puissance publique, il serait difficile d'envisager que le juge administratif perde sa compétence au profit du juge judiciaire pour connaître de la légalité des déclarations d'utilité publique et des arrêtés de cessibilité. Il s'agit en effet d'actes relevant de l'exercice de la puissance publique qui relèvent, en principe, de la compétence exclusive du juge administratif (3).

La décision du 25 juillet 1989 est la seule par laquelle le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur la conformité à la Constitution de certaines dispositions du Code de l'expropriation avant l'apparition de la procédure de QPC. Cette décision n'en présente pas moins un intérêt majeur. Comme on l'a vue, elle reconnaît la compétence exclusive du juge judiciaire en matière de protection de la propriété privée immobilière. Elle admet également la conformité à l'article 17 de la Déclaration de 1789 des dispositions de l'article L. 15-9 du Code de l'expropriation (N° Lexbase : L7735IMG), dans le cadre du contrôle d'une loi qui étendait le champ de la procédure d'expropriation d'extrême urgence aux travaux de construction de voies de chemins de fer. Mais surtout, cette décision définit quatre exigences tirées de l'article 17 de la Déclaration de 1789 :

- la loi ne peut autoriser l'expropriation d'immeubles ou de droits réels immobiliers que pour la réalisation d'une opération dont l'utilité publique est légalement constatée ;
- la prise de possession par l'expropriant doit être subordonnée au versement préalable d'une indemnité ;
- pour être juste, l'indemnisation doit couvrir l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain, causé par l'expropriation ;
- en cas de désaccord sur la fixation du montant de l'indemnisation, l'exproprié doit disposer d'une voie de recours appropriée.

Ces quatre exigences n'ont pas été remises en cause et elles sont rappelées dans la quasi-totalité des décisions rendues par le Conseil constitutionnel en matière d'expropriation.

Si le Conseil constitutionnel, avant l'apparition de la procédure de QPC, n'a eu l'occasion de connaître que dans une affaire de la procédure d'expropriation, les questionnements relatifs à la conformité de cette procédure à la Convention européenne des droits de l'Homme ont été beaucoup plus fréquents. Le statut du commissaire du Gouvernement a ainsi été remis en cause, sur le fondement du principe d'égalité des armes, suite à la décision "Yvon c/ France" du 25 avril 2003 (4), condamnant l'accès privilégié au fichier immobilier dont bénéficiait le représentant des domaines. Cette condamnation a abouti à la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006, portant engagement national pour le logement (N° Lexbase : L2466HKK) (5), qui modifie l'article L. 135 B du Livre des procédures fiscales (N° Lexbase : L9354IZH) en permettant un accès équitable aux différentes valeurs foncières. De même, si le dualisme juridictionnel ne constitue pas, en soi, une atteinte au procès équitable, la complexité qu'il engendre peut aboutir à des durées de procédure très longues et à une atteinte au délai raisonnable au sens de l'article 6 § I de la Convention (N° Lexbase : L7558AIR) (6). Cependant, en dehors de ces hypothèses, la Cour européenne des droits de l'Homme n'a pas eu à se prononcer fréquemment sur la conventionalité du Code de l'expropriation, cette question se posant principalement au regard de l'article 1 du protocole additionnel numéro 1 à la Convention (N° Lexbase : L1625AZ9) relatif à la protection de la propriété privée. Sur ce point, la Cour opère un contrôle assez lâche des réglementations nationales. Plus particulièrement, sur les questions d'indemnisation, si elle considère que celle-ci doit être "raisonnablement en rapport avec la valeur du bien" dont l'individu a été privé, la Cour précise que son contrôle "se borne à rechercher si les modalités choisies excèdent la large marge d'appréciation dont l'État jouit en la matière" (7). Si cette approche a conduit la Cour à considérer que le préjudice moral subi par l'exproprié doit être réparé, ce que ne prévoit pas l'article L. 13-13 du Code de l'expropriation (N° Lexbase : L2935HLB) qui vise exclusivement la réparation d'un préjudice matériel (8), elle l'a également amené à valider les règles relatives à l'indemnisation des terrains agricoles expropriés, qui sont pourtant très défavorables aux propriétaires évincés (9).

Si la question de la conventionalité du Code de l'expropriation est donc pratiquement épuisée, celle de la constitutionnalité de la partie législative de ce Code s'est posée avec une acuité nouvelle à partir de l'entrée en vigueur de la procédure de QPC. En effet, si cette partie du code comprend seulement 80 articles, Il est frappant de constater que pas moins de 11 de ces articles ont fait l'objet d'une décision du Conseil constitutionnel dans le cadre de cette procédure entre 2010 et 2013.

Plusieurs traits saillants peuvent être dégagés. Tout d'abord, les dispositions constitutionnelles invoquées dans le cadre de ces recours sont limitées à deux textes. Il s'agit tout d'abord de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen selon lequel "la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité". Il s'agit ensuite de l'article 16 du même texte (N° Lexbase : L1363A9D) relatif au droit au recours effectif, au droit à un procès équitable et au principe du contradictoire.

Ensuite, le Conseil constitutionnel a très peu censuré le législateur. Seuls les articles L. 15-1 (N° Lexbase : L9123IWS) et L. 15-2 (N° Lexbase : L9122IWR) du Code de l'expropriation ont été déclaré inconstitutionnels en tant qu'ils permettaient une prise de possession des biens avec consignation de l'indemnité en cas d'appel contre le jugement fixant ces indemnités (10). Le Conseil constitutionnel a également émis une réserve d'interprétation concernant l'article L. 13-17 (N° Lexbase : L2942HLK) qui énonce la règle dite des "mutations récentes" qui s'applique en matière d'évaluation des biens expropriés (11).

Enfin, ces différents recours ne concernent pas directement la phase administrative de la procédure, ce qui est normal, puisque ce n'est pas à ce stade que les droits des propriétaires sont directement mis en cause. En effet, la déclaration d'utilité publique a pour seul objet de se prononcer sur l'utilité publique de l'opération projetée, alors que l'arrêté de cessibilité a vocation à identifier les parcelles concernées ainsi que leurs propriétaires. Le Conseil d'Etat a ainsi refusé de transmettre une QPC formée contre les articles L. 11-1 (N° Lexbase : L8041IMR), L. 11-2 (N° Lexbase : L2891HLN) et L. 11-8 (N° Lexbase : L2900HLY) du Code de l'expropriation relatifs à l'obligation de recourir à une déclaration d'utilité publique, à leurs auteurs et aux arrêtés de cessibilité (12). Pour le Conseil d'Etat, en effet la condition tenant à "l'utilité publique [...] préalablement et formellement constatée" correspond à l'exigence de "nécessité publique, légalement constatée", visée par l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme. Est donc exclusivement concernée, à ce jour, par la procédure de QPC, la phase judiciaire de la procédure, qu'il s'agisse du transfert de propriété (I) ou de l'indemnisation des personnes évincées (II).

I - La constitutionnalité des dispositions relatives au transfert de propriété des biens

S'agissant du transfert de propriété des biens, les difficultés se sont concentrées sur deux points : l'absence de caractère contradictoire de la procédure de transfert de propriété (A) et les effets de l'ordonnance d'expropriation (B).

A - L'absence de caractère contradictoire de la procédure de transfert de propriété

L'article L. 12-1 du Code de l'expropriation (N° Lexbase : L2904HL7) prévoit que le transfert de propriété des biens est opéré soit par voie d'accord amiable, soit par voie d'ordonnance. Cette ordonnance est rendue "sur le vu des pièces constatant que les formalités prescrites par le chapitre Ier ont été accomplies", ce qui vise les dispositions du code relatives à la déclaration d'utilité publique et à l'arrêté de cessibilité (13).

Comme l'a rappelé la Cour de cassation, "le juge de l'expropriation qui, en matière de transfert de propriété, statue à la requête du préfet, rend son ordonnance au seul vu des pièces constatant que les formalités légales ont été accomplies, et sans que s'instaure devant lui un débat contradictoire" (14). Cette absence de débat contradictoire a suscité un certain nombre de questionnements de la part de la Cour de cassation. Toutefois, dans un premier temps, ces questions ont essentiellement été abordées du point de vue de la conformité de ces dispositions aux règles du procès équitable, telles qu'elles résultent de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme. Dans son rapport public pour l'année 2000, la Cour de cassation s'est ainsi demandé "si le caractère non contradictoire, à ce stade, de la procédure du transfert de propriété est conforme aux exigences de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme" (15). Elle suggérait, en conséquence, une modification de l'article R. 12-2 du Code de l'expropriation (N° Lexbase : L3081HLP), en vue d'organiser un débat contradictoire dès la saisine du juge de l'expropriation par le préfet.

Cette suggestion est toutefois demeurée lettre morte, et la question de la conformité à l'article 6 § I des règles relatives à la procédure de transfert de propriété ne s'est pas encore posée devant la Cour européenne des droits de l'Homme.

En revanche, avant l'introduction de la procédure de QPC, la Cour de cassation a eu à plusieurs reprises l'occasion de se prononcer sur cette question, conjointement à celle de la conformité de cette procédure aux articles 16 et 17 de la Déclaration de 1789. La Cour avait conclu à la conventionalité et à la constitutionnalité de cette procédure au motif que "le juge de l'expropriation, qui rend son ordonnance portant transfert de propriété d'immeubles ou de droits réels immobiliers désignés par un état parcellaire qu'il n'a pas le pouvoir de modifier, au visa d'une déclaration d'utilité publique ou d'un arrêté de cessibilité qui peuvent faire l'objet de recours contradictoires devant la juridiction administrative, se borne à constater, avant de prononcer l'expropriation, que le dossier que lui a transmis le préfet est constitué conformément aux prescriptions de l'article R. 12-1 du Code de l'expropriation et que la procédure devant ce juge fait l'objet d'un contrôle ultérieur de la Cour de cassation" (16).

Ces solutions se sont prolongées après l'entrée en vigueur du mécanisme de QPC, la Cour de cassation considérant, dans un premier temps, que les questions de savoir si les articles L. 12-1 et L. 12-2 étaient conformes aux articles 16 et 17 de la Déclaration de 1789 ne présentaient pas un caractère sérieux (17). Par la suite, la Cour a nuancé sa position à l'occasion d'un arrêt "Manas c/ Société territoires" du 15 mars 2012 (18).

Certes, elle a persisté à considérer que la question relative à compatibilité des dispositions des articles L. 12-1 et L. 12-2 du Code de l'expropriation avec l'article 17 de la Déclaration de 1789 ne présente pas un caractère sérieux. Cette solution s'explique par le fait que le juge de l'expropriation ne peut prononcer l'ordonnance portant transfert de propriété qu'au vu d'une déclaration d'utilité publique et d'un arrêté de cessibilité non susceptible de recours suspensif et donc après qu'une utilité publique ait été légalement constatée. Les juges relèvent également que la dépossession des biens expropriés ne peut être effective, en principe, que lorsque l'indemnité a été préalablement payée.

En revanche, les juges ont considéré que la question qui vise le caractère non contradictoire de la procédure suivie devant le juge de l'expropriation, qui pourrait être considéré comme une atteinte au principe des droits de la défense et du procès équitable en contradiction avec l'article 16 de la Déclaration de 1789 apparaît sérieuse. Cette question a donc été renvoyée au Conseil constitutionnel.

Dans sa décision du 12 mai 2012, le Conseil constitutionnel a toutefois considéré que les dispositions litigieuses ne méconnaissent pas les exigences d'une procédure juste et équitable découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789. Si la procédure de transfert de propriété n'est pas contradictoire, le Conseil relève que le juge se borne exclusivement à vérifier que le dossier que lui a transmis l'autorité expropriante est constitué conformément aux prescriptions du Code de l'expropriation. Par ailleurs, d'autres voies de recours existent, contre la déclaration d'utilité publique et l'arrêté de cessibilité, et contre l'ordonnance d'expropriation elle-même qui peut être attaquée par la voie du recours en cassation. Enfin, le jugement par lequel le juge de l'expropriation fixe les indemnités d'expropriation survient au terme d'une procédure qui est contradictoire et il peut faire l'objet de recours.

La procédure de transfert de propriété est donc conforme à la Constitution. Toutefois, comme on l'a mentionné, des incertitudes demeurent concernant sa conformité à l'article 6 § I de la Convention européenne des droits de l'Homme.

B - Les effets de l'ordonnance d'expropriation

La question des effets de l'ordonnance d'expropriation s'est posée à deux reprises devant le Conseil constitutionnel.

Le Conseil a dû se prononcer sur la conformité aux articles 16 et 17 de la Déclaration de 1789 de l'article L. 12-2 du Code de l'expropriation en vertu duquel "l'ordonnance d'expropriation éteint, par elle-même et à sa date, tous droits réels ou personnels existant sur les immeubles expropriés" (19). Ces dispositions ont vocation notamment à s'appliquer, comme c'est le cas dans le litige qui a fait l'objet d'une QPC, sur le droit réel constitué par emphytéose.

A priori, ces dispositions créent une véritable difficulté du point de vue du respect du droit à un recours effectif. En effet, le droit à indemnisation du preneur dépend de la diligence du propriétaire, puisque en vertu l'alinéa 2 de l'article L. 13-2 du Code de l'expropriation (N° Lexbase : L2918HLN), "le propriétaire et l'usufruitier sont tenus d'appeler et de faire connaître à l'expropriant les fermiers, locataires, ceux qui ont des droits d'emphytéose, d'habitation ou d'usage et ceux qui peuvent réclamer des servitudes". La négligence du preneur peut donc priver l'emphytéote d'un droit à indemnisation auprès de l'expropriant, excepté dans l'hypothèse où il est démontré que celui avait connaissance de la situation du bien (20). Dans ce cas, les titulaires des droits non régulièrement dénoncés peuvent seulement intenter une action en dommages et intérêts contre le propriétaire négligent, ce qui n'est certainement pas satisfaisant du point de vue du droit à un recours effectif et du respect du principe du contradictoire. C'est justement dans cette situation que se trouvait la société requérante qui s'était vue privée de tout recours vis-à-vis de l'expropriant.

Toutefois, le Conseil constitutionnel refuse d'opérer un rapprochement entre les dispositions de l'article L. 13-2 du Code de l'expropriation et celles de l'article L. 12-2 qui lui sont soumises dans le cadre de la procédure du QPC. Dans un raisonnement pour le moins elliptique, qui d'ailleurs ne fait référence qu'à l'article 17 de la Déclaration de 1789, le Conseil relève que "les dispositions du premier alinéa de l'article L. 12-2 du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique se bornent à définir la portée de l'ordonnance d'expropriation sur les droits réels ou personnels existant sur les biens expropriés". Les griefs soulevés par les sociétés requérantes concernent en réalité d'autres articles du même Code, et plus particulièrement l'article L. 13-2 dont le Conseil constitutionnel n'a pas été saisi.

En d'autres termes, les requérants ont mal ciblé leur recours qui aurait dû se concentrer sur la question de la conformité à la Constitution de l'article L. 13-2.

La même question se pose également au regard de l'article L. 12-5 du Code de l'expropriation dont il ressort que "l'ordonnance d'expropriation ne peut être attaquée que par la voie du recours en cassation et seulement pour incompétence, excès de pouvoir ou vice de forme". Si ce texte ne pose pas de difficultés a priori, il en va autrement de son interprétation par la Cour de cassation qui considère que ce recours n'est pas ouvert à l'emphytéote (21). Il n'est donc pas impossible que saisi dans le futur de QPC portant sur ces dispositions, le Conseil constitutionnel considère qu'elles sont contraires à la Constitution.

Une autre difficulté s'est présentée concernant la remise en cause du transfert de propriété, dans l'hypothèse où la personne expropriée veut utiliser le droit de rétrocession qui lui est reconnu. Selon l'article L. 12-6, alinéa 1, du Code de l'expropriation (N° Lexbase : L2915HLK), "si les immeubles expropriés en application du présent code n'ont pas reçu dans le délai de cinq ans la destination prévue ou ont cessé de recevoir cette destination, les anciens propriétaires ou leurs ayants droit à titre universel peuvent en demander la rétrocession pendant un délai de trente ans à compter de l'ordonnance d'expropriation, à moins que ne soit requise une nouvelle déclaration d'utilité publique". Il s'agit donc de revenir sur le transfert de propriété en permettant à la personne expropriée de faire valoir ses droits et de récupérer la propriété de ses biens, dès lors qu'il est démontré qu'ils n'ont pas reçu la destination prévue par la déclaration d'utilité publique.

Devant le Conseil constitutionnel, ce n'est pas le droit de rétrocession en tant que tel qui a été contesté, mais les conditions dans lesquelles sa mise en oeuvre peut être mise en échec. En effet, la simple "réquisition" d'une déclaration d'utilité publique suffit à paralyser le droit de rétrocession (22), sachant également qu'il en va de même en cas de prorogation de la déclaration d'utilité publique initiale (23). Il résulte également de la jurisprudence du Conseil d'Etat qu'il ne résulte pas des dispositions susvisées qu'une "nouvelle déclaration d'utilité publique doive être, à peine d'illégalité, prononcée pour le même objet et au profit de la même personne juridique que la déclaration initiale" (24). Ainsi, la déclaration d'utilité publique initiale peut être modifiée, et il est même possible de recourir plusieurs fois à une nouvelle réquisition de déclaration d'utilité publique en vue de paralyser pratiquement indéfiniment l'exercice du droit de rétrocession (25).

Devant le Conseil constitutionnel, c'est bien évidemment au regard de l'article 17 de la Déclaration de 1789 que se posait la question de la conformité à la Constitution de l'article L. 12-6, alinéa 1, du Code de l'expropriation.

Dans sa décision du 15 février 2013 (26), le Conseil constitutionnel relève d'abord que les dispositions du Code de l'expropriation relatives à l'enquête publique et à la déclaration d'utilité publique constituent des garanties légales de nature à satisfaire les exigences visées par les dispositions constitutionnelles. Ensuite, de façon toujours très elliptique, il ajoute que ces garanties sont renforcées par l'exercice possible du droit de rétrocession.

Même si la décision du 15 février 2013 ne le mentionne pas, l'équilibre entre les droits de l'administration et ceux des propriétaires est partiellement garanti par la possibilité reconnue à ces derniers de faire sanctionner un détournement de pouvoir dans l'hypothèse où la nouvelle déclaration d'utilité publique a eu pour objet "de faire obstacle à l'exercice de leur droit de rétrocession par les anciens propriétaires des terrains non nécessaires à la nouvelle opération" (27). Toutefois, il est toujours difficile de démontrer l'existence d'un détournement de pouvoir, ce qui fait que les garanties des expropriés sont largement illusoires, dès lors que l'administration veut paralyser l'exercice du droit de rétrocession.

Comme dans les précédentes décisions citées, la solution rendue est donc largement favorable à l'administration, alors même qu'elle porte sur une limitation évidente des droits des personnes évincées. En matière d'indemnisation, en revanche, le juge constitutionnel s'est montré plus favorable à la protection de ces droits, en censurant une disposition du Code de l'expropriation et en émettant une réserve d'interprétation sur une autre.

II - La constitutionnalité des dispositions relatives à l'indemnisation des personnes expropriées

L'indemnisation des personnes expropriées a donné lieu à deux types de questions devant le juge constitutionnel, liées à l'interprétation de l'article 17 de la Déclaration de 1789. Plus précisément, s'est posée, pour plusieurs dispositions du Code de l'expropriation, la question du caractère "juste" de l'indemnisation et celle de son caractère "préalable".

A - Le caractère juste de l'indemnisation

L'article L. 13-13 du Code de l'expropriation prévoit que "les indemnités allouées doivent couvrir l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain, causé par l'expropriation". La difficulté posée par ce texte tient à limitation aux seuls préjudices "matériels" subis par l'exproprié, ce qui a donc pour effet d'écarter la réparation du préjudice moral.

Dans une décision "Lallement c/ France" du 11 avril 2002 (28), la Cour européenne des droits de l'Homme avait pourtant reconnu le principe de la réparation du préjudice moral, sur le fondement de l'article 1er du protocole n° 1 annexé à la Convention. Dans cette affaire, la Cour avait estimé que les indemnités versées conformément aux règles visées par l'article L. 13-13 susvisé n'avaient pas compensé la "perte spécifique de l'outil de travail de l'exploitant", lequel était devenu gravement dépressif suite à l'expropriation de 60 % de ses terres.

Toutefois, comme la rappelé ensuite la Cour de cassation, "le trouble dans les conditions de vie directement causé par l'expropriation est [seulement] indemnisable lorsqu'il constitue un dommage matériel" (29). Ce n'est donc pas le préjudice moral qui peut être directement réparé, mais seulement les conséquences concrètes de l'expropriation.

La Cour européenne des droits de l'Homme, dans l'affaire "Lallement", a pourtant considéré que l'expropriation du requérant est "sans aucun doute de nature à générer angoisse et tension" et qu'il est donc fondé à "se prévaloir d'un préjudice moral justifiant l'octroi d'une indemnité". Cependant, comme on l'a déjà mentionné, la Cour exerce un contrôle très lâche sur les modalités d'indemnisation des personnes expropriées en se bornant "à rechercher si les modalités choisies excèdent la large marge d'appréciation dont l'Etat jouit en la matière" (30).

De son côté, le Conseil constitutionnel a dû également se prononcer sur la conformité de l'article L. 13-13 à la Constitution dans le cadre d'une QPC (31). Plus précisément, il s'agissait de déterminer si la limitation de l'indemnisation des personnes expropriées au préjudice matériel, à l'exclusion de tout préjudice moral, pouvait être considérée comme ne correspondant pas à la juste indemnité exigée par l'article 17 de la Déclaration des droits de l'Homme.

Sur cette question, le Conseil constitutionnel va se borner à rappeler son interprétation traditionnellement restrictive de cet article (32), dont il résulte que, "pour être juste, l'indemnisation doit couvrir l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l'expropriation". Ainsi, le Conseil Constitutionnel interprète l'article 17 de la Déclaration de 1789 en définissant "l'indemnité juste" selon des critères identiques à ceux visés par l'article L. 13-13 du Code de l'expropriation, la réparation du préjudice excluant donc implicitement la réparation du préjudice moral.

Certes, le Conseil constitutionnel rappelle que "le caractère intégral de la réparation matérielle implique que l'indemnisation prenne en compte non seulement la valeur vénale du bien exproprié mais aussi les conséquences matérielles dommageables qui sont en relation directe avec l'expropriation". Ainsi, par ricochet, certains préjudices d'agrément peuvent être réparés par l'allocation d'indemnités accessoires, dès lors qu'ils ont une incidence sur la valeur du bien exproprié ou sur la valeur de la partie du bien restant en leur possession. Dans ce sens, la Cour de cassation a notamment jugé que "l'implantation d'un axe ferroviaire à proximité d'un château présentant un intérêt architectural et historique entraînait une dépréciation de celui-ci", ce qui justifie l'indemnisation de son propriétaire (33). La solution est astucieuse mais on conçoit à quel point elle peut être artificielle, et pas nécessairement en phase avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme.

Une autre difficulté concernant le caractère juste de l'indemnité concerne l'article L. 13-17 du Code de l'expropriation, selon lequel le montant de l'indemnité principale, fixée par le juge de l'expropriation, "ne peut excéder l'estimation faite par le service des domaines ou celle résultant de l'avis émis par la commission des opérations immobilières, si une mutation à titre gratuit ou onéreux, antérieure de moins de cinq ans à la date de la décision portant transfert de propriété, a donné lieu à une évaluation administrative rendue définitive en vertu des lois fiscales ou à une déclaration d'un montant inférieur à ladite estimation". L'objectif recherché par ces dispositions est de dissuader les propriétaires qui auraient sous-estimé leurs biens dans le cadre de leurs déclarations fiscales ou dans des actes de mutation, de les surestimer dans un second temps dans l'hypothèse où ils feraient l'objet d'une procédure d'expropriation.

Dans une décision du 20 avril 2012, le Conseil constitutionnel a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution, tout en formulant une réserve d'interprétation (34). Reprenant sa jurisprudence antérieure (35), le Conseil constitutionnel considère que le législateur a, par ces dispositions, "poursuivi un but de lutte contre la fraude fiscale qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle".

Toutefois, les juges estiment également que "les dispositions contestées ne sauraient, sans porter atteinte aux exigences de l'article 17 de la Déclaration de 1789, avoir pour effet de priver l'intéressé de faire la preuve que l'estimation de l'administration ne prend pas correctement en compte l'évolution du marché de l'immobilier". En d'autres termes, nonobstant les termes de l'article L. 13-17, lorsqu'il fixe l'indemnité principale d'expropriation, le juge de l'expropriation devra prendre en compte l'évolution du marché, dans les cas où il serait démontré que l'estimation du service des domaines serait sans rapport avec cette évolution. Ainsi, le Conseil constitutionnel veut éviter qu'un mécanisme imaginé pour lutter contre la fraude n'aboutisse à léser les personnes expropriées.

La solution retenue permet de rejeter implicitement le moyen soulevé par la requérante tenant à une violation des principes constitutionnels de séparation des pouvoirs et d'indépendance de l'autorité judiciaire. En effet, compte tenu de la réserve d'interprétation introduite par le Conseil constitutionnel, il n'existe désormais plus d'hypothèse où l'autorité expropriante est nécessairement tenue de ne pas dépasser l'évaluation faite par les services fiscaux. En conséquence, le juge de l'expropriation n'est pas privé de tout pouvoir d'appréciation. Il n'est donc pas amputé, du fait de l'application des textes, d'une partie de sa compétence, il ne saurait y avoir atteinte à la séparation des pouvoirs ni à l'indépendance de l'autorité judiciaire.

Le Conseil constitutionnel a dû également se prononcer sur la conformité à la Constitution de l'article L. 13-8 du Code de l'expropriation (N° Lexbase : L2926HLX) qui fait obligation pour le juge de l'expropriation de statuer sur le montant de l'indemnité indépendamment des contestations, ce qui pose de nombreuses difficultés du point de vue de la répartition des compétences (36). Les juges valident pourtant ces dispositions, considérant qu'en cas de contestations ou de difficultés soulevées par les parties, le juge de l'expropriation "doit tenir compte de l'existence de celles-ci lorsqu'il fixe l'indemnité et au besoin prévoir plusieurs indemnités correspondant aux diverses hypothèses envisagées". Ils rappellent également que, "pour chacune de ces hypothèses, l'indemnité fixée doit couvrir l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l'expropriation ; que l'ordonnance par laquelle le juge de l'expropriation fixe les indemnités est prise au terme d'une procédure contradictoire et peut faire l'objet de recours". En outre, "les dispositions contestées ne font pas obstacle, si la décision rendue par le juge saisi de la contestation ou de la difficulté ne correspond pas à l'une des hypothèses prévues par le juge de l'expropriation, à ce que ce dernier soit à nouveau saisi par les parties". Ainsi, une fois encore, la complexité de la procédure et la difficulté de trouver son juge ne constitue pas un motif d'invalidation de la loi.

B - Le caractère préalable de l'indemnisation

L'article 17 de la Déclaration de 1789 exige que les propriétaires évincés reçoivent une indemnité préalablement à la prise de possession des biens.

S'agissant de la procédure de droit commun, le Conseil constitutionnel a été amené à se prononcer sur la conformité à l'article 17 de la Déclaration de 1789 des articles L. 15-1 et L. 15-2 du Code de l'expropriation (37). L'article L. 15-1 permet au bénéficiaire de l'expropriation de prendre possession des biens dans le délai d'un mois qui suit le paiement ou la consignation de l'indemnité. L'article L. 15-2 précise, quant à lui, que, lorsque le jugement fixant les indemnités est frappé d'appel, l'expropriant peut prendre possession des biens moyennant le versement d'une indemnité au moins égale aux propositions faites par lui et consignation du surplus de celle fixée par le juge. Il est donc possible, conformément à ces dispositions, de prendre possession des biens sans payer d'indemnité, dès lors que celle-ci est consignée.

Dans sa décision du 15 juillet 1989, "Loi portant dispositions diverses en matière d'urbanisme et d'agglomérations nouvelles" (38), le Conseil constitutionnel avait déjà eu l'occasion de juger que dans le cadre de la procédure d'extrême urgence visée par l'article L. 15-9 du Code de l'expropriation, qui permet une prise de possession accélérée par l'expropriant "l'octroi par la collectivité expropriante d'une provision représentative de l'indemnité due n'est pas incompatible avec le respect [des exigences constitutionnelles] si un tel mécanisme répond à des motifs impérieux d'intérêt général et est assorti de la garantie des droits des intéressés", ce qui est le cas dans cette procédure. Le même raisonnement a ensuite été appliqué par la décision du 17 septembre 2010 qui concerne la procédure d'expropriation pour la résorption de l'habitat insalubre (39), laquelle prévoit également l'octroi par la collectivité expropriante d'une provision représentative de l'indemnité due.

Cependant, la procédure d'extrême urgence, comme celle visant à résorber le logement insalubre, n'ont vocation à s'appliquer que dans des cas exceptionnels. En revanche, s'agissant de la procédure de droit commun, le Conseil constitutionnel considère que, "si le législateur peut déterminer les circonstances particulières dans lesquelles la consignation vaut paiement au regard des exigences de l'article 17 de la Déclaration de 1789, ces exigences doivent en principe conduire au versement de l'indemnité au jour de la dépossession". Ainsi, ce n'est le mécanisme même de consignation de l'indemnité qui est inconstitutionnel mais le fait qu'en cas d'appel fixant les indemnités dans le cadre de la procédure de droit commun, l'administration puisse recourir sans restriction à cette possibilité.

Conformément à l'article 62 de la Constitution (N° Lexbase : L1328A93), les juges décident, eu égard aux conséquences manifestement excessive qu'occasionnerait une abrogation immédiate des dispositions en cause, de reporter au 1er juillet 2013 la date de cette abrogation. La loi n° 2013-431 du 28 mai 2013 (N° Lexbase : L8932IWQ) (40) est donc intervenue pour modifier les articles L. 15-1 et L. 15-2 du Code de l'expropriation, ce dernier article limitant les possibilités de prises de possession anticipée aux seuls cas où "il existe des indices sérieux laissant présumer qu'en cas d'infirmation, l'expropriant ne pourrait recouvrer tout ou partie des sommes qui lui seraient dues en restitution".

Si ces dispositions sont conformes à la décision du Conseil constitutionnel du 6 avril 2012, elles présentent toutefois de nombreuses zones d'ombres. En particulier, la loi ne définit pas ce que sont les "indices sérieux" qui permettront à l'expropriant de consigner l'indemnité et elle n'organise aucune procédure devant être utilisée par celui-ci pour être autorisé à consigner.

Le Conseil constitutionnel a été amené également à statuer sur la conformité à la Constitution de la procédure d'expropriation d'urgence (41). Plus précisément, deux dispositions du Code de l'expropriation étaient en cause. L'article L. 15-4, tout d'abord, qui permet au juge judiciaire, "s'il ne s'estime pas suffisamment éclairé, [de] fixer le montant d'indemnités provisionnelles et [d'] autoriser l'expropriant à prendre possession moyennant le paiement ou, en cas d'obstacles au paiement, la consignation des indemnités fixées". L'article L. 15-5, ensuite, qui écarte la possibilité d'un appel contre la décision fixant les indemnités provisionnelles, dès lors que celle-ci "ne peut être attaquée que par la voie de recours en cassation".

Le Conseil constitutionnel considère que la possibilité de verser des indemnités provisionnelles n'est pas contraire à l'article 17 de la Déclaration de 1789. Pourtant, l'indemnité provisionnelle présente, par son principe même, un caractère incertain qui aurait pu conduire à considérer qu'elle ne présentait pas de caractère "juste et préalable".

Cette solution est toutefois conforme à celle qui avait été rendue à propos de la procédure d'extrême urgence, ainsi qu'à la récente décision du 6 avril 2012, et elle paraît dictée par le fait qu'il s'agit d'une procédure dérogatoire du droit commun. Comme on l'a vu, en effet, le Conseil constitutionnel a pu considérer que le versement d'indemnités provisionnelles se justifie "si un tel mécanisme répond à des motifs impérieux d'intérêt général et est assorti de la garantie des droits des propriétaires intéressés" (42).

Si les années 2010 à 2013 ont donné lieu à une véritable floraison des questions prioritaires de constitutionnalité, il semble que la source de ce contentieux soit désormais pratiquement tarie. Comme on l'a observé, ce contentieux est focalisé exclusivement sur la phase judiciaire de la procédure. En outre, seules des règles ponctuelles relatives à l'indemnisation des personnes expropriées ont fait l'objet d'une censure (à propos de la prise de possession contre consignation en cas d'appel contre le jugement fixant les indemnités) et d'une réserve (à propos de la règle dite des "mutations récentes"). Dans un contexte favorable aux droits de l'administration, la balance opérée par les juges entre la prise en compte de la "nécessité publique", et l'indemnisation "juste" et "préalable" des personnes évincées, est donc favorable aux intérêts de la puissance publique. Il semble aujourd'hui que les quelques QPC qui pourraient franchir le seuil du Palais Royal concernent les effets de l'ordonnance d'expropriation. Plus précisément, une lecture en creux de la décision du 20 septembre 2013 paraît indiquer que deux dispositions pourraient être invalidées dans le futur par le Conseil constitutionnel. Il s'agit de l'article L. 13-2, alinéa 2, du Code de l'expropriation, dont il résulte que "le propriétaire et l'usufruitier sont tenus d'appeler et de faire connaître à l'expropriant les fermiers, locataires, ceux qui ont des droits d'emphytéose, d'habitation ou d'usage et ceux qui peuvent réclamer des servitudes". Ces dispositions apparaissent insuffisamment protectrices des droits de l'emphytéote dont l'indemnisation dépend des diligences du propriétaire, ce qui pose certainement une difficulté au regard du droit à un recours effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration de 1789.

Est ensuite concerné l'article L. 12-5 du Code de l'expropriation selon lequel "l'ordonnance d'expropriation ne peut être attaquée que par la voie du recours en cassation et seulement pour incompétence, excès de pouvoir ou vice de forme". Dans cette hypothèse, comme on l'a vu, c'est moins la rédaction de cet article qui pose problème que l'interprétation qui en est faite par la Cour de cassation qui considère que le recours en cassation n'est pas ouvert à l'emphytéote (43). Cette interprétation pose également des difficultés au regard du droit à un recours effectif, ce qui pourrait justifier au moins une réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel. Ces questions seront certainement posées au Conseil constitutionnel dans un futur proche qui pourra, ainsi, poursuivre son travail se relecture du Code de l'expropriation.


(1) Sur ces aspects historiques, voir J.-L. Mestre, La construction du modèle napoléonien, JCP éd. A, 2011, comm. 2070, S. Gilbert, Permanence et évolution du modèle napoléonien, JCP éd. A, 2011, comm. 2078.
(2) Cons. const., décision n° 89-256 DC du 25 juillet 1989 (N° Lexbase : A8198ACM), Rec. jurispr. const., 1989, I, p. 53, RFDA, 1989, p. 1009, note P. Bon, CJEG, 1990, p. 1, note B. Genevois.
(3) Cons. const., décision n° 86-224 DC du 23 janvier 1987 (N° Lexbase : A8153ACX), AJDA, 1987, p. 345, note J. Chevallier, RFDA, 1987, p. 301, note L. Favoreu, RDP, 1987, p. 1341, note Y. Gaudemet.
(4) CEDH, 24 avril 2003, Req. 44962/98 (N° Lexbase : A9698BLR), Dr. adm., 2003, comm. 45, AJDA, 2003, p. 869, AJDI, 2003, p. 361, note D. Musso, D., 2003, p. 2456, note R. Hostiou.
(5) JO, 16 juillet 2006.
(6) CEDH, 21 février 1997, Req. 105/1995/611/699 (N° Lexbase : A8437AWE), Rec. CEDH, 1998-IV, vol. 89, p. 2544, AJDA, 1997, p. 399, note R. Hostiou, Gaz. Pal., 1999, 2, p. 487, note M. Puéchavy.
(7) CEDH, 21 février 1986, Req. 8793/79 (N° Lexbase : A5110AYW) ; CEDH, 2 mars 1999, n° 39186/98 (N° Lexbase : A6136MW8) ; CEDH, 11 avril 2002, Req. 46044/99 (N° Lexbase : A4989AYG), RDP, 2002, p. 718, obs. H. Surrel, Europe, 2002, comm. 308, obs. V. Lechevallier ; CEDH, avril 2006, Req. 16022/02 (N° Lexbase : A1429DPM) ; CEDH, 4 novembre 2010, Req. 40975/07 (N° Lexbase : A3233GD4) ; CEDH, 26 juillet 2011, Req. 54932/08 (N° Lexbase : A4442I9E).
(8) CEDH, 11 avril 2002, Req. 46044/99, préc..
(9) CEDH, 8 janvier 2013, n° 40961/07 (N° Lexbase : A2237KQW), Dr. rur., 2013, comm. 168, nos obs..
(10) Cons. const., décision n° 2012-226 QPC du 6 avril 2012 (N° Lexbase : A1495II9), JCP éd. A, 2012, comm. 2210, note H. Pauliat.
(11) Cons. const., décision n° 2012-236 QPC du 20 avril 2012 (N° Lexbase : A1146IKN).
(12) CE 1° et 6° s-s-r., 9 novembre 2011, n° 351890, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9090HZP), Dr. adm. 2012, comm. 7, concl. M. Vialettes.
(13) Les pièces versées dans le dossier transmis par le préfet au greffe de la juridiction de l'expropriation sont visées par l'article R. 12-1 du Code de l'expropriation.
(14) Cass. civ. 3, 11 mars 1971, n° 70-70.087 (N° Lexbase : A0147CHW), Bull. civ. III, 1971, n° 131.
(15) La documentation française, 2001, p. 126.
(16) Cass. civ. 3, 12 décembre 2001, n° 99-70.145 (N° Lexbase : A6233AX7), Bull. civ. III, 2001, n° 152, JCP éd. G, 2002, II, 10126, note A. Bernard, AJDI, 2002, p. 144, obs. R. Hostiou, D. 2002, inf. rap., p. 255, Gaz. Pal., 31 mai-1er juin 2002, p. 13, note S. Petit. ; Cass. civ. 3, 29 mai 2002, n° 01-70.175 (N° Lexbase : A7937AYM), Bull. civ. III, 2002, n° 117, AJDI, 2002, p. 702, note R. Hostiou, RD imm., 2002, p. 375, obs. C. Morel.
(17) Voir respectivement Cass. civ. 3, 26 mai 2011, n° 10-25.923, F-D (N° Lexbase : A5189HZ9), AJDA, 2011, p. 1504, note R. Hostiou ; Cass. civ. 3, 15 décembre 2011, n° 11-40.075, FS-P+B (N° Lexbase : A9045H8I).
(18) Cass. civ. 3, 15 mars 2012, n° 11-23.323 (N° Lexbase : A0375IGY), AJDA, 2012, p. 575, RD imm., 2012, p. 246.
(19) Cons. const., décision n° 2013-342 QPC du 20 septembre 2013 (N° Lexbase : A4338KLA).
(20) Cass. civ. 3, 1er juin 1977, n° 76-70.188 (N° Lexbase : A6613CEN), Bull. Civ. III, n° 233, p. 178.
(21) Cass. civ. 3, 20 janvier 2008, n° 06-19.731 (N° Lexbase : A6013D4H), Bull. civ. III, n° 19, AJDA, 2008. 660.
(22) Cass. civ. 3, 26 octobre 1983, n° 81-14.930 (N° Lexbase : A1191CKC), Bull. civ. III, 1983, n° 203 ; Cass. civ. 3, 10 avril 1996, n° 94-15.761, (N° Lexbase : A9888ABT), Bull. civ. III, 1996, n° 101, Administrer, juillet 1997, p. 46, obs. E.-E. Frank, AJPI, 1996, p. 900, obs. C.M., D., 1997, somm. p. 152, obs. P. Carrias, Dr. adm., 1996, comm. 371, RD imm., 1996, p. 352, chron. C. Morel. ; Cass. civ. 3, 30 mars 2005, n° 04-11.385, F-D (N° Lexbase : A4568DHN).
(23) CA Paris, 14 janvier 1999, Mazet c/ Sté Locosud, D. 1999, somm. p. 193, obs. P. Carrias.
(24) CE 5° et 10° s-s-r., 29 octobre 2006, n° 59083 (N° Lexbase : A6837AM8), Dr. adm., 1986, comm. 627.
(25) Cass. civ. 3, 10 avril 1996, n° 94-15.761, préc..
(26) Cons. const., décision n° 2012-292 QPC du 15 février 2003 (N° Lexbase : A9638I74), Dr. 2013, comm. 103, nos obs.
(27) CE, 8 novembre 2000, n° 176394, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9650AHU), Constr.-Urb., 2001, comm. 105, obs. D. Larralde, AJDI, 2001, p. 355, note R. Hostiou.
(28) CEDH, 11 avril 2002, Req. 46044/99, préc., AJDA, 2002, p. 686, note R. Hostiou.
(29) Cass. civ. 3, 16 mars 2011, n° 09-69.544, FS-P+B (N° Lexbase : A1589HD9), D., 2011, p. 948, obs. G. Forest.
(30) Voir notamment CEDH, 4 novembre 2010, Res. 40975/07, préc.
(31) Cons. const., décision n° 2010-87 QPC du 21 janvier 2011 (N° Lexbase : A1520GQD), Rec. Cons. const., 2011, p. 87, Dr. adm., 2011, comm. 32, note H. Hoepffner.
(32) Cons. const., décision n° 89-256 DC du 25 juillet 1989 (N° Lexbase : A8198ACM).
(33) Cass. civ. 3, 2 février 1999, n° 98-70.011 (N° Lexbase : A1605CLZ).
(34) Cons. const., décision n° 2012-236 QPC du 20 avril 2012, préc..
(35) Cons. const., décision n° 99-424 DC du 29 décembre 1999 (N° Lexbase : A8787ACG).
(36) Cons. const., décision n° 2012-275 QPC du 28 septembre 2012 (N° Lexbase : A5381ITH).
(37) Cons. const., décision n° 2012-226 QPC du 6 avril 2012, préc..
(38) Cons. const., décision n° 89-256 DC du 25 juillet 1989, préc..
(39) Cons. const., décision n° 2010-26 QPC (N° Lexbase : A4758E94), Rec. Cons. const., 2010, p. 229, RD imm., 2010, p. 600, note R. Hostiou : logements insalubres.
(40) JO, 29 mai 2013.
(41) Cons. const., décision n° 2013-338/339 QPC du 13 septembre 2013 (N° Lexbase : A1466KLU), Dr. adm., 2013, alerte 86, obs. R. Noguellou.
(42) Cons. const., décision n° 89-256 DC du 25 juillet 1989, préc..
(43) Cass. civ. 3, 26 octobre 1983, n° 81-14.930, publié au bulletin, préc..

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