Réf. : CE 4° et 5° s-s-r., 21 février 2014, n° 374409, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1037MGI)
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par Sébastien Tournaux, Professeur à l'Université des Antilles et de la Guyane
le 13 Mars 2014
Résumé
La condition d'urgence ne doit pas, par principe, être regardée comme remplie dans le cas où est demandée la suspension en référé de l'homologation du document unilatéral constituant le plan de sauvegarde de l'emploi. Malgré la gravité des conséquences des suppressions d'emploi envisagées sur la situation professionnelle et patrimoniale des salariés concernés, le juge des référés, qui pouvait sans erreur de droit se fonder sur le risque de liquidation judiciaire a justement décidé que la condition d'urgence n'était pas remplie. |
Commentaire
I - Référé-suspension contre l'homologation du PSE : exigence de la condition d'urgence
L'élaboration du plan de sauvegarde de l'emploi. Depuis la loi de sécurisation de l'emploi du 14 juin 2013 (1), la procédure de licenciement pour motif économique a été sensiblement remaniée. Il a en particulier été prévu que le plan de sauvegarde de l'emploi pourrait être mis en place selon deux modalités différentes.
Il peut, tout d'abord, être mis en place par accord collectif conclu par les syndicats représentatifs majoritaires de l'entreprise (2). Le plan de sauvegarde de l'emploi n'est pas alors établi par l'employeur seul mais en collaboration avec ces syndicats.
A défaut d'accord, ensuite, le plan de sauvegarde peut être mis en place par document unilatéral de l'employeur tel que le prévoit l'article L. 1233-24-4 du Code du travail (N° Lexbase : L0633IXQ). Ce document doit être élaboré après la dernière réunion du comité d'entreprise et aura un contenu similaire à l'accord collectif d'entreprise qui aurait pu être conclu (3).
Le contrôle du plan de sauvegarde de l'emploi. L'innovation principale de la loi du 14 juin 2013 n'est cependant pas là. Que le plan de sauvegarde de l'emploi soit conclu par accord collectif ou qu'il résulte d'un document unilatéral de l'employeur, il devra désormais être validé dans le premier cas, homologué dans le second cas par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DirECCTE).
Comme cela était le cas avant la réforme, l'administration du travail conserve, à cette occasion, la possibilité de présenter toute proposition tendant à modifier ou à compléter le plan (4). Le DirECCTE contrôle, ensuite, la conformité du contenu du plan qui doit impérativement comporter les éléments prévus par l'article L. 1233-24-2 du Code du travail (N° Lexbase : L0631IXN) et qui doit avoir été adopté après le déroulement d'une procédure d'information et de consultation régulière du comité d'entreprise et du CHSCT. Enfin, le plan doit comporter des mesures d'accompagnement suffisantes telles que celles prévues par les articles L. 1233-61 (N° Lexbase : L6215ISY) à L. 1233-63 (N° Lexbase : L0728IXA) du Code du travail.
Le contentieux de l'homologation. L'homologation est un acte administratif si bien qu'il semble logique que le contentieux portant sur cette homologation relève du juge administratif. Cette logique a été confirmée par la loi du 14 juin 2013 qui a constitué un bloc de compétence en faveur du juge administratif. Les litiges relatifs au plan de sauvegarde ne peuvent être détachés des litiges relatifs à leur homologation et c'est, pour l'ensemble, le juge administratif qui est compétent en vertu de l'article L. 1235-7-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0653IXH) (5). La règle a déjà été plusieurs fois appliquée si bien que le juge judiciaire doit décliner sa compétence, y compris en référé (6).
Rares sont les précisions qui ont déjà pu être apportées quant aux modalités de ce recours administratif. On sait, cependant, que le tribunal administratif territorialement compétent est soit celui du lieu du siège de la DIRECCTE ayant homologué (ou refusé d'homologuer) le document, soit celui dans le ressort duquel sont implantés les établissements concernés par le plan de sauvegarde (7).
Quant à la procédure de référé devant le juge administratif, en revanche, aucune précision n'avait jusqu'ici été apportée ni par la loi du 14 juin 2013, ni par la jurisprudence administrative.
L'affaire. Une société, placée en période d'observation de redressement judiciaire, élabore un plan de sauvegarde de l'emploi par document unilatéral de l'employeur après avoir été autorisée à licencier par le juge-commissaire. Le document unilatéral est homologué par le DirECCTE. Le comité d'entreprise de la société saisit le juge administratif en référé afin d'obtenir la suspension de l'homologation.
Par ordonnance du 20 décembre 2013, le tribunal administratif de Bordeaux rejette cette demande de suspension. Pour rendre cette décision, le juge administratif estime qu'aucune urgence ne justifie une telle suspension.
Le pourvoi formé par le comité d'entreprise est rejeté par les quatrième et cinquième sous-sections réunies du Conseil d'Etat le 21 février 2014.
Pour motiver sa décision, la Haute juridiction rappelle d'abord les conditions selon lesquelles un acte administratif peut être suspendu en référé. L'article L. 521-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3057ALS) prévoit, en effet, que la suspension est prononcée "lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision". L'urgence, rappelle le Conseil d'Etat, est caractérisée si l'acte "porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre" (8) et doit être appréciée concrètement, objectivement, au vu des circonstances de l'espèce (9).
Le Conseil d'Etat déduit de ces différentes règles que, d'abord, la condition d'urgence ne devait pas être regardée comme remplie "par principe" au prétexte que l'acte administratif homologuait un plan de sauvegarde de l'emploi. Il poursuit en observant que le juge administratif a étudié concrètement les circonstances de l'espèce. En effet, il a refusé de suspendre l'homologation en relevant qu'aucune urgence ne le justifiait puisque le juge commissaire du tribunal de commerce avait autorisé les licenciements et que ces licenciements étaient nécessaires pour éviter une cessation des paiements et une liquidation judiciaire.
II - Référé-suspension contre l'homologation du PSE : appréciation de la condition d'urgence
Application des règles générales du référé administratif. Faute que le Code du travail ne prévoie de règle spécifique en matière de référé administratif contre les décisions d'homologation du DirECCTE, il semble parfaitement logique de revenir aux principes généraux du contentieux administratif et, donc, d'appliquer les règles générales applicables au référé suspension. Seules, en effet, sont aménagées les règles relatives aux délais de recours alors que le dernier alinéa de l'article L. 1235-7-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0653IXH) renvoie expressément aux dispositions du livre V du Code de justice administrative, livre relatif aux différents référés administratifs dont est issu l'article L. 521-1 appliqué en l'espèce.
Ainsi, deux conditions doivent être remplies pour que la suspension puisse être prononcée, l'existence d'une urgence à voir l'acte annulé et des doutes sérieux quant à la légalité de la décision. Le caractère cumulatif de ces deux conditions explique que le juge des référés, comme le Conseil d'Etat, ne s'intéresse qu'à l'étude du caractère urgent sans entrer dans le fond de l'analyse de la régularité du plan homologué.
Absence d'urgence par principe. On pourrait être tenté de penser que, compte tenu de la gravité des conséquences de la mise en oeuvre du plan de sauvegarde de l'emploi et du fait que des licenciements pour motif économique vont être prononcés, l'urgence est nécessairement caractérisée.
Ce raisonnement est probablement trop rapide même si l'on entend bien que l'urgence peut être appréciée de manière subjective et vécue bien différemment par les salariés, les dirigeants de l'entreprise et le juge administratif. S'il n'y a pas par principe d'urgence à suspendre l'homologation, c'est que les actes qui découleront du plan de sauvegarde, c'est-à-dire les licenciements subséquents, ne sont pas irréversibles quand bien même le contenu du plan de sauvegarde serait insuffisant ou que la procédure n'aurait pas été scrupuleusement respectée. On se souviendra, en effet, que la réintégration des salariés pourra être prononcée en cas de nullité du plan de sauvegarde de l'emploi et des licenciements subséquents (10).
Si l'on comprend donc aisément que le caractère d'urgence ne puisse automatiquement être reconnu par le simple fait qu'un plan de sauvegarde de l'emploi ait été élaboré et qu'un projet de licenciement soit envisagé, l'examen concret de l'urgence effectuée par le juge des référés et validé par le Conseil d'Etat dans cette espèce laisse davantage dubitatif.
Elément d'analyse de l'urgence. Pour apprécier si l'urgence justifiait ou non la suspension de l'homologation, le juge des référés, dont le raisonnement est confirmé par le Conseil d'Etat, s'appuie sur deux arguments.
Le premier est un argument positif et consiste à considérer qu'il n'y a pas urgence à annuler le plan de sauvegarde de l'emploi puisque les licenciements ont été autorisés par la juge commissaire dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire, ce qu'il ne pouvait faire qu'en cas d'urgence. Le second est un argument négatif qui consiste à considérer que les conséquences sur l'emploi et le patrimoine des salariés concernés ne suffisent pas à considérer la situation comme urgente. Or, il nous semble que l'un comme l'autre de ces deux arguments n'ont pas été utilisés à leur juste mesure.
S'agissant de la décision du juge-commissaire, celle-ci a été prise parce que l'urgence justifiait le prononcé rapide de licenciements afin d'éviter la cessation des paiements et la liquidation judiciaire de la société. Si le juge-commissaire a autorisé les licenciements, c'est qu'il les a jugé nécessaires, indispensables. Or, l'analyse du plan de sauvegarde de l'emploi ne devrait en principe pas se fondre dans celle de la nécessité du prononcé des licenciements. Il n'y a ici qu'un pas à franchir pour lier plan de sauvegarde de l'emploi et justification du licenciement, pas que, rappelons-le, la Chambre sociale de la Cour de cassation a refusé de franchir dans l'arrêt "Viveo" (11).
S'agissant, au contraire, des conséquences sur les salariés de la mise en oeuvre du plan de sauvegarde de l'emploi, celles-ci auraient pu être prises en compte pour caractériser l'urgence au sens que le Conseil d'Etat donne lui-même à cette notion. L'urgence est caractérisée, nous rappelle la Haute juridiction, lorsque l'acte administratif "porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre". Peut-être l'atteinte à la situation du requérant n'est-elle pas suffisamment directe (12) ou ne présente-t-elle pas des caractères grave et immédiat pour le juge administratif, mais cela, il ne l'explique pas (13).
(1) Sur ces questions, v. notre étude, Commentaire de l'article 18 de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l'emploi : la réforme de la procédure de licenciement pour motif économique collectif, Lexbase Hebdo n° 535 du 11 juillet 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N7934BTZ).
(2) C. trav., art. L. 1233-24-1 et s. (N° Lexbase : L0630IXM).
(3) L'article L. 1233-24-4 du Code du travail (N° Lexbase : L0633IXQ) renvoie ainsi à l'article L. 1233-24-2 (N° Lexbase : L0631IXN) du même code qui détaille le contenu de l'accord ou du document unilatéral.
(4) C. trav., art. L. 1233-57 (N° Lexbase : L0713IXP).
(5) Un bloc de compétence similaire avait déjà été créé s'agissant de la contestation de l'homologation de la rupture conventionnelle du contrat de travail mais, à cette occasion, en faveur du juge judiciaire, v. C. trav., art. L. 1233-57.
(6) V. par ex., TGI Créteil, ordonnance de référé, 21 novembre 2013, n° 13/01404 (N° Lexbase : A1441KQG).
(7) CE 4° et 5° s-s-r., 24 janvier 2014, n° 374163, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0096MDW), SSL, n° 1616, p. 11.
(8) Pour des illustrations, v. Encyclopédie "Procédure administrative", La possibilité d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision contestée (N° Lexbase : E4037EXS).
(9) Sur l'exigence d'une appréciation concrète, v. CE contentieux, 19 janvier 2001, n° 228815 (N° Lexbase : A6576APA).
(10) C. trav., art. L. 1235-11 (N° Lexbase : L0725IX7).
(11) Cass. soc., 3 mai 2012, n° 11-20.741, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5065IKS) et les obs. de Ch. Radé, Affaire "Vivéo" : salutaire retour à l'orthodoxie, Lexbase Hebdo n° 484 du 10 mai 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N1794BTM).
(12) Le comité d'entreprise, requérant dans cette affaire, représente l'intérêt des salariés si bien qu'il faudrait tout de même étendre la conception de la "situation du requérant" pour que cette analyse puisse être retenue.
(13) Au contraire, l'argumentation de l'arrêt soulève que la décision de refus de suspension a été prise "malgré la gravité des conséquences des suppressions d'emploi envisagées sur la situation professionnelle et patrimoniale des salariés concernés" (nous soulignons).
Décision
CE 4° et 5° s-s-r., 21 février 2014, n° 374409, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1037MGI). Rejet, TA Bordeaux, référés, n° 1304315, 20 décembre 2013. Textes concernés : CJA, art. L. 521-1 (N° Lexbase : L3057ALS) ; C. trav., art. L. 1233-57-1 (N° Lexbase : L0638IXW) ; C. com., L. 631-17 (N° Lexbase : L0721IXY). Mots-clés : Licenciement pour motif économique. Plan de sauvegarde de l'emploi. Homologation. Contentieux. Référé. Liens base : (N° Lexbase : E9334ESI). |
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