Lexbase Affaires n°372 du 6 mars 2014 : Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] Exception à la nullité d'une consignation réalisée en période suspecte

Réf. : Cass. com. 11 février 2014, n° 12-16.938, FS+P+B (N° Lexbase : A3651MEX)

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N1141BUS

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par Christine Lebel, Maître de conférences HDR à la Faculté de Droit de Nancy (Université de Lorraine, Institut François Gény, EA 7301, Nancy)

le 06 Mars 2014

La qualité du matériel vendu est-elle la véritable raison du défaut de paiement du solde du prix de vente du derrick de forage dû par le débiteur ? Le doute est permis après lecture de la décision rendue par la cour d'appel de Versailles (1).
En effet, une société a livré, en juin 2006, à la société débitrice, du matériel pour plus de 700 000 euros, mais deux traites ont été impayées d'un montant total de 225 162,55 euros, à échéance du 31 octobre 2006. Celles-ci avaient été acceptées par l'acquéreur. Afin de justifier ce défaut de paiement, ce dernier a soutenu que le matériel livré présentait des malfaçons et a obtenu la désignation d'un expert judiciaire en décembre 2006. Le créancier a déclenché une procédure de saisie conservatoire. Dans ce cadre, il a été autorisé, par ordonnance du 12 octobre 2006, à procéder à une telle saisie et, par une deuxième ordonnance du 27 octobre suivant, la saisie conservatoire a été cantonnée à hauteur de la somme due au titre des traites impayées. En outre, par une troisième ordonnance du 5 décembre 2006, l'acheteur a été condamné à payer au vendeur, à titre de provision, la somme demandée par ce dernier, dont le paiement entraînerait la mainlevée de la saisie conservatoire. Les traites litigieuses ayant été escomptées par le vendeur, l'acquéreur a saisi le juge des référés afin de faire constater que le vendeur n'avait plus de droit sur les traites, ce qui constituerait une circonstance nouvelle au sens de l'article 488 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6602H7N), justifiant la rétractation des ordonnances du 27 octobre 2006 et du 5 décembre suivant. En réponse, le vendeur répliquait que la seconde traite étant irrégulière, elle ne valait qu'à titre de reconnaissance de dette par son acceptation, et n'avait pas pu être escomptée. Le 21 décembre 2006, le juge des référés a rétracté ces deux ordonnances, puis a ordonné de consigner entre les mains du Bâtonnier de l'Ordre des avocats des Hauts-de-Seine (le Bâtonnier) en qualité de séquestre, la somme correspondant aux traites impayées et ce, jusqu'à ce qu'un accord soit intervenu dans le mois suivant son prononcé. Par jugement du 9 octobre 2007, le tribunal de commerce a ouvert une liquidation judiciaire à l'égard de l'acquéreur. Par second jugement du 3 décembre 2008, la date de cessation des paiements de la société débitrice a été reportée du 28 février 2007 au 8 décembre 2006. Entre-temps, le liquidateur a demandé au séquestre, la remise des fonds qu'il détenait. Refusant de se dessaisir en application de l'article 2350 du Code civil (N° Lexbase : L1177HIG), ce dernier a été assigné par le mandataire en vue de faire juger la nullité de la consignation. Par un premier jugement du 15 juin 2011, le tribunal de commerce a ordonné au séquestre de restituer les sommes pour partie à la banque ayant escompté une traite et le solde correspondant à la traite irrégulière, à la société débitrice. Considérant qu'il devait récupérer la totalité des sommes consignées, le mandataire a fait appel. Au soutien de sa demande, il invoque les dispositions de l'article L. 632-1, I, 5° du Code de commerce (N° Lexbase : L8851IN7). Ainsi, la consignation serait nulle pour avoir été constituée au cours de la période suspecte, dès lors que la date de cessation des paiements a été reportée au 8 décembre 2006 et que la décision ordonnant la consignation n'avait pas acquis la force de chose jugée avant la date de cessation des paiements. Subsidiairement, il demandait que la consignation litigieuse soit qualifiée de mesure conservatoire et déclarée sans effet, pour avoir été réalisée au cours de la période suspecte (C. com., art. L. 632-1, I, 7°).

Débouté de ses demandes par la cour d'appel, il a rédigé un pourvoi. Par un arrêt du 11 février 2014, la Cour de cassation rappelle qu'il y a exception à la nullité de la consignation effectuée en période suspecte lorsque celle-ci a été judiciairement ordonnée et que la décision a acquis force de chose jugée antérieurement à l'ouverture de la procédure collective (I). La Haute cour rejette également le second moyen du liquidateur, énonçant que la consignation ne pouvait être assimilée à une saisie-conservatoire réalisée au cours de la période suspecte, dès lors qu'elle n'a pas été ordonnée au titre des sommes dues consécutivement au contrat de vente du matériel litigieux, mais en raison des traites impayées. Par l'arrêt du 11 février 2014, la Chambre commerciale de la Cour de cassation opte pour une interprétation de l'article L. 632-1, I, 5° du Code de commerce en faveur de la sécurité juridique (II).

I - Les conditions de l'exception à la nullité de la consignation

Le régime des nullités de la période suspecte a été quelque peu modifié par la loi n° 2005-845, de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005 (N° Lexbase : L5150HGT) (2). Toutefois, le 5° de l'article L. 632-1, I relatif aux dépôts et consignations de sommes d'argent effectués an cours de la période suspecte ne l'a pas été, cette règle étant la transposition de l'ancien article 107, 5° de la loi du 25 janvier 1985 (N° Lexbase : L4126BMR), codifié à l'ancien article L. 621-107, 5° du Code de commerce (N° Lexbase : L6959AIL). Ainsi, est nul "tout dépôt et toute consignation de sommes effectués en application de l'article 2350 du Code civil (3), à défaut d'une décision de justice ayant acquis force de chose jugée". La consignation ne doit pas permettre à un créancier du débiteur en difficulté de pourvoir obtenir par voie judiciaire, ce qu'il ne pourrait avoir conventionnellement. Autrement dit, la voie judiciaire ne doit pas lui permettre de contourner la nullité des cas conclus en période suspecte (4).

Par conséquent deux conditions doivent être remplies. Tout d'abord, il faut que la consignation soit judiciairement ordonnée. En l'espèce, sa réalisation ne soulevait pas de difficultés particulières. En effet, la consignation a été ordonnée par une ordonnance de référé en date du 21 janvier 2006, signifiée le 3 janvier 2007 et qui n'a pas été remise en cause ultérieurement. Par conséquent, la décision de justice est devenue définitive.

Ensuite, la consignation doit intervenir en exécution d'une "décision de justice ayant acquis force de chose jugée", pour reprendre l'expression légale. Or, l'application de cette seconde condition pose quelques difficultés d'interprétation : à quelle date la décision doit-elle avoir cette caractéristique : à la date de cessation des paiements ou bien à celle du jugement ouvrant la procédure collective du débiteur ? Dès l'entrée en application de la loi du 25 janvier 1985, la majorité de la doctrine (5) a considéré qu'il convenait de prendre en compte la date de cessation des paiements. Ainsi, échapperait à la nullité, la consignation réalisée en vertu d'une décision de justice ayant force de chose jugée à la date de fixation de la cessation des paiements. Tel était l'argument avancé par le liquidateur dans cette procédure. Or, la cour d'appel considérait qu'en retenant la date de cessation des paiements, comme date à laquelle la décision de justice ordonnant la consignation doit avoir force de chose jugée "cette exception perdrait l'essentiel de sa portée". Pour cette raison, elle affirme que "la consignation effectuée en période suspecte ne peut être annulée lorsqu'elle a été ordonnée par une décision de justice ayant acquis force de chose jugée avant le jugement d'ouverture". La Cour de cassation rejette le moyen du pourvoi critiquant cette analyse. Pour la Chambre commerciale, "la cour d'appel a déduit à bon droit que consignation ne pouvait être annulée" pour avoir été réalisée en exécution d'une décision ayant acquis force de chose jugée antérieurement à l'ouverture de la procédure collective. Par cet arrêt du 11 février 2014, la Cour de cassation se prononce donc contre l'interprétation faite par la doctrine majoritaire de l'article L. 632-1, I, 5° du Code de commerce.

II - La sécurité juridique retenue par la Cour de cassation

Loin d'être un désaveu de l'interprétation doctrinale précitée, un choix devait être obligatoirement opéré par le Cour de cassation, en raison de l'ambiguïté du texte. D'un côté, considérer que la décision de justice doit avoir acquis la force de chose jugée à la date de cessation des paiements, revient à permettre la remise en cause plus facilement des consignations opérées par l'un des créanciers du débiteur. De l'autre, retenir la date du jugement d'ouverture de la procédure comme date buttoir interdit la remise en cause de ces consignations.

S'il on retient la première analyse, une consignation initialement validée lors de l'ouverture de la procédure collective, pour avoir été réalisée en exécution d'une décision ayant force de chose jugée au jour de la fixation initiale de la date de cessation des paiements du débiteur, pourrait, au cours de l'année suivant le jugement d'ouverture, être finalement reconsidérée et jugée nulle pour cause de modification de la date initiale de cessation des paiements. En effet, par application de l'article L. 631-8 du Code de commerce (N° Lexbase : L3375ICY), celle-ci peut être reportée une ou plusieurs fois, dans la limite de dix-mois avant la date d'ouverture de la procédure collective. Or, la même formation de la Cour de cassation vient de juger, par un arrêt du 28 janvier 2014 signalé au Rapport annuel (6), que le mandataire a l'obligation de saisir le tribunal dans le délai d'un an à compter du jugement d'ouverture. Il peut au cours de l'instance, modifier la date de cessation initialement sollicitée, et ce, jusqu'à la limite légale, soit dix-mois avant le jugement d'ouverture. En mettant en perspective cette solution avec l'analyse doctrinale de l'article L. 632-1, I, 5° du Code de commerce, il deviendrait quasiment impossible de valider une consignation réalisée à titre conservatoire, comme en l'espèce, créant ainsi une insécurité juridique préjudiciable aux créanciers. En outre, lorsque le créancier est une banque, comme en l'espèce, l'accès au crédit peut devenir plus difficile pour les entreprises.

En optant pour la seconde interprétation possible de l'article L. 632-1, I, 5°, précité, la Cour de cassation fait le choix de la sécurité juridique, et ce, même si elle a des effets favorables aux créanciers au détriment du débiteur (7). La mise en perspective de cette solution avec celle retenue par l'arrêt du 28 janvier 2014 précité établi un certain équilibre entre les droits des créanciers, et la protection des intérêts du débiteur, équilibre toujours délicat à atteindre en droit des entreprises en difficulté !


(1) CA Versailles, 9 février 2012, n° 11/06112 (N° Lexbase : A2953ICD).
(2) G. Blanc, Nullités de la période suspecte, Rev. proc. coll., 2006, Etude 66.
(3) L'ancien article 2075-1 du Code civil (N° Lexbase : L2313ABB) est devenu l'article 2350 de ce code (N° Lexbase : L1177HIG), comme le précise la décision d'appel dans cette affaire.
(4) F. Pérochon, Entreprises en difficulté, 9ème éd., LGDJ 2012, spéc. n° 1314 ; P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz Action, 2013-2014, n° 823.61.
(5) F. Derrida, P. Godé et J.-P. Sortais, Redressement et liquidation judiciaires, 3ème éd., Dalloz, 1991, n° 349 ; Y. Guyon, Droit des affaires, tome II, Entreprises en difficulté, redressement judiciaire, faillite, 8ème éd., Economica, 2001, n° 1131 ; P. Le Cannu, P. Lucheux, M. Pitron, et J.-P. Sénéchal, Prévention, redressement et liquidation judiciaires, GJN Joly, 1995, n° 528 ; Ripert et Roblot par Ph. Delebecque et M. Germain, Traité de droit commercial, tome II, 17ème éd., LGDJ, 2004, n° 2137 ; M. Sénéchal, L'effet réel de la procédure collective, Litec, 2002, n° 618 et s. ; F. Pérochon, préc., n° 1313 ; P.-M. Le Corre, préc., n° 823.61.
(6) Cass. com., 28 janvier 2014, n° 13-11.509, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4333MDT), nos obs. à paraître JCP éd. E, 2014 ; D. Actualité, 6 février 2014, obs. A. Lienhard ; Ph. Réméry, Demande de modification de la date initiale de report de cessation des paiements, Bull. dictionnaire permanent Difficulté des entreprises, n° 356, février, 2014, Zoom sur. Cf., également, Action en report de la date de cessation des paiements : la date mentionnée dans l'assignation peut être modifiée par voie de demande additionnelle jusqu'à ce que la juridiction saisie se prononce, Lexbase Hebdo n° 368 du 6 février 2014 - édition affaires (N° Lexbase : N0628BUS).
(7) En ce sens, A. Lienhard. D. Actualité, 19 février 2014.

Décision

Cass. com. 11 février 2014, n° 12-16.938, FS+P+B (N° Lexbase : A3651MEX).

Rejet (CA Versailles, 9 février 2012, n° 11/06112 N° Lexbase : A2953ICD).

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