Réf. : Cass. com. 11 février 2014, n° 12-16.938, FS+P+B (N° Lexbase : A3651MEX)
Lecture: 7 min
N1141BUS
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Christine Lebel, Maître de conférences HDR à la Faculté de Droit de Nancy (Université de Lorraine, Institut François Gény, EA 7301, Nancy)
le 06 Mars 2014
Débouté de ses demandes par la cour d'appel, il a rédigé un pourvoi. Par un arrêt du 11 février 2014, la Cour de cassation rappelle qu'il y a exception à la nullité de la consignation effectuée en période suspecte lorsque celle-ci a été judiciairement ordonnée et que la décision a acquis force de chose jugée antérieurement à l'ouverture de la procédure collective (I). La Haute cour rejette également le second moyen du liquidateur, énonçant que la consignation ne pouvait être assimilée à une saisie-conservatoire réalisée au cours de la période suspecte, dès lors qu'elle n'a pas été ordonnée au titre des sommes dues consécutivement au contrat de vente du matériel litigieux, mais en raison des traites impayées. Par l'arrêt du 11 février 2014, la Chambre commerciale de la Cour de cassation opte pour une interprétation de l'article L. 632-1, I, 5° du Code de commerce en faveur de la sécurité juridique (II).
I - Les conditions de l'exception à la nullité de la consignation
Le régime des nullités de la période suspecte a été quelque peu modifié par la loi n° 2005-845, de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005 (N° Lexbase : L5150HGT) (2). Toutefois, le 5° de l'article L. 632-1, I relatif aux dépôts et consignations de sommes d'argent effectués an cours de la période suspecte ne l'a pas été, cette règle étant la transposition de l'ancien article 107, 5° de la loi du 25 janvier 1985 (N° Lexbase : L4126BMR), codifié à l'ancien article L. 621-107, 5° du Code de commerce (N° Lexbase : L6959AIL). Ainsi, est nul "tout dépôt et toute consignation de sommes effectués en application de l'article 2350 du Code civil (3), à défaut d'une décision de justice ayant acquis force de chose jugée". La consignation ne doit pas permettre à un créancier du débiteur en difficulté de pourvoir obtenir par voie judiciaire, ce qu'il ne pourrait avoir conventionnellement. Autrement dit, la voie judiciaire ne doit pas lui permettre de contourner la nullité des cas conclus en période suspecte (4).
Par conséquent deux conditions doivent être remplies. Tout d'abord, il faut que la consignation soit judiciairement ordonnée. En l'espèce, sa réalisation ne soulevait pas de difficultés particulières. En effet, la consignation a été ordonnée par une ordonnance de référé en date du 21 janvier 2006, signifiée le 3 janvier 2007 et qui n'a pas été remise en cause ultérieurement. Par conséquent, la décision de justice est devenue définitive.
Ensuite, la consignation doit intervenir en exécution d'une "décision de justice ayant acquis force de chose jugée", pour reprendre l'expression légale. Or, l'application de cette seconde condition pose quelques difficultés d'interprétation : à quelle date la décision doit-elle avoir cette caractéristique : à la date de cessation des paiements ou bien à celle du jugement ouvrant la procédure collective du débiteur ? Dès l'entrée en application de la loi du 25 janvier 1985, la majorité de la doctrine (5) a considéré qu'il convenait de prendre en compte la date de cessation des paiements. Ainsi, échapperait à la nullité, la consignation réalisée en vertu d'une décision de justice ayant force de chose jugée à la date de fixation de la cessation des paiements. Tel était l'argument avancé par le liquidateur dans cette procédure. Or, la cour d'appel considérait qu'en retenant la date de cessation des paiements, comme date à laquelle la décision de justice ordonnant la consignation doit avoir force de chose jugée "cette exception perdrait l'essentiel de sa portée". Pour cette raison, elle affirme que "la consignation effectuée en période suspecte ne peut être annulée lorsqu'elle a été ordonnée par une décision de justice ayant acquis force de chose jugée avant le jugement d'ouverture". La Cour de cassation rejette le moyen du pourvoi critiquant cette analyse. Pour la Chambre commerciale, "la cour d'appel a déduit à bon droit que consignation ne pouvait être annulée" pour avoir été réalisée en exécution d'une décision ayant acquis force de chose jugée antérieurement à l'ouverture de la procédure collective. Par cet arrêt du 11 février 2014, la Cour de cassation se prononce donc contre l'interprétation faite par la doctrine majoritaire de l'article L. 632-1, I, 5° du Code de commerce.
II - La sécurité juridique retenue par la Cour de cassation
Loin d'être un désaveu de l'interprétation doctrinale précitée, un choix devait être obligatoirement opéré par le Cour de cassation, en raison de l'ambiguïté du texte. D'un côté, considérer que la décision de justice doit avoir acquis la force de chose jugée à la date de cessation des paiements, revient à permettre la remise en cause plus facilement des consignations opérées par l'un des créanciers du débiteur. De l'autre, retenir la date du jugement d'ouverture de la procédure comme date buttoir interdit la remise en cause de ces consignations.
S'il on retient la première analyse, une consignation initialement validée lors de l'ouverture de la procédure collective, pour avoir été réalisée en exécution d'une décision ayant force de chose jugée au jour de la fixation initiale de la date de cessation des paiements du débiteur, pourrait, au cours de l'année suivant le jugement d'ouverture, être finalement reconsidérée et jugée nulle pour cause de modification de la date initiale de cessation des paiements. En effet, par application de l'article L. 631-8 du Code de commerce (N° Lexbase : L3375ICY), celle-ci peut être reportée une ou plusieurs fois, dans la limite de dix-mois avant la date d'ouverture de la procédure collective. Or, la même formation de la Cour de cassation vient de juger, par un arrêt du 28 janvier 2014 signalé au Rapport annuel (6), que le mandataire a l'obligation de saisir le tribunal dans le délai d'un an à compter du jugement d'ouverture. Il peut au cours de l'instance, modifier la date de cessation initialement sollicitée, et ce, jusqu'à la limite légale, soit dix-mois avant le jugement d'ouverture. En mettant en perspective cette solution avec l'analyse doctrinale de l'article L. 632-1, I, 5° du Code de commerce, il deviendrait quasiment impossible de valider une consignation réalisée à titre conservatoire, comme en l'espèce, créant ainsi une insécurité juridique préjudiciable aux créanciers. En outre, lorsque le créancier est une banque, comme en l'espèce, l'accès au crédit peut devenir plus difficile pour les entreprises.
En optant pour la seconde interprétation possible de l'article L. 632-1, I, 5°, précité, la Cour de cassation fait le choix de la sécurité juridique, et ce, même si elle a des effets favorables aux créanciers au détriment du débiteur (7). La mise en perspective de cette solution avec celle retenue par l'arrêt du 28 janvier 2014 précité établi un certain équilibre entre les droits des créanciers, et la protection des intérêts du débiteur, équilibre toujours délicat à atteindre en droit des entreprises en difficulté !
(1) CA Versailles, 9 février 2012, n° 11/06112 (N° Lexbase : A2953ICD).
(2) G. Blanc, Nullités de la période suspecte, Rev. proc. coll., 2006, Etude 66.
(3) L'ancien article 2075-1 du Code civil (N° Lexbase : L2313ABB) est devenu l'article 2350 de ce code (N° Lexbase : L1177HIG), comme le précise la décision d'appel dans cette affaire.
(4) F. Pérochon, Entreprises en difficulté, 9ème éd., LGDJ 2012, spéc. n° 1314 ; P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz Action, 2013-2014, n° 823.61.
(5) F. Derrida, P. Godé et J.-P. Sortais, Redressement et liquidation judiciaires, 3ème éd., Dalloz, 1991, n° 349 ; Y. Guyon, Droit des affaires, tome II, Entreprises en difficulté, redressement judiciaire, faillite, 8ème éd., Economica, 2001, n° 1131 ; P. Le Cannu, P. Lucheux, M. Pitron, et J.-P. Sénéchal, Prévention, redressement et liquidation judiciaires, GJN Joly, 1995, n° 528 ; Ripert et Roblot par Ph. Delebecque et M. Germain, Traité de droit commercial, tome II, 17ème éd., LGDJ, 2004, n° 2137 ; M. Sénéchal, L'effet réel de la procédure collective, Litec, 2002, n° 618 et s. ; F. Pérochon, préc., n° 1313 ; P.-M. Le Corre, préc., n° 823.61.
(6) Cass. com., 28 janvier 2014, n° 13-11.509, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4333MDT), nos obs. à paraître JCP éd. E, 2014 ; D. Actualité, 6 février 2014, obs. A. Lienhard ; Ph. Réméry, Demande de modification de la date initiale de report de cessation des paiements, Bull. dictionnaire permanent Difficulté des entreprises, n° 356, février, 2014, Zoom sur. Cf., également, Action en report de la date de cessation des paiements : la date mentionnée dans l'assignation peut être modifiée par voie de demande additionnelle jusqu'à ce que la juridiction saisie se prononce, Lexbase Hebdo n° 368 du 6 février 2014 - édition affaires (N° Lexbase : N0628BUS).
(7) En ce sens, A. Lienhard. D. Actualité, 19 février 2014.
Décision
Cass. com. 11 février 2014, n° 12-16.938, FS+P+B (N° Lexbase : A3651MEX). Rejet (CA Versailles, 9 février 2012, n° 11/06112 N° Lexbase : A2953ICD). Lien base : ({"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 6605462, "corpus": "encyclopedia"}, "_target": "_blank", "_class": "color-encyclopedia", "_title": "Les d\u00e9p\u00f4ts et les consignations", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: E1405EUL"}}). |
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:441141