Le Quotidien du 28 octobre 2025 : Responsabilité

[Observations] Mensonge du notaire et préjudice du bénéficiaire d’une promesse de vente

Réf. : Cass. civ. 3, 25 septembre 2025, n° 23-18.202, F-D N° Lexbase : B5146BZM

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N3154B39

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[Observations] Mensonge du notaire et préjudice du bénéficiaire d’une promesse de vente. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/125477653-observations-mensonge-du-notaire-et-prejudice-du-beneficiaire-dune-promesse-de-vente
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par Aude Denizot, Professeur à l’Université du Mans, membre du Themis-Um

le 27 Octobre 2025

Mots-clés : loyauté • notaire • promesse de vente • mensonge • politesse

L’obligation de loyauté du notaire ne doit pas être confondue avec le simple respect des règles de politesse. En faisant croire à des promettants que le bénéficiaire a renoncé au projet de vente, le notaire pourrait engager sa responsabilité, et ce même si la promesse a expiré.


Bien que non publié, l’arrêt du 25 septembre 2025 rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation retiendra l’attention en ce qu’il invite à de multiples réflexions tenant aussi bien à la rédaction d’une promesse unilatérale de vente, qu’au rôle de la politesse dans le droit et à l’obligation de loyauté du notaire.

La chronologie de cette affaire doit être soigneusement rappelée : une promesse unilatérale de vente d’un terrain à construire fut consentie par des époux le 25 mars 2016, sous condition suspensive d’obtention d’un permis de construire par le bénéficiaire. La validité de la promesse expirait le 31 mars 2017.

Le 27 juillet 2017, le bénéficiaire transmit au notaire une nouvelle demande de permis de construire. Quatre jours plus tard, le 31 juillet, le notaire convoquait les promettants et leur indiquait qu’il ne parvenait pas à joindre le bénéficiaire et que ce dernier n’ayant pas déposé de nouvelle demande de permis, il était manifeste qu’il ne souhaitait plus acheter. Le notaire proposa alors aux vendeurs un autre acquéreur, et une seconde promesse avec ce dernier fut signée le 2 août. Le 14 août, les promettants, ayant découvert la vérité, rédigèrent une attestation dans laquelle ils exposèrent ce qui s’était passé le 31 juillet en relatant les propos mensongers du notaire. Puis le 19 août, les promettants adressèrent une lettre recommandée à ce dernier, dans laquelle ils indiquèrent qu’ils annulaient la seconde promesse puisque le bénéficiaire initial n’avait jamais souhaité abandonner le projet : « Nous vous indiquons notre volonté de reprendre avec lui les rapports que nous connaissions avant cette interruption sans fondement et pour laquelle nous ne souhaiterions pas être inquiétés d’aucune manière ». On ignore ce qu’il s’est passé exactement par la suite. Toujours est-il que le premier bénéficiaire assigna les promettants, le nouvel acquéreur et le notaire, notamment pour obtenir l’indemnisation de son préjudice par ce dernier.

La cour d’appel rejeta cette demande fondée sur le non-respect de l’obligation de loyauté du notaire avec une motivation bien curieuse. Selon les juges, en effet, la Cour de cassation n’avait pas admis que le non-respect d’une règle de politesse puisse être constitutif d’une faute susceptible d’ouvrir droit à des dommages-intérêts. Par ailleurs, l’arrêt indiquait qu’il n’était pas établi que « le notaire aurait œuvré pour obtenir un acheteur mieux-disant afin d’évincer délibérément la bénéficiaire ». L’indemnisation fut refusée, ce qui mena le bénéficiaire à former un pourvoi en cassation.

Au visa de l’article 1240 du Code civil N° Lexbase : L0950KZ9, la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel pour manque de base légale. Il est reproché aux juges d’avoir ignoré un élément de preuve pourtant décisif : l'attestation des promettants du 14 août 2017. La cour de renvoi devra donc prendre soin de trancher le litige en y prêtant attention, ce qui n’appelle pas de remarque particulière. Mais au-delà et comme on l’a dit, c’est à une triple réflexion qu’invite cet arrêt. Pour commencer, on dira quelques mots de la promesse et de la manière dont cette affaire met en lumière l’intérêt de certaines clauses (I). Nous évoquerons ensuite la question de la politesse, sur laquelle s’était fondée la cour d’appel et qui appelle peut-être une autre réponse que celle qui fut ébauchée (II). Enfin, c’est l’obligation de loyauté du notaire qui retiendra notre attention (III).

I. La promesse

Cette affaire illustre d’abord l’existence d’un décalage sensible entre les règles de droit d’une part, et l’imaginaire des intéressés d’autre part. On est frappé de voir combien le couple de propriétaires n’avait pas compris le mécanisme de la promesse unilatérale et ses implications. La lettre recommandée au notaire évoquait en effet « une interruption sans fondement » des relations avec le bénéficiaire. Pourtant, la promesse avait expiré le 31 mars 2017. Il y avait donc bien « un fondement » à cette interruption, sauf à considérer, ce que l’arrêt ne précise pas, qu’il y ait eu une clause prorogeant le délai de réalisation de la condition ou le délai de validité de la promesse. Notons cependant que la Cour de cassation a admis la prorogation d’une promesse caduque même sans clause[1]. Il n’est donc pas impossible que des juges puissent considérer qu’une promesse expirée en mars renaisse de ses cendres en juillet. On conseillera toutefois à la pratique d’organiser ex ante cette éventuelle prorogation afin de sécuriser l’opération, surtout s’il s’agit d’une promesse unilatérale qui doit être enregistrée sous peine de nullité. En toute logique, si la promesse initiale a expiré, il faut procéder à un nouvel enregistrement. Il est donc peut-être aventureux de se dispenser de cette formalité sous prétexte d’une prorogation tacite dont les tribunaux exigeront la preuve.

Par ailleurs, la lettre recommandée au notaire indiquait que les promettants annulaient la seconde promesse. Ils signifiaient ainsi leur volonté de se retirer de la vente. Cependant, sauf clause de dédit, il n’est pas possible pour le promettant de se rétracter, et il aurait fallu un juge pour prononcer la nullité de cette seconde promesse, pour dol par exemple. Certes, comme disait Portalis, il faut « une certaine expérience pour faire une sage application des lois », mais l’on peut se demander si le notaire avait correctement rempli son obligation de conseil. Ici encore, la pratique sera bien inspirée d’insérer une clause de dédit en faveur du promettant, car nombreux sont ceux qui, à cause de ce nom de « promesse », estiment pouvoir se rétracter.

II. La politesse

Le second axe de réflexion offert par cet arrêt concerne la notion de faute. La cour d’appel avait considéré que le comportement du notaire relevait d’une simple impolitesse. Elle indiquait alors « qu'il n'a pas été admis par la Cour de cassation que le non-respect d'une règle de politesse soit constitutif d'une faute susceptible d'ouvrir droit à des dommages-intérêts », affirmation qui appelle plusieurs remarques. Pour commencer, il faut redire qu’une cour d’appel n’est nullement tenue par la jurisprudence de la Cour de cassation : libre à elle d’initier un revirement de jurisprudence, même si la Cour de cassation exerce effectivement un contrôle sur la qualification de la faute[2].

Par ailleurs, il est plus que douteux que la Cour de cassation en ait décidé ainsi. Nous n’avons trouvé aucun arrêt en ce sens sur Légifrance. Dans son article intitulé « Courtoise, complaisances et usages non obligatoires devant la jurisprudence », et publié à la Revue trimestrielle de droit civil en 1914, Perreau avance l’exact contraire de ce que soutient la cour d’appel : « la jurisprudence reconnaît des effets juridiques importants et multiples à la courtoisie, à l’obligeance et aux usages non obligatoires par eux-mêmes »[3]. Selon l’auteur, la courtoisie n’est pas dépourvue de conséquences juridiques, même si elle ne donne pas naissance à des droits. Un peu plus loin, il indique « qu’on engage quelques fois (sic) sa responsabilité par le refus d’actes de courtoisie, de complaisance ou d’usage »[4]. S’en suivent des exemples surannés, et notamment une affaire belge dans laquelle une femme se plaignait que son nom ne figure pas dans un faire-part de décès, et qui obtint une indemnisation à ce titre. Il serait évidemment bien étonnant qu’on retienne aujourd’hui pareille solution. Mais ce qui nous intéresse est de voir que doctrine et jurisprudence sont en accord pour reconnaître que le non-respect d’une règle de politesse puisse constituer une faute ouvrant droit à des dommages-intérêts. On pourrait ainsi imaginer qu’un notaire doive indemniser un client parce qu’il l’a ridiculisé ou ouvertement méprisé devant l’autre partie lors de la signature d’un acte. Le préjudice moral qui résulte d’une telle situation ne fait guère de doute, à notre sens.

III. Le mensonge

Toujours est-il que nous n’étions visiblement pas dans ce cas de figure avec l’arrêt du 25 septembre 2025. Et c’est peut-être le point le plus surprenant de l’arrêt d’appel. On voit mal en effet en quoi le notaire avait manqué à une quelconque norme de savoir-vivre. Avait-il été grossier ? Portait-il un vêtement inapproprié ? Avait-il manqué de discrétion ? Oublié de présenter des excuses ou omis de saluer ? Il n’en est pas question. Les juges d’appel n’ont visiblement pas compris ce qu’était la politesse[5].

Il ne faut pas confondre politesse et loyauté. La politesse renvoie à un ensemble de conventions sociales qui portent sur la présentation de soi et les relations avec autrui, notamment à l’occasion de petites et grandes cérémonies, d’échanges épistolaires, de visites et d’invitations ou encore d’actes rituels. Elle est avant tout un support de communication[6], c’est-à-dire une forme de langage qui ne préjuge en rien de l’honnêteté : on peut être poli et déloyal, tout comme on peut être grossier, mais fidèle. Il est d’ailleurs parfois reproché à la politesse d’inciter à l’hypocrisie, et les manuels de savoir-vivre admettent sans détour qu’il faut parfois mentir pour rester courtois.

Dans l’affaire du 25 septembre 2025, le notaire avait commis un double mensonge, en indiquant aux promettants qu’il ne parvenait plus à joindre le bénéficiaire initial et que ce dernier n’avait pas renouvelé la demande de permis. Il n’y avait rien d’impoli dans ce mensonge. De même, la promesse étant expirée, le notaire ne manquait pas à ses obligations légales : il était en théorie possible de conclure une nouvelle promesse avec un autre bénéficiaire. En revanche, le mensonge constituait bien une violation du devoir de loyauté, et donc une faute. On trouve là un trait caractéristique de l’obligation de loyauté, qui « interdit l’invocation ou l’utilisation d’un droit ou d’une prérogative »[7]. Le notaire avait le droit de proposer un autre acquéreur et d’inciter à la conclusion d’une seconde promesse puisque la première avait expiré. Mais ce faisant, il violait son obligation de loyauté. Cette dernière interdisait donc l’invocation du droit du notaire d’instrumenter une seconde promesse.

Il est difficile de définir ce qu’est la loyauté. Le notaire loyal est celui qui est fidèle à ses engagements : en ce sens, s’il instrumente une promesse, il doit faire en sorte que cette dernière se concrétise. Cette fidélité, qui est aussi une forme de cohérence, suppose, à notre avis, qu’il assure la réussite du contrat si telle est la volonté des parties, et même si, comme dans l’espèce, la promesse a expiré. L’obligation de loyauté dépasse donc les frontières temporelles du contrat, elle ne s’arrête pas avec lui, tout comme elle s’étend au-delà de la sphère des parties : c’est avec tout le monde qu’il faut être loyal, et y compris avec ses adversaires[8].

On comprend mieux ce qu’est la loyauté en cernant son contraire : la duplicité[9]. C’est bien cette attitude double qui caractérisait ici le comportement du notaire, puisqu’il avait agi avec les promettants comme s’il n’avait pas reçu quelques jours plus tôt une nouvelle demande de permis de construire de la part du bénéficiaire. Ce faisant, il jouait un double jeu, afin de favoriser la conclusion de la seconde promesse. Le notaire ne peut donc pas tricher, ni communiquer de fausses informations[10]), encore moins lorsque cette dissimulation a pour but d’inciter une partie à conclure un contrat, auquel cas il y a manœuvres dolosives.

Le code de déontologie notariale prévoit que le notaire accomplit sa mission avec loyauté, neutralité, impartialité, probité et délicatesse[11]. Rien de tout cela n’a été respecté dans cette affaire, de sorte que la faute semble caractérisée. La cassation pour manque de base légale laisse à penser que l’attestation des promettants établissant le mensonge du notaire pourra en fournir la preuve. Dans ces conditions, il est probable que la cour de renvoi accordera des dommages-intérêts au bénéficiaire initial.

 

[1] A. Denizot, Promesse de vente, in Rép. civ. Dalloz, janvier 2023, §326.

[2] Cass. civ., 28 février 1910, D. 1913, 43, [en ligne].

[3] E.-H. Perreau, Courtoise, complaisances et usages non obligatoires devant la jurisprudence, RTD civ. 1914, p. 488.

[4] Ibid., p. 503.

[5] V. sur cette notion, D. Picard, Politesse, savoir-vivre et relations sociales, Puf, 1998.

[6] Ibid., p. 122.

[7] L. Aynès, L’obligation de loyauté, Arch. Phil. Droit 2000, p. 195.

[8] V. en ce sens, L. Aynès, précité.

[9] L. Aynès, précité.

[10] Cass. civ. 1, 5 février 2020, n°18-24.580, F-D N° Lexbase : A93013DT ; J.-C. Groslière, Responsabilité, à l'égard des tiers, du notaire qui fournit de fausses informations, RDI 1999, p. 424.

[11] Décret n° 2023-1297, du 28 décembre 2023, relatif au code de déontologie des notaires, art. 3 N° Lexbase : Z18770WB.

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