Le Quotidien du 28 octobre 2025 : Santé

[Commentaire] Protection des captages d’eau potable et indemnisation : attention au point de départ du délai de prescription !

Réf. : Cass. civ. 3, 11 septembre 2025, n° 23-14.398, FS-B N° Lexbase : B3405BRK

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N3109B3K

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par Clémence du Rostu et Julie Cazou, Seban Avocats

le 22 Octobre 2025

Mots clés :  périmètre de protection rapprochée ou éloignée • restrictions à l'utilisation d'une parcelle • préjudice • indemnisation • prescription quadriennale

Dans un arrêt rendu le 11 septembre 2025, la Cour de cassation a précisé comment déterminer le point de départ du délai de prescription quadriennale de l’action indemnitaire des propriétaires et occupants de parcelles, rendues inconstructibles, incluses dans un périmètre de protection rapprochée des captages d’eau potable. Ce délai doit être fixé en prenant en compte non la date de l’instauration du périmètre, qui n’emporte pas automatiquement l'inconstructibilité des parcelles, mais celle à laquelle les propriétaires et occupants ont eu connaissance des restrictions d’usage résultant de ce périmètre de protection.


 

 

I. Rappel des faits et de la procédure

Le 8 novembre 1999 a été adopté un arrêté préfectoral portant déclaration d’utilité publique (DUP) de l’instauration de périmètres de protection du point de captage de la ressource en eau potable.

Les consorts VL étaient propriétaires de plusieurs parcelles qui ont été incluses, sur le fondement de cet arrêté, au sein du périmètre de protection rapprochée du captage.

Ils n’ont toutefois pas été immédiatement informés de l’adoption de cet arrêté qui ne leur a pas été notifié. Ce n’est qu’en 2001 qu’a été publiée, au sein de journaux locaux, la modification du plan d’occupation des sols ayant intégré les servitudes liées à l’instauration des périmètres de protection de captage sans instaurer a priori expressément d’inconstructibilité. Un certificat d’urbanisme a ensuite été délivré le 14 janvier 2008 aux consorts VL et faisait état de l’existence d’une servitude liée à la protection des eaux. Par ailleurs, le maire a informé les propriétaires du caractère inconstructible de leurs parcelles par une lettre de préemption du 3 mai 2016 adressée par le maire. Et les consorts VL indiquent qu’en 2017 les parcelles ont été classées en zone naturelle par le plan local d’urbanisme, ce qui les aurait rendues inconstructibles.

C’est en 2017 que les consorts VL ont adressé à la commune, puis en 2020 à la Communauté d’agglomération, une mise en demeure de leur notifier une offre d’indemnisation liée à l’inconstructibilité de leurs parcelles. Puis ils ont saisi le juge de l’expropriation en 2021 afin que soit fixée l’indemnité due.

Le tribunal judiciaire de Châlons-en-Champagne a rejeté leur demande, la considérant prescrite, ce qui a été confirmé par la Cour d’appel de Reims.

Les requérants contestaient le raisonnement de la Cour d’appel sur la détermination du point de départ du délai de prescription de leur action indemnitaire. En effet, la Cour d’appel avait estimé que le point de départ du délai de prescription était la date de publication des journaux mentionnant la modification du plan d’occupation des sols, en 2001. Or les requérants considéraient que le point de départ de ce délai aurait dû être fixé au jour où ils ont eu connaissance de l’inconstructibilité de leurs parcelles, c’est-à-dire lorsqu’ils ont reçu la lettre de préemption du 3 mai 2016.

II. Les modalités de protection des captages d’eau potable et le point de départ du délai de prescription de l’action indemnitaire

L’ensemble du débat devant la Cour de cassation a ainsi porté sur le point de départ du délai de prescription de l’action indemnitaire liée à l’instauration de servitudes pour la protection des captages d’eau potable : doit-on retenir la date à laquelle les propriétaires ont été informés de l’existence de ces servitudes ou de celle de l’inconstructibilité de leurs parcelles ?

1°) Il est important de revenir au préalable sur le régime de protection des points de captage d’eau potable.

L’article L. 1321-2 du Code de la santé publique N° Lexbase : L2339MGQ (ancien article L. 20 du même Code) prévoit que l'acte portant déclaration d'utilité publique des travaux de prélèvement d'eau destinée à l'alimentation des collectivités humaines détermine trois périmètres de protection autour du point de prélèvement, ces périmètres valant alors servitude d’utilité publique :

  • un périmètre de protection immédiate, dont les terrains sont à acquérir en pleine propriété ;
  • un périmètre de protection rapprochée au sein duquel peuvent être interdits ou réglementés toutes sortes d'installations, travaux, activités, dépôts, ouvrages, aménagement ou occupation des sols de nature à nuire directement ou indirectement à la qualité des eaux. La propriété des consorts VL était incluse au sein d’un tel périmètre de protection ;
  • un périmètre de protection éloignée où sont réglementés ces installations, travaux, activités, dépôts, ouvrages, aménagement ou occupation des sols.

L’arrêté de DUP peut ainsi définir un périmètre de protection rapprochée et y interdire ou y règlementer les différentes installations, activités et occupation des sols qui pourraient affecter la qualité des eaux.

Il est toutefois à noter que, sur le fondement de ces dispositions, le préfet qui adopte la déclaration d’utilité publique ne peut pas interdire toute construction de manière générale et absolue. En effet, l’article R. 1321-13 du Code de la santé publique N° Lexbase : L3377MG8 précise que seuls les travaux, installations, activités, dépôts, ouvrages, aménagement ou occupation des sols qui sont susceptibles d'entraîner une pollution de nature à rendre l'eau impropre à la consommation humaine peuvent être interdits [1]. Les autres peuvent seulement être règlementés et s’ils sont de nature à nuire directement ou indirectement à la qualité des eaux.

Ainsi, et ce point a eu une importance fondamentale dans la décision de la Cour de cassation, la circonstance qu’une parcelle soit située dans le périmètre de protection rapprochée d’un captage d’eau potable n’implique pas nécessairement qu’elle soit inconstructible. Il ne revient en tout état de cause pas au Préfet de se prononcer sur cette inconstructibilité générale et absolue.

2°) Les propriétaires ou occupants des parcelles incluses dans un périmètre de protection d’un point de captage peuvent être indemnisés des mesures prises pour la protection de la ressource dans les conditions applicables en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique (article L. 1321-3 du Code de la santé publique, ancien article L. 20-1 du même Code).

C’est dans ce contexte et au regard de l’inconstructibilité de leur parcelle découlant de son inclusion dans un périmètre de protection rapprochée et des prescriptions définies que les consorts VL ont cherché à être indemnisés.

La question demeurait néanmoins de savoir si leur action était ou non prescrite, et donc de déterminer le point de départ de ce délai.

En effet, l’article 1er de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968, relative à la prescription des créances sur l’État, les départements, les communes et les établissements publics N° Lexbase : L6499BH8, prévoit que les créances de ces personnes publiques s’éteignent à l’expiration d’un délai de quatre ans à compter du 1er janvier de l’année suivant celle au cours de laquelle les droits du créancier ont été acquis. Il s’agit de la prescription quadriennale. Le point de départ du délai de prescription est précisé par l’article 3 de la même loi, qui indique notamment que la prescription ne court pas contre le créancier qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance.

La Cour de cassation juge ainsi que le point de départ de la prescription quadriennale est le premier jour de l’année au cours de laquelle s’est produit le fait générateur du dommage allégué [2], mais également que la prescription ne peut courir tant que la victime n'a pas eu connaissance du dommage fondant sa créance en réparation [3].

Deux questions se posaient donc en l’espèce : quel était le fait générateur du dommage (l’instauration du périmètre de protection rapprochée ou l’inconstructibilité de la parcelle) et quand les consorts VL en avaient-ils eu connaissance ?

La Cour d’appel de Reims avait considéré que le fait générateur du dommage était l’instauration du périmètre de protection rapproché et non l’inconstructibilité de la parcelle, l’article L. 1321-3 du Code de la santé publique indiquant que les indemnités sont fixées, selon la Cour, à raison de cette instauration du périmètre. Elle avait ensuite indiqué que le point du départ du délai de prescription était, faute de notification de l’arrêté de DUP, le 7 novembre 2001, date de publication de la décision d’approbation du plan d’occupation des sols dans un journal local qui reprenait les servitudes instaurées par l’arrêté, et qu’en tout état de cause le certificat d’urbanisme du 14 janvier 2008, faisant état des mêmes servitudes, aurait également fait courir le délai de prescription.

Ainsi, selon la Cour, l’action était prescrite en 2021 lorsque les consorts VL ont saisi le juge de l’expropriation. L’avocat général avait d’ailleurs également retenu cette analyse et invité la Cour de cassation à rejeter le pourvoi.

La Cour de cassation censure néanmoins ce raisonnement. Elle relève en effet que l’instauration du périmètre de protection rapprochée et des servitudes qui s’y rattachent n’entraîne pas nécessairement l’inconstructibilité des parcelles incluses en son sein, et donc que le fait générateur du dommage en l’espèce était la restriction d’usage résultant de l’instauration du périmètre de protection, à savoir l’inconstructibilité. Il doit en effet être précisé que les requérants avançaient ici que l’arrêté de DUP ne comportait pas de prescription spéciale liée à l’inconstructibilité de leur parcelle et que cette inconstructibilité résultait de son insertion dans le plan local d’urbanisme lors de la révision de 2017. L’arrêt de la Cour d’appel est donc annulé et renvoyé, le juge devant encore déterminer à quelle date les consorts VL devront être réputés avoir eu connaissance de l’inconstructibilité de leur parcelle.

En somme, cette décision permet de préciser que le délai de prescription quadriennale de l’action indemnitaire des propriétaires et occupants de parcelles incluses dans un périmètre de protection ne commence à courir que lorsque ceux-ci ont eu connaissance des restrictions d’usage leur étant applicable. La détermination du point de départ du délai de prescription de l’action indemnitaire demeurera donc toujours casuistique et soumise à l’appréciation du juge.


[1] Critère repris par la décision CE, 10 octobre 2003, n° 235723 N° Lexbase : A8429C93.

[2] Ass. plén., 6 juillet 2001, n° 98-17.006 N° Lexbase : A1332AUU.

[3] Cf. notamment Cass. civ. 3, 20 mars 2025, n° 23-18.472, FS-B N° Lexbase : A5311689.

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