Réf. : Cass. com., 29 janvier 2025, n° 23-20.836, F-B N° Lexbase : A38986S8
Lecture: 24 min
N2494B3R
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Claire Séjean-Chazal, Agrégée de droit privé - Université Sorbonne Paris Nord, Membre du comité scientifique de la revue Lexbase Contentieux et recouvrement
le 08 Juillet 2025
Mots-clés : action paulienne • droit de gage général • appauvrissement • insolvabilité • saisie • cession • opposabilité • fraude
L'action paulienne permet de protéger le créancier chirographaire contre les actes frauduleux portant atteinte directe à l’étendue de son droit de gage général, mais aussi contre ceux portant atteinte à sa substance. L’arrêt du 29 janvier 2025 N° Lexbase : A38986S8 offre l’occasion de revenir sur le régime applicable à ces deux catégories d’actes, et de s’interroger sur la place que doivent prendre, pour chacune, les conditions d’appauvrissement et d’insolvabilité, dont la polysémie est parfois source de confusions.
En cas de défaillance de son débiteur, la situation du créancier chirographaire est caractérisée par sa fragilité. Dénué de tout droit privilégié, il ne dispose que des prérogatives offertes par les articles 2284 N° Lexbase : L1112HIZ et 2285 N° Lexbase : L1113HI3 du Code civil. Toutefois, il est exceptionnellement autorisé à s’immiscer dans la gestion du patrimoine de son débiteur, afin de protéger cette garantie minimale de l’exécution de l’obligation qu’est le droit de gage général. À ce titre, l’action paulienne permet au créancier « de faire déclarer inopposables à son égard les actes faits par son débiteur en fraude de ses droits » [1]. Le fondement de cette action, héritée du droit romain, est de protéger le créancier contre les actes « qui [le] placeront dans l’impossibilité d’exécuter sa créance, ou tout au moins, rendront une telle exécution plus difficile » [2]. L’article 1341-2 du Code civil N° Lexbase : L0672KZW ne donnant pas de précision quant aux conditions de succès de cette action, celles-ci ont été encadrées par la jurisprudence et la doctrine. Des questionnements demeurent cependant, ainsi qu’en témoigne l’arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 29 janvier 2025 N° Lexbase : A38986S8.
En l’espèce, une société était débitrice d’honoraires à l’égard de son expert-comptable en raison d’une mission achevée en décembre 2016 – dette confirmée en justice en 2019. Entre-temps, le 15 juin 2018, cette société a cédé son fonds de commerce à une autre, spécialement créée en vue de cette reprise, par le gérant de la débitrice et son épouse. La société débitrice est ensuite placée en liquidation judiciaire. L’expert-comptable, créancier, a alors assigné la nouvelle société, acquéreur du fonds de commerce, ainsi que le gérant et le liquidateur, afin de faire déclarer cette cession inopposable à son égard sur le fondement de l’action paulienne. Le créancier considère que la cession porte atteinte à ses droits, en ce qu’elle remplaçait, dans le patrimoine de son débiteur, un actif facilement saisissable – le fonds de commerce – par un actif plus facile à dissimuler – le prix de cession. Une telle opération de substitution peut constituer un acte répréhensible sur le fondement de l’action paulienne, selon une jurisprudence constante [3], qui a ajouté cette catégorie d’actes aux actes directs d’appauvrissement du débiteur traditionnellement ciblés par l’action paulienne.
Toutefois, la cour d’appel a rejeté la demande du créancier au motif que ce dernier « ne rapportait pas la preuve de l’insolvabilité, au moins apparente, de la société [débitrice] au moment de la cession de son fonds de commerce ». Le pourvoi faisait alors valoir que « l’action paulienne portant sur un acte ayant pour effet de faire échapper un bien aux poursuites des créanciers en le remplaçant par des fonds plus aisés à dissimuler n’est pas conditionnée à la preuve de l’insolvabilité apparente du débiteur ».
La Cour de cassation devait donc décider si, face à cette catégorie spécifique d’actes défavorables au créancier, il était nécessaire d’apporter, en plus, la preuve de l’insolvabilité du débiteur au moment de l’opération contestée. La Chambre commerciale répond que, dans cette hypothèse, la preuve de l’appauvrissement n’est pas une condition nécessaire au succès de l’action, et qu’en décidant le contraire, la cour d’appel aurait « ajouté à la loi une condition qu’elle ne prévoit pas ».
Cet arrêt a suscité diverses lectures : erreur de plume [4], disparition de la condition d’appauvrissement, disparition de l’insolvabilité du champ de l’action paulienne [5]... Ces différences d’appréciation semblent s’expliquer notamment par la pluralité de définitions et de fonctions attribuées à l’appauvrissement et à l’insolvabilité.
La question posée aux juges étant délimitée temporellement et substantiellement, nous proposons d’examiner la réponse selon les mêmes limites. Pour ce faire, nous commencerons par rappeler le régime de l’action paulienne pour les actes traditionnellement condamnés : ceux portant une atteinte directe à l’étendue du droit de gage général (I), pour ensuite envisager le régime des actes portant une atteinte directe à la substance du droit de gage général [6], comme c’était le cas en l’espèce (II).
I. Les atteintes directes à l’étendue du droit de gage général
Selon la conception classique, héritée du droit romain, l’action paulienne est un moyen de lutter contre l’insolvabilité frauduleusement organisée par le débiteur. Sont ainsi incriminés les actes qui diminuent l’actif du débiteur de manière à faire disparaître l’assiette du droit de poursuite des créanciers. C’est alors l’étendue du droit de gage général qui est protégée par l’action paulienne [7]. Le créancier ne pourra obtenir satisfaction qu’à condition d’avoir démontré l’existence d’un acte frauduleux (A), qui a causé une atteinte réelle à ses droits (B).
A. La fraude
La seule condition prescrite par la loi est que l’acte contesté soit fait « en fraude [des] droits » du créancier. L’actuel article 1341-2 du Code civil [8] N° Lexbase : L0672KZW n’impose de prouver ni l’appauvrissement du débiteur, ni même son insolvabilité, pas plus que ne le faisait l’ancien article 1167 N° Lexbase : L1269ABM. Pour autant, ce sont des conditions classiquement présentées comme nécessaires au succès de l’action, en ce qu’elles permettent de caractériser cette fraude.
En premier lieu, protéger les créanciers contre la diminution de l’assiette de leur droit de poursuite implique d’identifier des actes « d’appauvrissement ». L’expression doit être ici entendue au sens strict « d’acte par lequel le débiteur entame sans contrepartie son patrimoine » [9]. C’est l’appauvrissement au sens comptable, de l’actif du débiteur, qui permet de déterminer l’existence d’une diminution de l’étendue du droit de gage général.
Sont donc concernés au premier chef les actes à titre gratuit. Par définition, il s’agit des actes réalisés « sans attendre ni recevoir de contrepartie » [10]. Mais sont également visés les actes qui, bien que réalisés à titre onéreux, se révèlent lésionnaires. Quoique l’acte prévoie une contrepartie, cette nouvelle valeur entrante ne permet pas de rétablir l’équilibre comptable du patrimoine. À défaut de contrepartie équivalente pour reconstituer l’assiette de son droit de poursuite, le créancier chirographaire, dénué de droit de suite, est indiscutablement éprouvé par la disparition d’un bien de son débiteur.
Toutefois, un acte d’appauvrissement n’est pas répréhensible en lui-même. Même engagé dans les liens d’une obligation, le débiteur demeure libre de disposer de ses biens, quitte à s’appauvrir [11]. D’autres conditions sont donc nécessaires pour caractériser la « fraude » aux droits du créancier. Un élément intentionnel est évidemment requis : le débiteur doit avoir eu, si ce n’est l’intention, au moins la conscience de nuire à son créancier en passant cet acte.
Mais surtout, l’acte doit avoir causé l’insolvabilité du débiteur. L’insolvabilité est là encore comprise au sens strict, quantitatif, d’impossibilité de payer son passif avec l’actif disponible. Pour caractériser la fraude, la causalité entre l’appauvrissement et l’insolvabilité doit également être directe. Ce point est apprécié d’un point de vue temporel : la jurisprudence exige que l’existence de l’insolvabilité du débiteur soit prouvée à la date de l’acte contesté. Face à la difficulté probatoire que cela peut représenter, la jurisprudence accepte que le créancier ne prouve que l’insolvabilité apparente [12].
Une fois la fraude établie, le succès de l’action du créancier demeure subordonné à la démonstration d’une atteinte réelle à ses droits.
B. L’atteinte
Le créancier doit établir que l’acte a porté atteinte à ses droits, ce que l’on trouve parfois exprimé à travers l’exigence d’un « préjudice » pour le créancier. Le terme ne doit pas être entendu au sens du droit de la responsabilité, car il ne s’agit pas d’octroyer une quelconque indemnisation [13]. En effet, en cas de succès de l’action paulienne, l’acte contesté sera déclaré inopposable au créancier. Cela permettra de réintégrer, dans l’assiette du droit de poursuite du créancier, la valeur frauduleusement exfiltrée.
Cela signifie que le créancier doit démontrer un intérêt à agir au sens de l’article 31 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1169H43. Ce sera le cas si, à la date de la mise en œuvre de l’action par le créancier, l’actif du débiteur demeure insuffisant pour le remplir de ses droits. En effet, si le patrimoine du débiteur, bien que réduit, est suffisant pour le désintéresser au jour de ses poursuites, aucune atteinte aux droits du créancier ne pourra être retenue [14]. Cette position emporte l’adhésion d’une doctrine très majoritaire [15], quoique certains arrêts aient pu faire naître le doute [16].
Face aux actes portant une atteinte directe à l’étendue du droit de gage général, l’insolvabilité – causée par l’acte d’appauvrissement – est à la fois un élément constitutif de la fraude et une condition nécessaire au déclenchement de la sanction [17]. En va-t-il de même pour les actes modifiant la substance du patrimoine ? C’est ce que l’arrêt devait trancher.
II. Les atteintes directes à la substance du droit de gage général
Le champ d’application de l’action paulienne a été étendu en jurisprudence. Il est aujourd’hui admis que peuvent aussi être déclarés inopposables au créancier les actes qui rendent plus complexe l’exercice des droits du créancier [18]. Ces actes se distinguent de ceux de la première catégorie en ce que l’atteinte n’est pas portée directement à l’étendue du droit de gage général, mais à sa substance. L’acte sur lequel la Chambre commerciale devait se prononcer en l’espèce appartient à cette catégorie. Dès lors, les critères de la fraude (A) et de l’atteinte aux droits du créancier (B) peuvent être analysés au prisme des critères précédemment rappelés.
A. La fraude
Conformément aux principes de l’action paulienne, la conscience, pour le débiteur, de nuire aux droits de son créancier est évidemment exigée. En l’espèce, le montage utilisé, impliquant la création d’une société créée spécialement pour la reprise et dirigée par le gérant de la débitrice et sa femme, laissait peu de place au doute sur le caractère intentionnel de l’opération.
Quant à l’élément matériel de la fraude, il peut se manifester de plusieurs façons, qui ont en commun d’opérer une substitution de biens. Les actes visés sont ceux par lesquels le débiteur remplacerait un élément de son patrimoine par un autre, de nature différente, afin de complexifier sciemment la mise en œuvre du droit de poursuite de ses créanciers. La jurisprudence pointe les opérations permettant une modification en faveur d’un bien plus aisé à dissimuler [19] – une somme d’argent en lieu et place d’un bien matériel – ou plus difficile à appréhender – des parts sociales se substituant à un immeuble… C’est alors le contenu de l’assiette du droit de gage général qui est protégé. L’idée sous-jacente est qu’une modification substantielle du patrimoine du débiteur peut également porter atteinte au droit de poursuite du créancier, dont l’exercice pourrait s’en trouver compromis. Dans de tels cas, la fraude ne réside pas dans la diminution de l’actif ; elle est donc caractérisée sans que l’appauvrissement comptable du débiteur n’ait besoin d’être établi.
Pourtant, ce type d’opération est parfois qualifié en doctrine d’acte d’« appauvrissement ». Ce rattachement est fondé parfois sur une compréhension large de l’appauvrissement du débiteur, qui ne se limiterait pas au sens comptable [20], ou sur une appréciation de l’appauvrissement dans la personne du créancier plutôt que dans celle du débiteur [21]. Cette qualification est critiquable, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, elle est regrettable en ce qu’elle détourne la définition de l’appauvrissement [22]. De plus, elle est inutile : l’article 1341-2 N° Lexbase : L0672KZW ne faisant pas référence à un quelconque appauvrissement, la fraude peut être caractérisée sans lui, et le détour par cette qualification est superflu [23]. Enfin, elle est source de confusion : elle naît le plus souvent de la volonté de transposer le régime lié aux actes d’appauvrissement, ce qui crée des incompréhensions, comme le révèle l’arrêt étudié.
En l’espèce, le débiteur avait procédé à une cession de son fonds de commerce à un prix normal, lui substituant donc une somme d’argent. Étonnamment, la cour d’appel avait estimé que, pour obtenir satisfaction, le créancier aurait dû prouver « l’insolvabilité, au moins apparente, [du débiteur] au moment de la cession ». On ne peut que s’étonner de ce raisonnement : comment un acte à titre onéreux, non déséquilibré, pourrait-il avoir directement causé l’insolvabilité du débiteur ? La Cour de cassation ne pouvait que casser la décision. Ainsi que le rappelle la Chambre commerciale, la preuve « de l’appauvrissement du débiteur » n’est pas requise lorsque la cession est consentie à prix normal. Nous sommes enclins à comprendre cette rédaction de l’arrêt, non pas comme une erreur de plume [24], mais comme un raisonnement a fortiori fondé sur la nature spécifique de l’acte controversé. Un acte à titre onéreux non lésionnaire n’emporte jamais appauvrissement du débiteur au jour de sa conclusion, et là ne réside pas la fraude. A fortiori l’exigence de l’insolvabilité du débiteur au jour de la cession est dénuée de sens. En l’imposant, la cour d’appel ajoutait effectivement « à la loi une condition qu’elle ne prévoit pas » [25].
L’appauvrissement au jour de la conclusion de l’acte n’est pas requis, car le risque pour le créancier est ailleurs ; ou plutôt, il est postérieur. La réalisation de ce risque permettra de caractériser l’atteinte portée aux droits du créancier, et donc son intérêt à agir.
B. L’atteinte
La substitution de biens est suspecte lorsqu’elle laisse soupçonner la volonté du débiteur de compliquer l’exercice des droits du créancier.
Les actes répréhensibles sont essentiellement ceux qui, en modifiant la consistance du patrimoine, portent en puissance un risque d’atteinte à son étendue [26]. Il en va ainsi, comme en l’espèce, d’une cession au juste prix, dès lors que la somme d’argent remplaçant le bien pourra plus rapidement et aisément être dissimulée que le bien cédé. Si le prix de cession est effectivement dissimulé postérieurement à l’acte, la diminution de l’actif n’est pas causée directement par l’acte contesté, mais elle en sera un effet collatéral, et la manifestation de l’atteinte concrète aux droits du créancier. Dans le même ordre d’idée, la Chambre commerciale a récemment cassé un arrêt d’appel dans lequel les juges du fond refusaient d’admettre l’inopposabilité d’un apport d’immeuble à une société au motif que l’acte n’avait pas causé d’appauvrissement du débiteur puisque l'immeuble, sorti du patrimoine, avait été remplacé par des droits sociaux pour une valeur équivalente. La Cour de cassation lui reproche de ne pas avoir recherché si « la difficulté de négocier les parts sociales et le risque d'inscription d'hypothèques sur l'immeuble du chef de la SCI ne constituaient pas des facteurs de diminution de la valeur du gage du créancier et d'appauvrissement du débiteur » [27], postérieurement donc à l’acte en cause.
Quoique non exigée à la date de l’acte, l’insolvabilité peut être requise au jour du déclenchement de l’action paulienne [28]. En effet, de même que, en cas d’appauvrissement comptable du débiteur le créancier n’a pas lieu de se plaindre si le patrimoine demeure suffisant pour le désintéresser, en cas de substitution de bien, le créancier ne pourra pas invoquer d’atteinte à ses droits s’il peut se payer sur l’actif existant, quand bien même la somme aurait été dissimulée. L’entrave effective au droit du créancier demeure une condition de l’intérêt à agir du créancier [29].
À y regarder de près, cette condition ne semblait pas poser de difficulté en l’espèce. En effet, quoique l’on ne connaisse pas le sort précis de la somme obtenue en contrepartie du fonds de commerce, la société débitrice avait été placée en liquidation judiciaire peu de temps après la cession [30]. L’intérêt à agir du créancier – son « préjudice » – était donc caractérisé en raison de l’insolvabilité du débiteur avérée postérieurement à l’acte incriminé [31]. Ainsi, il est donc possible d’avoir une interprétation stricte de la solution énoncée par la Chambre commerciale [32]. Quoique certains arrêts aient pu engendrer un doute, celui-ci ne nous semble pas agrandir les rangs d’une jurisprudence qui exclurait de manière générale l’insolvabilité du débiteur du régime de l’action paulienne [33].
Cependant, une zone de souplesse demeure : celle des actes modifiant la substance du patrimoine, sans entraîner d’appauvrissement du débiteur, ni créer en germe la possibilité d’organiser plus facilement son insolvabilité. Ce qui est reproché au débiteur est alors de faire entrer dans son patrimoine des biens plus difficiles à appréhender, voire impossibles à saisir. L’exercice des droits du créancier est alors entravé, sans qu’une insolvabilité comptable ne puisse être caractérisée. La difficulté procédurale ainsi créée est-elle suffisante pour justifier l’intérêt à agir du créancier ?
De deux choses l’une. Soit le créancier est titulaire d’un droit spécial sur le bien objet de l’acte, et la jurisprudence est claire : « l’action paulienne peut être accueillie indépendamment de toute exigence d’insolvabilité du débiteur lorsque l’acte critiqué rend frauduleusement inefficace un droit particulier dont est investi le créancier sur des biens particuliers de celui-ci » [34].
Soit le créancier est chirographaire, et l’atteinte aux droits du créancier ne se manifeste pas dans l’insolvabilité comptable du débiteur. Lorsque ce dernier s’est frauduleusement constitué un actif de biens majoritairement insaisissables, il n’est pas insolvable au sens d’une cessation des paiements. Pour autant, l’atteinte portée au droit du créancier de faire exécuter sa créance est du même ordre : il ne peut obtenir paiement grâce à la saisie de l’actif du débiteur. Son intérêt à agir doit être admis. La situation confine à l’insolvabilité, non pas quantitative, mais substantielle [35].
Qu’en est-il enfin lorsque le débiteur s’est frauduleusement constitué un patrimoine composé de biens, non pas insaisissables, mais majoritairement difficiles à appréhender ou liquider ? Il faut admettre que dans de tels cas, l’intention frauduleuse du débiteur est sans doute plus évidente que lorsqu’il a soustrait ses biens aux poursuites des créanciers en faisant profiter autrui de son propre appauvrissement [36]. L’atteinte aux droits du créancier doit également pouvoir être reconnue, malgré l’absence d’insolvabilité quantitative.
En définitive, l’action paulienne ne peut se résumer en une sanction des actes d’appauvrissement entraînant l’insolvabilité du débiteur. Cet arrêt permet de se rappeler que, loin de son héritage romain [37], l’action paulienne n’est pas tant une protection contre l’insolvabilité de son débiteur, mais bien davantage une protection de la force obligatoire de l’obligation [38].
[1] C. civ., art. 1341-2 N° Lexbase : L0672KZW.
[2] L. Sautonie-Laguionie, « Action paulienne », Rép. Civ. Dalloz, n° 1.
[3] Cass. civ. 3, 28 novembre 1973, n° 72-14.443, publié au bulletin N° Lexbase : A3809CKB ; Cass. com., 1er mars 1994, n° 92-15.425, publié au bulletin N° Lexbase : A7015ABG ; Cass. com., 23 mai 2000, n° 96-18.055, inédit au bulletin N° Lexbase : A1542CZ7.
[4] V. F. Buy, « Grand vent pour l’action paulienne exercée contre les actes du débiteur failli », Revue pratique droit des affaires, février 2025, n° RDA100e6 ; C. Revet, « Fraude paulienne : disparition de la condition d’appauvrissement ? », D., 2025, p. 621 ; T. Visciano, JCP E, 2025, 1068 ; L. Vitale.
[5] V. F. Buy, précit.
[6] Rapp. C. Revet, précit., utilisant une terminologie proche d’atteinte à la « consistance », v. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, F. Chénédé, Les obligations, Dalloz, 12ème éd., 2019, p. 1650.
[7] Catégorie identifiée par le Professeur L. Sautonie-Laguionie comme les « actes d’appauvrissement rendant impossible le paiement du créancier », précit, « Action paulienne », Rép. Civ. Dalloz, n° 53 et s.
[8] Issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 N° Lexbase : L7445MSK.
[9] Ass. H. Capitant, G. Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, Puf, coll. Quadrige, 15ème éd., 2024.
[10] C. civ., art. 1107, al. 2 N° Lexbase : L0818KZC.
[11] V. W. Dross, J-Cl. Civil code, Art. 1341-2 - Fasc. unique, maj. sept. 2024, n° 5.
[12] Cass. civ. 1, 5 décembre 1995, n° 94-12.266, Bull. civ. I, n° 443 N° Lexbase : A8033AB7.
[13] V. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, F. Chénédé, Les obligations, Dalloz, 12ème éd., 2019, p. 1645.
[14] Cass. civ. 1, 6 janvier 1987, n° 85-13.988, publié au bulletin, Bull. civ. I, n° 1 N° Lexbase : A6492AAP : « alors que la révocation prévue par le texte susvisé suppose établie l'insolvabilité du débiteur à la date de l'introduction de la demande, la cour d'appel, qui n'a pas recherché, ainsi que l'y invitaient les conclusions […] si à la date de la demande les biens dont les époux […] restaient propriétaires étaient suffisants pour désintéresser la société créancière, n'a pas donné de base légale à sa décision » ; Cass. civ. 1, 13 janvier 1993, n° 91-11.871, publié au bulletin N° Lexbase : A5809AHM ; Cass. com., 14 novembre 2000, n° 97-12.708, Bull. civ. IV, n° 173 N° Lexbase : A9316AHI ; Cass. civ 1, 12 juin 2001, 99-12.330, inédit au bulletin N° Lexbase : A5959ATU.
[15] V. entre autres W. Dross, précit., n° 74 ; C. Grimaldi, Droit des contrats, droitdescontrats.fr, 2025/2, n° 403 ; F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, F. Chénédé, Les obligations, p.1659 ; F. Zenati-Castaing, T. Revet, Cours de droit civil – obligations – régime, PUF, 2013, n° 70.
[16] V. not. Cass. civ. 1, 14 février 1995, n° 92-18.886 N° Lexbase : A4397AGX ; Cass. com., 23 mai 2000, 96-21.521, inédit au bulletin N° Lexbase : A0145AUW : « le succès de l'action paulienne n'étant pas subordonné à la preuve de l'insolvabilité [du débiteur], la cour d'appel, qui a constaté que la délibération votée le 26 juillet 1991 avait pour objet de réduire le gage des créanciers en fraude de leurs droits […] a légalement justifié sa décision ».
[17] En ce sens, v. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, F. Chénédé, Les obligations, Dalloz, 12ème éd., 2019, p. 1661.
[18] Catégorie identifiée par le Professeur L. Sautonie-Laguionie comme les « actes rendant plus difficile le paiement du créancier », précit, « Action paulienne », Rép. Civ. Dalloz, n° 56 et s.
[19] V. Cass. com., 1er mars 1994, n° 92-15.425, publié au bulletin N° Lexbase : A7015ABG ; Cass. com., 23 mai 2000, n° 96-18.055, inédit au bulletin N° Lexbase : A1542CZ7.
[20] V. not. M. Cormier, L’essentiel droit des contrats, mars 2025, DC0202u6 ; J. Flour, J.-L. Aubert, E. Savaux, L. Andreu, V. Forti, Les obligations Le rapport d’obligation, Sirey, 11ème éd., 2024, n° 20 ; T. Visciano, précit. ; L. Vitale, précit.
[21] V. not. J. François, Les obligations Régime général, Economica, 3ème éd., 2013, n° 303 : « la notion d’appauvrissement ne doit pas s’entendre en un sens exclusivement comptable. […] Cette solution est logique, dans la mesure où l’appauvrissement, qui caractérise le préjudice subi par le créancier, doit être apprécié en sa personne » ; H. Barbier, RTDciv. 2025, p. 91.
[22] Rapp. W. Dross, précit., n° 43 et s. qui les classe au titre des « actes n’appauvrissant pas le débiteur ».
[23] En ce sens, v. M. Julienne, Régime général des obligations, Lextenso, 5ème éd., 2024, n° 344.
[24] Contra, v. F. Buy, RPDA, fév. 2025.
[25] En ce sens, v. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, F. Chénédé, op.cit, n° 1594 : « Un critère exclusivement quantitatif [appauvrissement et insolvabilité] eût conduit à exclure du champ d’application de l’action paulienne les actes à titre onéreux conclus à des conditions normales ».
[26] Rapp. C. Revet, précit. p. 622.
[27] Cass. com., 29 mai 2024, n° 22-20.308, F-B N° Lexbase : A84095DS ; v. déjà Cass. civ. 3, 20 décembre 2000, n° 98-19.343 N° Lexbase : A2073AIM.
[28] En ce sens, v. L. Sautonie-Laguionie, précit. n° 57.
[29] En ce sens, v. M. Cormier, précit. ; L. Vitale, précit.
[30] Ce qui peut laisser supposer que les fonds avaient effectivement été dissipés ; v. J.-F. Barbiéri, « Fraude paulienne : substitution d’une somme d’argent au fonds social cédé », BJS203t2.
[31] Dans le même sens, v. Cass. civ. 1, 6 février 2001, n° 98-23.203, inédit au bulletin N° Lexbase : A3733ARP, dans lequel l’insolvabilité de la débitrice est relevée dès les faits.
[32] En ce sens, v. J.-F. Barbiéri, précit. ; T. Visciano, précit.
[33] Contra, v. F. Buy, précit.
[34] Cass. civ. 3, 6 octobre 2004, n° 03-15.392, F-P+B+I N° Lexbase : A5755DDI ; Cass. civ. 1, 8 avril 2009, n° 08-10.024, F-D N° Lexbase : A1067EGM ; Cass. civ. 1, 10 décembre 1974, n° 72-11.223, publié au bulletin N° Lexbase : A9712CGS.
[35] Rappr. W. Dross, précit., n° 39 qui indique qu’il faut « tenir compte des difficultés éventuelles de saisie des biens figurant dans le patrimoine du débiteur, notamment parce qu'ils sont situés à l'étranger, pour apprécier cet état d'insolvabilité ».
[36] V. T. Visciano, précit.
[37] V. L. Sautonie-Laguionie, précit. n° 2.
[38] V. M. Julienne, précit. n° 487 ; L. Sautonie-Laguionie, précit., n° 35 ; F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, F. Chénédé, op.cit, n°1594 ; L. Vitale, précit.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:492494