Réf. : CE, 2°-7° ch. réunies, 21 février 2025, n° 493902, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A86956WX
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N2475B33
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par Elise Carpentier, Professeure à l’Université d’Aix-Marseille
le 08 Juillet 2025
Mots clés : urbanisme • délais de recours • tierce opposition • suppression de l'appel • permis modificatif
Dans un arrêt rendu le 21 février 2025, le Conseil d’État a indiqué que les dispositions de l’article R. 811-1-1 du Code de justice administrative, qui ont pour objectif de réduire le délai de traitement des recours pouvant retarder la réalisation d’opérations de construction de logements ayant bénéficié d’un droit à construire, doivent être regardées comme concernant non seulement les recours dirigés contre des autorisations de construire, de démolir ou d’aménager, mais également, lorsque ces autorisations ont été accordées, les recours dirigés contre les décisions constatant leur péremption ou refusant de la constater. Il a aussi précisé que les voies de recours ouvertes contre la décision prise sur un recours en tierce opposition à une décision juridictionnelle sont les mêmes que celles qui sont prévues contre la décision dont la rétractation est demandée. Il a enfin énoncé qu’en cas de recours contentieux contre un permis de construire, le délai à l’issue duquel ce permis de construire est périmé en l’absence d’engagement des travaux dans le délai réglementaire, prorogé le cas échéant, est suspendu jusqu’à la date à laquelle la décision juridictionnelle rendue sur ce recours devient irrévocable.
Que les projets immobiliers donnent régulièrement lieu à contestation des tiers n’est pas nouveau, l’intensité des querelles étant souvent proportionnelle à l’ampleur des opérations envisagées. On assiste en revanche, depuis quelques années en droit de l’urbanisme, à l’émergence de voies de contestation nouvelles, qui n’est sans doute pas sans lien avec l’encadrement de plus en plus drastique dont a fait l’objet le contentieux des autorisations depuis une trentaine d’années, pour limiter les risques inhérents aux recours des tiers, sécuriser les projets et en faciliter la réalisation. On a vu, par exemple, des tiers déclencher des contentieux autour d’autorisations pourtant réputées définitives, en sollicitant leur retrait pour fraude et en contestant devant le juge la légalité du refus de procéder au retrait [1]. Non sans succès parfois [2]. On observe, également, un développement de procédures visant à faire constater la caducité d’autorisations d’urbanisme, par le maire dans un premier temps, puis par le juge en cas de refus du premier [3], en exploitant toutes les voies de recours concevables, même les plus extraordinaires… La décision n° 493902 rendue par le Conseil d'État le 21 février 2025, vient précisément clore un litige de ce type.
Dans cette affaire, la société HLM Logirem avait obtenu en 2016 un permis de construire autorisant l’édification de dix-huit logements collectifs sociaux. Un recours, intenté par un voisin, avait été rejeté en 2017 et une prorogation était tacitement intervenue en 2019. En mai 2021, une quinzaine de tiers avait demandé au maire de constater la péremption du permis, faute de commencement des travaux dans le délai imparti. Le maire ayant gardé le silence, les tiers avaient saisi le tribunal administratif de son refus implicite. Probablement sensible à cette pression, le maire avait finalement, peu de temps après, en septembre, constaté la caducité du permis en raison de l’absence de démarrage des travaux. À son tour, la société avait Logirem avait saisi le juge administratif de ce constat.
Dans un jugement du 18 décembre 2023, après avoir joint les deux demandes, le tribunal administratif de Marseille, estimant que les travaux avaient effectivement commencé dans les temps, avait accueilli le recours de la société Logirem en annulant le constat de caducité et rejeté la requête des 16 requérants. Ceux-ci avaient alors emprunté deux voies de contestation. D’une part, un pourvoi en cassation devant le Conseil d'État contre le jugement en tant qu’il avait rejeté leurs conclusions dirigées contre le refus implicite de constater ; d’autre part, une tierce opposition devant le tribunal de Marseille, visant à voir déclarer nul et non avenu le jugement en tant qu’il avait annulé le constat de péremption et à obtenir le rejet de la demande de la société Logirem tendant à l’annulation de cette décision. Le succès ne fut pas au rendez-vous dans un premier temps, puisque le Conseil d'État décida de ne pas admettre le pourvoi [4] et le président de la 4ème Chambre du tribunal administratif rejeta la tierce opposition pour irrecevabilité, les requérants ayant selon lui bien eu la qualité de parties à l’instance. Ce rejet fit à son tour l’objet d’un pourvoi devant le Conseil d'État, dont la décision, rendue le 21 février 2025 conformément aux conclusions du rapporteur public Clément Malverti [5], est riche d’enseignements, concernant aussi bien le champ d’application de la dispense d’appel (I), que la recevabilité de la tierce opposition (II) et les conditions de la caducité des autorisations d’urbanisme (III).
I. Le champ d’application de la dispense d’appel
La première question à laquelle devait répondre le Conseil d'État était celle de sa propre compétence pour connaître du pourvoi contre l’ordonnance du tribunal ayant déclaré irrecevable la tierce opposition contre le jugement ayant annulé le constat de caducité de l’autorisation d’urbanisme. Cette décision est-elle au nombre de celles qui, en vertu de l’article R. 811-1-1 du Code de justice administrative N° Lexbase : L2592MDD, sont rendues en premier et dernier ressort par les tribunaux administratifs ? Rappelons qu’en vertu de ce texte, dans sa version issue du décret du 24 juin 2022 applicable à l’espèce, l’absence d’appel concerne en premier lieu les décisions rendues par les tribunaux sur les recours contre « les permis de construire ou de démolir un bâtiment comportant plus de deux logements, les permis d'aménager un lotissement, les décisions de non-opposition à une déclaration préalable autorisant un lotissement ou les décisions portant refus de ces autorisations ou opposition à déclaration préalable lorsque le bâtiment ou le lotissement est implanté en tout ou partie sur le territoire d'une des communes mentionnées à l'article 232 du Code général des impôts N° Lexbase : L4115MGI et son décret d'application ».
Que le litige relève du champ d’application géographique du dispositif ne faisait aucun doute, Marseille étant effectivement au nombre des communes dites « tendues », où s’applique la taxe annuelle sur les logements vacants. Il était moins évident qu’il entre dans le champ d’application matériel de la dispense d’appel, car si le permis en cause portait bien sur un bâtiment comportant plus de deux logements (dix-huit en l’occurrence), les recours relatifs aux décisions prises en matière de péremption des autorisations d’urbanisme ne sont pas visés par le texte.
Néanmoins, après avoir rappelé l’objectif poursuivi par les dispositions en cause, consistant à « réduire le délai de traitement des recours pouvant retarder la réalisation d'opérations de construction de logements ayant bénéficié d'un droit à construire » dans les zones où la tension entre l'offre et la demande de logements est particulièrement vive, le Conseil d'État estime qu’elles « doivent être regardées comme concernant non seulement les recours dirigés contre des autorisations de construire, de démolir ou d'aménager, mais également, lorsque ces autorisations ont été accordées, les recours dirigés contre les décisions constatant leur péremption ou refusant de la constater ».
La reprise de la jurisprudence antérieure relative à l’ambition du dispositif [6] ne paraît plus tout à fait adéquate depuis l’intervention du décret de juin 2022, ayant très significativement étendu le champ d’application de la suppression de l’appel, notamment aux recours contre les refus d’autorisation, donc à des cas où aucun droit à construire n’a été préalablement reconnu. On ne peut cependant qu’approuver la solution retenue par le Conseil d'État. Car si celui-ci avait par le passé souligné le caractère exceptionnel de la dispense d’appel et la nécessité corrélative d’en interpréter le domaine strictement [7], l’intervention du décret de 2022 ayant substantiellement étendu le champ matériel et temporel (prorogeant une nouvelle fois l’expérimentation) de cette dispense, ne pouvait qu’inciter à plus de souplesse. Le Conseil d'État avait d’ailleurs déjà admis sa compétence pour connaître d’un jugement rendu sur un recours contre un refus de constater la caducité d’une autorisation [8]. Ne pas l’admettre s’agissant d’un recours contre une décision constatant la caducité d’une autorisation eût été incohérent.
Ce premier point réglé, encore fallait-il déterminer si la compétence directe du juge de cassation devait prévaloir lorsque la contestation concerne une décision statuant sur une tierce opposition. Le Conseil d'État l’admet, considérant que « les voies de recours ouvertes contre la décision prise sur un recours en tierce opposition à une décision juridictionnelle sont les mêmes que celles qui sont prévues contre la décision dont la rétractation est demandée ». Bien que relativement nouvelle [9], la solution paraît naturelle et bienvenue dans la perspective de sécurisation des autorisations d’urbanisme. Ainsi que le souligne le rapporteur public, la tierce opposition étant une voie de rétractation, il est logique que la voie de recours ouverte contre la décision se prononçant sur la tierce opposition soit la même que celle ouverte contre la décision frappée de tierce opposition. Sur le plan de l’opportunité aussi, admettre un appel contre l’ordonnance contestée au seul motif qu’elle est rendue sur une tierce opposition, « conduirait à réintroduire, du seul fait de l’exercice d’une voie de rétractation, donc sans réelle justification, un double degré de juridiction pour un litige pourtant soumis, dans le souci d’abréger les procédures contentieuses, au circuit court de la cassation directe ». Sa compétence admise, le juge de cassation devait examiner le pourvoi en se prononçant, en premier lieu, sur la recevabilité de la tierce opposition.
II. La recevabilité de la tierce opposition
Pour déclarer la tierce opposition irrecevable, le président de la 4ème Chambre du tribunal administratif de Marseille avait jugé que les requérants (tiers ayant sollicité le constat de caducité du permis de la société Logirem) avaient bien eu la qualité de parties à l’instance. Il s’était toutefois mépris sur la portée de leurs écritures en considérant qu’elles étaient dirigées contre le jugement en tant qu’il avait rejeté leur demande d’annulation du refus implicite de constater la caducité du permis de juillet 2019, alors qu’elles visaient en réalité le jugement en tant qu’il avait annulé le constat de péremption finalement dressé par le maire en septembre 2019 et attaqué par la société Logirem. L’ordonnance d’irrecevabilité est donc annulée par le Conseil d'État, qui choisit, pour ne pas allonger davantage un procès engagé depuis plus de 5 ans, de régler l’affaire au fond.
À cette fin, il commence par rappeler les deux conditions de recevabilité de la tierce opposition [10], qui n’est ouverte qu’à un cercle de tiers « privilégiés ». D’une part, la décision juridictionnelle doit préjudicier aux droits du tiers opposant ; d’autre part, celui-ci ne doit pas avoir été présent, représenté, ou régulièrement appelé dans l’instance ayant abouti à la décision [11]. Ces conditions étaient-elles remplies en l’occurrence ?
La jurisprudence applique la première condition avec une relative souplesse. Elle est satisfaite, s’agissant des litiges relatifs à une décision individuelle, bien sûr lorsque le requérant est le bénéficiaire direct de la décision, mais également lorsqu’il en a sollicité l’édiction [12]. Ainsi a-t-il été jugé, en matière d’autorisations d’urbanisme, que si les voisins d’un projet immobilier ne sont en principe pas recevables à former tierce opposition contre un jugement annulant un retrait de permis, il en va différemment lorsque le retrait était consécutif à une demande de leur part [13]. La décision ici commentée s’inscrit dans cette même perspective en posant que « si la qualité de voisin du projet de construction autorisé ne confère pas qualité pour former tierce opposition contre un jugement annulant la décision constatant la caducité du permis de construire, il en va autrement lorsque ce constat a été prononcé à sa demande ». Or, en l’espèce, il n’est pas douteux que le constat de caducité a été dressé suite à la demande des auteurs de la tierce opposition, quand bien même il ne l’a pas été dans les deux mois suivant leur demande. Le jugement annulant ce constat porte donc préjudice à leurs droits. La première condition est remplie.
La seconde condition était moins évidente à apprécier dès lors que, si la partie du jugement attaquée concernait le recours de la société Logirem contre la ville ayant constaté la caducité du permis, ce recours avait été joint par le tribunal à celui des tiers ayant attaqué le refus initial du maire de constater cette caducité, et le jugement traitait donc dans le même temps ces deux requêtes. Pouvait-on, dans cette configuration, considérer que les tiers opposants n’avaient pas été présents ou représentés dans l’instance relative à l’annulation du constat de péremption du permis alors qu’ils l’avaient évidemment été dans l’instance relative au refus d’établir ce constat ?
Ainsi que le rappelle C. Malverti dans ses conclusions, la jonction ne vaut pas fusion des instances et la qualité de partie ne s’étend pas d’une instance à l’autre par le seul fait de la jonction [14]. Il ajoute qu’en l’espèce, les deux affaires ont été instruites en tunnel, le tribunal n’ayant pas procédé à la communication croisée des écritures produites dans chaque instance. La question se posait cependant de savoir si les tiers opposants pouvaient être regardés comme ayant été représentés par la ville de Marseille, effectivement présente à l’instance et dont le constat de caducité faisait suite à leur demande.
En matière de tierce opposition, en effet, la représentation peut résulter non seulement d’un mandat, légal ou contractuel, mais également d’une situation de fait dans laquelle peuvent être caractérisés des intérêts concordants. Les propriétaires ayant consenti une promesse de vente à une société au titre de laquelle celle-ci a pu déposer une demande de permis de construire sur des terrains leur appartenant disposent par exemple d'intérêts concordant avec ceux du bénéficiaire du permis. Ils doivent donc être regardés comme ayant été représentés par la société bénéficiaire du permis, devenue propriétaire des terrains à la date du jugement du tribunal administratif, dans l'instance d'appel introduite par la commune à la suite de l'annulation du permis [15]. La jurisprudence est toutefois exigeante dans la caractérisation d’une telle représentation de fait, ne se contentant pas de simples communautés ou convergences d’intérêts, qui ne permettraient pas d’atteindre l’objectif poursuivi par la tierce opposition, consistant à restaurer le contradictoire ayant fait défaut dans l’instance contestée. Cela explique d’ailleurs la réticence de principe du Conseil d'État « à estimer qu’une personne privée est représentée par une personne publique, lesquelles sont par définition mues par des intérêts de nature foncièrement différente » [16]. Selon le rapporteur public, dans la mesure où le constat de caducité est intervenu à la demande des tiers opposants et sous la pression d’un référé-suspension contre son refus initial de le prendre, « on peut raisonnablement douter que la ville soit à ce point attachée à la défense de cette caducité que ses intérêts en la matière se confondent avec ceux des requérants » [17]. La formation de jugement le suit en considérant que « si le tribunal administratif de Marseille a joint les demandes présentées par la société Logirem et par (les tiers), ces derniers n'ont pas été appelés à l'instance opposant la société Logirem et la commune de Marseille. En outre, au regard de la nature de leurs intérêts respectifs, la commune de Marseille ne peut être regardée comme ayant représenté (ces tiers) dans cette instance ». La seconde condition est donc satisfaite et la tierce opposition recevable. Restait à se prononcer sur le bien-fondé de la requête, autrement dit sur la péremption de l’autorisation.
III. Les conditions de la caducité de l’autorisation
Le Code de l’urbanisme prévoit la péremption des permis de construire lorsque les travaux n’ont pas été entrepris dans le délai de trois ans suivant la notification de l’autorisation. Ce délai peut faire l’objet de deux prorogations d’un an [18]. Par ailleurs, il est suspendu, en cas de recours contre le permis, jusqu’au prononcé d’une décision juridictionnelle irrévocable [19]. L’application de ces dispositions posait deux questions en l’espèce.
La première était relative aux modalités de computation de ce délai en présence d’un recours, la formule retenue à l’article R. 421-19 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L8663LD9, selon laquelle le délai est « suspendu jusqu'au prononcé d'une décision juridictionnelle irrévocable » n’étant pas dénuée d’ambiguïté. Le délai redémarre-t-il, pour la durée restant à courir, à la date du prononcé de la décision de justice ou à la date à laquelle elle est irrévocable ? Confirmant le jugement rendu en première instance, le Conseil d'État retient la seconde option. C’est un apport supplémentaire de sa décision que de clarifier ce point, dans le sens certainement le plus conforme aux aspirations des auteurs de la loi « Engagement national pour le logement » (loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 N° Lexbase : L5633MSG) ayant créé ce cas de suspension en 2006 [20]. En pratique, il est clair que les titulaires d’autorisations faisant l’objet d’un contentieux n’attendent pas seulement que le recours ait été rejeté pour réaliser leur projet, mais bien qu’il l’ait été définitivement, autrement dit que la décision juridictionnelle ne soit plus susceptible de voies de réformation (appel et/ou cassation). Leurs conseils et financeurs ne leur laissent que rarement de choix sur ce point d’ailleurs. L’interprétation de la règle est donc aussi la plus adéquate sur le plan opérationnel.
Dans l’affaire ici commentée, l’application du principe ainsi posé conduit à fixer la date d’expiration du délai de validité [21] du permis au 18 juillet 2021. En effet, le permis litigieux avait été notifié à la société Logirem le 5 avril 2016 ; une prorogation d’un an avait été obtenue ; et le recours en annulation introduit le 13 septembre 2016 avait été rejeté le 26 octobre 2017 par un jugement devenu irrévocable le 28 décembre 2017.
La seconde question, purement factuelle cette fois, était donc de savoir si les travaux avaient effectivement commencé avant le 18 juillet 2021. Les tiers opposants soutenaient que le tribunal avait inexactement qualifié les faits de l’espèce en jugeant que les travaux entrepris avant l’expiration du délai de péremption du permis avaient suffi à interrompre ce délai. Le Conseil d'État rejette leur argumentation, « eu égard à la nature et l'importance des travaux effectués par le pétitionnaire à cette date ».
La motivation demeure toutefois économe, le Conseil d'État ne donnant aucune indication plus précise sur les travaux en question. Un éclairage est toutefois offert par les conclusions du rapporteur public, qui expose « qu’il ressort d’un constat d’huissier du 8 juillet 2021 qu’à cette date, soit dix jours avant l’expiration du délai de validité du permis, une base de vie de chantier avait été installée (un WC de chantier, un local d’outillage tecnhique), qu’un compresseur et une pelleteuse étaient présents sur les lieux et que trois micropieux avaient été réalisés, d’autres étant en voie de réalisation ». La solution paraît assez souple au regard de la jurisprudence « traditionnelle », qui ne se contente généralement pas de la présence d’engins de chantiers et de travaux de faible ampleur au regard du projet autorisé, particulièrement s’ils ont été réalisés juste avant la péremption, ces circonstances laissant à penser que les travaux en cause n’ont été réalisés que pour faire obstacle à la péremption de l’autorisation [22]. Or, tel semble tout de même un peu être le cas en l’occurrence (où un constat d’huissier dressé dix jours avant la péremption constate la réalisation de trois micropieux, pour un projet de construction de dix-huit logements collectifs). Il est arrivé que le Conseil d'État se contente de travaux relativement modestes avant la date d’acquisition de la péremption, mais souvent en relevant que ceux-ci avaient été suivis de travaux plus importants par la suite [23]. Rien de tel dans la décision commentée ni dans ses conclusions.
La décision rendue le 21 février 2025 conforte toutefois une tendance à plus de mansuétude chez les juges du fond ces dernières années [24]. Cet assouplissement n’est cependant pas si surprenant, dans la mesure où il évite de fragiliser les projets immobiliers par une application trop stricte des règles régissant la caducité des autorisations, à une époque où les pouvoirs publics multiplient les efforts pour les faciliter [25]. Et il faut reconnaître que ces règles, en vertu desquelles les autorisations peuvent perdre leur vigueur par le simple écoulement du temps faute de travaux suffisants, et sans que cela ne nécessite l’intervention d’aucun acte administratif, ne sont pas d’un maniement aisé par les opérateurs immobiliers. Sans compter qu’une fois le délai de trois ans (éventuellement prorogé) écoulé, l’autorisation est également frappée de caducité si les travaux sont interrompus pendant plus d’un an. Et il est loin d’être évident que ce délai soit suspendu en cas de contentieux relatif à la caducité du permis…
[1] CE, 5 février 2018, n° 407149, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6125XCT.
[2] CE, 26 avril 2018, n° 410019, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8829XLL.
[3] CE 13 juillet 2011, n° 320448, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0244HWX, annulant, à la demande d’un tiers et d’une association intéressés, le refus d’un maire de constater la caducité d’un permis.
[4] Décision du 25 octobre 2024.
[5] Accessibles sur Ariane Web.
[6] CE, Sect., 5 mai 2017, n° 391925, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9887WBS, et CE, 26 avril 2022, n° 452695, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A59077UC, intégrant au champ de la dispense d’appel les recours contre les retraits et les refus de retrait des autorisations.
[7] CE, 15 décembre 2021, n° 451285, mentionné aux tables du recueil Lebon, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A99967HP, refusant de l’appliquer à un jugement rendu sur un recours tendant à l'annulation du sursis à statuer opposé à une demande de permis d'aménager un lotissement, quand bien même l'arrêté attaqué aurait eu pour effet de retirer un permis d'aménager tacite.
[8] CE, 22 novembre 2022, n° 461869, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A96598TW.
[9] Cf. auparavant implicitement : CE, 4 mai 2018, n° 408708, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6278XMH.
[10] Auxquelles il faut vraisemblablement ajouter en l’occurrence l’obligation de notification inscrite à l’article R. 600-1 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L9492LPA, dont le Conseil d'État a récemment jugé qu’elle s’impose, à peine d'irrecevabilité, par le requérant qui interjette appel ou se pourvoit en cassation contre une décision juridictionnelle qui constate l'absence de caducité d'un permis de construire, et annule, pour ce motif, une décision constatant cette caducité : CE, 12 avril 2023, n° 456141, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A00529PM.
[11] CJA, art. R. 832-1 N° Lexbase : L3318ALH.
[12] CE, 28 mai 1997, n° 169836, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9915ADL.
[13] CE, 28 avril 1997, n° 133879, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9239ADK. En revanche, des tiers ne sont pas recevables à former tierce opposition contre un jugement annulant un refus d’autorisation d’urbanisme (CE, 22 décembre 1976, n° 01555 N° Lexbase : A5637B8B et CE, 19 juillet 1991, n° 80751 N° Lexbase : A2115ARR) ou un certificat d’urbanisme négatif (CE, 5 avril 2006, n° 275742, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9506DNE).
[14] CE, 5 juillet 1995, n° 138734, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5062ANS.
[15] CE, 8 février 1999, n° 161799, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4507AX9.
[16] C. Malverti, concl. préc.
[17] Ibid.
[18] Un régime plus protecteur est temporairement mis en place par le décret n° 2025-461 du 26 mai 2025 N° Lexbase : L7534M9W prorogeant le délai de validité des autorisations d'urbanisme délivrées entre le 1er janvier 2021 et le 28 mai 2024. Notamment, ce texte porte à cinq ans le délai de validité des autorisations intervenues entre le 28 mai 2022 et le 28 mai 2024.
[19] C. urb. art. R. 424-17 N° Lexbase : L5313KWP et s. Signalons que lorsque la réalisation d’un projet est subordonnée à l’obtention d’une autorisation au titre d’une autre législation, le délai de péremption du permis ne court qu’à compter de la date à laquelle les travaux peuvent commencer en application de cette autre autorisation (CE, 10 février 2017, n° 383329, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9955TMN) Par ailleurs, si la délivrance d'un permis de construire modificatif n'a pas pour effet de faire courir à nouveau le délai de validité du permis de construire initial, le recours contentieux formé par un tiers à l'encontre de ce permis modificatif suspend ce délai jusqu'à l'intervention d'une décision juridictionnelle irrévocable (CE, 19 juin 2020, n° 434671, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A08453PY).
[20] La cour administrative d’appel de Marseille avait déjà retenu cette option auparavant : CAA Marseille, 6 avril 2023, n° 21MA01935 N° Lexbase : A92199ME.
[21] Il serait plus approprié de parler de vigueur que de validité qui – dans la conception kelsénienne au moins – renvoie à la question de la conformité d’un acte aux normes supérieures opposables de l’ordre juridique.
[22] CE, 3 janvier 1975, n° 93525 N° Lexbase : A2010B7L ; CE, 16 avril 1975, n° 94329, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1141B8R ; CE Sect., 16 février 1979, n° 03646, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1021B8C ; CE Sect., 4 juin 1982, n° 26684, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9939AKC ; CE, 2 décembre 1987, n° 56789, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3514APT ; CE, 28 juillet 1999, no 191375 N° Lexbase : A9327B8X ; CE, 21 juin 2002, n° 211864 N° Lexbase : A9680AY8.
[23] CE, 29 avril 1983, n° 20386 N° Lexbase : A1059AM8 ; CE, 28 janvier 1987, no 39146 N° Lexbase : A3175APB.
[24] Ont été jugés aptes à interrompre le délai de péremption des travaux de fouilles, de terrassement et de coulage des premières fondations (CAA Marseille, 6 octobre 2011, n° 10MA00919 N° Lexbase : A5099HZU) ; ou encore la réalisation de terrassements, de fondations bétonnées et en des travaux de raccordement (CAA Marseille, 31 mars 2011, n° 09MA01666 N° Lexbase : A2660HP9).
[25] Le décret précité du 26 mai 2025 prorogeant le délai de validité des autorisations en témoigne.
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