Réf. : Loi n° 2025-127 du 14 février 2025, de finances pour 2025 N° Lexbase : L4133MSU
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le 16 Juin 2025
Dans le cadre du renforcement des mesures visant à lutter contre les pratiques d’arbitrage de dividendes dites « CumCum », la loi de finances pour 2025 a introduit certaines modifications concernant l’imposition des personnes physiques associées résidant fiscalement hors de France. Lexbase a interrogé Antoine Aufrand, Ingénieur Fiscal et patrimoniale, Fondateur et Gérant du cabinet Hypérion Strategy*.
Lexbase : Pouvez-vous nous expliquer les règles relatives à la retenue à la source sur les dividendes ?
Le régime français de la retenue à la source sur les dividendes distribués à des non-résidents repose sur une assise normative claire, fondée sur l'article 119 bis, 2 du Code général des impôts N° Lexbase : L5816M8W. Ce dernier dispose que les revenus distribués par des personnes morales établies en France à des personnes qui n'y ont ni leur domicile fiscal ni leur siège sont soumis à une retenue à la source, prélevée au moment de la mise en paiement des revenus.
Cette retenue est opérée au taux de droit commun de 12,8 % lorsqu'il s'agit de personnes physiques, taux aligné depuis 2018 sur le prélèvement forfaitaire unique. Pour les personnes morales, le taux est fixé à 25 %, également depuis 2022, en cohérence avec le taux de droit commun de l'impôt sur les sociétés. Ce taux peut toutefois être porté à 75 % lorsque le bénéficiaire est résidant d'un État ou territoire non coopératif au sens de l'article 238-0 A du CGI N° Lexbase : L6050LMZ.
Ces taux, posés en droit interne, sont à considérer sous réserve des stipulations contraires des conventions fiscales internationales. Celles-ci peuvent prévoir des taux réduits, voire une exonération pure et simple de retenue à la source en France lorsque la convention consacre une imposition exclusive dans l’État de résidence. C'est notamment le cas de certaines conventions conclues avec les Émirats arabes unis, le Qatar ou encore le Koweït.
Ce cadre conventionnel, conjugué à l'absence de retenue à la source pour certains résidents français (exonération de plein droit ou à raison de leur statut), a donné lieu à des pratiques d'arbitrage de dividendes dites « CumCum ». Celles-ci consistent, pour un investisseur non-résident, à transférer temporairement la propriété des titres à un résident fiscal français à l'approche de la date de détachement du dividende, afin de bénéficier d'une imposition allégée, voire nulle. Le dividende est ainsi perçu sans ou avec une faible retenue à la source, avant que les titres ne soient rétrocédés à leur propriétaire initial. Le gain net est partagé entre les parties au montage.
Pour lutter contre ces schémas, la loi de finances pour 2019 a introduit l'article 119 bis A du CGI N° Lexbase : L5817M8X. Ce texte prévoit que les dividendes versés à raison de cessions ou de transferts temporaires de titres intervenus dans une période de 45 jours incluant la date de détachement sont réputés être soumis à la retenue à la source, sauf preuve contraire. Il s'agit d'un dispositif anti-abus spécifique, fondé sur une présomption de fraude.
Lexbase : Quels sont les changements opérés par la loi de finances sur ces aspects ?
La loi de finances pour 2025 modifie en profondeur l'équilibre du régime existant, en réponse à une jurisprudence du Conseil d'État venue censurer la position administrative précédente. Elle apporte trois ajustements notables.
Premièrement, elle insère, à compter du 16 février 2025, une référence expresse au « bénéficiaire effectif » dans le texte de l'article 119 bis du CGI. Jusqu'alors, cette notion n'était présente que dans la doctrine administrative, laquelle avait été invalidée par le Conseil d'État dans son arrêt du 8 décembre 2023 (CE Contentieux, 8 décembre 2023, n° 472587, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A859817L). Le juge administratif avait estimé que l'administration ne pouvait subordonner l'application des conventions fiscales à la qualité de bénéficiaire effectif sans base légale expresse.
Deuxièmement, à compter du 1er janvier 2026, la loi prévoit que, même en présence d'une convention exonératoire, la retenue à la source devra être appliquée par défaut. Le bénéficiaire pourra obtenir son remboursement uniquement s'il démontre qu'il est le bénéficiaire effectif des dividendes et qu'il satisfait à toutes les conditions prévues par la convention. Il s'agit d'un renversement de la logique jusqu'alors admise : la preuve de l'exonération repose désormais sur le contribuable.
Enfin, les établissements payeurs auront l'obligation de pratiquer systématiquement la retenue selon les taux de droit interne, à moins que le bénéficiaire ne fournisse dès l'origine l'ensemble des éléments justifiant de son droit à exonération, notamment l'attestation de résidence fiscale (formulaire 5000) et les documents probants relatifs à la qualité de bénéficiaire effectif.
Ce nouveau dispositif consacre une approche matérialiste, orientée vers la réalité économique des flux et des entités. Il s’agit d’une réorientation claire vers une logique de transparence, fondée sur la substance plutôt que sur la forme.
Lexbase : L'administration fiscale a, dans un rescrit en date du 17 avril dernier, donné des précisions sur ces nouvelles mesures. Quels sont les éléments apportés par l'administration ?
Le rescrit du 17 avril 2025 fournit deux types de précisions attendues : d'une part, sur le fait générateur de la retenue à la source, et d'autre part, sur les modalités temporelles d'application du nouveau régime.
Concernant le fait générateur, l'administration opère une distinction entre les versements directs de dividendes et les transferts de valeur. Dans le premier cas, la retenue est exigible à la date de mise en paiement. Dans le second, elle devient due dès lors que l'accord sur la chose (c.-à-d. la nature des actifs ou droits transmis) et le prix est considéré comme définitivement conclu entre les parties. Cette précision est essentielle pour appréhender les montages contractuels qui permettent de découpler la propriété juridique des titres et la perception effective du dividende.
Quant à l'entrée en vigueur, l'administration distingue également les deux situations. Les distributions effectuées à compter du 16 février 2025 sont soumises aux nouvelles règles. En revanche, pour les transferts de valeur, le dispositif ne s'applique qu'à ceux pour lesquels l'accord sur la chose et le prix intervient postérieurement à cette date. Cette clarification permet d'éviter toute remise en cause des opérations antérieures non encore dénouées, sous réserve qu'elles aient été convenues avant le 16 février.
Lexbase : Ces éléments sont-ils pleinement clarifiants ou laissent-ils encore place à des incertitudes sur certains montages ?
Si ce rescrit constitue une avancée dans la délimitation du champ d'application des mesures, il subsiste des incertitudes notables.
En premier lieu, la définition exacte des « transferts de valeur » demeure lacunaire. Le texte laisse entendre qu'il vise notamment les schémas de prêt-emprunt de titres, mais il ne s’exprime pas de manière exhaustive sur les opérations hybrides, telles que les conventions de gestion fiduciaire, les contrats de swap économique ou les montages impliquant des entités relais.
En deuxième lieu, la preuve de la date de l'accord sur la chose et le prix pourrait se révéler délicate en pratique, en particulier pour les opérations réalisées sur plateformes ou dans le cadre de mandats de gestion sans formalisation expresse. L'absence de formalisme exigé laisse place à une forte insécurité juridique.
Enfin, le traitement des opérations dites "mixtes", c'est-à-dire celles initiées avant le 16 février 2025 mais finalisées postérieurement, reste ambigu. Le rescrit n'indique pas si la date à retenir est celle de l'intention, de la résolution contractuelle, ou de l'exécution effective.
Dans ce contexte, il est recommandé aux opérateurs en particulier aux établissements financiers et aux entités résidentes distribuant des dividendes de constituer une documentation probatoire rigoureuse, et d'envisager, dans les situations complexes, le recours au rescrit individualisé. La sécurisation juridique des montages passe nécessairement par une traçabilité accrue et une vigilance documentée sur les éléments de substance économique.
*Propos recueillis par Marie-Claire Sgarra, Rédactrice en chef de Lexbase Fiscal et Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public
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