Le Quotidien du 28 mai 2025 : Union européenne

[Questions à...] Guerre commerciale avec les USA, quelle efficacité pour le Règlement anti-coercition de l’UE ? Questions à Marc Mossé, August Debouzy

Réf. : Règlement (UE) n° 2023/2675 du 22 novembre 2023, relatif à la protection de l’Union et de ses États membres contre la coercition économique exercée par des pays tiers N° Lexbase : L5852MKX

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[Questions à...] Guerre commerciale avec les USA, quelle efficacité pour le Règlement anti-coercition de l’UE ? Questions à Marc Mossé, August Debouzy. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/119701091-questions-a-guerre-commerciale-avec-les-usa-quelle-efficacite-pour-le-reglement-anticoercition-de-lu
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le 28 Mai 2025

Mots clés : guerre commerciale • tarifs douaniers • protectionnisme • coercition • Union européenne

Le Règlement (UE) n° 2023/2675 du 22 novembre 2023, relatif à la protection de l’Union et de ses États membres contre la coercition économique exercée par des pays tiers, pourrait faire l’objet d’une première utilisation par l’Union européenne dans le cadre du conflit commercial décidé par Donald Trump et mené à travers la hausse des tarifs douaniers applicables aux marchandises importées sur le sol américain. Un pilotage fin de cet outil devra être cependant opéré pour ne pas mener à une escalade contre-productive pour les entreprises européennes et les consommateurs ni affaiblir davantage le droit du commerce international. Pour faire le point sur une éventuelle activation de ce mécanisme inédit, Lexbase a interrogé Marc Mossé, Senior counsel, August Debouzy*.


 

 

Lexbase : Pouvez-vous nous rappeler les objectifs du Règlement anti-coercition du 22 novembre 2023 ?

Marc Mossé : Le Règlement anti-coercition du 22 novembre 2023 s’inscrit dans la volonté de l’Union européenne de s’affirmer comme une puissance commerciale souveraine et autonome. Ce texte lui permet d’adopter, en réaction à des mesures économiques hostiles voire agressives de la part d’un État tiers, des mesures de ripostes crédibles et graduées tout en conservant une approche la plus convergente possible de l’ensemble des États membres. Ce nouvel instrument a été pensé dans le cadre d’une montée des tensions du commerce international alors que le multilatéralisme est en crise. Il s’agissait de doter l’Union européenne et ses États membres d’un instrument original adapté aux nouvelles complexités d’un monde en tension, et cela avant même l’élection du Président D. Trump aux États-Unis. Adopté en écho, notamment, des menaces de représailles de la Chine vis-à-vis de la Lituanie alors que cet État membre de l’Union développait ses relations avec Taiwan, ce Règlement a vocation à s’appliquer dans toute situation qui peut être qualifiée de coercition économique. Comblant un certain vide dans l’arsenal de la politique commerciale commune de l’Union, il permet à celle-ci et à ses États membres de riposter tout en respectant ses obligations issues du droit international.

Si ce texte est parfois présenté comme défensif, son objectif premier reste d’abord dissuasif, comme l’a rappelé M. Valdis Dombrovskis, commissaire européen au Commerce, lors des échanges interinstitutionnels. Il s’agit d’un « instrument de dissuasion qui par sa seule existence, doit inciter les pays tiers tentés d’exercer des pressions sur l’Union ou l’un de ses États membres à y renoncer » [1].

En effet, le Règlement privilégie dans un premier temps la négociation entre l’Union, via la Commission investie d’un mandat ad hoc, et le pays tiers coercitif pour régler le différend à l’amiable et ainsi faire cesser la coercition. Le processus mis en place par le Règlement doit permettre de désamorcer les crises. Ce n’est qu’en dernier ressort, et donc après échec de ces possibles négociations, que l’Union adopterait des mesures de riposte contre ce pays tiers.

Lexbase : Quels éléments pourraient pousser l'UE à en faire application ?

Marc Mossé : L’Union pourrait faire application de ce Règlement en cas de pression commerciale exercée par un État tiers et qui serait considérée comme illégitime et grave.

L’élément déclencheur de ce nouvel instrument commercial est l’existence avérée d’une coercition économique. Celle-ci est définie par l’article 2 du Règlement comme une « situation dans laquelle un pays tiers applique ou menace d’appliquer une mesure affectant le commerce ou les investissements dans le but d’empêcher ou d’obtenir la cessation, la modification ou l’adoption d’un acte particulier par l’Union ou un État membre, et interfère dans les choix souverains de l’Union ou d’un État membre ». Cette définition semble englober à la fois des actes licites et illicites au regard du droit international.

La Commission doit examiner, de sa propre initiative ou sur saisine dûment justifiée, par un État membre, une entreprise ou pourquoi pas une association professionnelle, si la mesure adoptée par le pays tiers constitue un cas de coercition économique, en fonction de son intensité, de sa durée, sa fréquence mais également de son ampleur. Cela suppose que la personne qualifie la situation et indique, par exemple, si la mesure du pays tiers est en vigueur, en application ou pas encore et, si adoptée, comment ladite mesure du pays tiers affecte le commerce ou les investissements internationaux et comment l’Union ou l’un de ses États membres est affecté ? Autre point important, il faut démontrer comment le pays tiers compte, par sa mesure, empêcher ou obtenir la cessation, la modification ou l’adoption d’un acte particulier par l’Union ou un État membre.

Les tarifs douaniers imposés par l’administration Trump les 12 mars et 2 avril derniers ont soulevé la question de l’utilisation, pour la première fois, de ce Règlement. Il en va de même avec les nouvelles déclarations du Président des États-Unis ce vendredi 23 mai, établissant un lien entre la menace d’augmentation des droits de douane visant spécifiquement l’UE au motif, notamment, de sa politique dénoncée comme visant prétendument les entreprises états-uniennes via, entre autres politiques, les différentes législations (DMA, DSA,…) adoptées ces dernières années. De telles déclarations ajoutées à d’autres, mais pour l’instant sans mise en œuvre formelle, pourraient, en première analyse succincte, entrer dans les prévisions de l’article 2 précité.

À ce jour, la mise en œuvre du Règlement n’est pas activée mais est certainement une option à envisager; L’Union privilégie la négociation dans un premier temps pour éviter une escalade préjudiciable mais, ne peut décemment pas écarter la possibilité d’utiliser cet outil ; sauf à affaiblir sa position. Comme déjà dit, c’est un moyen de dissuasion dont la force réside aussi dans la menace raisonnable de son utilisation. À ce stade,  un échec des négociations engagées avec l’administration Trump à la suite de la suspension des tarifs douaniers pour 90 jours, pourrait donc éventuellement conduire l’Union à appliquer le Règlement.

Il faut toutefois noter que l’utilisation du Règlement nécessite une majorité qualifiée au Conseil, ce qui suppose une appréciation politique préalable de la solidité de l’unité des États membres.

Lexbase : Quelle procédure de mise en œuvre et quelles mesures précises peuvent être adoptées ?

Marc Mossé : La Commission doit, en principe, statuer dans un délai de 4 mois une fois saisie.

Si le caractère coercitif de la mesure est confirmé, la Commission présente au Conseil une proposition d’acte d’exécution. Le Conseil se prononce, dans les 8 semaines, à la majorité qualifiée sur la proposition de la Commission. L’acte d’exécution comprend notamment un délai indicatif permettant à la Commission d’apprécier si les conditions d’adoption d’une mesure de riposte sont remplies. L’acte d’exécution comprend, le cas échéant, sur proposition de la Commission la demande de réparation du préjudice causé par l’État tiers à l’Union.

Un dialogue avec l’État tiers doit être engagé. La Commission conduit cet échange afin de faire cesser la coercition reprochée. Il peut s’agir d’une négociation directe, de la soumission à un arbitrage international, d’une médiation par un tiers à l’Union et à l’État concerné. La Commission peut saisir toute instance internationale compétente pour obtenir la cessation de la coercition économique.

En cas d’échec de la négociation, l’adoption des mesures de riposte se fait sous trois conditions cumulatives. D’abord, la négociation avec l’État tiers a échoué dans un délai raisonnable. Ensuite, la mesure est nécessaire à la protection des intérêts et droits de l’Union et des États membres. Enfin, la mesure a un impact positif pour l’intérêt de l’Union.

Le Règlement offre un large panel de mesures à la Commission, chargée de choisir la riposte la plus appropriée après un dialogue avec les États et entreprises concernées. L’Annexe I du Règlement prévoit la liste de mesures unilatérales envisageables : l’institution de droits de douane nouveaux ou accrus, l’introduction ou l’augmentation de restrictions à l’importation ou à l’exportation, la restriction de l’accès aux marchés publics européens, la restriction du commerce des services, la restriction des investissements dans l’Union pour les activités bancaires et d’assurance, la restriction de l’accès aux marchés de capitaux, la restriction de la protection des droits de propriété intellectuelle, ou encore l’institution de nouvelles normes sanitaires ou environnementales.

Lexbase : Quelles pourraient être leurs effets ?

Marc Mossé : Les mesures de riposte étant adoptées en dernier ressort, après échec de la négociation, leurs effets peuvent être conséquents. Le choix de l’intensité revient à la Commission. Le Règlement prévoit qu’elle peut décider d’adopter une mesure de portée générale ou au contraire spécifique à certains acteurs « associés ou liés aux pouvoirs publics du pays tiers » (article 10 § 1 du Règlement). Cette intensité modulable a conduit certains à décrire le Règlement anti-coercition comme un « bazooka commercial », si utilisé à son plein potentiel. Toutefois, et conformément au droit international public, il importe que la Commission veille à la proportionnalité des mesures adoptées.

En outre, les mesures de riposte sont susceptibles de produire des effets à la fois sur le pays tiers coercitif et ses entreprises, mais également sur les opérateurs économiques européens. Il est essentiel d’anticiper les potentiels effets dommageables pour les entreprises européennes. À cet égard, il faut souligner que le Règlement anti-coercition prend en compte cet aspect, puisqu’il prévoit que la Commission s’attache aux conséquences dommageables lors du choix des mesures de riposte. Ainsi, le Règlement rend possible dans le cadre de son activation, les échanges préalables entre la Commission, les États membres et les entreprises concernées pour choisir la mesure la plus appropriée au regard de ses impacts positifs et négatifs. On ne saurait trop encourager un tel dialogue entre les parties prenantes si le Règlement devait être mis en œuvre.

Lexbase : Des mesures de rétorsion sont-elles à craindre de la part des Etats-Unis si le Règlement était mis en œuvre ?

Marc Mossé : Le juriste n’étant pas une pythonisse, il lui est difficile de prévoir ce que serait la prochaine réaction ou déclaration de l’administration nord-américaine dans un tel scénario. Cependant, sans faire de pari hasardeux, on doit insister sur la nécessité d’une négociation que le Règlement prévoit. L’adoption de mesures de riposte ne se fait qu’ultima ratio et sonnerait comme le constat d’un échec. Les derniers mois ont montré que le pire n’était pas toujours sûr. Alors que se diffuse une petite musique pénible de la fin du droit international, celui-ci reste toutefois un vecteur important de la rationalisation des rapports de force. Ce Règlement pourrait être une face positive du lawfare à l’Européenne. C’est sans doute l’originalité d’un Règlement qui, d’une certaine façon, laisse la place à une gestion diplomatique des tensions et aussi, à la création d’une dynamique multiparties prenantes où les entreprises, européennes comme américaines, peuvent contribuer à ce que les pouvoirs publics explorent des pistes de sortie de la crise par le haut.

*Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public


[1] Rapport de l’Assemblée nationale n° 5123 sur la politique de défense commerciale de l’Union européenne, 24 février 2022.

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