Le Quotidien du 20 mai 2025 : Filiation

[Observations] Le refus de consacrer l’existence d’une possession d’état post-mortem

Réf. : Cass. civ. 1, 26 mars 2025, n° 22-23.644, F-B N° Lexbase : A16120CP

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N2227B3U

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[Observations] Le refus de consacrer l’existence d’une possession d’état post-mortem. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/119434492-observations-le-refus-de-consacrer-lexistence-dune-possession-detat-i-postmortem-i-
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par Marion Damy, Docteure en droit, CERFAPS, Université de Bordeaux

le 19 Mai 2025

Mots-clés : filiation • possession d'état • décès du père • prescription de l'action • point de départ du délai

Le point de départ du délai de prescription de l’action en constatation de la possession d’état commence à courir à la cessation de la possession d’état si elle intervient du vivant du parent à l’égard duquel elle est invoquée ou au décès de celui-ci.


Prescription de l’action en constatation de la possession d’état. En l’espèce, une femme désormais adulte tente d’établir son lien de filiation à l’égard de son père, décédé en 1996. Elle agit aux fins de faire constater la possession d’état qu’a eue son père à son égard lorsqu’elle était enfant au Cameroun puis devenue jeune adulte. Elle produit un certain nombre de pièces permettant de caractériser l’existence de cette possession d’état.

La cour d’appel d’Aix-en-Provence, dans une décision du 20 octobre 2022, constate l’existence de la possession d’état, mais déclare l’action prescrite, le délai de dix ans pour agir ayant commencé à courir au décès du père, en 1996. Reprochant à la cour d’appel d’avoir constaté l’existence de la possession d’état continue, non équivoque et qui n’aurait pas cessé au décès sans en tirer des conséquences légales, la demanderesse forme un pourvoi en cassation sans succès, la Cour de cassation confirmant la décision rendue en appel.

Point de départ du délai de prescription à la cessation de la possession d’état. Sans s’épancher, la Cour de cassation rappelle la lettre de l’article 330 du Code civil N° Lexbase : L5801ICT, celui prévoyant que « la possession d’état peut être constatée, à la demande de toute personne qui y a intérêt, dans le délai de dix ans à compter de sa cessation ou du décès du parent prétendu ».

Elle rappelle ensuite, sans grande surprise, que « le point de départ du délai de prescription de l’action en constatation de la possession d’état est la cessation de la possession d’état si elle intervient du vivant du parent prétendu ou, dans le cas contraire, le décès de ce dernier ».

La Cour de cassation précise ainsi quelque peu le texte qui ouvrait une légère fenêtre d’interprétation. La demanderesse faisait, en effet, reposer ses prétentions sur une interprétation audacieuse de l’article 330 conduisant à estimer que l’action se prescrit dans un délai de dix ans soit lors de la cessation de la possession d’état que le parent soit vivant ou mort soit au décès du parent. Elle considérait que, malgré le décès de son père, sa possession d’état à son égard n’avait pas cessé ce qui ne permettait pas de considérer que le point de départ du délai de prescription était la date du décès de son père. La Cour de cassation rappelle donc une règle qui semblait pourtant relever de l’évidence : la possession d’état cesse au décès du parent.

Si le texte contesté laissait, peut-être, place à cette précision, la solution paraît néanmoins de l’ordre d’un rappel au regard des conditions d’existence d’une possession d’état. L’article 311-1 du Code civil N° Lexbase : L8856G9U prévoit, en effet, que la possession d’état s’établit par la réunion suffisante de faits révélant le lien de filiation entre un enfant et son parent. Elle repose ainsi sur un comportement actif et réciproque du parent et de l’enfant dont les principales manifestations sont évoquées par ce même article : la fama, le tractatus et le nomen. S’il est possible de réaliser ce comportement lors de la grossesse et, ainsi, de caractériser une possession d’état prénatale (pour une illustration récente v. par ex. CA Angers, 23 mars 2023, n° 21/022187), le décès du parent éteint, de fait, tout comportement parental et, à l’évidence, fait automatiquement cesser une possession d’état, en l’absence de relations réciproques entre l’enfant et le parent.

Intérêt renouvelé de l’établissement de la filiation par possession d’état. Si la décision clarifie une règle à la clarté peu discutée, elle s’inscrit surtout dans le regain d’intérêt que connaît l’établissement de la filiation par possession d’état. La possession d’état est en effet surtout utilisée au titre de la contestation des liens de filiation, venant renforcer un titre afin de le sécuriser. Son recours comme mode d’établissement est plus marginal et paraît avoir été conservé principalement pour permettre l’établissement de la filiation d’un père décédé avant la naissance de son enfant.

Pour autant, l’évolution des configurations familiales contemporaines et le développement de la parenté d’intention ont renouvelé le contentieux relatif à l’établissement d’un lien de filiation par possession d’état. Fondée sur une réalité sociale et affective, la possession d’état semblait en effet une voie toute tracée pour répondre aux demandes d’établissement d’un lien de filiation n’entrant pas dans les configurations prévues par le droit de commun de la filiation, imposant à la Cour de cassation de rappeler que ce mode d’établissement s’inscrit dans le droit commun de la filiation. La possession d’état révèle en effet un lien de filiation vraisemblablement biologique. Partant, l’établissement de la filiation par possession à la suite d’une PMA ou d’une GPA est impossible (V. par ex., Cass. civ. 1, 6 avril 2011, trois arrêts, n° 09-66.486 N° Lexbase : A5705HMA, n° 10-19.053 N° Lexbase : A5707HMC et n° 09-17.130 N° Lexbase : A5704HM9, FP-P+B+R+I ; A. Gouttenoire, Lexbase Droit privé - archive, avril 2011, n° 436 N° Lexbase : N9639BRG ; D. 2011. 1522, note D. Berthiau et L. Brunet ; D. 2011. 1001, édito. F. Rome ; D. 2011. 1064, entretien P. Labbée ; D. 2011. 1585, obs. F. Granet-Lambrechts ; D. 2011. 1995, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; D. 2012. 308, spéc. 320, obs. J.-C. Galloux ; D. 2012. 1033, obs. M. Douchy-Oudot ; D. 2012. 1228, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2011. 262, obs. B. Haftel ; AJ fam. 2011. 266, interview Domingo ; AJCT 2011. 301, obs. C. Siffrein-Blanc ; RTD civ. 2011. 340, obs. J. Hauser ; Rev. crit. DIP 2011. 722, note P. Hammje.) et le rapport entre possession d’état et lien biologique a récemment été encore précisé à la suite d’une demande d’avis relative à une action en constatation intentée par un homme qui savait ne pas avoir de lien de sang avec l’enfant qu’il élevait depuis sa naissance (Cass. civ. 1, 23 novembre 2022, Avis n° 22.70-013 N° Lexbase : A10738UB ; D. 2023. 523, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 2023. 662, obs. P. Hilt ; AJ fam. 2023. 233, obs. Saulier ; RTD civ. 2023. 81, obs. A.-M. Leroyer ; JCP 2022, n° 1352, note Favier ; Dr. fam. 2023, n° 20, obs. M. Lamarche). L’établissement de la filiation par possession d’état risque donc encore de devoir faire parler de lui !

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