Réf. : Cass. crim., 29 avril 2025, n° 24-81.555, FS-B N° Lexbase : A41640PW
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N2232B33
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par Nicolas Catelan, Associate Professor, Sorbonne University Abu Dhabi - SAFIR, et Honoré Clavreul, Doctorant au Laboratoire de droit privé et sciences criminelles (EA4690)
le 06 Mai 2025
Encourt la cassation l'arrêt de la cour d'appel qui, pour déclarer le jugement définitif en ce qu'il a déclaré la société absorbée coupable des faits et prononcé des peines à son encontre, énonce que ce constat découle de l'irrecevabilité de l'appel que cette dernière a formé postérieurement à la fusion-absorption dont elle a fait l'objet, alors que la cour d'appel a constaté que la société absorbante venait aux droits de la société absorbée et qu'elle avait présenté des conclusions articulant des moyens de droit au soutien de l'appel concernant les dispositions du jugement relatives à la société absorbée.
Contexte. Depuis le 25 novembre 2020, il est acquis qu’en cas de fusion-absorption d’une société par une autre société, la société absorbante peut être condamnée pénalement à une peine d’amende ou de confiscation pour des faits constitutifs d’une infraction commise par la société absorbée avant l’opération. Et en cas de fraude à la loi, toutes les peines encourues par la société absorbée le sont également par l’entité absorbante.
Au-delà, la personne morale absorbée étant continuée par la société absorbante, cette dernière, qui bénéficie des mêmes droits que la société absorbée, peut se prévaloir de tout moyen de défense que celle-ci aurait pu invoquer.
En conséquence, le juge qui constate qu’il a été procédé à une opération de fusion-absorption ayant entraîné la dissolution de la société mise en cause, peut, après avoir constaté que les faits objets des poursuites sont caractérisés, déclarer la société absorbante coupable de ces faits et la condamner (Cass. crim., 25 novembre 2020, n° 18-86.955, FS-P+B+I N° Lexbase : A551437D).
Restreinte ab initio aux sociétés par actions, la solution a par la suite été étendue aux SARL (Cass. crim., 22 mai 2024, n° 23-83.180, FS-B N° Lexbase : A72515CK).
Quid juris si une fusion intervient entre la première et la seconde instance, alors que les deux sociétés ayant fusionné ont chacune interjeté appel ?
Solution. Deux sociétés ont été déclarées coupables d’infractions à la réglementation relative à l’hygiène et à la sécurité des travailleurs ainsi que de blessures involontaires avec une incapacité totale de travail supérieure à trois mois. Elles ont ensuite interjeté appel postérieurement à la date effective de leur fusion-absorption.
La cour d’appel a alors déclaré irrecevables l’appel principal de la société absorbée pour défaut de personnalité, ainsi que l’appel incident interjeté par le ministère public. Par conséquent, elle a estimé que les dispositions du tribunal correctionnel sur la culpabilité et les peines principales et complémentaires à l’encontre de la société absorbée étaient définitives.
La question posée à la Cour de cassation était donc de savoir si l’irrecevabilité de l’appel interjeté par la société absorbée, en raison de sa perte de personnalité juridique postérieurement à une fusion-absorption, rendait définitives les dispositions du tribunal de première instance à son encontre alors même que la société absorbante interjetait également appel de cette décision.
En date du 29 avril 2025, la Cour de cassation confirme l’irrecevabilité de l’appel interjeté par la société absorbée. Toutefois, elle casse l’arrêt de la cour d’appel concernant le caractère définitif des dispositions du jugement de première instance à l’encontre de cette société au motif que la société absorbante venait par son appel aux droits de la société absorbée.
Cette solution semble néanmoins limitée au fait qu’il ne résulte d’aucune mention de l’acte d’appel que la société absorbante, également déclarée coupable et appelante, ait entendu limiter l’objet et les effets de son appel à la seule déclaration de culpabilité la concernant personnellement.
Enfin, cette décision n’est pas sans conséquence sur la responsabilité pénale de la société absorbante pour des faits commis par la société absorbée, puisque si la déclaration de culpabilité concernant la première n’encourt pas la censure, la juridiction de renvoi devra cependant statuer sur la déclaration de culpabilité de la société absorbée et donc sur la peine prononcée à l’encontre de la société absorbante pour les faits qu’elle a « commis personnellement », ainsi que ceux commis par la société aux droits de laquelle elle vient.
Portée. Ainsi, dans l'éventualité d'une déclaration de culpabilité au titre des faits commis par la société absorbée, l’office du juge est précisé par la Chambre criminelle : « la peine devra être motivée au regard des dispositions des articles 132-1 et 132-20 du code pénal, en considération des circonstances de l'infraction, de la personnalité, de la situation personnelle de chacune des deux sociétés au moment des faits et postérieurement, et si la juridiction prononce une ou des amendes, en tenant compte des ressources et des charges de la société absorbante au moment où la juridiction statue » (§ 26).
Doit-on en conclure que les peines d’amende pourront se cumuler sans limite puisque la Cour ne fait pas référence à l’article 132-3 du Code pénal N° Lexbase : L2106AMX ?
Au-delà, en distinguant ici les faits commis personnellement par la société absorbante et ceux commis par la société aux droits de laquelle elle vient (la société absorbée), la Cour n’admettrait-elle pas que le mécanisme créé par elle de toutes pièces est une responsabilité du fait d’autrui ?
On observera enfin que la construction de la décision est étrange puisque la motivation de la décision apparaît dans les « moyens » : seules la portée et les conséquences de la cassation apparaissent dans la section « motivation ». Erreur de mise en forme qui trahit peut-être des hésitations… au fond.
Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Les conditions de la responsabilité pénale, La responsabilité pénale des personnes morales, Le champ de la responsabilité pénale des personnes morales, Le domaine rationae personae de la responsabilité des personnes morales, La responsabilité pénale des personnes morales de droit privé, L’obstacle à la responsabilité : la fusion absorption, in Droit pénal général, Lexbase N° Lexbase : E1507GA3. |
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