Le Quotidien du 7 mai 2025 : Droit international privé

[Observations] Vouloir échapper à la clause de juridiction : mission (presque) impossible

Réf. : Cass. civ. 1, 2 avril 2025, n° 23-12.384, F-B N° Lexbase : A35190E3

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N2142B3Q

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par Aurélie Dardenne, Maître de conférences, Université de Lorraine

le 29 Avril 2025

L'article 1.2, e), du Règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008, sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I), excluant de son champ d'application les conventions d'arbitrage et d'élection de for d'une part, et l'article 25.1 du Règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commercial, selon lequel si les parties, sans considération de leur domicile, sont convenues d'une juridiction ou de juridictions d'un État membre pour connaître des différends nés ou naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé, ces juridictions sont compétentes, sauf si la validité de la convention attributive de juridiction est entachée de nullité quant au fond selon le droit de cet État membre, ne prévoyant d'autre part pas la réserve des lois de police, le moyen tiré de ce qu'une clause attributive de juridiction insérée dans un contrat serait contraire à l'article 1171 du Code civil, est inopérant.

Dans cet arrêt du 2 avril 2025, la Cour de cassation a démontré que la clause attributive de juridiction constituait un engagement qui ne pouvait être rompu à la légère.

En l’espèce, une personne avait ouvert un compte Instagram à titre professionnel pour une société visant à exploiter une marque particulière. La société Meta Platform, avec laquelle l’utilisateur avait contracté, impose dans ses conditions générales une clause attributive de juridiction. En effet, cette dernière prévoit qu’en cas de litige portant sur l’accès ou l’utilisation du service à des fins professionnelles ou commerciales, les juridictions irlandaises auraient compétence pour traiter le cas.

À la suite d’un piratage de son compte Instagram, la société utilisatrice et la personne à l’origine du compte créé ont assigné la société Meta Platforms devant les juridictions françaises aux fins d’obtenir des dommages et intérêts pour le préjudice subi.

La cour d’appel de Paris a fait droit à l’argument de la société Meta portant sur l’incompétence de la juridiction saisie. Elle considère que la validité de la clause attributive de juridiction devait être examinée au regard du droit irlandais.

L’utilisatrice se pourvoit en cassation en invoquant l’application de l’article 1171 du Code civil N° Lexbase : L1981LKL. Cette disposition sanctionne les clauses constituant un déséquilibre significatif dans les contrats d’adhésion par l’application du réputé non écrit. En l’occurrence, les demandeurs au pourvoi invoquaient le fait que le contrat litigieux n’avait pas été négocié et que la clause attributive de juridiction conduisait à un déséquilibre résultant du rapport de force entre les parties.

En outre, par anticipation aux possibles contre-arguments, l’auteur du pourvoi indiquait également que cet article 1171 du Code civil pouvait être qualifié de loi de police, faisant obstacle à l’application effective de l’article 25.1 du Règlement Bruxelles I bis. Ce dernier prévoit en effet que la validité d’une clause attributive de juridiction s’apprécie au regard du droit de l’Etat membre dont la juridiction a été désignée comme compétente. En l’espèce, la clause reconnaissant la compétence des juridictions irlandaises et par voie de conséquence, la validité de cette dernière devait donc être toisée au regard du droit irlandais.

Les demandeurs au pourvoi estimaient que la qualification de loi de police de l’article 1171 du Code civil aurait permis de neutraliser les effets de cette disposition. Pour rappel, l’article 9 du Règlement Rome I N° Lexbase : L7493IAR définit la loi de police comme « une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, (…), au point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat ». En d’autres termes, cet article 1171 du Code civil aurait une importance telle dans la réglementation française que cela justifierait de prendre en compte sa substance en dépit du fait que le contrat prévoyait indirectement l’application de la loi irlandaise pour apprécier la validité de la clause attributive de juridiction.

Il est important de relever que la Cour de cassation ne se prononce pas sur la possible reconnaissance de l’article 1171 du Code civil en loi de police. Le débat se focalise davantage sur l’articulation de l’article 25.1 du Règlement « Bruxelles I bis » N° Lexbase : L9189IUU et l’application des lois de police. La Haute juridiction se réfère ainsi à l’article 1.2 du Règlement « Rome I » qui détermine son champ d’application. Cette disposition prévoit notamment que ledit Règlement ne s’applique pas « aux conventions d’arbitrage et d’élection de for ». Il s’en déduit qu’une loi de police française ne peut a priori pas contrecarrer les effets d’une clause attributive de juridiction. Cette décision est conforme à la jurisprudence traditionnelle de la Cour de cassation qui admet que la seule application d’une loi de police française ne peut remettre en question une clause attributive de juridiction (Cass. civ. 1, 22 octobre 2008, n° 07-15.823, FS-P+B+I N° Lexbase : A9334EAX).

La présente décision appelle plusieurs remarques. D’abord, il convient de rappeler le champ d’application particulier de la solution. Pour rappel, la clause attributive de juridiction ne concerne que l’utilisation des services à des fins professionnelles, excluant donc la question des particuliers.

Ensuite, la décision est également intéressante pour ce qu’elle ne dit pas et particulièrement sur la reconnaissance de l’article 1171 du Code civil en loi de police. Concernant ce questionnement, un premier indice peut être trouvé dans le traitement de son pendant commercial, l’article L. 442-6 I 2 du Code de commerce N° Lexbase : L0496LQG. Cette disposition, prohibant le fait de « soumettre ou tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations », a pu être qualifiée de loi de police française (Cass. com., 8 juill. 2020, n° 17-31.536,  FS-P N° Lexbase : A11893RH). Toutefois, comme le souligne un auteur, l’article L. 442-6 I 2 du Code civil prévoit que le ministère de l’économie a compétence pour introduire une action devant les juridictions sur ce fondement (F. Buy, Clause attributive de juridiction en droit international et déséquilibre significatif : circulez, il n'y a rien à voir !, RPDA 2025, n° 4). Dès lors, cet article vise la protection de la défense de l’ordre public et l’intérêt général qui justifie sa qualification en loi de police. Or, cet aspect ne se retrouve pas dans l’article 1171 du Code civil qui porte davantage sur les intérêts privés des parties.

À supposer que l’article 1171 du Code civil ait été applicable à la situation par le truchement de sa qualification en loi de police, un second obstacle se serait dressé sur la route des demandeurs. En effet, il est question ici d’une relation entre deux professionnels tombant davantage dans le champ d’application de l’article L. 442-6 I 2 du Code de commerce et excluant par voie de conséquence le jeu de l’article 1171 du Code civil (Cass. com., 26 janvier 2022, n° 20-16.782, F-B N° Lexbase : A52937KA).

En conséquence, remettre en question la validité de la clause attributive de juridiction entre deux professionnels semble relever du défi. À moins d’un retournement inattendu du droit irlandais – sanctionnant, lui aussi, le déséquilibre significatif des conventions – l’issue demeure pour le moins incertaine (F. Buy, art. préc.). Une stratégie qui, faute de convaincre le juge, pourra tout au plus susciter quelques réactions sur Instagram.

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