Le Quotidien du 12 mai 2025 : Voies d'exécution

[Focus] Saisie des rémunérations : nouvelle formule

Réf. : Loi n° 2023-1059, du 20 novembre 2023, d'orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027 N° Lexbase : L6256MSI

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[Focus] Saisie des rémunérations : nouvelle formule. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/118697436-focus-saisie-des-remunerations-nouvelle-formule
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par Guillaume Fricker, avocat au barreau de Saint-Malo – Dinan, administrateur de l’AAPPE

le 30 Avril 2025

Mots-clés : saisie des rémunérations • réforme • commissaire de justice • débiteur • juge de l’exécution • employeur • données personnelles.

La loi n° 2023-1059, du 20 novembre 2023 N° Lexbase : L6256MSI, propose une procédure plus attractive et annoncée comme plus efficace, tout en préservant les garanties pour le débiteur, s’inscrivant dans une démarche plus large de simplification de la procédure civile et d'optimisation du rôle du juge.

Elle apporte des changements significatifs au système établi par la précédente réforme issue de 1991.

Il s’agit alors d’aligner la saisie des rémunérations sur le droit commun des procédures civiles d'exécution. Simplifier consiste également dans la suppression de la phase de conciliation judiciaire préalable ainsi que la fin de l’autorisation judiciaire de la saisie.

L’objectif de cette réforme paraît louable sur le papier : Une procédure modernisée par l’introduction du numérique, confiée aux commissaires de justice, tout en déchargeant les juridictions et plus particulièrement les greffes de la charge de la répartition des fonds provenant de la saisie, tout en recentrant le juge sur son office juridictionnel.


 

I. Contexte et évolution législative

La loi n° 91-650, du 9 juillet 1991 N° Lexbase : L9124AGZ, et le décret n° 92-755, du 31 juillet 1992 N° Lexbase : L9125AG3, depuis codifiés par l'ordonnance n° 2011-1895, du 19 décembre 2011, relative à la partie législative du code des procédures civiles d'exécution N° Lexbase : L7109MS4, entrée en vigueur le 1er juin 2012, reposaient sur deux piliers :

  • d’une part, il fallait donner force au titre exécutoire. Ainsi, la loi a posé comme principe que le créancier muni d'un titre exécutoire doit pouvoir obtenir rapidement et effectivement le paiement de son dû. Cela renforce l'efficacité des décisions de justice et autres actes exécutoires ;
  • d’autre part, il importait d’humaniser la procédure à l'égard du débiteur. La réforme d’alors cherchait à établir un équilibre entre les intérêts du créancier et ceux du débiteur, en introduisant des mesures de protection pour ce dernier.

Ainsi, le législateur adaptait l’exécution forcée aux réalités économiques et sociales de l’époque, remplaçant les dispositions du Code de procédure civile de 1806, en créant une théorie générale de l’exécution forcée par la définition de principes applicables à toutes les voies d’exécution, qu’elles soient mobilières ou immobilières, mais également en simplifiant les procédures en les rendant plus efficaces et simples à mettre en œuvre. Le législateur posait également les contours du rôle des différents acteurs de l’exécution forcée, et plus particulièrement du juge de l’exécution.

L’abandon de l’ancien Code de procédure civile marquait donc une étape importante du droit de l’exécution forcée, rendue plus efficace, plus équilibrée et mieux adaptée aux besoins de la société moderne.

Ainsi, à compter de 1993, la saisie des rémunérations nécessitera l'intervention d'un juge, avec une tentative préalable de conciliation. Cette procédure est une exception dans le cadre de la déjudiciarisation progressive des procédures civiles d’exécution.

Procédure régie tant par les articles L. 3252-1 à L. 3252-13 N° Lexbase : L0916H9S et R. 3252-1 à R. 3252-44 N° Lexbase : L8965H9W du Code du travail que par les articles L. 212-1 à L. 212-3 N° Lexbase : L5842IRS du Code des procédures civiles d’exécution, et dévolue au juge d’instance, la loi n° 2019-222, du 23 mars 2019, de programmation pour la Justice N° Lexbase : L6740LPC l’a, à compter du 1er janvier 2020, délégué au juge de l’exécution, juge naturel du contentieux des mesures d’exécution forcées. La réalité est toute autre toutefois…

Trente ans plus tard, place à la nécessité d’une réduction des coûts pour le service public de la Justice.

L’économie du transfert de la saisie des rémunérations aux commissaires de justice est estimée à 9,1 millions d’euros par an [1], ainsi qu’un allégement de 40 % de la charge de travail des greffes et des juges liée au contentieux selon les projections du ministère, ainsi qu’il ressort de la loi n° 2023-1059, du 20 novembre 2023, d'orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027 N° Lexbase : L6256MSI et de son étude d’impact.

Une nouvelle mouture de la procédure est donc adoptée pour aligner la saisie des rémunérations sur le droit commun des procédures civiles d'exécution, tout en supprimant la phase de conciliation judiciaire préalable et d'autorisation du juge.

Ces dispositions entreront en vigueur au plus tard le 1er juillet 2025. Ce délai s’imposant par la nécessité de permettre la formation des commissaires de justice et l’instauration du registre numérique, administré par la chambre nationale des commissaires de justice, pour les besoins de cette procédure new look.

II. Pourquoi une nouvelle procédure ?

Rééquilibrer les intérêts des créanciers et des débiteurs, tout en modernisant et en rendant plus efficace la procédure de saisie des rémunérations.

Comment y procéder ?

  • Par une déjudiciarisation de la procédure : La réforme accélère le process en supprimant l'étape judiciaire préalable, permettant ainsi aux commissaires de justice de procéder directement à la saisie, sans autorisation du juge. Au passage, il y a désengorgement des tribunaux.
  • Par une simplification de la procédure et en la rendant plus attractive : La procédure actuelle est sous-utilisée en raison de sa complexité et des délais particulièrement longs. La réforme vise à la rendre plus attractive, plus rapide et plus simple à mettre en œuvre.
  • Par une harmonisation avec les autres procédures d’exécution : L'objectif est d'aligner la saisie des rémunérations sur le droit commun des procédures civiles d'exécution.
  • Par une réduction des délais : La suppression de l'audience préalable permettra de réduire considérablement les délais de procédure, qui peuvent actuellement dépasser une année dans certains tribunaux.
  • Par une procédure numérique : La réforme introduit le numérique dans la mise en œuvre et le déroulement de la procédure, notamment avec la création d'un registre numérique des saisies des rémunérations.
  • Par une place « retrouvée » du juge de l’exécution : Il s’agit désormais de lui permettre d’être concentré sur son office de trancher les questions et difficultés juridiques, plutôt que sur des tâches administratives et comptables pourtant dévolues aux greffes…

III. Une réforme numérique et sans préalable du juge qui interroge : Le contrôle du Conseil constitutionnel

Ce texte souffrira l’examen du Conseil constitutionnel après que des députés aient reproché, principalement, à la réforme de permettre que la saisie des rémunérations puisse avoir lieu par l’intermédiaire de l’employeur du débiteur, sans nécessité de l’intervention du juge.

Le délai d’un mois offert au débiteur pour former un recours ayant un effet suspensif était également critiqué.

Les parlementaires considéraient qu’il découlerait de cette réforme une violation du droit au respect de la vie privée, du droit à un recours juridictionnel effectif, des droits de la défense ainsi que des libertés individuelles.

Après examen, les sages, dans une décision n° 2023-855, du 16 novembre 2023 N° Lexbase : A61401ZG, valident cette nouvelle formule de la saisie des rémunérations, sous réserve que seules les informations strictement nécessaires soient transmises par l’employeur au créancier, afin de respecter le droit à la vie privée ainsi que le fait pour le débiteur de conserver le droit de contester la saisie à tout moment, avec un effet suspensif si le recours est exercé dans le mois suivant la signification.

Sous réserve de ce qui précède, la refonte de la procédure de saisie des rémunérations est portée par l’article 47 de la loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027 N° Lexbase : Z31881U8, dont l’objet est de permettre que l’exécution de cette mesure soit désormais confiée aux commissaires de justice.

IV. Déroulement de la procédure

Après réforme, il appartiendra désormais au commissaire de justice d’initier la procédure, à la demande du créancier.

Exit donc la saisine par voie de requête adressée au tribunal, en application de l’article L3252-11 du Code du travail N° Lexbase : L0945H9U ainsi que la tenue d’une audience prévue à l’article R3252-12 du même code N° Lexbase : L4502IAY.

(NDLA : Rappelons au passage la controverse née de la décision n° 2023-1068 du Conseil constitutionnel du 17 novembre 2023 N° Lexbase : A61411ZH concernant quelques mots de l’alinéa 1er de l’article L213-6 du Code de l’organisation judiciaire N° Lexbase : L7740LPD, qui ressemble plus à une tempête dans un verre d’eau qu’à un véritable cataclysme – cet article étant finalement suffisamment bien rédigé pour maintenir la compétence du juge de l’exécution s’agissant du contentieux de l’exécution (CQFD) –, ledit article attribuant la compétence matérielle du contentieux de la saisie des rémunérations au juge de l’exécution en son alinéa 5.)

La procédure, encadrée dans un délai de quatre mois, est alors initiée par la signification d’un commandement de payer au débiteur par commissaire de justice.

Cet acte ouvre alors un délai d’un mois permettant au débiteur de payer les sommes dues, de trouver un accord avec le créancier ou encore de contester la mesure d’exécution.

Passé ce délai, et en l’absence d’accord, le créancier fera signifier, dans le délai de trois mois, son procès-verbal de saisie à l’employeur du débiteur. C’est donc le créancier qui signifie désormais l’acte de saisie au tiers saisi et non plus le greffe du tribunal qui l’ordonnait jusqu’alors.

Parallèlement, un registre numérique des saisies des rémunérations sera créé pour centraliser les informations.

V. Quid du suivi de la procédure ?

Les procédures en cours actuellement sont suivies par le greffe, interlocuteur de l’employeur, lequel est chargé du contrôle du bon fonctionnement de la procédure.

Afin d’assurer l’efficacité de la procédure issue de la réforme, le législateur a dû garantir l’indépendance des acteurs de la procédure, à tous les stades de celle-ci.

Ainsi, la réforme introduit l’intervention de deux commissaires de justice : le premier, instrumentaire, sera chargé de la phase de saisie ; le deuxième, répartiteur, sera chargé de recevoir la quotité saisissable et d’en assurer la répartition.

Dans les faits, le créancier devra demander la désignation, opérée selon un processus aléatoire, d’un « commissaire de justice répartiteur » figurant sur une liste diffusée par la Chambre nationale des commissaires de justice. (CPC exéc., art. R. 212-1-10 N° Lexbase : L4076MSR).

Ce répartiteur, spécialement formé au suivi de la procédure, assumera les tâches précédemment dévolues aux services du greffe du tribunal judiciaire. Il sera chargé de la vérification du calcul des quotités et de la répartition des sommes saisies entre les créanciers. Il assurera à l’instar des autres procédures de saisie, les opérations de séquestre et de comptabilité pour le compte du créancier.

Deux commissaires de justice cohabiteront donc dans une même procédure. L’instrumentaire, initiant la voie d’exécution par la signification de l’acte de saisie, et le répartiteur, chargé de sa mise en œuvre.

Toutefois, cette procédure soulève différentes interrogations.

VI. Qu’advient-il des contestations et de l’accès au juge ?

Le débiteur conserve la faculté de contester la mesure devant le juge de l’exécution (COJ, art. L213-6 ; CPC exéc., art. R. 212-1-7 N° Lexbase : L4073MSN).

Le contrôle du juge de l’exécution est ainsi maintenu :

  • lors de la phase initiale, la signification du commandement de payer ouvrira un délai d’un mois au débiteur pour contester le fondement de la saisie, le recours étant suspensif d’exécution, le temps pour le juge de l’exécution de trancher la contestation. (CPC exéc., art. R. 212-1-3, 6° [LXB=]) ;
  • le juge de l’exécution pourra également être saisi à tout moment de la procédure, d’une contestation de sa mise en œuvre, à savoir : calcul des quotités, respect des montants ou sommes non saisissables. Il doit être précisé que le recours ainsi exercé ne sera pas suspensif d’exécution à la différence de la contestation du commandement de payer ; le but ici étant de favoriser l’exécution de la mesure en faisant barrage aux contestations purement abusives et dilatoires ;
  • le juge de l’exécution reste évidemment compétent pour connaître de toute contestation d’une mesure inutile ou abusive, à l’instar de toute mesure d’exécution forcée.

VII. Une réforme et des questions laissées en suspens

Le décret d’application n° 2025-125, du 12 février 2025, relatif à la nouvelle procédure de saisie des rémunérations N° Lexbase : L2044MYD a été publié au journal officiel du 14 février 2025.

La procédure entrera en vigueur au 1er juillet 2025. Le décret s’appliquera à toute procédure en cours à cette date.

Les sommes reçues par le régisseur installé auprès du greffe du tribunal judiciaire ou de l’une de ses chambres de proximité jusqu’au 30 juin 2025 devront être réparties avant le 1er octobre 2025. Ce délai de répartition ne diffèrera pas le transfert de la procédure à un commissaire de justice, qui pourra intervenir à compter du 1er juillet 2025. La demande incidente ou la contestation élevée antérieurement au 1er juillet 2025 est jugée conformément aux dispositions applicables avant cette date, de même que les requêtes en saisie des rémunérations introduites avant cette date. La procédure est ensuite transmise à un commissaire de justice ou à la chambre régionale des commissaires de justice.

Des répartiteurs en nombre suffisant ? Le commissaire de justice « répartiteur » doit suivre une formation avant d’embrasser cette nouvelle mission. Combien suivront cette formation ? Seront-ils suffisamment nombreux et opérationnels pour cette date ? Seul l’avenir nous le dira.

Autre point d’interrogation et non des moindres, la rémunération du commissaire de justice répartiteur.

L’étude d’impact révèle que : « A contrario, le transfert de la mission vers les commissaires de justice pourrait conduire à une augmentation des frais de justice dépendant de la tarification et du mode de prise en charge retenu, étant néanmoins indiqué que la réforme, qui inscrit les saisies des rémunérations dans le droit commun, suppose en principe que les frais inhérents à l'intervention des commissaires de justice sont à la charge finale du débiteur. » [2]

Quel sera l’émolument perçu pour cette mission ? Une étude étant une entreprise comme une autre, cette activité sera-t-elle rentable pour le « répartiteur » ?

La rémunération du commissaire de justice, instrumentaire et répartiteur, est envisagée par l’introduction de sept actes et formalités, et partant, émoluments afférents. Les émoluments envisagés allant de 27,66 euros à 32,98 euros, selon l’acte ou la formalité accomplie. Cette rémunération est-elle de nature à inciter à la mise en œuvre de cette voie d’exécution ? Suffira-t-elle à être rentable ? Pas sûr.  

À titre purement indicatif, en prenant en compte des prestations existantes assez proches des prestations envisagées dans le cadre de la nouvelle procédure de saisie des rémunérations, les tarifs pourraient être les suivants, à lire l’étude d’impact :

Prestation envisagée

Prestation similaire

Tarif potentiel

Commandement de payer aux fins de saisie des rémunérations

Commandement de payer et dénonciation au débiteur de l'acte de conversion en saisie-vente de la saisie conservatoire des droits d'associé et des valeurs mobilières

27,66 €

Procès-verbal de saisie des rémunérations

Procès-verbal d'offres réelles

32,98 €

Procès-verbal d'accord

Signification du procès-verbal de saisie des rémunérations

Signification au tiers saisi du certificat de non-contestation

27,66 €

Dénonciation au débiteur du procès-verbal de saisie des rémunérations

Dénonciation au débiteur de la saisie-vente pratiquée entre les mains d'un tiers détenteur

32,98 €

Formalité de publication de la procédure sur le registre

Inscription, y compris radiation totale d'une inscription non périmée d'un acte de gages sur meubles corporels (prestation réalisée par les greffiers de tribunal de commerce)

Selon le montant de la créance en jeu, il est possible d'avoir des tarifs différents :

7,81 € (inférieur à 7 800 €),

16,72 € (de 7 800 € à 20 800 €), 50,16 € (supérieur à 20 800 €)

Signification du procès-verbal d'opposition

Signification au tiers saisi du certificat de non-contestation

27,66 €

Par ailleurs, que se passera-t-il en l’absence de répartiteurs suffisants, voire d’abandon de mission par ceux-ci ?

Ces questions restent sans réponse à cet instant. 

Qu’en est-il du coût de cette procédure ?

L’étude d’impact précise : « A contrario, le transfert de la mission vers les commissaires de justice pourrait conduire à une augmentation des frais de justice dépendant de la tarification et du mode de prise en charge retenu, étant néanmoins indiqué que la réforme, qui inscrit les saisies des rémunérations dans le droit commun, suppose en principe que les frais inhérents à l'intervention des commissaires de justice sont à la charge finale du débiteur. Cette augmentation serait en tout état de cause moindre que les économies envisagées. » [3]

En d’autres termes, d’une part, les frais de procédure seront vraisemblablement plus importants que sous l’empire de l’actuelle procédure, du fait de l’apparition d’émoluments dus aux commissaires de justice instrumentaire et répartiteur.

D’autre part, il faut retenir le cynisme des auteurs de cette étude qui considèrent que, fort heureusement, cette augmentation des frais de procédure, in fine supportés par le débiteur (NDLA : ce qui est une simple application d’un principe général de procédure civile), ne sera pas aussi importante que les économies envisagées.

Autre interrogation : le transfert des fonds des régies des greffes vers les commissaires de justice répartiteurs. Le décret précise que les sommes perçues par les greffes jusqu’au 30 juin 2025 seront reversées aux commissaires de justice au 1er octobre 2025 au plus tard.

De quels moyens matériels et humains disposent les greffes pour y parvenir ?

Sur ce point, l’étude d’impact précitée reste silencieuse, que ce soit tant sur le plan humain que matériel. Cela interroge nécessairement, le transfert des fonds devant intervenir au plus tard quelques semaines après la fin des congés estivaux. Les greffes recevront évidemment des instructions en temps et en heure. Reste à savoir à quel moment. En tout état de cause, il est difficile d’imaginer des renforts humains dans les régies, sans parler de l’aspect matériel et surtout logiciel (énorme point noir de l’institution judiciaire avec des applicatifs dignes de Windows 95). Comment seront réalisés ces transferts de fonds ? En bloc, dossier par dossier ? Ce détail peut être source d’inquiétudes pour les commissaires de justice qui devront traiter ce flux de versements dont on ignore tout quant à ces modalités de mise en œuvre à cet instant.

Autre crainte tirée des statistiques de la procédure de saisie des rémunérations : Il s’agit d’un contentieux de masse qui représentait « sur l'ensemble du territoire national 123 739 requêtes en 2017, 121 335 en 2018 et 124 513 en 2019. A cela s'ajoutent les incidents de saisie. Ainsi, les requêtes en intervention de créanciers tiers étaient au nombre de 44 244 en 2017, 42 983 en 2018 et 43 197 en 2019. Les ordonnances de contraintes délivrées à l'encontre des tiers saisis s'élevaient à 1 364 en 2017, 1 465 en 2018 et 1 495 en 2019. Enfin, les contestations des mesures en cours d'exécution représentaient 1 845 dossiers en 2017, 2 092 en 2018 et 2 181 en 2019 » [4].

Par ailleurs, l’étude d’impact annonce « que les mesures législatives ont [auront] un impact procédural neutre pour les débiteurs puisque les dispositions ne modifient pas substantiellement les modalités de mise en œuvre de la procédure de saisie des rémunérations. En revanche, elles auront un impact très favorable pour les créanciers qui pourront obtenir la mise à exécution plus rapidement de leur titre exécutoire qu'aujourd'hui. » [5]

Or, sans faire de quelconque procès d’intention, cette nouvelle procédure risque d’être facilement détournée pour recouvrer des créances prescrites. Il n’est pas rare de voir une certaine typologie de créanciers, qui achètent en masse des créances douteuses et litigieuses pour trois fois rien, de poursuivre l’exécution de créances prescrites.

La disparition du juge (et de facto de l’avocat), dans un premier temps au travers de la suppression de la requête introductive, pourrait alors être vue comme une porte ouverte en grand pour le recouvrement des créances prescrites.

Le commissaire de justice chargé de délivrer le commandement de payer initiant cette voie d’exécution devra-t-il, avant d’instrumenter, contrôler l’éventuelle prescription de la créance ; sans parler des intérêts réclamés sur plus de dix ans parfois ? La tentation de recourir à cette voie d’exécution, avec un risque de contestation apparaissant à première lecture amoindri, semble pourtant inéluctable et terriblement dangereuse pour le débiteur, souvent en détresse et en situation de « laisser faire » préférant subir que vérifier, avant même de contester.

Continuons avec une nouveauté : le recours à la médiation intégrée à un commandement de payer. Chose étrange, potentiellement contradictoire.

En quoi consistera un éventuel accord de médiation ? Classiquement, l’accord suppose des concessions réciproques. Qu’en sera-t-il notamment des accords reposant sur des créances prescrites et d’un débiteur qui n’aura été éclairé par personne sur ses droits ?

Le débiteur pourra-t-il prétendre à la protection dégagée de l’arrêt de la 1re chambre civile du 29 janvier 2025, n° 23-21.150 N° Lexbase : A39006SA, qui introduit un contrôle judiciaire renforcé sur l’équilibre des concessions, fondé sur l’examen de l’avantage manifestement excessif ? Seul l’avenir nous le dira.

Autre point important lié au volet numérique de cette nouvelle procédure : La sécurisation des données hautement sensibles du débiteur

Un avis de la CNIL est attendu d’ici juin 2025 sur cette question.

Face à la recrudescence des fraudes cyber en tous genres, gageons que ces données hautement sensibles seront véritablement protégées, mais également accessibles. Il n’est pas envisageable d’être confrontés à des serveurs sous-dimensionnés, comme souvent dès lors qu’il s’agit des services de l’État. Par ailleurs, il est à espérer que ces données se cantonneront au strict minimum, comme l’a demandé le Conseil constitutionnel, afin de garantir le respect de la vie privée du débiteur ; la mise en œuvre d’une voie d’exécution ne constituant pas un blanc-seing pour récolter et potentiellement diffuser n’importe quelle information.

Qu’en est-il de la sécurité des transferts de fonds entre greffes et commissaires de justice répartiteurs ? Certes les fonds ne vont pas transiter par la route, en convois de 33 tonnes. Pour autant, à l’instar du traitement des données hautement sensibles des débiteurs, comment le transfert des fonds sera-t-il sécurisé ? Les fraudes diverses et variées, les vulnérabilités, allant grandissantes (NDLA : rappelons que la Caisse des dépôts et consignations a été très récemment victime d’une cyberattaque et que des données ont été siphonnées), quel process a été envisagé pour assurer la sécurité des transferts ?

Et l’employeur dans tout ça ? Cette nouvelle procédure impose une interopérabilité entre le registre des saisies et les logiciels de paie pour le 1er juillet 2025. L’employeur devra également répondre à l’acte de saisie par le calcul, sous sa responsabilité de facto, de la quotité saisissable via le barème 2025 et verser les fonds au commissaire répartiteur.

Il s’agit donc pour l’employeur de supporter de nouvelles contraintes, notamment financières, ainsi qu’une nouvelle responsabilité puisqu’il encourt tout de même une peine d’amende jusqu’à 3750 euros en cas de non-respect du barème, ou encore en cas de transmission excessive de données personnelles du débiteur.

Faire supporter la décharge des juridictions aux entreprises apparaît également critiquable.

Gardons à l’esprit que cette réforme est justifiée par un souci de libérer du temps aux magistrats et greffes, ce qui est louable, mais aussi et surtout par des considérations budgétaires.

Ce transfert de « charge de la procédure » au bénéfice des commissaires de justice n’est-il pas un trompe-l’œil permettant à l’État de se débarrasser d’un fardeau plus qu’une véritable avancée procédurale ?

VIII. Que retenir de cette réforme ?

La réforme de la saisie des rémunérations est annoncée comme une évolution majeure dans le domaine des procédures civiles d'exécution. En simplifiant et en modernisant cette procédure, le législateur vise à la rendre plus efficace et plus attractive, tout en maintenant un équilibre entre les droits des créanciers et la protection des débiteurs.

On notera notamment une forme d’hybridation de la procédure, une combinaison surprenante d’un commandement de payer contenant une incitation à la recherche d’issue amiable à la procédure dans les conditions posées à l’article R. 212-1-6 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L4072MSM.

La réussite de cette réforme dépendra de plusieurs facteurs : la formation adéquate des acteurs concernés, l'adaptation des outils informatiques, la sécurisation des données personnelles ainsi que la capacité à maintenir les garanties juridiques pour les débiteurs, malgré la déjudiciarisation partielle de la procédure.

L'entrée en vigueur de cette réforme, prévue le 1er juillet 2025, marquera le début d'une nouvelle ère pour la saisie des rémunérations. Son impact réel sur l'efficacité du recouvrement des créances et sur la protection des débiteurs ne pourra être pleinement évalué qu'après plusieurs mois, voire années, de mise en pratique. Il sera donc crucial de suivre attentivement son déploiement et ses effets pour s'assurer qu'elle atteint ses objectifs sans créer de nouvelles difficultés imprévues.

Gardons toujours à l’esprit que cette refonte est justifiée par les besoins d’une simplification et surtout d’une rationalisation économique de la procédure de saisie des rémunérations.

Gageons qu’il ne s’agira pas uniquement d’une économie, à hauteur de 9,1 millions d’euros estimés et/ou espérés par an, faite par une institution judiciaire à court de budget et sous l’eau, au détriment du débiteur, et au passage des commissaires de justice, auquel cas elle fera bien des déçus.

Un premier bilan est prévu au 31 décembre 2025.

Un peu prématuré ?

Que sera, sera.

 

[1] Première Ministre, Étude d’impact : Projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027, mai 2023, 4.2.3. Impacts budgétaires, p. 331 [en ligne].

[2] Première Ministre, Étude d’impact : Projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027, mai 2023, 4.2.3. Impacts budgétaires, p. 331, précitée.

[3] Première Ministre, Étude d’impact : Projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027, mai 2023, 4.2.3. Impacts budgétaires, p. 331, précitée.

[4] Première Ministre, Étude d’impact : Projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027, mai 2023, 1.1.1. La saisie des rémunérations, p. 324, précitée.

[5] Première Ministre, Étude d’impact : Projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027, mai 2023, 4.6. Impact sur les particuliers, p. 333, précitée.

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