Réf. : CE, 5/6 ch.-r., 20 mars 2025, n° 474853, Mentionné dans les tables du recueil Lebon N° Lexbase : A10320BT
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par Timothy James, Docteur en droit privé, qualifié aux fonctions de maître de conférences, ATER Université Paris Cité, Institut Droit et Santé (UMR_S 1145, Inserm)
le 29 Avril 2025
Le remboursement, par l'assureur d'un établissement de santé, des sommes versées à des tiers payeurs ne s’analyse pas en une transaction au sens de l’article L. 1142-14 du Code de la santé publique, de sorte que l’assureur peut en demander la restitution en cas de trop-perçu par ceux-ci.
À l’occasion de son arrêt du 20 mars 2025, le Conseil d’État vient préciser la nature des relations qui lient l’assureur d’un établissement de santé et les tiers payeurs lorsque, dans le cadre de la procédure amiable prévue à l’article L. 1142-14 du Code de la santé publique N° Lexbase : L5391IR4, un établissement de santé voit sa responsabilité retenue. En effet, alors que la responsabilité de l’établissement de santé était retenue par l’avis de la Commission de conciliation et d’indemnisation, l’assureur de celui-ci a formulé une offre transactionnelle à destination de la victime tout en versant à la caisse d’assurance maladie l’intégralité des débours exposés. Toutefois, l’offre étant refusée par la victime, le contentieux se poursuit devant les juridictions administratives où il apparaît que la responsabilité de l’établissement n’aurait finalement occasionné qu’une fraction des débours remboursés. L’assureur tente donc d’obtenir le remboursement des sommes indûment versées. La caisse s’y oppose invoquant la transaction. Si, en première instance, le juge administratif refuse de faire droit à la demande au motif qu’il n’appartient pas au juge de prononcer une mesure qu’une personne publique peut prendre à son initiative, la cour administrative d’appel infirme le jugement en se déclarant incompétente pour connaître de la demande. L’arrêt fait l’objet d’une cassation (CE, 21 juillet 2022, n° 449789 N° Lexbase : A46988CY : RCA, 2022, comm. 225, L. Bloch). La Cour de renvoi fait droit à la demande de l’assureur.
Pour rejeter le pourvoi formé par la Caisse de Sécurité sociale, la Haute juridiction administrative rappelle que si, au titre de l’article L. 1142-14 du Code de la santé publique, l’acceptation par la victime de l’offre de l’assureur vaut transaction au sens de l’article 2044 du Code civil N° Lexbase : L2431LBN, la faculté dont dispose les caisses d’assurance sociale au titre de l’article L. 376-1 du Code de la sécurité sociale N° Lexbase : L8870LHY de se subroger dans les droits de la victime du dommage, ne conduit pas à estimer que le versement doit s’identifier en une transaction. Il s’agit, selon la cour administrative d’appel, d’une indemnisation amiable au titre des débours ne faisant pas obstacle à ce que l’assureur puisse demander la restitution de l’indu.
L’indemnisation consécutive à un accident médical instaure une relation juridique tripartite réunissant le responsable ou son assureur, la victime et l’organisme de Sécurité sociale intervenant en qualité de tiers payeur. Le cumul des prestations sociales avec l’indemnité versée à la victime donne lieu à un mécanisme de ventilation destiné à assurer, d’une part, la réparation intégrale du dommage subi par la victime et, d’autre part, le remboursement des débours engagés par les organismes sociaux au titre du recours subrogatoire prévu par l’article L. 376-1 du Code de la sécurité sociale (voir G. Viney, Traité de droit civil, Introduction à la responsabilité, LGDJ, 4e éd., 2019, n° 40).
Néanmoins, loin d’instaurer une interdépendance procédurale, la jurisprudence entend bien traiter de façon distincte la relation entre la victime et l’assureur du responsable de celle qui lie ce dernier au tiers payeur. En effet, si l’existence et l’étendue de la créance du tiers payeur sont indissociables de celles de la créance détenue par la victime, il en va différemment de l’exercice du recours subrogatoire par la caisse. Cette faculté lui est propre et demeure indépendante des modalités procédurales choisies par la victime pour introduire son action.
Tout d’abord, cette indépendance résulte de l’effet relatif de la transaction de sorte qu’une transaction entre le responsable et la victime n’interdit pas aux tiers payeurs d’agir, d’autant qu’elle ne produit pas d’effet sur le cours de la prescription (CE, 24 avril 2012, n° 329737, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4156IK7 : AJDA, 2012, p. 917, obs. C. Biget ; JCP A, 2012, actu. 305, obs. C. Friedrich). De même, une caisse ne saurait se prévaloir des termes d'une transaction conclue entre l'établissement et la victime à laquelle elle n'a pas été partie (CE, 22 mars 2024, n° 455107, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A47342WA : AJDA, 2024, p. 639 ; AJDA, 2024, p. 1017, chron. A. Goin et L. Cadin ; AJCT, 2024, p. 365, obs. J.-D. Dreyfus ; RFDA, 2024, p. 773, concl. F. Roussel ; RDSS, 2024, p. 498, note C. Otero ; RTD civ., 2024, p. 673, obs. P.-Y. Gautier ; JCP A, 2024, act. 182 ; RCA, 2024, comm. 124, L. Bloch). On relèvera à cet égard que le juge judiciaire admet, quant à lui, qu’une telle transaction emporte reconnaissance implicite de responsabilité de l'auteur du dommage, fondant ainsi le droit de la caisse à être indemnisée au titre de son recours subrogatoire (Cass. civ. 1, 21 avril 2022, n° 20-17.185, FS-B N° Lexbase : A15737US : D., 2022, p. 843 ; RTD civ., 2022, p. 388, obs. H. Barbier ; RTD civ., 2022, p. 637, obs. P. Jourdain ; RCA, 2022, comm. 147, J. Bourdoiseau).
Enfin, cette indépendance ressort aussi d’une distinction des effets de l’action des caisses, pourtant qualifiée de subrogatoire par l’article L. 376-1 du Code de la sécurité sociale N° Lexbase : L8870LHY. De sorte, a été admise la recevabilité de l’action de la caisse en remboursement contre le responsable du dommage alors même que la victime n’aurait pas contesté dans les délais le refus d’indemnisation opposé au titre de la procédure amiable (CE, avis, 17 septembre 2012, n° 360280, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9573ISD : AJDA, 2012, p. 1711, obs. M.-C. de Montecler ; AJDA, 2012, p. 2167, Chron. X. Domino et A. Bretonneau ; RFDA, 2012, p. 1243 ; Dr. adm., 2012, n° 97, note M. Baldovini ; JCP A, 2012, actu. 612, obs. L. Erstein ; JCP A, 2013, n° 2001 Chron. M.-L. Moquet-Anger ; RCA, 2012, comm. 352, H. Groutel ; RCA, 2012, comm. 343 ; adde CE, 1er décembre 2023, n° 471514 N° Lexbase : A182117L : où il est jugé que l'autorité de la chose jugée attachée à la décision rendue sur l’action d'une caisse de Sécurité sociale, sans examen des droits propres de la victime, ne fait pas obstacle à ce que celle-ci présente ensuite ses propres demandes indemnitaires, faute d'identité de parties et d'objet).
L’arrêt rendu ne conduit donc qu’à tirer les conséquences logiques de ce droit propre qu’a la caisse de Sécurité sociale. Finalement, si l'assureur a procédé au versement des sommes réclamées, c’est davantage en raison de la conviction erronée qu’il y était juridiquement tenu, compte tenu de l’avis rendu par la Commission, que d’une réelle volonté transactionnelle. Aucun élément ne permet d'affirmer qu'il ait ainsi entendu renoncer à réclamer ultérieurement la restitution des sommes indûment versées.
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