Réf. : Cass. civ. 1, 5 mars 2025, n° 22-20.631, F-D N° Lexbase : A853863M
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par Adeline Gouttenoire, Professeure à l’Université de Bordeaux
le 30 Avril 2025
Mots-clés : coparentalité • ordre public • décisions relatives à la santé de l'enfant • nécessité médicale • urgence • conflit parental • office du juge • Juge aux affaires familiales (JAF) • juge des enfants • prérogative du médecin
L’arrêt du 5 mars 2025 vient rappeler le caractère d’ordre public du principe de coparentalité. La Cour de cassation condamne en effet les tentatives d’un parent de déséquilibrer à son profit les droits de chacun des titulaires de l’exercice en commun de l’autorité parentale.
En l’espèce, le père d’un enfant de trois ans avait saisi le juge aux affaires familiales à propos des modalités d'exercice de l'autorité parentale après la séparation du couple. Les juges du fond n’avaient pas écarté l’exercice en commun de l’autorité parentale. En revanche, la mère a été autorisée par la cour d’appel « à prendre seule les décisions relatives à la santé de l'enfant qui relèvent de la nécessité médicale ou de l'urgence, et, uniquement lorsqu'elle aura sollicité au préalable l'avis du père et que celui-ci, soit se sera abstenu de répondre, soit s'y sera opposé sans raison légitime et sans faire de contre-propositions efficientes. »
Cette atteinte à l’exercice conjoint de l’autorité parentale en matière de santé est logiquement condamnée par la Cour de cassation (I), en ce qu’elle constitue une délégation de pouvoir du juge aux affaires familiales (II).
I. L’atteinte à la coparentalité en matière de santé
Prérogative parentale. Les soins, traitements, opérations rendus nécessaires par l'état de santé de l'enfant relèvent de l'autorité parentale des père et mère (C. civ., art. 371-1, al. 2 N° Lexbase : L6252ML7). Il leur appartient de choisir un traitement, de demander l'admission de l'enfant à l'hôpital (CSP, art. R. 1112-34 N° Lexbase : L4592DKB), de consentir à une opération (CSP, art. R. 1112-35 N° Lexbase : L4593DKC) et, plus généralement, de décider des soins à donner à l'enfant. Dans l'arrêt « Hanzelkovi c/ République tchèque » [1], la Cour européenne des droits de l'Homme a condamné les autorités étatiques qui avaient imposé à une mère l'hospitalisation pendant trois jours de son nouveau-né. En effet, selon le juge européen, la notion de vie privée et familiale inclut le droit d’un parent de décider du traitement médical, et partant, de l'hospitalisation de son enfant.
Accord des deux parents. En matière de santé comme dans les autres domaines, le principe est la coparentalité c’est-à-dire l’accord des deux parents pour tous les actes concernant l’enfant. Toutefois, en vertu de l’article 372-2 du Code civil N° Lexbase : L2902AB4, chacun des parents peut faire seul les actes usuels. La cour d’appel de Paris, dans la décision du 9 juin 2022 objet du pourvoi en cassation [2], constate qu’il n’existe pas de définition des actes usuels et apporte des précisions intéressantes à ce sujet. Elle considère que les actes usuels sont « des soins obligatoires comme certaines vaccinations ou des soins courants (soins dentaires, maladies infantiles courantes etc…) ou des soins habituels pour tel ou tel enfant. ». À l’inverse, les actes non usuels, à propos desquels le juge aux affaires familiales est amené à intervenir pour trancher le conflit parental se caractérisent par « leur caractère inhabituel, ou de leur incidence particulière sur l’éducation et la santé de l’enfant ».
Obstruction. La cour d’appel a, en l’espèce, relevé une propension habituelle du père à la contestation qui va bien au-delà de l’expression de points de vue contraires entre des parents séparés et de la revendication d’une place égale à celle de la mère. Or, « l’intérêt de l’enfant est avant tout de pouvoir être suivi au plan de sa santé sans être pris en étau dans le conflit parental et les contestations quasi-systématiques du père en réplique aux choix de praticiens bien souvent faits de manière unilatérale par la mère », alors que ce choix relève de la coparentalité. Cette situation justifiait, selon la cour d’appel, l’autorisation donnée a priori à la mère de réaliser seule les actes non usuels qui relèvent de la nécessité médicale ou de l’urgence après avoir sollicité l’avis du père. Le refus de ce dernier, de même que son silence n’empêcheront pas la mère de prendre la décision, sauf à ce qu’il fasse « des propositions efficientes ». Les prérogatives accordées à la mère ne sont pas très claires ni pour ce qui est du type de décisions pouvant être prises, ni pour ce qui est des contrepropositions du père. On peut en outre s’interroger sur l’appréciation de l’absence de motifs légitimes du refus du père qui constitue une condition de la prise de décision par la seule mère. L’attitude du père peut, cependant, être analysée comme une atteinte indirecte à la coparentalité, et les prérogatives reconnues à la mère comme un moyen de l’empêcher.
II. L’interdiction faite au juge des déléguer ses prérogatives
Office du juge. La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel « en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que les parents exerçaient en commun l'autorité parentale, a délégué à la mère son pouvoir de trancher les éventuels conflits d'autorité parentale relativement à certaines décisions concernant la santé de l'enfant. » La condamnation par la Cour de cassation de la décision de la Cour d’appel d’autoriser la mère à prendre seules les décisions médicales nécessaires ou urgentes concernant l’enfant est sans appel. L’office du juge aux affaires familiales implique que le juge fixe lui-même les modalités de l’exercice de l’autorité parentale. Cette affirmation n’est toutefois pas antinomique avec l’obligation pour le juge de tenir compte des accords parentaux. Ce que la Cour de cassation prohibe, c’est le fait pour le juge de laisser un seul des parents organiser directement ou indirectement un des aspects de l’exercice de l’autorité parentale. Il est vrai que la reconnaissance à la mère d’une telle prérogative a de quoi surprendre tant la matière médicale revêt une importance essentielle en matière de coparentalité.
Droit de visite. Selon le même raisonnement, la Cour de cassation a maintes fois condamné les droits de visite soumis à la volonté de l’enfant [3], considérant – à tort ou à raison – qu’il s’agit pour le juge, de déléguer ses pouvoirs, puisque qu’en réalité, il ne fixe par le droit de visite mais le laisse au bon vouloir de l’enfant, et donc, dans l’esprit de la Cour de cassation, à la volonté du parent hébergeant.
Compétence pour trancher les conflits. La Cour de cassation estime qu’en accordant à un parent la possibilité de prendre une décision relative à l’enfant sans l’accord de l’autre – ce qui suppose qu’il s’agisse d’un acte non usuel pour lesquels le consentement des deux parents est requis – le juge délègue son pouvoir de décision. Elle se fonde sur l’article 373-2-6 du Code civil N° Lexbase : L6254ML9 selon lequel le juge aux affaires familiales règle les questions qui lui sont soumises en veillant spécialement à la sauvegarde des intérêts des enfants mineurs. Ce que le juge délègue en autorisant la mère à prendre seule la décision relative à la santé de l’enfant en cas de conflit – positif ou négatif – c’est son pouvoir de trancher un désaccord entre les parents à propos d’une question relevant de l’exercice de l’autorité parentale.
Pouvoir du juge de trancher les conflits parentaux. Dans plusieurs arrêts antérieurs, la Cour de cassation a affirmé clairement que le juge aux affaires familiales était compétent pour trancher les conflits parentaux à propos d’une décision spécifique relative à l’enfant. Elle a ainsi admis que le juge aux affaires familiales tranche un conflit entre les parents à propos du baptême des enfants [4] ou d'un traitement à base d'hormones de croissance [5]. Dans ces deux décisions, elle a refusé de passer outre le refus de l’un des parents, ce qui est conforme aux exigences de la coparentalité. La décision judiciaire accordant, de manière anticipée, à la mère, le droit de prendre seule une décision médicale en cas de désaccord ou de silence du père, prive ce dernier de la possibilité de saisir, a priori, le juge pour qu’il tranche le conflit.
Opportunité. On peut comprendre la volonté du juge de faciliter la prise de décision médicale nécessaire ou urgente par le parent hébergeant lorsque l’autre parent s’oppose par principe aux décisions qu’il estime nécessaires. L’obligation de saisir le juge pour chaque décision médicale qui constitue un acte non usuel rend en effet la prise en charge médicale de la santé de l’enfant particulièrement complexe. La possibilité pour le parent non hébergeant de bloquer l’exercice de l’autorité parentale est manifestement contraire à l’intérêt de l’enfant.
Exercice exclusif de l’autorité parentale. Bien que rarement admis par le juge aux affaires familiales, l’exercice exclusif de l’autorité parentale peut constituer une solution face à l’obstruction systématique d’un parent à la réalisation des actes non usuels. En effet, l’article 373-2-1 du Code civil N° Lexbase : L7190IMA permet au juge de déroger au principe de l’exercice conjoint de l’autorité parentale lorsque l’intérêt de l’enfant l’impose. Le refus d'un parent de collaborer avec l'autre a ainsi pu être retenu comme pouvant fonder un exercice unilatéral de l’autorité parentale [6]. On peut considérer que tel est bien le cas si les décisions médicales relatives à ce dernier ne peuvent être prises dans un délai raisonnable. Cette solution peut paraître cependant disproportionnée si l’opposition du père ne se manifeste que dans le domaine médical.
Prérogatives du médecin. Un dispositif exceptionnel permet au médecin de passer outre le refus d'un ou des parent(s) sans avoir besoin de recours au juge. En effet, selon l'article L. 1111-4, alinéa 6, du Code de la santé publique N° Lexbase : L4849LWI, « dans le cas où un refus de traitement par la personne titulaire de l'autorité parentale ou le tuteur risque d'entraîner des conséquences graves pour la santé du mineur, le médecin délivre les soins indispensables ». Ainsi, la cour administrative d'appel de Bordeaux a pu considérer, dans une décision du 4 mars 2003 [7], que les médecins qui avaient pratiqué une transfusion sanguine sur un mineur malgré le refus des parents ne commettaient pas de faute ; il était en effet établi que l'enfant présentait des signes cliniques de péril vital imminent. En outre, l'article R. 4127-42 du Code de la santé publique N° Lexbase : L7283L4I dispose que : « Sous réserve des dispositions de l'article L. 1111-5, un médecin appelé à donner des soins à un mineur […] doit s'efforcer de prévenir ses parents ou son représentant légal et d'obtenir leur consentement. En cas d'urgence, le médecin doit donner les soins nécessaires ». Cette prérogative reconnue au médecin permet à celui-ci de réaliser l’acte nonobstant le refus d’un parent, lorsque l’absence de soin est susceptible d’avoir de graves conséquences sur l’enfant. Cette règle permettait dans la situation de l’espèce de répondre ponctuellement aux besoins de l’enfant en matière médicale.
Juge des enfants. Contrairement au juge aux affaires familiales, le juge des enfants peut, en vertu de l’article 375-7 alinéa du Code civil N° Lexbase : L2302MBU, autoriser la réalisation d’un acte ou d’une série d’actes non usuels par le service ou la personne à qui l’enfant et confié en cas de refus abusif ou injustifié ou en cas de négligence des détenteurs de l'autorité parentale. Cette disposition destinée à éviter que les parents empêchent l’effectivité de la prise en charge de l’enfant, peut être appliquée à une domaine particulier tel que la santé de l’enfant. La disposition en cause dans l’arrêt du 5 mars 2025, correspond à cette situation. Certes, le contexte de l’assistance éducative qui implique une mise en danger de l’enfant dans son milieu familial justifie davantage une telle atteinte aux droits parentaux. Il n’en reste pas moins qu’une possibilité similaire pour le juge aux affaires familiales, dans des circonstances exceptionnelles et selon des modalités très encadrées, pourrait être opportune et faciliter la vie quotidienne de certains enfants de parents séparés qui subissent, comme l’a constaté la cour d’appel de Paris, les effets délétères du conflit parental dans leur vie quotidienne.
[1] CEDH, 11 décembre 2014, Req. 43643/10, Hanzelkovi c/ République tchèque N° Lexbase : A2144M7K, JCP 2015. Doctr. 70, obs. Sudre.
[2] CA Paris, 3, 3, 9 juin 2022, n° 19/12243 N° Lexbase : A53410EK.
[3] Cass. civ. 2, 7 octobre 1987, n° 86-15.026, publié au bulletin N° Lexbase : A6548C8Z ; RTD civ. 1988. 321, obs. J. Rubellin-Devichi ; Cass. civ. 2, 11 octobre 1995, n° 93-15415, publié au bulletin N° Lexbase : A7811ABW, RTD civ. 1996. 142, obs. J. Hauser ; Cass. civ. 2, 22 octobre 1997, n° 96-12.011 N° Lexbase : A1022ACT, RTD civ. 1998. 95, obs. J. Hauser ; JCP 1998. II. 10014, note T. Garé ; Cass. civ. 1, 4 octobre 2001, n° 99-05.088 N° Lexbase : A1491AW7, Dr. fam. 2002, comm. no 58, obs. P. Murat ; Cass. civ. 1, 6 mars 2013, n° 11-22.770, F-D N° Lexbase : A3089I9B, Dr. fam. 2013, comm. n° 70, obs. C. Neirinck.
[5] Cass. civ. 1, 15 mars 2017, no 16-24.055, F-D N° Lexbase : A2742UCK, D. 2017. 1727, obs. Bonfils et Gouttenoire
[6] Cass. civ. 1, 10 mai 2001, n° 00-11.083 N° Lexbase : A4281ATQ, RJPF 2001-9/25. – CA Paris, 29 mars 2001, no 2000/11036 N° Lexbase : A1822MGL.
[7] CAA Bordeaux, 4 mars 2003, no 99BX02360 N° Lexbase : A5779C9W, JCPAdm. 2003, no 51, p. 15.
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