Réf. : Cass. civ. 2, 10 avril 2025, n° 23-11.731, F-B N° Lexbase : A13710HA
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par Bruno Fieschi, Avocat associé, Flichy Grangé Avocats
le 29 Avril 2025
► Une maladie caractérisée, non désignée dans un tableau des maladies professionnelles, peut être reconnue d’origine professionnelle lorsqu'il est établi qu'elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu'elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d'un taux évalué, dans les conditions mentionnées à l'article L. 434-2 et au moins égal à un pourcentage fixé à 25 % par l'article R. 461-8. Le taux prévisible d’incapacité évalué par le service du contrôle médical dans le dossier constitué pour le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles revêt un caractère provisoire et n’est pas notifié aux parties. Dès lors, il ne peut être contesté par l’employeur pour défendre à l’action en reconnaissance de la faute inexcusable.
La reconnaissance du caractère professionnel d’une maladie, dite « hors tableau », est subordonnée à l’avis d’un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles afin qu’il se prononce sur l’existence d’un lien de causalité direct et essentiel entre le travail habituel et la maladie déclarée, mais encore faut-il que la maladie entraîne le décès de la victime ou une incapacité permanente d'un taux évalué, dans les conditions mentionnées à l'article L. 434-2 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L7111IUW, et au moins égal à un pourcentage fixé à 25 % par l'article R. 461-8 du Code la Sécurité sociale N° Lexbase : L0585LQQ [1], comme l’article L. 461-1 du Code de la Sécurité sociale [LXBL8868LHW] le dispose.
Afin de faciliter la reconnaissance des affections hors tableau, et sous l’impulsion d’une lettre ministérielle du 13 mars 2012, introduisant la notion d’incapacité permanente prévisible évaluée avant consolidation [2], la CNAMTS a diffusé une lettre réseau préconisant un certain nombre de bonnes pratiques afin d’assurer un traitement homogène des demandes de prise en charge des affections psychiques, en raison des difficultés d’appréciation de cette incapacité et en l’absence de critères précis [3].
La réitération de la notion d’incapacité prévisible. Quand bien même les pouvoirs législatif et réglementaire n’ont pas ultérieurement consacré la notion d’incapacité prévisible, bien qu’ils ont édicté différents textes pour améliorer notamment la reconnaissance des pathologies psychiques comme maladies professionnelles hors tableau [4], la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a jugé de manière prétorienne que, pour l’application des dispositions des articles L. 461-1, R. 461-8 N° Lexbase : L0585LQQ, D. 461-29 N° Lexbase : L0591LQX et D. 461-30 N° Lexbase : L0590LQW du Code de la Sécurité sociale, le taux d’incapacité permanente à retenir pour l’instruction d’une demande de prise en charge d’une maladie non désignée dans un tableau des maladies professionnelles est celui évalué par le service du contrôle médical dans le dossier constitué pour la saisine du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, et non le taux d’incapacité permanente partielle fixé après consolidation de l’état de la victime pour l’indemnisation des conséquences de la maladie [5]. Ainsi, au stade de la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie hors tableau, est retenu un taux d’incapacité prévisible distinct du taux d’incapacité permanente apprécié au jour de la consolidation par le médecin conseil de l’assurance maladie. En cela, l’arrêt commenté du 10 avril 2025 réitère une solution précédemment consacrée.
Le principal apport de l’arrêt commenté. La deuxième chambre civile de la Cour de la cassation de précise se prononce sur la possibilité ou non pour l’employeur de contester ce taux d’incapacité prévisible comme moyen de défense dans le cadre de l’action en faute inexcusable, pour remettre en cause le caractère professionnel de la maladie et obtenir in fine le rejet de la reconnaissance de la faute inexcusable. Ce n’est pas tant la solution juridique que la motivation de la décision adoptée qui retient l’attention.
En effet, dans le cadre d’un contentieux en contestation d’une décision de reconnaissance du caractère professionnel d’une maladie hors tableau, à l’occasion duquel un employeur demandait au juge de vérifier que le taux d’incapacité prévisible était justifié, la Haute cour avait déjà pu rejeter un pourvoi en cassation à l’encontre de l’arrêt d’appel ayant déclaré opposable à l’employeur la décision de la CPAM, au motif laconique selon lequel la cour d’appel « n’avait pas à procéder à la recherche prétendument omise » [6]. Aussi, lorsque la deuxième chambre civile de la Cour de cassation juge, en l’espèce, que le taux d’incapacité prévisible ne peut être contesté pour défendre à l’action en reconnaissance de la faute inexcusable, et que le juge du fond n’avait pas à procéder à une recherche prétendument omise et qu’il a pu exactement déduire que le taux d’incapacité prévisible ne pouvait pas être remis en cause par l’employeur, la solution retenue s’inscrit donc dans une continuité.
Il n’en demeure pas moins que la motivation de l’arrêt rendu le 10 avril 2025 peut laisser perplexe dans une certaine mesure. La motivation tient en quelques mots. N’étant pas notifié aux parties à raison de son caractère provisoire, le taux d’incapacité prévisible ne peut dès lors pas être contesté par l’employeur pour défendre l’action en reconnaissance de la faute inexcusable. Par analogie, faut-il comprendre de cet attendu que l’assuré n’a plus le droit de contester l’évaluation du service médical de l’assurance lorsqu’il retient une incapacité prévisible inférieure à un taux de 25 % ? Si on peut en douter, la formulation peut être discutée. En pratique, lorsque la CPAM retient que l’incapacité prévisible est inférieure à 25 %, elle notifie à l’assuré une décision de refus de prise en charge qui lui ouvre une voie de recours. En conséquence, ce qui demeurerait contestable pour l’assuré [7] ne le serait pas pour l’employeur, bien qu’il soit exposé à subir la notification d’une décision de prise en charge, étant rappelé que l’avis rendu par le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles s’impose à la CPAM en sa décision finale [8].
Une solution juridique restrictive. La difficulté d’appréciation de l’incapacité prévisible fut identifiée dès l’origine, comme cela fut précédemment exposé. Appréciée en considération d’un état pathologique évolutif et provisoire à la date de la déclaration de la maladie professionnelle, l’incapacité prévisible nécessite d’être objectivée, notamment par l’emploi d’une méthode d’évaluation suffisamment rigoureuse. Dès lors, le renoncement à un contrôle juridictionnel à l’initiative de l’employeur, au seul motif que cette incapacité prévisible est provisoire, apparaît assez peu protecteur des droits de la défense dans le cadre de l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur. En l’état, si l’employeur a toujours la possibilité de contester l’origine professionnelle de la maladie dans le cadre de l’action en reconnaissance de la faute inexcusable, sa contestation ne peut porter que sur l’existence d’un lien de causalité direct et essentiel entre le travail habituel et la maladie déclarée, sans qu’il ne puisse discuter de la sévérité de l’état pathologique avant consolidation, alors qu’elle reste être une condition nécessaire à la reconnaissance du caractère professionnel d’une maladie hors tableau.
La solution dégagée apparaît d’autant plus restrictive qu’elle restreint la défense de l’employeur en considération de données relatives à l’instruction du caractère professionnel de la maladie, alors que le courant jurisprudentiel dominant opère une distinction nette entre la procédure de reconnaissance du caractère professionnel de l’accident ou de la maladie, et l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur. Ainsi, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a déjà pu juger qu’ayant pour objet exclusif la prise en charge ou le refus de prise en charge, au titre de la législation professionnelle, de l'accident, de la maladie ou de la rechute, la décision prise par la caisse est sans incidence sur l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur [9] ; mais également que l’employeur a toujours la possibilité de contester l’origine professionnelle de la maladie dans le cadre de l’instance en reconnaissance de sa faute inexcusable, quand bien même la décision de prise en charge notifiée à l’employeur n’a pas été contestée [10].
Finalement, la motivation de l’arrêt rendu tirée du caractère provisoire de l’incapacité prévisible et de son défaut de notification peine à convaincre. Si un assuré peut être amené à subir une minoration excessive de son incapacité provisoire prévisible par le service du contrôle médical [11], l’employeur n’était-il jamais exposé à l’excès inverse ? Les faits têtus établissent que la difficulté n’est pas que théorique pour l’employeur [12].
Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : La définition de la maladie professionnelle, Les cas d'application, in Droit de la protection sociale, Lexbase N° Lexbase : E3062ETL. |
[1] Décret n° 2002-543 du 18 avril 2002, relatif à certaines procédures de reconnaissance des maladies professionnelles N° Lexbase : L3060AZD, art. 1er. Ce taux était antérieurement fixé à 66,66 %.
[2] Ch. Willmann, Risques psychosociaux : une reconnaissance comme maladie professionnelle, mais progressive, octobre 2015, n° 630 N° Lexbase : N9613BUL.
[4] Loi n° 2017-1836 du 30 décembre 2017, de financement de la Sécurité sociale pour 2018 N° Lexbase : L6540MSZ, art. 27 ; décret n° 2016-756 du 7 juin 2016, relatif à l’amélioration de la reconnaissance des pathologies psychiques comme maladies professionnelles et du fonctionnement des CRRMP N° Lexbase : L2784MWZ.
[5] Cass. civ. 2, 19 janvier 2017, n° 15-26.655, FS-P+B N° Lexbase : A7223S9E ; Cass. civ. 2, 24 mai 2017, n° 16-18.141, F-D N° Lexbase : A0921WET ; Cass. civ. 2, 9 mai 2018, n° 17-17.323, F-D N° Lexbase : A6215XM7.
[6] Cass. civ. 2, 21 octobre 2021, n° 20-13.889, F-D N° Lexbase : A996749Z.
[7] Cass. civ. 2, 20 juin 2019, n° 18-17.373, F-P+B+I N° Lexbase : A2917ZG7.
[8] CSS, art. L. 461-1 N° Lexbase : L8868LHW.
[9] Cass. civ. 2, 26 novembre 2015, n° 14-26.240, F-P+B N° Lexbase : A0798NY9 ; Cass. civ. 2, 11 février 2016, n° 15-10.066, F-P+B N° Lexbase : A0347PLG.
[10] Cass. civ. 2, 5 novembre 2015, n° 13-28.373, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A7339NUD.
[11] CA Bordeaux, 27 juillet 2023, n° 20/00430 N° Lexbase : A07411DS.
[12] CA Amiens, 7 novembre 2023, n° 20/04245 N° Lexbase : A92171YZ.
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