COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
M. Pascal HAMON en a rendu compte à la Cour composée en outre de:
M. Pascal HAMON, Président,
Mme Graziella HAUDUIN, Président,
et Monsieur Renaud DELOFFRE, Conseiller,
qui en ont délibéré conformément à la loi.
PRONONCE :
Le 07 Novembre 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l'
article 450 du code de procédure civile🏛, M. Pascal HAMON, Président a signé la minute avec Mme Diane VIDECOCQ, Greffier
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DECISION
Le 17 avril 2017, Mme [Aa] [M], employée par le centre hospitalier de [Localité 4] en qualité de praticien hygiéniste depuis juin 1986, a adressé à la caisse primaire d'assurance maladie du Hainaut une déclaration de maladie professionnelle pour une hypertension artérielle symptomatique avec malaise et épuisement professionnel.
Cette maladie n'étant pas reprise dans un tableau des maladies professionnelles, la demande a été instruite dans le cadre de l'
article L. 461-1, alinéa 4 et 5 du code de la sécurité sociale🏛.
Le praticien-conseil du service médical de la caisse ayant fixé un taux d'incapacité permanente prévisionnel au moins égal à 25 %, le dossier a été examiné par le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (ci-après CRRMP) des Hauts de France, qui a estimé qu'il existait un lien direct et essentiel entre la maladie de la salariée et son emploi au terme de la motivation suivante : « Les éléments communiqués dans le dossier rapportent un contexte professionnel délétère comportant notamment différentes formes de violences, une perte d'autonomie décisionnelle et un manque de soutien hiérarchique. Il n'est noté aucun facteur confondant dans ce dossier. Cet environnement professionnel permet donc d'expliquer la survenue de la pathologie déclarée ».
Par courrier du 12 février 2018, la CPAM du Hainaut a notifié au centre hospitalier de [Localité 4] une décision de prise en charge de la pathologie de Mme [M] au titre des maladies professionnelles.
Contestant l'opposabilité de cette décision, le centre hospitalier de [Localité 4] a formé un recours contre cette décision auprès de la commission de recours amiable, qui a rejeté la requête par décision du 27 septembre 2018, puis a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Valenciennes par courrier recommandé du 30 novembre 2018.
Par jugement avant-dire droit du 24 mai 2019, le pôle social du tribunal de grande instance de Valenciennes a dit qu'il y avait lieu de recueillir l'avis du CRRMP de la région Nord-Est.
L'avis du CRRMP de [Localité 5] Nord-Est s'établit comme suit : « Les éléments présents au dossier mettent en évidence une exposition avérée à des risques psycho-sociaux (dysfonctionnement organisationnelle et relationnelle, mise à l'écart) ayant conduit à l'apparition de la maladie déclarée. On ne retrouve d'ailleurs pas de facteurs extra-professionnels pouvant expliquer l'apparition de la pathologie. ['] Un lien direct et essentiel peut être établi entre la pathologie présentée et l'activité professionnelle exercée. ».
Par jugement en date du 3 juillet 2020, le pôle social du tribunal de grande instance, devenu tribunal judiciaire, de Valenciennes a :
Déclaré irrecevable le recours du centre hospitalier de [Localité 4] sur le taux d'incapacité de 25 % retenu s'agissant de la pathologie déclarée par Mme [M],
Débouté le centre hospitalier de [Localité 4] de l'ensemble de ses demandes,
Condamné le centre hospitalier de [Localité 4] aux dépens.
Le 15 juillet 2020, le centre hospitalier de [Localité 4] a interjeté appel de ce jugement.
Les parties ont été convoquées à l'audience du 14 octobre 2021.
Par décision du 20 septembre 2022, la cour d'appel de céans a déclaré le recours de l'employeur recevable et, avant-dire droit sur le fond, a ordonné une mesure de consultation sur pièces par le docteur [C] [F], aux fins de donner son avis sur le taux d'incapacité permanente partielle prévisible à la date à laquelle le praticien-conseil s'est prononcé, laquelle a transmis son rapport le 10 mars 2023.
Les parties ont été une nouvelle fois convoquées à l'audience du 19 juin 2023.
Aux termes de ses conclusions du 14 octobre 2021, le centre hospitalier de [Localité 4] demande à la cour de :
Infirmer la décision déférée,
Juger que la pathologie déclarée par Mme [M] ne peut être reconnue comme maladie professionnel,
Juger que le taux de 25 % notifié par la caisse n'est pas justifié,
Annuler les décisions des 12 février et 27 septembre 2018,
Condamner la caisse au paiement de la somme de 2 500 euros au titre de l'
article 700 du code de procédure civile🏛 ainsi qu'au dépens.
Le centre hospitalier de [Localité 4] soutient qu'il n'existe pas d'élément permettant d'expliquer le mode d'évaluation du taux d'incapacité retenu, et qu'il est observé à tort une absence d'antécédents alors qu'il ressort de l'instruction que la salariée bénéficiait d'un traitement pour une hypertension artérielle sévère.
Il fait valoir que l'état antérieur de Mme [M] aurait dû être pris en compte lors de l'évaluation du taux d'incapacité et sollicite à titre subsidiaire une mesure d'expertise s'agissant de l'état réel présenté par la salariée.
Aux termes de ses écritures du 14 octobre 2021, développées oralement à l'audience, la CPAM du Hainaut demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions.
La caisse sollicite le maintien du taux d'incapacité permanente prévisible de 25 % et fait valoir que les CRRMP saisis concluent à l'absence de facteur extraprofessionnel permettant d'expliquer l'apparition de la pathologie.
Elle ajoute que l'évaluation d'un taux supérieur ou égal à 25 % ne fait pas directement grief à l'employeur en ce qu'il ne vise qu'à limiter l'accès au système complémentaire pour les victimes et que le centre hospitalier de [Localité 4] n'a pas émis des réserves lors de la phase de consultation du dossier préalable à son examen par le CRRMP.
Elle expose enfin que le CRRMP peut remettre en cause le taux évalué précédemment et l'avis rendu, qui s'impose à la caisse, porte tant sur l'évaluation du taux d'incapacité que sur le lien direct et essentiel entre la pathologie et le travail de la salariée, de sorte que le taux d'incapacité devient une composante de son avis et se substitue à celui émis précédemment par le praticien-conseil.
Motifs :
Il résulte de la combinaison des
articles L. 461-1 et R. 461-8 du code de la sécurité sociale🏛 que, peut être reconnue d'origine professionnelle une maladie caractérisée non désignée dans un tableau des maladies professionnelles lorsqu'il est établi qu'elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu'elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d'un taux évalué dans les conditions mentionnées à l'article L. 434-2 du même code et au moins égal à un pourcentage fixé à 25 %.
Aux termes des dispositions de l'article du code précité, la caisse primaire d'assurance maladie saisit le CRRMP après avoir recueilli, notamment, le rapport du service du contrôle médical qui comprend, le cas échéant, le rapport d'évaluation du taux d'incapacité permanente partielle de la victime
En application de ces dispositions, le taux d'incapacité permanente partielle à retenir pour l'instruction d'une demande de prise en charge d'une maladie non désignée dans un tableau des maladies professionnelles est celui évalué par le service du contrôle médical dans le dossier constitué pour la saisine du CRRMP, et non le taux d'incapacité fixé après la consolidation de l'état de la victime pour l'indemnisation des conséquences de la maladie.
Le CRRMP n'est saisi que de l'existence d'un lien direct et essentiel, et la vérification par lui du taux prévisible n'entre pas dans sa mission, le texte de l'
article D. 461-30 du code de la sécurité sociale🏛, dans sa version antérieure au
décret du 23 avril 2019🏛 et applicable au présent litige, rappelant qu'il appartient à la caisse, préalablement à la saisine, de « statuer le cas échéant sur l'incapacité permanente de la victime », ce dont il résulte qu'il ne rentre pas dans la mission du CRRMP de se prononcer sur le taux prévisible d'incapacité fixé par la caisse sur avis de son praticien-conseil.
En l'espèce, si la caisse soutient que l'employeur ne dispose pas d'un intérêt à agir en ce que l'évaluation du taux prévisible, permettant uniquement de justifier la transmission du dossier au CRRMP, ne produit aucun effet à l'égard de l'employeur tant que le lien entre le travail et la pathologie de l'assurée n'a pas été établi par ledit comité, il convient de relever que l'évaluation dudit taux constitue toutefois une condition préalable à la saisine du CRRMP et, par conséquent, l'une des conditions médicales de la prise en charge de la maladie.
En conséquence, le centre hospitalier de [Localité 4] dispose d'un intérêt à agir pour contester la décision de prise en charge de la pathologie professionnelle tant à travers le lien direct et essentiel avec le travail que par le taux d'incapacité permanente prévisible fixé par le praticien conseil, et il appartient à la caisse d'établir que cette condition d'un taux prévisible d'au moins 25 % est satisfaite.
Il ressort des pièces versées aux débats que la caisse ne produit aucun élément permettant de fonder son appréciation s'agissant du taux prévisible d'incapacité qu'elle a retenu.
Aux termes de son rapport, le docteur [C] [F] conclut à un taux d'incapacité permanente prévisible de 20 % et relève pour sa part : « Mme [Aa] [M] a fait une demande de reconnaissance de maladie professionnelle hors tableau le 17 avril 2017 pour hypertension artérielle symptomatique, malaise et épuisement professionnel. Il s'avère que la pathologie concernée par la maladie professionnelle est celle de l'épuisement professionnel et du harcèlement qui a été codée par le médecin conseil en 'troubles de l'adaptation'.
Il s'avère que Mme [Aa] [M] a été victime le 2 février 2017 d'un accident de travail ayant consisté en un malaise à type de prostration et d'hypertension sévère pendant la pause déjeuner et que cet accident de travail a été guéri au 31 mars 2017. Il n'y a donc pas de trouble persistant de nature à constituer un état antérieur susceptible de faire diminuer le taux d'IPP.
Lors de l'examen réalisé par le médecin conseil le 31 mai 2017, Mme [Aa] [M] déclarait pleurer trois fois par semaine, ne plus se sentir capable d'aller dans le rue de l'hôpital ni à l'hôpital, pratiquer des évitements des personnes qui pourraient connaître l'hôpital. Elle disait qu'elle marchait, s'asseyait et attendait. Elle a débuté un suivi psychologique et devait consulter le psychiatre pour la première fois en juin 2017. Elle évoquait des troubles du sommeil traité par Xanax, un sentiment de dévalorisation, une perte d'espoir, de la fatigue, une perte d'énergie. Elle faisait cependant de l'équitation et était trop occupée avec une compétition prévue peu de temps après. Il était donc conclu à un état dépressif d'intensité moyenne en lien avec un conflit professionnel.
L'avis sapiteur reprend la notion de troubles du sommeil, d'une fatigue, d'un sentiment de lassitude, d'une perte de poids et d'un manque d'appétit, de difficultés de concentration, de ruminations centrées sur le travail avec sentiment d'injustice, de perte de confiance en soi et d'une inquiétude quant à l'avenir et à sa situation professionnelle, de crises de larmes plusieurs fois par semaine et d'une sensibilité émotionnelle accrue.
En ce qui concerne le traitement, elle ne souhaite pas prendre le traitement antidépresseur qui a été proposé par le médecin traitant par crainte des effets indésirables des psychotropes. Elle prend de l'Alprazolam à visée hypnotique au coucher.
Le docteur [V], psychiatre sapiteur, a conclu à un état dépressif d'intensité moyenne. Le guide barème d'invalidité en matière de maladie professionnelle (4.4.2) accorde un taux de 10 à 20 % pour des états dépressifs d'intensité variable avec asthénie persistante ou pour des troubles du comportement d'intensité variable. Il accorde un taux de 50 à 100 % pour la grande dépression mélancolique avec anxiété pantophobique ce qui n'est pas le cas ici.
Dans ces conditions, le taux d'IPP de 25 % apparaît surévalué par rapport à la description qui est faite des troubles présentés par Mme [Aa] [M]. Un taux de 20 % est plus à même de rendre compte de ces troubles.
Conclusion : À la date du 17 avril 2017, le taux d'incapacité permanente partielle était de 20 % ».
Dès lors, si la pathologie dont souffre Mme [M] semble en lien avec son activité professionnelle, il résulte de l'avis clair et étayée du docteur [F] que le taux d'incapacité permanente prévisible de 25 % n'était pas atteint lors de la transmission du dossier au CRRMP.
Ainsi, il convient d'infirmer la décision déférée dans toutes ses dispositions et de déclarer inopposable à l'égard du centre hospitalier de [Localité 4] la pathologie déclarée le 17 avril 2017 par Mme [M].
Sur l'article 700 et sur les dépens
Il y a lieu de faire droit à la demande condamnation de la CPAM du Hainaut au profit du centre hospitalier de [Localité 4] pour un montant de 1000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La CPAM du Hainaut qui succombe en ses prétentions, est condamnée au paiement des dépens conformément aux dispositions de l'
article 696 du code de procédure civile🏛.