Le Quotidien du 9 avril 2025 : Urbanisme

[Jurisprudence] « SCOT toujours »… Du nécessaire degré de précision des SCOT littoraux

Réf. : CAA Nantes, 5ème ch., 18 mars 2025, n° 22NT04125, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A475368K

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par Raphaël Romi, Professeur émérite, avocat counsel, DS Avocats

le 11 Avril 2025

Mots clés : continuité d’urbanisation • communes littorales • SCOT • loi « ELAN » • loi « littoral »

Dans un arrêt rendu le 18 mars 2025, la cour administrative d’appel de Nantes reprend et corrige la décision du tribunal administratif de Rennes qui n’avait annulé que partiellement le schéma de cohérence territoriale (SCOT) du Golfe du Morbihan en ne sanctionnant que l’ouverture à l’urbanisation d’espaces non urbanisés, alors que le SCOT était irrecevable en tant qu’il ne prévoyait pas la capacité d’accueil des communes littorales et ne  raisonnait qu’à l’échelle globale du territoire couvert par le SCOT. Elle ajoute à l’application stricte de la loi « littoral »  une exigence de respect par les élus de la version corrigée de la loi « littoral »  par la loi « ELAN » : celle-ci leur restitue en quelque sorte l’initiative en matière d’aménagement, dans le respect des dispositions sacralisées de protection. 


 

La cour administrative d'appel de Nantes a pris le parti, le 18 mars 2025, de faire une application radicale des dispositions organisant la gestion des espaces littoraux par les SCOT.

Le tribunal administratif de Rennes avait focalisé son attention sur un classement contestable de rares constructions situées proches du rivage en espaces urbanisés [1].  L’annulation du SCOT, partielle, ne tenait compte que de cela.  

Cette polarisation est compréhensible, puisque la qualification des espaces urbanisés est essentielle, depuis la modification par la loi « ELAN » (loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018, portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique N° Lexbase : L8700LM8) de la loi « littoral » (loi n° 86-2 du 3 janvier 1986, relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral N° Lexbase : L7941AG9) initiale,  pour déterminer la liberté d’urbaniser dans des zones primitivement interdites de construction.

Ce texte a été très critiqué parce qu’il ouvrait la possibilité de procéder au comblement des « dents creuses » dans des « secteurs déjà urbanisés » [2], ce qui de facto a semblé permettre à des élus désireux de construire dans des coupures d’urbanisation précédemment mieux protégées. 

Dès la première décision du Conseil d’État portant interprétation des dispositions nouvelles [3],  c’est sur cette seule question que l’attention des juges puis des commentateurs a porté [4].

C’est d’ailleurs encore le cas plus récemment [5].

Il est tout à fait logique que le juge accorde une grande importance à cet aspect de la gestion du littoral : il s’est forgé une culture de la protection bien assise sur des raisonnements logiques.

Il a toujours procédé cas par cas, et la cour administrative d’appel de Nantes, notamment, a souvent considéré avec quelque hostilité les extensions d’urbanisation en milieu littoral… sa décision du  28 juin 2002 [6] avait marqué : elle avait décidé en effet qu’un projet d’urbanisation se situant à 800 mètres du rivage de la mer doit être considéré comme touchant des espaces proches du rivage, même si la zone était séparée du rivage par un secteur urbanisé, et énoncé fortement que l’exigence du caractère limité de l’urbanisation doit se mesurer en fonction des circonstances de l’espèce [7].

La doctrine a été imprégnée de cette méfiance et a elle aussi – à commencer par l’auteur de ces lignes [8] - fait porter la critique sur les possibilités d’extension d’urbanisation…

Mais il convient de comprendre que  la loi initiale a été modifiée par la loi « ELAN » bien au-delà de cette ouverture.

La contrepartie en a été que les SCOT devaient concevoir une véritable politique d’aménagement des capacités d’accueil de ces communes littorales au foncier très convoité…

À cet égard, l’article L. 121-3 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L9981LMM est clair :  le SCOT doit préciser « en tenant compte des paysages, de l’environnement, des particularités locales et de la capacité d’accueil du territoire, les modalités d’application des dispositions » de la loi « littoral ». Certes, il doit  définir « les critères d’identification des villages, agglomérations et autres secteurs déjà urbanisés (…) et en définit la localisation », mais ce ne peut être qu’en inscrivant cette identification dans le cadrage global auquel doivent procéder les auteurs du document.

Mais s’il doit être global, le cadrage doit être précis.

Ne pas distinguer, au-delà du territoire pris dans sa totalité, les espaces menacés, c’est-à-dire les communes littorales stricto sensu, aboutit à permettre, consciemment ou pas,  que les PLU ou les PLUI insuffisamment orientés favorisent l’urbanisation excessive des communes littorales… 

La cour administrative d'appel de Nantes annule en totalité le SCOT de la communauté d’agglomération « Golfe du Morbihan - Vannes Agglomération », en considérant qu’il ne respectait pas les articles L. 121-3 et L. 121-21 N° Lexbase : L6775L73 du Code de l'urbanisme en négligeant de déterminer suffisamment précisément cette « capacité d’accueil».  Il sanctionne ainsi ce « flou », en redonnant aux dispositions, prises dans leur ensemble, un sens conforme à l’intention du législateur qui entendait mettre en place un équilibre entre la protection et la décentralisation.

Cette décision confirme un tournant dans la compréhension de la gestion du littoral par les juges [9]. Au-delà de sa parfaite rédaction (9 pages de raisonnement, 11 pages au total, pour un examen minutieux de l’espèce) [10], elle tient compte du virage amorcé par la loi « ELAN », en en faisant respecter l’esprit.

Il convient de se référer par exemple à la réponse à la question parlementaire n° 32780 [11] du 6 mars 2022 :

« La loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN) prévoit de manière pérenne dans les communes littorales, en dehors des espaces proches du rivage, l'identification de secteurs déjà urbanisés (SDU) qui sont des formes urbaines intermédiaires entre le village et l'urbanisation diffuse. Si la loi énumère les critères de leur identification, elle ne définit pas ces secteurs afin de permettre une appréciation locale tenant compte des particularités du territoire. En effet, il appartient au schéma de cohérence territoriale (SCoT) de décliner la loi 'littoral' en identifiant les SDU, puis au plan local d'urbanisme (PLU) de les délimiter ». 

Les SCOT sont désormais les pièces maîtresses de la gestion du littoral.

La responsabilité des élus est donc, clairement, de prendre en main directement le maintien d’un équilibre entre besoins de construction et protection du patrimoine littoral.

L’appréhension de la capacité d’accueil, si elle peut être globale à l’échelle de tout le territoire, doit en conséquence être aussi menée spécifiquement à l’échelle des seules communes littorales. Elle doit être motivée, afin qu’il ne soit pas permis d’utiliser le moindre flou qui permettrait que les seules communes littorales usent des capacités d’accueil  de tout le territoire au détriment de la protection du littoral :

« Si une telle analyse globale n’est pas interdite par les dispositions précitées, elle ne doit toutefois pas aboutir à une absence d’analyse spécifique aux communes littorales. S’agissant de la prise en compte de la préservation des espaces et milieux mentionnés à l’article L. 121-23 du code de l'urbanisme, de l'existence de risques littoraux, notamment ceux liés à la submersion marine, de la protection des espaces nécessaires au maintien ou au développement des activités agricoles, pastorales, forestières et maritimes, des conditions de fréquentation par le public des espaces naturels, du rivage et des équipements qui y sont liés, il ressort des pièces du dossier que le livret 2 du rapport de présentation relatif à l’état initial de l’environnement présente de nombreuses données mais à caractère général, en se bornant à faire référence aux directives et règlements communautaires ainsi qu’aux lois et règlements applicables ».

Il faut faire gré à la cour administrative d’appel de Nantes de se situer dans une logique bien ancrée et qui assure une sécurité juridique certaine : la compatibilité des SCOT avec la loi « littoral » doit selon une jurisprudence constante et abondante s'apprécier en tenant compte de l'ensemble de ses orientations et prescriptions et pas  orientation par orientation [12].

La voie lui avait été ouverte par les conclusions remarquables d’Olivier Fuchs sous la décision du Conseil d‘Etat n° 445118 du 9 juillet 2021 [13] :

« …. Il ressort des travaux parlementaires, et en particulier du rapport de la rapporteure du projet de loi au Sénat – les dispositions relatives à la loi 'littoral' ayant été introduite par amendements en première lecture au Sénat, que le législateur a voulu remplir le vide laissé par feux les DTA afin de répondre notamment à la critique tenant à l’imprécision des règles matérielles propres au littorale et, en particulier, celle relative à l’urbanisation en continuité. ….Le SCoT n’est donc pas un écran faisant disparaître la loi, il est un filtre, au sens photographique du terme, qui est appliqué sur la loi et qui la colore. Il constitue la clé d’interprétation de cette loi. Les précisions apportées par le SCoT à la loi littoral sont bien entendu importantes en tant qu’elles se répercuteront, par le truchement du rapport de compatibilité entre documents d’urbanisme, au PLU et, par suite, aux autorisations d’urbanisme. Mais nous croyons que les précisions apportées par le SCoT doivent aussi être prises en compte lors de la confrontation directe entre la loi littoral, telle que colorée par le SCoT, et l’autorisation d’urbanisme, pour éclairer les notions indécises, qui sont en fait autant de standards juridiques, de la loi ».

Les auteurs d’un SCOT, en général et plus encore quand la majorité des communes, comme en l’espèce, est littorale,  doivent en conséquence développer une stratégie globale et fine tout à la fois, et le faire en expliquant aussi quelle méthode ils ont appliquée. La cour administrative d’appel énonce  très justement que l’obligation doit être déclinée dès l’enquête publique puis dans le rapport de présentation du SCOT.

Le manquement était ici assez grossier, l’analyse de la capacité d’accueil était faite en deux pages et le dossier soumis à enquête publique était donc insuffisant, outre le fait que l’analyse spécifique aux communes littorales était absente du dossier….

La méthodologie retenue est également vertement critiquée, en tant que le rapport repose sur des données trop générales. Pourtant, le ministère de l'Environnement a publié un guide très clair sur ce sujet [14]. Il précise notamment que :

« Les critères tenant à la densité, à la continuité, à la structuration par les voies et les réseaux et à la présence d’équipements publics prévus par l’alinéa 2 de l’article L. 121-8 constituent une liste de critères non limitative que les porteurs de SCOT doivent décliner voire compléter, afin de tenir compte des particularités du territoire couvert ».

La cour administrative d’appel relève logiquement que cette légèreté a eu pour effet de nuire à l'information complète de la population. Elle rendait aussi la totalité du SCOT inapte à remplir sa fonction de « coloration ».

L’affaire était entendue : c’est l’annulation totale qui était juridiquement adaptée à la gravité des manquements, et pas une annulation partielle portant sur l’insuffisance la plus marquée parmi toutes celles relevées, qui ne devait et ne pouvait pas masquer les autres.

En d’autres termes, il appartient aux élus de reprendre en main les compétences qui leur ont été d’une certaine manière restituées, mais à la condition expresse que ce ne soit pas au détriment de la valeur environnementale du paysage ni de la participation du public.

On ne tue pas la poule aux œufs d’or… là s’arrête la liberté recouvrée des auteurs de SCOT sur le littoral... Les auteurs des SCOT « littoraux » doivent plus que tous faire preuve d’une exigence renforcée de rigueur et de pédagogie.

 

[1] Voir par exemple  pour une décision de principe récente, CE, 1°-4° ch. réunies, 12 juin 2023, n° 459918, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A64519ZX.

[2] C. urb., art. L. 121-8 N° Lexbase : L9980LML, al. 2.

[3] CE 9°-10° ch. réunies, 22 avril 2022, n° 450229, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A45637UK.

[4] Voir par exemple P. et M. Cornille, Réforme de la loi « littoral » par la loi « Elan », Revue Construction-Urbanisme n°1, janvier 2019 ; P. Baffert, La loi « Elan » officialise le phénomène du mitage sur le littoral, Éditions Législatives, 17 décembre 2018 ; L. Prieur, R. Leost, Le SCOT, la loi littoral et la loi ELAN, JCP éd. A, 10 mai 2020. Et plus récemment C. Guiheneuf, Le Schéma de Cohérence Territoriale et la loi Littoral : l’expérience du SCoT du pays de Brest, Revue juridique de l'Environnement, 2012, H-S pp. 83-92.

[5] CE, 5°-6° ch. réunies, 20 mars 2025, n° 487711, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A10270BN.

[6] CAA Nantes, 2e ch., 28 juin 2002, n° 99NT02909 N° Lexbase : A6150BMQ

[7] Le  projet se situait dans un secteur dépourvu d’urbanisation et surtout se situe à l’entrée de fameux marais salants de Guérande. La pression qu’eût pu faire peser sur ces marais, en permanence menacés et fragilisés par la marée noire de l’Erika, n’avait bien entendu pas été indifférente à l’appréciation du juge

[8] Voir R. Romi, G. Audrain-Demey, B. Lormeteau, M. Baudel, Droit de l’environnement et du développement durable, Domat, Lextenso, 12 ème édition, 2024, pages 384-386.

[9] Dans le même esprit, TA Nantes, 10 janvier 2025, n° 2210380 N° Lexbase : A54560G8.

[10] Voir J.-M. Pastor, Élaboration illégale d'un schéma de cohérence territoriale – Cour administrative d'appel de Nantes 18 mars 2025, AJDA, 2025. 528.

[11] QE n° 32786 de M. Xavier Batut, JOANQ, 6 octobre 2020, réponse publ. 19 avril 2022 p. 2512, 15ème législature N° Lexbase : L2131MEN.

[12] CAA Bordeaux, 1re ch., 1er décembre 2016, n° 14BX03282 N° Lexbase : A9942SNK ; CAA Bordeaux, 1re ch., 28 décembre 2017, n° 15BX02851 N° Lexbase : A8033W9E ; CAA Marseille, 9e ch., 23 juillet 2014, n° 12MA00268 N° Lexbase : A54570G9.

[13] ArianeWeb.

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