Lexbase Contentieux et Recouvrement n°9 du 27 mars 2025 : Voies d'exécution

[Observations] Rappel : l’opposabilité du bail en saisie immobilière, attention danger !

Réf. : Cass. civ. 2, 16 janvier 2025, n° 21-17.794, F-B N° Lexbase : A51806QW

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N1898B3P

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par Aude Alexandre, avocat associé AARPI Trianon Avocats, secrétaire-adjoint de l’AAPPE, membre du comité scientifique de la revue Lexbase Contentieux et Recouvrement

le 26 Mars 2025

Mots-clés : saisie immobilière • commandement valant saisie • adjudication • opposabilité bail • adjudicataire

L'opposabilité du bail consenti postérieurement à la délivrance du commandement valant saisie immobilière n’a, contre toute attente, pas fini d'occuper la 2e chambre civile. Si la question de son opposabilité est en principe clairement traitée par les dispositions de l'article L 321-4 du Code des procédures civiles d'exécution N° Lexbase : L5876IR3, les dispositions du Code civil restreignent incontestablement la portée de la règle d'ordre public.


 

Les faits de l’espèce

Un commandement valant saisie immobilière a été délivré en 1994, sous l'empire des règles gouvernant l'ancienne procédure de saisie immobilière. La procédure diligentée en l'espèce a vraisemblablement connu moult péripéties puisque l'adjudication n’intervient que près de 20 ans plus tard, le 11 octobre 2012.

Postérieurement à la délivrance du commandement et alors que la procédure de saisie immobilière était en cours, plusieurs baux sont consentis sur l'immeuble saisi en date du 1er janvier 2001.

Pour ne rien simplifier, l’un de ces baux portant sur un fonds de commerce à l'occasion de la procédure collective du preneur fait l'objet d'une cession sur autorisation du juge-commissaire à la demande du liquidateur judiciaire.

Au surplus, un contrat de location-gérance est consenti par l’un des preneurs.

Antérieurement à l’adjudication, le créancier poursuivant assigne en nullité des baux consentis sur l'immeuble.

L'adjudicataire intervient volontairement à l'instance, ce dernier ayant naturellement tout intérêt à agir postérieurement à l'adjudication et voir prononcer la nullité desdits baux.

Par jugement du 9 avril 2018, le tribunal de grande instance de Grasse déboute l’adjudicataire de sa demande de nullité des baux.

L'adjudicataire interjette naturellement appel de ladite décision par arrêt rendu en date du 8 avril 2021 (Aix-en-Provence, 8 avril 2021, n°18/08818 N° Lexbase : A87204NB). La cour d'appel d’Aix-en-Provence infirme le jugement qui lui était déféré, prononce la nullité des baux et ordonne l'expulsion des locataires.

L'un des locataires qui ne l'entendait pas de cette oreille forme pourvoi à l'encontre dudit arrêt.

La deuxième chambre casse et annule en toutes ses dispositions l’arrêt rendu par la cour d'appel d’Aix-en-Provence le 8 avril 2021 après avoir rappelé, au visa des dispositions des articles 1743 du Code civil N° Lexbase : L1791IE3 et 684 de l'ancien Code de procédure civile applicable en l'espèce, que « le bail, même conclu après la publication d'un tel commandement, est opposable à l'adjudicataire qui en a eu connaissance avant l'adjudication. »

Cette position désormais constante de la Haute juridiction rappelle incontestablement aux praticiens de la matière qu'il convient d'agir avec la plus grande célérité dans l'hypothèse où un bail serait consenti après le commandement valant saisie afin de préserver les droits de l'adjudicataire, mais également afin de ne pas décourager les amateurs potentiels.

I. Le principe : L’inopposabilité du bail au poursuivant et à l’adjudicataire après l’acte de saisie

Dans l'actuelle procédure de saisie immobilière que nous connaissons, la signification du commandement valant saisie immobilière au débiteur rend l'immeuble indisponible. Cette signification restreint immédiatement les droits d'administration et de jouissance à l'égard du saisi.

En conséquence, ce dernier n'est plus en mesure d’aliéner l’immeuble saisi ni de le grever de droits réels (CPC exéc., art. L.321-2 N° Lexbase : L5874IRY).

Afin de préserver les créanciers comme l'adjudicataire de manœuvres du saisi susceptibles d'affecter la valeur vénale de l'immeuble, de décourager les amateurs de venir porter les enchères en raison d’une incertitude sur les conditions de l’occupation du bien, l'article L. 321-4 du Code des procédures civiles d'exécution N° Lexbase : L5876IR3 précise que les baux qui seraient consentis par le débiteur après que lui ait été signifié le commandement valant  saisie, sont inopposables aux créanciers poursuivants, comme à l'acquéreur.

Toutefois, afin de ne pas préjudicier aux intérêts des tiers de bonne foi qui pourraient se trouver dans les lieux, la preuve de l'antériorité du bail peut être faite par tout moyen.

L'inopposabilité de principe posée à l'article L 321-4 du Code des procédures civiles d'exécution a donc avant tout pour dessein à la fois de protéger le créancier poursuivant et l'adjudicataire, tout en décourageant le saisi d’altérer significativement la valeur de l'immeuble.

Cette protection encadrait également l'ancienne procédure de saisie immobilière puisqu’aux termes de l'article 684 de l'ancien code de procédure civile, applicable à l'arrêt commenté en l'espèce, le sort des baux n'ayant pas acquis date certaine avant le commandement valant saisie immobilière pouvaient être annulés, et ceux postérieurs au commandement devaient l'être, si dans l'un ou l'autre cas, les créanciers ou l'adjudicataire le demandaient.

Si « un bail peut valoriser l'immeuble saisi et donc favoriser sa vente auprès d'investisseurs opérant en connaissance de cause » [1], encore faut-il que ce bail soit donné en toute bonne foi à des preneurs solvables dans des conditions financières satisfaisantes au regard de la valeur locative de l'immeuble.

Dans l’arrêt commenté en l'espèce, le locataire, demandeur au pourvoi, fondait sa demande d'annulation au visa des dispositions de l'article 321-4 du Code des procédures civiles d'exécution et soutenait l'opposabilité du bail consenti à son profit à l'adjudicataire qui en avait eu connaissance avant l'adjudication.

La 2e chambre civile rectifie sans surprise le fondement juridique et casse l’arrêt qui lui était déféré, au visa de l'article 684 de l'ancien Code de procédure civile, s’agissant d’une ancienne procédure de saisie immobilière et de l'article 1743 du Code civil.

2. Une géométrie variable : la connaissance dudit bail avant l’audience d’adjudication

Nonobstant, ces dispositions spécifiques protectrices d'ordre public, la Cour de cassation rappelle de longue date que dès lors que l’adjudicataire aura eu connaissance du bail consenti postérieurement à l'acte de saisie avant l’audience d’adjudication, il ne pourra bénéficier de l'inopposabilité de principe érigée en matière de saisie immobilière [2].

Une solution similaire avait également été dégagée en matière de vente volontaire [3].

Cette position de principe s'est construite à la faveur des dispositions de l'article 1743 du Code civil qui dispose que « [s]i le bailleur vend la chose louée, l'acquéreur ne peut expulser le fermier, le métayer ou le locataire qui a un bail authentique ou dont la date est certaine. Il peut, toutefois, expulser le locataire de biens non ruraux s'il s'est réservé ce droit par le contrat de bail. »

Pour la Cour de cassation, les règles civilistes générales du contrat de louage prédominent donc sur les règles sui generis du Code des procédures civiles d'exécution.

Cette position permet de protéger le preneur de bonne foi, mais n'est pas sans conséquence pour l'adjudicataire qui pourra donc se voir opposer une situation d'occupation sur laquelle il n'aura en réalité aucune maîtrise, ni aucune certitude quant à la solvabilité de son locataire.

Il ne peut en effet être exclu qu'un bail serait conclu seulement quelques jours ou quelques semaines avant l'audience d'adjudication sans que le futur adjudicataire ne soit in fine en mesure de s'assurer que le bail qui lui sera opposé est régulier et que le locataire est bien en capacité financière de s'acquitter de ses loyers.

Si le créancier poursuivant peut choisir de ne pas poursuivre l’inopposabilité du bail avant l’audience d’adjudication en mettant simplement en œuvre l’opposition au paiement des loyers, qui s’agissant des fruits seront distribués avec le prix d’adjudication, le risque demeurera majeur pour l’adjudicataire.

En effet, si ce dernier peut directement, à la faveur du jugement d'adjudication, poursuivre l’expulsion à l'égard du saisi par application des dispositions de l'article L.322-13 du Code des procédures civiles d’exécution, il n’en sera pas de même à l’égard du preneur qui disposera d’un droit régulier d’occupation.

Dans cette hypothèse, l’adjudicataire qui aurait eu connaissance d’un bail conclu entre la délivrance du commandement et l’audience d’adjudication se verra donc contraint d'obtenir judiciairement la résiliation du bail en cas de non-paiement des loyers et que soit ordonnée l'expulsion du locataire indélicat, rallongeant d'autant l'expulsion à intervenir.

Il est certain qu'une telle incertitude quant aux délais inhérents à une telle procédure se reportera in fine sur le prix d'adjudication.

Il est à noter que ce risque est à considérer avec la plus grande prudence puisque la deuxième chambre est, par un arrêt n° 18-19.174 du 27 février 2020 N° Lexbase : A49673G3, venue préciser que cette connaissance préalable du bail par l’adjudicataire ne pouvait interdire la reconduction tacite d'un bail antérieurement conclu, considérant que « la délivrance d'un commandement valant saisie immobilière n'interdit » ni l'une ni l'autre.

Il incombe donc aux praticiens de mesurer avec justesse le risque pesant sur leurs clients adjudicataires en fonction des informations contenues au cahier des conditions de vente, au titre de leur devoir de conseil.

Afin de sécuriser les intérêts des parties, il incombe au créancier poursuivant d'agir avec célérité dans l'hypothèse où il serait informé qu'un bail aurait été conclu après la délivrance du commandement valant saisie et avant l’audience d’adjudication, en élevant un incident devant le juge de l'exécution en charge de la procédure de saisie immobilière afin de voir jugée l'inopposabilité du bail, et ce, avant l'audience d'adjudication.

Cette solution, parfaitement conforme aux dispositions de l'article L. 213-6, al. 3 du Code de l'organisation judiciaire N° Lexbase : L7740LPD aux termes desquelles le juge de l'exécution connait de la « procédure de saisie immobilière, des contestations qui s'élèvent à l'occasion de celle-ci et des demandes nées de cette procédure ou s'y rapportant directement [...] » devra être initiée par voie de conclusions signifiées par exploit de commissaire de justice au saisi qui n’aurait pas constitué avocat (CPC exéc., art.  R.311-6 N° Lexbase : L9456LTE), et sera seule de nature à garantir l’adjudicataire des risques précités.

 

[1] N. Cayrol, L’opposabilité au créancier du bail de l’immeuble saisi, RTD civ., 2021, p. 200.

[2] Cass. civ. 3, 15 janvier 1976, n° 74-13.676 N° Lexbase : A5106CHL : RTD civ., 1976, 794, obs. G. Cornu ; Cass. civ. 3, 23 mars 2011, n° 10-10.804, FS-P+B N° Lexbase : A7712HIH : note C. Juillet, Le redoutable droit de suite du locataire de l’immeuble saisi, D., juin 2011, n° 23, p. 1596 ; AJDI, 2011, 785, obs. N. Damas ; RDBF, 2011, n° 104, obs. S. Piédelièvre ; RDC, 2011, 896, obs. J.-B. Seube ; Cass. civ. 3, 9 juin 2016, n° 15-10.595, F-D N° Lexbase : A6950RS9 : AJDI, 2016, 859, obs. F. de La Vaissière.

[3] Cass. civ. 3, 20 juillet 1989, n° 88-13.413 N° Lexbase : A7817AGM : AJDI, 1990, 20 ; RTD civ., 1990, 101, obs. P. Rémy ; Defrénois, 1990, 494, obs. G. Vermelle.

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