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par Patrick Gielen, Secrétaire de l’Union Internationale des Huissiers de Justice (UIHJ), Membre du comité scientifique de la revue Lexbase Contentieux et Recouvrement
le 20 Mars 2025
Mots clés : tarif • réforme • honoraires de recouvrement • fond de solidarité • protection des débiteurs • recouvrement de créances • justice sociale • digitalisation des procédures • transparence des coûts.
Depuis le 1er octobre 2024 [1], un nouveau tarif des huissiers de justice est en vigueur en Belgique, visant à simplifier et rendre plus transparent le coût de leurs interventions. Trois classes d’honoraires (125 €, 175 € et 250 €) sont introduites selon le montant ou la nature de la créance. Le tarif limite strictement les frais pour les personnes vulnérables et prévoit un Fonds de solidarité. Les actes urgents sont encadrés, avec honoraires doublés dans certains cas, et une rémunération partielle est prévue pour les actes non signifiés. Un forfait administratif unique de 50 € est instauré, ainsi qu’une rémunération horaire pour les actes complexes. Les honoraires de recouvrement sont désormais clairs et plafonnés, mais restent à charge du débiteur. Enfin, la réforme intègre la signification électronique et un outil en ligne, Tarif Checker, pour assurer transparence et prévisibilité.
I. Un tarif en réponse aux critiques majeures
Durant des années, le tarif applicable aux actes des huissiers de justice a été jugé opaque, complexe et obsolète. Parmi les critiques les plus fréquentes figuraient le manque de transparence, dû à l’usage d’abréviations compliquées qui rendaient les actes incompréhensibles pour les citoyens. Il était aussi pointé du doigt pour son manque de prévisibilité, en raison de calculs d’honoraires dépendant de multiples facteurs difficiles à anticiper. De plus, certaines tâches importantes n'étaient pas rémunérées, et d'autres l'étaient de manière inadaptée. Enfin, la double charge fiscale, cumulant droits d’enregistrement et TVA, alourdissait encore la facture sans solution proposée.
II. Transparence et simplification du tarif
Cette simplification majeure passe aussi par une réduction du nombre d’articles du tarif royal : de 22 articles, on passe à 12, ce qui rend l’ensemble du texte plus lisible. Désormais, il sera beaucoup plus facile pour un justiciable ou un avocat de savoir précisément ce que coûtera une intervention d'huissier. Le rôle de l’huissier est aussi repensé : il n’est plus uniquement un acteur de la contrainte, mais aussi un facilitateur de solution, avec un tarif qui reconnaît et rémunère explicitement ce travail de conciliation.
III. Mesures en faveur des personnes endettées
Le nouveau tarif prend soin de répondre aux situations des personnes vulnérables, notamment celles confrontées à des dettes liées à des services d’utilité publique (eau, électricité, téléphonie, etc.). Pour ces personnes, souvent en difficulté financière, une limitation stricte des frais est prévue : l’honoraire de base est appliqué même pour les grosses dettes, les honoraires de recouvrement sont plafonnés, et un Fonds de solidarité, financé par la profession, intervient pour alléger les frais liés aux actes les plus coûteux (citations, saisies).
IV. Honoraires des actes d’huissier
Le nouveau tarif des huissiers de justice en Belgique, entré en vigueur le 1ᵉʳ octobre 2024, simplifie la structure des honoraires en introduisant trois classes basées sur le montant de la créance ou la nature de l'affaire. Voici les détails de ces classes et leurs montants respectifs :
Ces honoraires couvrent la rédaction, la signification et le traitement des actes et des procès-verbaux. Ils incluent également l'original de l'exploit, toutes les copies à signifier à la même adresse, le chargement de l'exploit dans le registre des actes dématérialisés, ainsi que, le cas échéant, l'envoi de la pièce originale ou d'une copie au requérant ou à son conseil. Pour chaque signification à une adresse supplémentaire, la moitié de l'honoraire de la classe correspondante est due.
V. Urgences et rémunération des interventions exceptionnelles
Le nouveau tarif introduit également une réglementation précise concernant les actes d'urgence. Ainsi, les actes réalisés en dehors des heures normales, les week-ends, jours fériés ou en cas d'urgence absolue, verront leurs honoraires doublés. Cependant, une distinction essentielle est opérée : si l'acte est réalisé en urgence à la demande spécifique du créancier (par exemple, dans un délai de 24 heures), le surcoût est exclusivement à charge du demandeur. En revanche, s’il est lié aux nécessités de la procédure (par exemple, une expulsion qui ne peut être réalisée qu’un samedi pour raisons pratiques), le coût peut être répercuté sur la partie condamnée.
VI. Rémunération pour les actes non signifiés ou évités
Le nouveau tarif prévoit aussi une rémunération pour les actes préparés, mais finalement non signifiés. Cette situation est fréquente : un acte est prêt, mais n'est pas délivré, soit parce qu’un accord a été trouvé, soit parce que le créancier se rétracte. Désormais, 50 % de l’honoraire sera dû, reflétant le travail effectivement accompli. Par ailleurs, le tarif introduit la notion d’acte de facilitation, rémunérant l’huissier qui parvient, sur le terrain, à éviter la signification d’un acte en trouvant une solution amiable (ex. : paiement immédiat).
VII. Honoraire de recouvrement : clarté et prévisibilité
Autre grande avancée, l’honoraire de recouvrement est maintenant uniformisé et prévisible. Il s'applique si le débiteur paie après intervention de l’huissier, quel que soit le moment du paiement. Cet honoraire est dégressif selon le montant de la dette, et plafonné à 100 euros pour certaines petites créances, ce qui représente une amélioration par rapport à la complexité des anciens droits de recette et d’acompte, qui sont désormais supprimés.
Cet honoraire de recouvrement couvre les démarches indispensables à toute procédure d’exécution : gestion des plans de paiement, rappels, relances, suivis, contacts téléphoniques et déplacements. Grâce à ces nouvelles règles, les honoraires sont plus lisibles, sans frais dissimulés, et permettent aux parties de connaître, dès le début, le coût complet d’une telle procédure.
Cependant, contrairement à ce qui existe en France, ce système présente encore une limite importante : en Belgique, l'honoraire de recouvrement reste entièrement à charge du débiteur. En France, en revanche, la loi a prévu que ces honoraires sont à la charge du créancier, c’est-à-dire de celui qui mandate l’huissier pour obtenir paiement, sauf exception. Cette approche française repose sur une réflexion plus équilibrée sur la responsabilité dans la création de la dette. En effet, dans la société actuelle, le débiteur n'est pas toujours le seul responsable de son endettement. De grands créanciers institutionnels (comme les banques, sociétés de crédit, opérateurs télécoms, grandes enseignes commerciales, ou encore fournisseurs d’énergie) octroient massivement des services ou des crédits sans vérification suffisante de la solvabilité de leurs clients, ni réelle évaluation des risques. Ces créanciers, par leur comportement commercial parfois agressif ou laxiste, participent activement à la création des dettes, notamment auprès de publics vulnérables.
Le système français, en imposant au créancier de supporter les honoraires de recouvrement, l’incite à une gestion responsable du risque, à mieux évaluer ses débiteurs avant d’accorder un service ou un crédit. En Belgique, malheureusement, cette réflexion ne semble pas avoir été suffisamment intégrée dans la réforme. L'honoraire de recouvrement vient donc s'ajouter, pour le débiteur, au montant principal de la dette et au coût des actes d’huissier, alourdissant encore une dette parfois déjà insurmontable. Cela peut avoir pour effet pervers de rendre le remboursement plus difficile et d'aggraver la précarité du débiteur, alors même que certains créanciers ne prennent pas leurs responsabilités lors de la naissance de la dette.
Ainsi, l’absence de partage de responsabilité dans le tarif belge reste une faiblesse importante de la réforme, qui gagnerait à s’inspirer du modèle français pour mieux protéger les personnes surendettées et inciter les créanciers à adopter des pratiques commerciales plus responsables.
VIII. Forfait administratif unique
Les anciens multiples petits frais sont désormais regroupés sous un forfait de 50 euros, couvrant : l'identification du débiteur, l’enquête de solvabilité, et les démarches administratives d’ouverture et de gestion du dossier. Ce forfait unique rend les coûts plus lisibles pour le justiciable et les avocats, et évite les dérives tarifaires.
IX. Unités de temps pour les actes complexes
Le nouveau tarif introduit également la notion d’indemnité par unité de temps pour les actes complexes ou longs. Pour chaque tranche entamée de 30 minutes, une indemnité forfaitaire de 50 euros est prévue, visant notamment les saisies, les constats ou les procès-verbaux d’exécution.
X. Innovations numériques et simplification des procédures
La loi « Digitalisation II » introduit la signification électronique des actes et supprime certains intermédiaires inutiles, comme l'agent de change pour la saisie d’actions, contribuant ainsi à alléger et accélérer les procédures.
XI. Tarif Checker : un outil de transparence
Dans un souci de transparence et de bonne information du public, la Chambre nationale des huissiers de justice a mis en place le « Tarif Checker », accessible à l’adresse www.huissiersdejustice.be/tarif-checker. Cet outil en ligne permet à toute personne (justiciable, avocat, créancier ou débiteur) de consulter et de vérifier facilement le tarif applicable aux actes des huissiers de justice. Grâce à une interface conviviale, il est possible d’identifier rapidement le coût d’un acte spécifique, d’obtenir un aperçu détaillé des frais et honoraires associés, et de mieux comprendre la composition du montant réclamé. Cette initiative vise à garantir une totale transparence sur les frais pratiqués, à prévenir les contestations, et à permettre aux citoyens de s'informer avant d'engager des démarches, renforçant ainsi la confiance dans la profession.
XII. Conclusion : un tarif plus juste et équilibré
Le nouveau tarif des huissiers de justice, entré en vigueur le 1er octobre 2024, constitue une réforme importante et ambitieuse, qui vise à moderniser, simplifier et rendre plus transparent le coût des interventions des huissiers. Parmi les avancées notables figurent la clarification des honoraires grâce aux trois classes forfaitaires, la création d’un forfait administratif unique, et la volonté de protéger les débiteurs les plus vulnérables, notamment via un plafonnement des frais et la mise en place d’un Fonds de solidarité.
Ce tarif tend également à encourager une approche plus conciliante, en valorisant le rôle de l'huissier comme facilitateur de solutions amiables, ce qui constitue une évolution importante vers une justice plus humaine. Cependant, il est légitime de s’interroger sur la manière dont ces intentions se traduiront concrètement sur le terrain. En effet, il faudra vérifier si la procédure de facilitation, censée réduire le nombre d’actes signifiés, sera réellement privilégiée et si les débiteurs en retireront un bénéfice tangible.
Par ailleurs, bien que les honoraires de recouvrement soient désormais mieux encadrés, ils demeurent à la charge du débiteur, ce qui pourrait limiter l’effet protecteur recherché pour les personnes en difficulté.
Dès lors, il serait souhaitable de procéder à une première évaluation de l’application du tarif un an après son entrée en vigueur, afin de mesurer si les objectifs de simplification, de transparence et de protection des parties vulnérables ont bien été atteints. Un tel bilan permettrait, si nécessaire, d’ajuster les mécanismes mis en place afin que cette réforme réponde pleinement à ses ambitions d’amélioration du système pour toutes les parties concernées.
Pour plus d’informations : www.huissiersdejustice.be/tarif.
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