Le Quotidien du 31 janvier 2025 : Environnement

[Jurisprudence] Annulation du décret sur les emballages plastiques : un bouleversement juridique aux conséquences écologiques majeures

Réf. : CE, 8 novembre 2024, n° 475669, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A57106E9

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par Lamia El Bouchtioui, docteure en droit, CRDEI Bordeaux

le 27 Janvier 2025

Mots clés : environnement • emballages • plastique • industrie • écologie

Le Conseil d’État a jugé que le Gouvernement ne pouvait pas prendre dès juin 2023 le décret précisant les modalités d’interdiction des emballages plastiques pour les fruits et légumes prévu par la loi. En effet, la Commission européenne avait demandé à la France d’attendre jusqu’à décembre 2023 car un nouveau Règlement européen prévoyant des restrictions spécifiques à l’utilisation de certaines formes d’emballages inutiles était en cours de négociation.


 

Le 8 novembre 2024, le Conseil d’État a annulé pour excès de pouvoir le décret n° 2023-478 du 20 juin 2023 [1], interdisant l'usage d'emballages plastiques pour les fruits et légumes frais non transformés [2]. Cette décision, issue d'un recours des syndicats Plastalliance et Elipso, marque un bouleversement juridique important, avec des répercussions écologiques potentielles considérables.

Le décret et ses objectifs ambitieux de réduire les déchets plastiques

Adopté dans le cadre de la loi « AGEC » [3] (Anti-Gaspillage et Économie Circulaire) adoptée en 2020, ce décret visait à réduire la consommation de plastique à usage unique. Il interdisait la vente de fruits et légumes frais dans des emballages plastiques depuis le 1er juillet 2023, avec certaines exceptions : les graines germées, les fruits mûrs à point, 29 fruits et légumes jugés fragiles (comme les framboises ou les asperges), et ceux conditionnés en lots de plus de 1,5 kg.

L’objectif était double : lutter contre la pollution plastique et réduire le gaspillage alimentaire en favorisant la vente en vrac. Toutefois, ce décret s’est heurté à un obstacle majeur sur le plan juridique qui a conduit à son annulation.

Le recours juridique et l’annulation par le Conseil d’État

Les syndicats Plastalliance et Elipso ont contesté ce décret devant le Conseil d’État, invoquant un vice de procédure lié au non-respect des règles européennes. En effet, en vertu de la Directive européenne 2015/1535 [4], toute nouvelle réglementation technique concernant des produits spécifiques doit être notifiée à la Commission européenne, avec un délai de concertation. Si le projet de décret a été notifié en décembre 2022, la Commission avait expressément demandé un report de sa publication jusqu’au 15 décembre 2023, pour permettre une harmonisation avec un règlement européen en préparation concernant les emballages à usage unique.

Le Gouvernement français, en adoptant le décret dès juin 2023, avant la fin de la période de consultation, a ainsi contrevenu à la législation européenne, ce qui a conduit le Conseil d’État à annuler le décret, jugeant que le non-respect de ces délais rendait le décret juridiquement invalide. En conséquence, les commerces peuvent à nouveau vendre des fruits et légumes frais sous emballage plastique.

Les conséquences écologiques et industrielles lourdes

1. Un recul dans la lutte contre les déchets plastiques

L’annulation du décret représente un recul significatif dans la lutte contre la pollution plastique, qui constitue un problème environnemental de plus en plus préoccupant. Alors que la France visait à réduire significativement sa production de déchets plastiques, cette décision marque un recul dans l’application de mesures concrètes pour limiter cette pollution. L’objectif de réduire les emballages plastiques à usage unique est désormais compromis. L’industrie alimentaire pourrait revenir à un modèle d’emballage plastique non durable, accentuant ainsi la production de déchets difficilement recyclables et nuisant aux efforts de réduction de l’empreinte écologique de la filière alimentaire.

2. Des conséquences pour l’industrie et les producteurs

Les fabricants d’emballages plastiques, représentés par Elipso, accueillent favorablement cette décision, qui protège leur secteur d’activité. Cependant, pour les producteurs de fruits et légumes qui avaient déjà investi dans des solutions d’emballage alternatives, cette annulation crée une insécurité juridique et financière. Ces acteurs, qui avaient engagé des efforts considérables pour répondre aux exigences du décret, voient leur investissement remis en cause, créant une instabilité et des incertitudes dans le secteur.

3. Une instabilité réglementaire inquiétante

Cette annulation intervient après un précédent revers juridique : en décembre 2022 [5], le Conseil d'État avait annulé un décret similaire [6], également jugé non conforme à la législation européenne. Ces deux décisions successives font ressortir un problème récurrent : une instabilité juridique qui complique la mise en œuvre de politiques publiques ambitieuses. Les entreprises et les consommateurs attendent des règles claires et durables pour se préparer aux enjeux environnementaux de demain.

Vers une harmonisation européenne : un cadre indispensable

Cette annulation s'inscrit dans un contexte plus large de réforme au niveau européen. Un Règlement européen sur les emballages plastiques [7] (PPWR), en cours de discussion, prévoit l’interdiction des emballages plastiques à usage unique pour les fruits et légumes non transformés d’ici 2030, avec quelques exceptions. Ce règlement vise à harmoniser les règles au niveau européen, afin de créer des normes communes pour tous les États membres.

Le Gouvernement français devra désormais réexaminer sa stratégie en tenant compte de cette législation européenne en cours, pour éviter toute nouvelle annulation. L'alignement des textes nationaux sur les règles européennes est essentiel pour garantir l’efficacité des politiques environnementales et prévenir de futures contestations juridiques.

Vers un avenir plus durable : les perspectives

L’annulation du décret met en lumière l’importance de respecter les procédures européennes pour garantir la validité des lois et des décrets nationaux. La décision du Conseil d’État n’est pas seulement un revers juridique, mais aussi un coup d’arrêt dans l’effort national pour réduire la pollution plastique. Le défi reste entier : comment concilier les impératifs écologiques avec le respect des règles européennes et les intérêts industriels ? L’avenir de cette politique dépendra de la capacité de la France à s’aligner sur une réglementation européenne cohérente et à garantir des solutions alternatives durables pour l’emballage des produits frais.


[1] CE, 8 novembre 2024, n° 475669.

[2] Décret n° 2023-478 du 20 juin 2023, relatif à l'obligation de présentation à la vente des fruits et légumes frais non transformés sans conditionnement composé pour tout ou partie de matière plastique N° Lexbase : L9255MHA, JO n° 0142 du 21 juin 2023.

[3] Loi n° 2020-105 du 10 février 2020, relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire N° Lexbase : L8806LUP, JO n° 0035 du 11 février 2020.

[4] Directive (UE) n° 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015, prévoyant une procédure d'information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l'information N° Lexbase : L7234KHE (texte codifié) (Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE), JO L 241 du 17 septembre 2015.

[5] CE, 9 décembre 2022, n° 458440 N° Lexbase : A11588YK.

[6] Décret n° 2021-1318 du 8 octobre 2021, relatif à l'obligation de présentation à la vente des fruits et légumes frais non transformés sans conditionnement composé pour tout ou partie de matière plastique N° Lexbase : L4741L84, JO, n°0238 du 12 octobre 2021.

[7] Proposition de Règlement du Conseil et du Parlement européen relatif aux emballages et aux déchets d’emballages, modifiant le Règlement (UE) 2019/1020 et la Directive (UE) 2019/904, et abrogeant la Directive 94/62/CE, COM/2022/677 final.

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