Lecture: 3 min
N0949B3K
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Vincent Vantighem
le 14 Novembre 2024
Pour Karima*, c’est devenu une obligation autant qu’une mauvaise habitude. Déménager régulièrement. Changer de région pour éviter ceux qui la reconnaissent dans la rue. Si certains la félicitent d’un œil goguenard malaisant, la plupart l’insultent. Quand ils ne vont pas carrément jusqu’à lui cracher dessus. La faute à cette satanée vidéo pornographique qui n’arrête pas de ressurgir sur Internet. « Elle disparaît à un endroit pour mieux réapparaître ailleurs », confiait-elle il y a quelques mois. « Régulièrement, je suis sur une dizaine de sites en même temps et je ne peux rien faire pour arrêter ça... »
Karima illustre à la perfection les déboires rencontrées par les nombreuses femmes victimes de violences sexistes et sexuelles dans le milieu de l’industrie pornographique. Jacquie et Michel, French Bukkake, … Ces dernières années, les procédures judiciaires se sont multipliées pour faire la lumière sur les suspicions de viols lors de tournages de films X, lorsque des jeunes femmes se retrouvent contraintes de réaliser des pratiques pour lesquelles elles n’étaient pas forcément consentantes au départ.
Les instructions en cours ont permis de faire la lumière sur un autre problème : la diffusion des images sans le consentement des actrices. Mal informées et, bien souvent, en difficulté, les jeunes actrices ne réalisent pas que les vidéos dans lesquelles on les voit vont être rapidement dupliquées, copiées et balancées dans les méandres de la toile sans qu’elles ne puissent stopper le phénomène. Que leurs corps meurtris et dénudés va se retrouver aux quatre coins de la planète en moins de temps qu’il ne faut pour cliquer sur un lien.
Google n’a pas respecté le Digital Services Act
Pour la première fois, la justice française est parvenue à stopper la diffusion d’une vidéo. Une goutte d’eau dans l’océan, certes, mais un premier signal envoyé. Mercredi 6 novembre, Google a, en effet, été condamné en référé à verser 2 000 euros de dommages et intérêts après avoir déréférencé tardivement des vidéos pornographiques litigieuses.
Dans cette affaire, la plaignante (qui a souhaité garder l’anonymat) avait demandé au géant de l’Internet de déréférencer, en juillet 2023, plusieurs vidéos dans lesquelles elle apparaissait, en raison de leur caractère illégal. Il s’agissait de vidéos extraites du site « French Bukkake », fermé depuis, et qui est au cœur d’une instruction gigantesque qui doit prochainement aboutir à un vaste procès pour « viols » et « proxénétisme aggravé ». Mais après plusieurs relances formulées par la plaignante, il a fallu finalement attendre avril 2024 pour que Google s’exécute.
Dans l’ordonnance rendue mercredi 6 novembre, le tribunal de Paris a considéré que cette réaction, intervenue plusieurs mois après la demande initiale, ne pouvait pas être considérée comme « prompte ». Et il a conclu que Google n’avait pas respecté le fameux Digital Services Act (DSA), la règlementation européenne en vigueur.
« C’est une victoire extrêmement importante qui met Google face à ses responsabilités », s’est félicité Céline Piques, porte-parole d’Osez le féminisme ! qui accompagnait la plaignante lors de la procédure. Dans un communiqué, son association indiquait désormais vouloir aller plus loin : « Google doit tirer les conséquences de cette décision de justice et désindexer immédiatement la totalité des URL qui lui ont été signalées dans le cadre de ces affaires [judiciaires] et au-delà, toute URL à caractère pornographique ou sexuel diffusée sans consentement... »
* Le prénom a été changé.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:490949