Le Quotidien du 15 novembre 2024 : Droit rural

[Brèves] Validation du congé pour reprise : le preneur doit restituer les fruits

Réf. : Cass. civ. 3, 24 octobre 2024, n°23-13.346, F-D N° Lexbase : A73676CT

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N0941B3A

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par Christine Lebel, Maître de conférences HDR, Université de Franche-Comté

le 14 Novembre 2024

► Après la validation définitive du congé à effet, le preneur ayant occupé la parcelle sans titre, la cour d'appel en a exactement déduit qu'il n'était pas un possesseur de bonne foi et qu'il devait restituer les fruits appartenant au propriétaire, en vertu des articles 548 et 549 du Code civil, sous déduction des frais de labours, de semence et de travaux engagés pour la production de ces fruits ;
Les dispositions légales qui permettent au propriétaire d'un bien d'agir en restitution des fruits à l'encontre d'un preneur à bail rural, qui, nonobstant la délivrance d'un congé régulier, les a recueillis entre la date d'effet du congé et la date de libération effective des lieux, n'ont ni pour objet ni pour effet de subordonner l'exercice éventuel par le preneur d'une action en annulation du congé en application de l'article L. 411-54 du Code rural et de la pêche maritime à son départ des lieux, et ne constituent donc pas une atteinte au droit d'accès à un tribunal au sens de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales.

En l’espèce, par acte authentique de donation-partage du 5 mai 1989, la bailleresse a été attributaire d'une parcelle de terre d'une contenance de 71 à 90 ca, louée selon bail verbal. Par acte extrajudiciaire du 7 février 2012, elle a fait délivrer au preneur congé aux fins de reprise personnelle pour le 1er décembre 2013, congé que le preneur a contesté devant le tribunal paritaire des baux ruraux. Suivant jugement du 26 août 2013, le tribunal a validé le congé, lequel a été confirmé par la cour d’appel. Par un arrêt du 17 mars 2016 (Cass. civ. 3, 17 mars 2016, n° 14-27.017 N° Lexbase : A3511Q8K), la Cour de cassation a cassé et annulé, puis par un arrêt confirmatif du 7 juin 2018, la cour d'appel de renvoi a définitivement validé le congé. Après ordonnance de référé du 1er août 2018 ordonnant, sous astreinte, la libération de la parcelle et autorisant à défaut l'expulsion du preneur, la parcelle a été libérée le 23 août 2018. Le 1er mars 2021, la propriétaire saisit le tribunal paritaire des baux ruraux de demandes tendant à obtenir condamnation du preneur à lui payer certaines sommes, dont 57.287 euros au titre de la perte d'exploitation pour les années de 2014 à 2017. Par jugement contradictoire du 2 mai 2022, le tribunal a débouté les parties de toutes leurs demandes.

La bailleresse a interjeté appel.  Elle soutient que dans la mesure où la contestation du congé n'a pas d'effet suspensif, elle est bien fondée à solliciter la condamnation de l'intimé à lui verser la part de récoltes non perçues entre la date d'effet du congé et la date à laquelle elle a récupéré la parcelle et que c'est à tort que les premiers juges ont considéré que le preneur était légitime à se maintenir dans les lieux pendant la procédure contentieuse. Elle soutient qu'à partir de la délivrance du congé, le preneur qui se maintient dans les lieux à la faveur d'une contestation du congé ne peut être considéré comme un possesseur de bonne foi et doit restituer les fruits de la chose possédée conformément aux dispositions de l'article 549 du Code civil N° Lexbase : L3123ABB. Elle conclut donc que la validation du congé lui donne droit à l'intégralité de la récolte sur la période considérée, sous déduction du quart qu'elle a perçu au titre du métayage. En réponse, le preneur invoque le fait qu'aucune faute ne peut lui être reprochée dans la mesure où la contestation du congé est un droit et que le preneur est en droit de se maintenir dans les lieux jusqu'à ce que le congé soit validé par une décision exécutoire. Par un arrêt du 8 février 2023, la cour d’appel de Reims (CA Reims, 8 février 2023, n° 22/01151 N° Lexbase : A75089C3) réforme le jugement contesté en précisant que c’est à tort que le tribunal paritaire des baux ruraux a rejeté la demande considérant que le preneur n'avait pas commis de faute en se maintenant dans les lieux le temps de la procédure judiciaire, en l'état d'un jugement de validation du congé non assorti de l'exécution provisoire et qui au demeurant, n'ordonnait pas la libération immédiate des terres. En effet, la bailleresse n'exerçait pas une action en responsabilité, mais demandait la restitution des fruits de la chose louée, qu'elle prétendait être les siens depuis le 1er décembre 2013, les qualifiant de perte d'exploitation. Les magistrats rémois ajoutent qu’en raison de la validation du congé à effet au 1er décembre 2013, le preneur avait, à compter de cette date, occupé la parcelle sans titre puisque le contrat de bail a pris fin, faute de renouvellement. Ainsi, en qualité de possesseur de mauvaise foi en raison du congé qui lui avait été délivré et qu'il a contesté, il devait la restitution des fruits appartenant depuis cette date au propriétaire, en vertu des articles 548 N° Lexbase : L3122ABA et 549 N° Lexbase : L3123ABB du Code civil, invoqués à raison par l'appelante, sous déduction des frais de labours, de semence et de travaux engagés pour la production de ces fruits.

Le preneur forme un pourvoi et formule deux critiques.

  • Dans la première branche de son pourvoi, le preneur considérait qu’il n’était pas possesseur de mauvaise foi, car la décision de validation du congé n’était pas assortie de l’exécution provisoire.

Question.  Quelle est la situation du preneur entre la date indiquée dans le congé pour reprise contesté en justice et celle de sa confirmation du judiciaire ?

Enjeu. Quel est le sort des produits de l’exploitation entre la date prévue pour la fin du bail prévue par le congé pour reprise et celle de sa confirmation judiciaire ? Le preneur est-il ou non tenu de les restituer au bailleur ?

Réponse de la Cour de cassation. Par un arrêt du 24 octobre 2024, la Cour de cassation confirme l’analyse des juges du fond en indiquant qu’après « la validation du congé à effet au 1er décembre 2013, le preneur avait, à compter de cette date, occupé la parcelle sans titre, la cour d'appel en a exactement déduit qu'il n'était pas un possesseur de bonne foi et qu'il devait restituer les fruits appartenant au propriétaire, en vertu des articles 548 et 549 du Code civil, sous déduction des frais de labours, de semence et de travaux engagés pour la production de ces fruits. »

  • Dans les deuxième et troisième branches de son pourvoi, le preneur prétend que la somme à laquelle il a été condamné constitue une sanction civile portant atteinte au droit effectif du preneur de contester le congé délivré.

Question. Le droit d’agir du bailleur en restitution des fruits à l'encontre d'un preneur à bail rural peut-il être qualifié d’entrave au droit qui est reconnu au preneur de contester le congé pour reprise ?

Enjeu. Dans l’affirmative, le preneur ne serait pas tenu de restituer les fruits de l’exploitation récoltés pendant toute la période de la procédure judiciaire de contestation du congé pour reprise délivré par le bailleur. Dans la négative, le droit d’agir du bailleur n’est pas assimilé à une entrave au droit de contester judiciairement le congé litigieux.

Réponse de la Cour de cassation. Dans l’arrêt du 24 octobre 2024, la Cour de cassation juge que « les dispositions légales qui permettent au propriétaire d'un bien d'agir en restitution des fruits à l'encontre d'un preneur à bail rural, qui, nonobstant la délivrance d'un congé régulier, les a recueillis entre la date d'effet du congé et la date de libération effective des lieux, n'ont ni pour objet ni pour effet de subordonner l'exercice éventuel par le preneur d'une action en annulation du congé en application de l'article L. 411-54 du Code rural et de la pêche maritime à son départ des lieux, et ne constituent donc pas une atteinte au droit d'accès à un tribunal au sens de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ».

Ainsi, le preneur peut en toute liberté contester le congé pour reprise délivré par le bailleur. Toutefois, il prend le risque, si ce congé est judiciairement validé, d’être qualifié de possesseur sans droit pendant la période allant de la date de prise d’effet du congé jusqu’à celle de son départ effectif. Par conséquent, en application des règles de l’accession, le bailleur devient propriétaire des fruits de l’exploitation agricole concernée, déduction faite des frais de labours, de semence et de travaux engagés pour la production de ces fruits, conformément à l’article 549 du Code civil. Ainsi, les effets de l’accession ne peuvent être qualifiés de sanction pour le preneur ayant perdu son procès contre le bailleur, et ne constituent pas une entrave dans son accès au juge.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Droit de reprise du bailleur à ferme, spéc. Contestation par le preneur du congé pour reprise délivré par le bailleur, in Droit rural (dir. Ch. Lebel) Lexbase N° Lexbase : E9187E97.

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