Réf. : Cass. soc., 9 octobre 2024, n° 23-10.488, F-B N° Lexbase : A290259D
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N0616B39
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par Charlotte Moronval
le 11 Octobre 2024
► Hors l'existence d'un lien de subordination, une société ne peut être qualifiée de coemployeur, à l'égard du personnel employé par une autre société, que s'il existe, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre elles et l'état de domination économique que peuvent engendrer leur relation commerciale, une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d'autonomie d'action de cette dernière.
Faits. Des salariés sont engagés, par le même employeur, M. V..
M. V., décédé le 3 février 2009, était un courtier mandataire de la société La Française des Jeux (FDJ), à laquelle il était lié par un contrat d'exploitation en vue de la distribution des produits de jeux, son secteur couvrant le département du Loiret et une partie de celui du Loir-et-Cher.
M. V. appartenait au GIE région Centre, mettant en commun des moyens pour assurer des services et opérations en lien avec l'activité de distribution assurée par les courtiers mandataires. Conformément aux prévisions de l’article 11 du contrat de courtier mandataire, à la suite de ce décès et dans l’attente d’un repreneur, le GIE a repris la gestion du secteur géographique devenu vacant. Les contrats de travail des salariés de M. V. se sont poursuivis avec le GIE.
Le 24 juillet 2012, les salariés ont saisi la juridiction prud’homale, afin de faire reconnaître l'existence d'un lien de travail direct entre eux et la société FDJ et obtenir sa condamnation au paiement de rappels de salaires.
À compter du 15 octobre 2012, le secteur géographique, auparavant exploité par M. V., a été confié à la société Franmarie. Les contrats de travail des salariés ont été transférés à cette dernière.
Au cours de l’année 2014, la société Franmarie, ayant modifié le lieu de son activité, a proposé à une salariée une modification de son contrat de travail qu’elle a refusée. La salariée a été licenciée pour motif économique.
Le 30 mars 2015, la société FDJ a signé avec la société Jacklot un contrat prévoyant l’exploitation par cette dernière du secteur géographique repris par la société Franmarie, puis, par avenants du 13 juin 2016, il a été prévu que les salariés exercent leurs fonctions pour le compte de la société Jacklot.
Par lettres du 13 juillet 2016, trois autres salariés ont été licenciés pour motif économique.
Le 24 novembre 2017, la société FDJ et la société Jacklot ont signé un nouveau contrat restreignant, à compter du 29 janvier 2018, son secteur géographique aux seuls départements du Loiret et de l'Eure-et-Loir et la société Jacklot a alors décidé de regrouper l’ensemble de ses activités sur un seul site.
D’autres salariés ont accepté le contrat de sécurisation professionnelle qui leur a alors été proposé et la rupture de leur contrat de travail est intervenue le 4 janvier 2018.
Les sociétés Franmarie et Jacklot ont été mises en cause dans l'instance prud'homale initialement engagée à l'encontre de la société FDJ. Les salariés ont contesté les ruptures de leur contrat de travail à l'occasion d'une autre instance prud'homale.
Procédure. Par jugements du 10 septembre 2019, le conseil de prud'hommes a notamment retenu que la société FDJ avait été l’employeur des salariés du 3 février 2009 jusqu’au 15 octobre 2012, puis avait été leur coemployeur, avec les sociétés Franmarie et Jacklot, jusqu’à leurs licenciements.
Par arrêt du 7 novembre 2022, la cour d’appel d’Orléans a partiellement infirmé ces jugements et a notamment jugé que la société FDJ n'a pas la qualité d'employeur, pour la période du 3 février 2009 au 15 octobre 2012, ni celle de coemployeur avec les sociétés Franmarie et Jacklot puis rejeté, en conséquence, les demandes de dommages-intérêts présentées à ce titre pour préjudice moral et atteinte aux droits de la représentation collective.
Les salariés ont formé un pourvoi en cassation, estimant que la société FDJ n’avait pas la qualité d’employeur, ni celle de coemployeur avec les sociétés Franmarie et Jacklot.
Solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale de la Cour de cassation confirme la décision de la cour d’appel.
Les juges du fond relèvent, d'abord, que la situation de monopole d'État de la société FDJ sur la commercialisation des jeux de loterie et de paris sportifs, son organisation centralisée et la coordination des actions commerciales et l'étroitesse des liens commerciaux qu'elle induit ne permettent pas en eux-mêmes de retenir l'existence d'un coemploi, les intermédiaires, bien que tenus de se conformer à la politique commerciale définie contractuellement, restant libres de contracter ou non avec la société FDJ, puis de gérer et d'administrer librement leur société ou entité, et que s'il y a des intérêts communs, les activités de la société FDJ et des sociétés Franmarie et Jacklot sont distinctes et il ne peut être retenu une confusion de direction, les gérants de sociétés ou les courtiers conservant la maîtrise de l'organisation de leur propre structure et particulièrement la gestion sociale de leur personnel.
Ils précisent, ensuite, que l'utilisation de matériels sérigraphiés FDJ ou de cartes de visite mentionnant les liens avec la Française des Jeux est compatible avec le statut de mandataire de cette société et les fonctions de représentation de la société FDJ auprès des détaillants.
Ils retiennent encore que l'immixtion invoquée et les pièces produites relèvent des relations commerciales librement consenties, une domination d'une société sur une autre étant admise sans pour autant caractériser le coemploi, dès lors qu'elle n'aboutit pas à une immixtion permanente de la première sur la gestion économique de la seconde, qui se trouverait ainsi privée de toute autonomie. Ils constatent :
Ils concluent que ces décisions, dont rien n'établit qu'elles résultent de la volonté de la société FDJ de capter les prérogatives de la société Franmarie attachées à sa condition d'employeur qu'elle-même revendique, attestent que le mandataire est resté décideur de son organisation et de ses choix de gestion et n'a pas perdu son autonomie.
Ils retiennent également qu'il n'est pas davantage démontré que l'organisation d'une réunion le 25 septembre 2017 par la société FDJ ayant pour objet la mise en place d'une nouvelle forme d'organisation commerciale, entraînant l'application de nouvelles procédures commerciales et financières auprès des intermédiaires et des détaillants aurait emporté immixtion dans la gestion sociale de l'entreprise.
De ces seules énonciations et constatations, dont il résultait tant l'absence de toute immixtion de la société FDJ dans la gestion économique et sociale des sociétés Franmarie et Jacklot que la préservation de leur autonomie d'action, la cour d'appel a pu déduire que la société FDJ n'avait pas la qualité de coemployeur.
Pour aller plus loin : lire S. Vernac, Le coemploi, ou la quête d'un pouvoir sur le pouvoir, Lexbase Social, février 2023, n° 935 N° Lexbase : N4348BZ3. |
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