Réf. : CJUE, 4 octobre 2024, aff. C-438/23, Protéines France N° Lexbase : A809358A
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par Vincent Téchené
le 08 Octobre 2024
► À défaut d’adopter une dénomination légale, un État membre, en l’occurrence la France, ne peut interdire l’utilisation de termes traditionnellement associés aux produits d’origine animale pour désigner un produit contenant des protéines végétales ; l’harmonisation complète prévue par le dispositif européen en matière d’information des consommateurs s’oppose également à des mesures déterminant des taux de protéines végétales en deçà desquels reste autorisée l’utilisation de dénominations, autres que des dénominations légales, constituées de tels termes pour des denrées alimentaires contenant des protéines végétales.
Faits et procédure. L’association Protéines France, l’Union végétarienne européenne (EVU), l’Association végétarienne de France (AVF) et la société Beyond Meat Inc., quatre entités actives dans le secteur des produits végétariens et végétaliens, contestent le décret n° 2022-947, du 29 juin 2022, relatif à l’utilisation de certaines dénominations employées pour désigner des denrées comportant des protéines végétales N° Lexbase : L2741MDU, adopté en vue de protéger la transparence des informations relatives aux denrées alimentaires dans le commerce.
Selon elles, ce décret, qui interdit, pour désigner des produits transformés contenant des protéines végétales, l’usage de dénominations telles que « steak » ou « saucisse », sans et même avec l’ajout de précisions complémentaires telles que « végétal » ou « de soja », méconnaît le Règlement (UE) n° 1169/2011, du 25 octobre 2011, concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires N° Lexbase : L0289I7T.
Ces entités ont ainsi demandé au Conseil d’État l’annulation du décret litigieux. Nourrissant des doutes quant à la conformité de ce décret français avec ce Règlement de l’Union, cette juridiction a soumis à la Cour plusieurs questions préjudicielles relatives à l’interprétation dudit Règlement (v. CE 9e-10e ch.-r., 12 juillet 2023, n° 465835 N° Lexbase : A78171AR).
Décision. Dans son arrêt, la Cour considère que le droit de l’Union institue une présomption réfragable en vertu de laquelle les informations fournies selon les modalités prescrites par le Règlement n° 1169/2011 protègent suffisamment les consommateurs, y compris en cas de remplacement total du seul composant ou ingrédient que ceux-ci peuvent s’attendre à trouver dans une denrée alimentaire désignée par un nom usuel ou un nom descriptif contenant certains termes. Elle précise qu’un État membre peut, certes, adopter une dénomination légale, qui consiste à associer une expression spécifique à une denrée alimentaire déterminée.
Toutefois, selon la CJUE, une mesure se limitant à interdire l’utilisation de certains termes pour désigner des denrées alimentaires présentant certaines caractéristiques (composition, etc.) n’équivaut pas à une mesure en vertu de laquelle des denrées alimentaires doivent respecter certaines conditions pour pouvoir être désignées par des termes retenus en tant que dénomination légale. En effet, seule cette dernière mesure permet d’assurer la protection du consommateur, qui doit pouvoir partir du principe qu’une denrée alimentaire désignée par une dénomination légale donnée répond aux conditions spécifiquement prévues pour l’utilisation de celle-ci. La Cour ajoute que lorsqu’il n’a pas adopté de dénomination légale, un État membre ne saurait empêcher, par une interdiction générale et abstraite, les producteurs de denrées alimentaires à base de protéines végétales de s’acquitter, par l’utilisation de noms usuels ou de noms descriptifs, de l’obligation d’indiquer la dénomination de ces denrées.
Cela étant, si une autorité nationale estime que les modalités concrètes de vente ou de promotion d’une denrée alimentaire induisent en erreur le consommateur, elle pourra poursuivre l’exploitant du secteur alimentaire concerné, et démontrer que la présomption susmentionnée est renversée. La Cour ajoute que l’harmonisation expresse prévue par le droit de l’Union s’oppose à ce qu’un État membre édicte une mesure nationale déterminant des taux de protéines végétales en deçà desquels resterait autorisée l’utilisation de dénominations, autres que des dénominations légales, constituées de termes issus des secteurs de la boucherie et de la charcuterie pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées alimentaires contenant des protéines végétales.
Pour rappel, la loi « Egalim 1 » du 10 juin 2020 (loi n° 2020-699, du 10 juin 2020, relative à la transparence de l'information sur les produits agricoles et alimentaires N° Lexbase : L3491LXL) interdit pour les denrées alimentaires végétales l’emploi de dénominations utilisées pour désigner usuellement des denrées alimentaires d’origine animale (C. consom., art. L. 412-10 N° Lexbase : L3667LX4). Le Conseil d’État avait toutefois suspendu sa mise en œuvre après examen des recours déposés. Le Gouvernement français a donc publié un second décret au Journal officiel du 27 février 2024 (décret n° 2024-144, du 26 février 2024, relatif à l'utilisation de certaines dénominations employées pour désigner des denrées comportant des protéines végétales N° Lexbase : L6667MLI), également suspendu par le Conseil d’État dans l’attente de la décision de la CJUE (v. CE référé, 10 avril 2024, n° 492844 N° Lexbase : A161424K).
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