Réf. : CJUE, 26 septembre 2024, aff. C-432/23, Ordre des avocats du barreau de Luxembourg N° Lexbase : A169357T
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par Marie Le Guerroué
le 01 Octobre 2024
► L’injonction faite à un avocat de fournir à l’administration l’ensemble de la documentation et des informations relatives à ses relations avec son client, afférentes à une consultation en matière de droit des sociétés, viole le droit fondamental au respect des communications entre l’avocat et son client.
Faits et procédure. À la suite d’une demande des autorités fiscales espagnoles fondée sur la Directive (UE) n° 2011/16 du Conseil, du 15 février 2011, relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la Directive 77/799/CEE N° Lexbase : L5101IPM, l’administration des contributions directes au Luxembourg avait adressé à un cabinet d’avocats constitué en société en commandite simple au Luxembourg, des décisions lui enjoignant de fournir tous documents et renseignements disponibles concernant les services fournis par elle à une société de droit espagnol, dans le cadre de l’acquisition d’une entreprise et d’une prise de participation majoritaire dans une société. Il a répondu ne pas disposer d’informations non couvertes par le secret professionnel et a précisé également que son mandat dans le cadre du dossier en cause n’avait pas été de nature fiscale, mais avait uniquement concerné le droit des sociétés. L’administration lui a infligé une amende fiscale pour ne pas avoir donné suite à la dernière décision d’injonction. Le cabinet a alors introduit un recours en annulation contre cette décision d’injonction.
Questions préjudicielles. Le tribunal administratif du Luxembourg ayant rejeté le recours comme étant irrecevable, la Cour administrative du Luxembourg a décidé de poser à la CJUE des questions préjudicielles concernant, premièrement, l’applicabilité de l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne N° Lexbase : L8117ANX à une consultation juridique d’avocat en matière de droit des sociétés, deuxièmement, la validité de la Directive n° 2011/16 au regard de l’article 7 et de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, compte tenu de l’absence de dispositions relatives à la protection de la confidentialité des communications entre un avocat et son client et, troisièmement, la compatibilité d’une injonction telle que celle adressée au cabinet d’avocat avec l’article 7 et l’article 52, paragraphe 1, de la Charte.
Décision de la Cour. En premier lieu, s’agissant du champ de la protection renforcée garantie par l’article 7 de la Charte, la Cour relève que, à l’instar de l’article 8, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales N° Lexbase : L4798AQR, l’article 7 de la Charte garantit également le secret de la consultation juridique, et ce tant à l’égard de son contenu que de son existence. La protection spécifique accordée par ces deux articles au secret professionnel des avocats se justifie par le fait que les avocats se voient confier une mission fondamentale dans une société démocratique, à savoir la défense des justiciables. Cette mission fondamentale comporte, d’une part, l’exigence que tout justiciable doit avoir la possibilité de s’adresser en toute liberté à son avocat et, d’autre part, celle, corrélative, de loyauté de l’avocat envers son client. Il en résulte qu’une consultation juridique d’avocat bénéficie, quel que soit le domaine du droit sur lequel elle porte, de la protection renforcée garantie par l’article 7 de la Charte aux communications entre un avocat et son client. Il en découle qu’une décision enjoignant à un avocat de fournir à l’administration l’ensemble de la documentation et des informations relatives à ses relations avec son client, afférentes à une consultation en matière de droit des sociétés, constitue une ingérence dans le droit au respect des communications entre un avocat et son client, garanti par cet article.
En deuxième lieu, s’agissant de la validité de la Directive n° 2011/16 au regard de l’article 7 et de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, la Cour fait observer que, aux fins de l’échange d’informations sur demande prévu par la Directive n° 2011/16, le législateur de l’Union européenne a seulement déterminé les obligations que les États membres ont les uns envers les autres, tout en les autorisant à ne pas donner suite à une demande d’informations si la réalisation des enquêtes demandées ou la collecte des informations en cause sont contraires à leur législation. Ainsi, il a notamment laissé aux États membres la tâche de veiller à ce que leurs procédures nationales, mises en œuvre pour la collecte d’informations aux fins de cet échange, respectent la Charte, en particulier son article 7. Il s’ensuit que le fait que le régime de l’échange d’informations sur demande prévu par la Directive n° 2011/16 ne comporte pas de dispositions relatives à la protection de la confidentialité des communications entre un avocat et son client, dans le cadre de la collecte d’informations qui incombe à l’État membre requis, n’implique pas que cette Directive méconnaisse l’article 7 et l’article 52, paragraphe 1, de la Charte.
Enfin, en troisième lieu, s’agissant de la compatibilité avec l’article 7 et l’article 52, paragraphe 1, de la Charte d’une injonction telle que celle en cause au principal, la Cour rappelle que l’article 7 de la Charte garantit le secret de la consultation juridique émanant de l’avocat quant à son existence et à son contenu. Ainsi, les personnes qui consultent un avocat peuvent raisonnablement s’attendre à ce que leurs communications demeurent privées et confidentielles et, hormis des situations exceptionnelles, avoir confiance dans le fait que leur avocat ne divulguera à personne, sans leur accord, qu’elles le consultent. Cela étant, les droits consacrés à l’article 7 de la Charte n’apparaissent pas comme étant des prérogatives absolues, mais doivent être pris en considération par rapport à leur fonction dans la société. En effet, ainsi qu’il ressort de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, celle-ci admet des limitations à l’exercice de ces droits, pour autant notamment que ces limitations respectent le contenu essentiel desdits droits.
En l’occurrence, l’injonction litigieuse est fondée sur une réglementation nationale en vertu de laquelle le conseil et la représentation par un avocat dans le domaine fiscal ne bénéficient pas, sauf en cas de risque de poursuites pénales pour le client, de la protection renforcée des communications entre un avocat et son client, garantie par l’article 7 de la Charte. Or, en soustrayant quasi intégralement à cette protection le contenu des consultations des avocats prodiguées en matière fiscale, à savoir la totalité d’une branche du droit dans laquelle les avocats sont susceptibles de conseiller leurs clients, cette réglementation conduit à vider cette protection de sa substance même dans cette branche du droit. Pour sa part, l’injonction litigieuse, qui concerne l’ensemble d’un dossier n’ayant pas trait au domaine fiscal, élargit encore la portée de l’atteinte à la substance du droit protégé par l’article 7 de la Charte. Dans ces conditions, force est de constater qu’une telle réglementation nationale, tout comme son application en l’espèce au moyen de l’injonction litigieuse, loin de se limiter à des situations exceptionnelles, portent, par l’ampleur même de la soustraction au secret professionnel de l’avocat qu’elles autorisent à l’égard des communications entre ce dernier et son client, une atteinte au contenu essentiel du droit garanti à l’article 7 de la Charte. Il en résulte qu’une injonction telle que celle en cause au principal emporte une atteinte au contenu essentiel du droit au respect des communications entre l’avocat et son client, et donc une ingérence dans ce droit qui ne saurait être justifiée.
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