La lettre juridique n°420 du 9 décembre 2010

La lettre juridique - Édition n°420

Éditorial

De l'esprit des lois... à l'esprit d'équipe... de France

Lecture: 3 min

N8237BQ7

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


Surprise du calendrier de l'avent : "l'Equipe de France" n'est pas une marque, elle n'a pas de propriétaire individualisé en somme. Plus précisément, au visa de l'article L. 131-17 du Code des sports, la Chambre commerciale de la Cour de cassation nous rappelle, ce 23 novembre 2010, que cette disposition a pour effet de restreindre l'utilisation de l'appellation "Equipe de France" et d'interdire son utilisation, fut-ce à titre de marque ; si bien que le dépôt de la marque verbale "Equipe de France de Rugby" par un supporter ès-qualités spécialiste en propriété intellectuelle et royalties est invalidée par les juges du fond et par ceux du Quai de l'Horloge. Non, décidément, seules les fédérations sportives délégataires peuvent utiliser l'appellation 'Fédération française de ceci' ou 'Fédération nationale de cela', ainsi que décerner ou faire décerner celle d''Equipe de France', suivie du nom d'une ou plusieurs disciplines sportives et la faire figurer dans leurs statuts, contrats, documents ou publicités.

C'est un peu Noël avant Noël ; un cadeau de la part des Hauts magistrats : voilà donc notre chère "Equipe de France" à l'abri des intérêts particuliers puisqu'elle est la propriété de tous -via une fédération sportive quelconque s'entend-. C'est un peu une part de souveraineté populaire, certes déléguée à une association dont les membres ne sont absolument pas élus par les Français, mais une part de souveraineté populaire retrouvée tout de même. Bon d'accord, s'il y a autant d'entraîneurs en France que de supporters au café du commerce, ceux en charge de "promouvoir" le beau nom d''Equipe de France' sont loin d'être populaires, sont élus par leurs pairs et chargés, essentiellement, de remplir les caisses de leurs associations "loi 1901" respectives. Ah ! L'on trouve toujours quelques fidèles pour contester un pape élu sous la voûte de Michel-Ange par une équipe cardinalice, alors pourquoi cela différerait-il pour le Sport, autre religion mêmes moeurs ?

Parce que l'"Equipe de France", tombée dans le domaine public, appartient au patrimoine collectif et qu'elle est, finalement, le dernier ou trop rare témoignage de l'esprit d'équipe de la France. Une équipe, c'est un groupe de personnes travaillant à une tâche commune, nous dit Littré ; c'est un groupe de joueurs, de sportifs formant un ensemble. Et, avoir l'esprit d'équipe, c'est être solidaire... "C'est des mecs qui sont une équipe, ils ont un esprit ! Alors, ils partagent !" disait Coluche. Et bien soit ! Une seule équipe, un même et seul esprit, un seul état d'esprit. Et, c'est de cela qu'il s'agit, lorsque la loi confie aux fédérations sportives le soin d'utiliser l'appellation "Equipe de France" dans leurs statuts, contrats, documents ou publicités. L'article L. 131-17 du Code des sports se moque éperdument de la couleur du maillot des joueurs, de celle de l'emblème gallinacé ; il délègue, par l'exercice de la souveraineté nationale, une parcelle de cet esprit d'équipe de la France à ses équipes sportives afin qu'elles véhiculent et promeuvent les valeurs constitutives de la Nation.

"Je ne joue pas contre une équipe en particulier. Je joue pour me battre contre l'idée de perdre" disait, hier, le "dieu de Manchester", Eric Cantona : de l'esprit de se battre contre ses démons et ses faiblesses, plus que contre les autres... Aujourd'hui, le joueur n'est plus, mais "l'artiste" lui a succédé pour demander, à tous, de retirer leur "magot" des banques ; pour que le système bancaire s'effondre, lui qui est à l'origine de tous les maux... et de l'esprit d'entreprise du reste... Alors, avec lui, s'effondrerait l'économie réelle : est-ce cela l'esprit de solidarité, l'esprit de lutte contre la théorie du bouc émissaire, l'esprit d'équipe ? Nous revoilà en 1908, lorsqu'il y avait autant d'équipes de France de football que de fédérations et intérêts particuliers -Equipe de France USFSA, Equipe de France CFI, Equipe de France FSAPF, Equipe de France indépendants-. Qui jouera, demain, le rôle de ce Comité français interfédéral qui mit tout le monde d'accord pour afficher une unité sans faille, pour promouvoir la nec plus ultra des équipes : l'Equipe nationale ? -"France" ou "Nationale", le débat ne date pas d'hier !-.

Non, l'Equipe de France n'est décidément pas une marque ; elle est un sacerdoce et, à ce titre, requiert unité, discipline, abnégation et solidarité... Et ceux qui ne veulent pas s'y résoudre doivent en être pour leurs frais, pour se contenter d'un autre maillot bleu outre-mer. C'est pourquoi les joueurs de l'Equipe de France n'ont pas besoin d'être les meilleurs pour faire vibrer les coeurs ; les Français se contenteront de l'excellence de valeurs autres que marchandes, à l'image des Kopa ou autres "verts" stéphanois... et quels que soient les remaniements. Mais encore fallait-il, au préalable, rendre à César ce qui appartient à César : l'Equipe de France aux Français. Merci Mesdames, Messieurs de la Haute juridiction.

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Avocats

[Questions à...] Le point de vue d'un Bâtonnier aujourd'hui... Arnauld Bernard, Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau du Val-de-Marne

Lecture: 6 min

N8217BQE

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par Yann Le Foll, Journaliste juridique

Le 04 Janvier 2011

Régulièrement, les éditions juridiques Lexbase se plaisent à donner la parole au Bâtonnier d'un des 181 barreaux qui constituent le maillage ordinal de la profession d'avocat, afin qu'il ou elle évoque, avec nos lecteurs, son point de vue sur l'avenir des professions juridiques et, plus particulièrement, celui sur la profession qui l'anime au quotidien, et ses ambitions pour le barreau dont il ou elle a la charge. Aujourd'hui, rencontre avec... Arnauld Bernard, Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau du Val-de-Marne. Lexbase : Pouvez-vous nous présenter le barreau du Val-de-Marne ? Quelles en sont les spécificités ?

Arnauld Bernard : Le barreau du Val-de-Marne est un barreau de création relativement récente puisqu'il date de 1975. Il est le troisième des barreaux périphériques avec Nanterre et Bobigny. En effet, c'est la loi de 1971 (1) qui a instauré la multipostulation en région parisienne et qui a permis aux avocats de Paris d'exercer dans les Hauts-de-Seine, en Seine-Saint-Denis et dans le Val-de-Marne, avec une réciprocité pour les avocats de ces départements d'exercer la postulation au tribunal de grande instance de Paris. Le tribunal de grande instance de Créteil a fonctionné au départ avec une soixantaine d'avocats installés dans le département, qui étaient aussi avocats au barreau de Paris. Ce tribunal ayant eu sa pleine compétence en 1978, le barreau à commencer à réellement s'étoffer à compter de cette date pour atteindre aujourd'hui un total de 490 avocats inscrits au tableau, avec une proportion de 60 % de femmes et de 40 % d'hommes et un âge moyen de 46 ans. C'est au départ un barreau généraliste mais pour répondre aux besoins de la clientèle, les confrères se sont petit à petit spécialisés en droit de la famille, en droit commercial, en droit des sociétés, et en droit fiscal. Toutefois, ce caractère généraliste demeure car le département est relativement éclaté et comporte une grosse population de particuliers, de très petites entreprises, d'artisans et de commerçants. Il faut donc que l'avocat installé dans le Val-de-Marne puisse répondre à cette demande.

Lexbase : Quelles sont les priorités de votre mandat ?

Arnauld Bernard : Je n'avais pas mené une campagne avec des thèmes bien précis, car je pense que des barreaux qui sont relativement jeunes comme le nôtre ont besoin de perpétuer ce que mes prédécesseurs ont fait. Je suis donc là pour consolider les positions acquises et essayer de faire preuve de cohésion pour montrer un barreau solidaire, unitaire, et aussi puissant que possible. En effet, il ne faut pas éluder le fait que notre proximité avec Paris et la puissance de son barreau, qui compte 22 000 avocats, nous fait un peu d'ombre. Il est donc difficile de se faire une place entre les grands barreaux de province comme Marseille, Nantes ou Lille et nos confrères parisiens, même si nous appartenons à la "conférence des 100" depuis sa création et que nous sommes très heureux d'y faire compter notre voix.

Lexbase : Quel est le stade d'avancement du barreau du Val-de-Marne dans la mise en place du RPVA ?

Arnauld Bernard : Très honnêtement, nous sommes un peu à la traîne dans ce domaine, mais notre campagne de communication commence à porter ses fruits car nous sommes passés de 10 à 20 % d'adhérents au RPVA, avec une demande qui ne cesse d'aller en s'accroissant. Il existe peu de structures d'exercice collectif dans notre département, seulement une trentaine réparties entre SELARL, SCP et associations, ce qui explique cette situation. Or, les cabinets individualistes fonctionnent encore avec un esprit plus artisanal, ce qui explique que l'adhésion au RPVA n'ait pas été massive dès l'origine. En outre, jusqu'au 1er janvier 2010, le coût de 55 euros était assez prohibitif pour le service rendu, la situation s'étant nettement améliorée depuis qu'il a été ramené à 32 euros. Si l'on y ajoute les menaces de sécession entreprises par certains barreaux tout au long de l'année 2010, il est facilement explicable que certains confrères aient été quelque peu échaudés et aient préféré rester dans une situation d'attente.

De nôtre côté, nous avons facilité l'adhésion au RPVA en installant dans la bibliothèque de l'Ordre un boîtier Navista qui permet à chaque utilisateur du RPVA, pourvu qu'il soit attributaire de sa clé, de se connecter sans être obligé d'avoir à son cabinet une installation idoine complète et de pouvoir ainsi, soit envoyer les messages de procédure aux juridictions, soit éditer ses décisions ou ses bulletins de procédure.

Lexbase : Quelle est votre position concernant les décisions préfigurant la fin de la garde à vue "à la française" et la réponse apportée par la Chancellerie ?

Arnauld Bernard : La réponse de la Chancellerie, via son projet de loi tendant à limiter et à encadrer les gardes à vue, est une non-réponse. Elle s'est contentée de reprendre les considérants de la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010 (2) pour essayer de faire une espèce de projet de loi qui tiendrait compte des aspects les plus négatifs soulevés par les Sages et d'y ajouter le principe de l'audition libre, qui n'est rien d'autre qu'un remake de garde à vue. C'est un texte qui s'est contenté de saupoudrer l'idée de la présence de l'avocat pour essayer de nous faire plaisir. C'est donc une réponse purement circonstancielle à un problème de fond beaucoup plus large. De son côté, la Cour de cassation, usant de la conventionalité dans ses arrêts du 19 octobre dernier (3), sonne effectivement le glas de la garde à vue "à la française". Toutefois, nous sommes encore dans l'attente d'un texte un peu plus novateur. Le barreau que je dirige est situé dans un département où 70 % de la population est éligible à l'aide juridictionnelle. Comment donc assurer l'effectivité de la présence de l'avocat dès la première heure de la garde à vue si rien n'est organisé concernant le financement de cette présence ? Or, les pouvoirs publics affirment que rien n'est prévu concernant l'augmentation globale de l'enveloppe de l'aide juridictionnelle qui est actuellement de 300 millions d'euros, soit le coût quotidien d'une journée de grève comme celle que nous avons connue tout au long du mois d'octobre. En outre, les exceptions à la présence de l'avocat pour les affaires de terrorisme et de crime en bande organisée sont, également, inacceptables. Le justiciable doit avoir connaissance de ses droits, quelque soit les faits qui lui sont reprochés.

Lexbase : Que pensez-vous de la diffusion par la Chancellerie via une circulaire du 12 avril 2010 d'une "table de référence permettant la fixation de la contribution à l'entretien et à l'éducation des enfants sous forme de pension alimentaire" ?

Arnauld Bernard : Notre barreau s'inquiète toujours de l'introduction de tables de références, alors que l'office du juge est de rendre une décision par rapport à ce qui lui est soumis par les parties, et non pas de se référer à une table arithmétique, laquelle ne tient même pas compte des revenus du créancier. La loi a prévu un cadre juridique bien précis à partir duquel le juge doit former sa conviction, à l'opposé de ce projet qui apparaît comme une dépersonnalisation complète des besoins des familles. Nous n'acceptons pas que l'introduction d'un barème puisse suppléer l'office du juge qui doit prendre en considération les besoins réels des enfants, la situation du parent créancier et celle du parent débiteur. Même si cette introduction n'est prévue qu'à titre indicatif, l'expérience nous montre malheureusement que ce qui est proposé à titre provisoire devient rapidement la règle.

Lexbase : Pouvez-vous nous donner votre avis concernant le projet de soumettre les ordres d'avocat au paiement d'une indemnité d'occupation des locaux mis à leur disposition dans les palais de justice ?

Arnauld Bernard : Vous êtes ici dans le bureau de ce que la Chancellerie qualifierait de "bureau de tiers occupant". Je rappelle quand même que nous participons plus que largement au service public de la justice, et que de tous temps les avocats ont été présents dans les palais de justice pour apporter leur aide aux justiciables. Rejoignant, ainsi, la position de la Conférence des Bâtonniers, nous nous opposons à l'idée même de paiement d'une telle indemnité car nous n'occupons pas ces locaux mais nous participons à un service rendu. Pas plus que pour la comptabilisation des fluides (eau, électricité, chauffage), il n'est donc question que nous participions aux activités de gardiennage, de sécurité, ou d'entretien des parties communes.

Lexbase : Quels sont les prochains grands rendez-vous du barreau ?

Arnauld Bernard : L'actualité judiciaire et les réformes en cours nous ont beaucoup mobilisés. J'avais dit l'année dernière à l'occasion de mon discours de rentrée que je souhaitais organiser deux grands temps : l'un sur la question prioritaire de constitutionnalité, ce qui a été fait (1), l'autre sur l'interprofessionnalité, qui devrait se tenir au premier semestre 2011. Si l'on parle de l'interprofessionnalité au plan capitalistique, j'aimerais qu'elle soit aussi évoquée au plan institutionnel. Toutefois, je souhaite auparavant voir une volonté de débattre chez nos partenaires notaires ou experts-comptables, et que ceux-ci adhérent à l'idée de jeter les bases d'une grande profession du droit qui avait été évoquée dans le rapport "Darrois". La profession d'avocat a investi de nouveaux domaines d'activités avec l'avocat mandataire en transaction immobilière, l'avocat judiciaire ou l'acte d'avocat, qui doit encore être définitivement formalisé dans les textes. Quand les frontières seront bien établies, nous verrons peut être un peu plus facilement les conditions d'ouverture de notre profession à d'autres activités.


(1) Loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (N° Lexbase : L6343AGZ).
(2) Cons. const., décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010 (N° Lexbase : A4551E7P).
(3) Cass. crim., 19 octobre 2010, trois arrêts, n° 10-82.306, FP-P+B+I+R (N° Lexbase : A0916GCW), n° 10-82.902, FP-P+B+I+R (N° Lexbase : A0917GCX) et n° 10-85.051, FP-P+B+I+R (N° Lexbase : A0918GCY), et lire les obs. de Romain Ollard, Le régime juridique de la garde à vue est déclaré contraire à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme... mais n'en doit pas moins être appliqué, Lexbase Hebdo du 9 novembre 2010 - éditions professions (N° Lexbase : N5636BQS).
(4) Lire nos obs., La question prioritaire de constitutionnalité, une révolution juridique en marche : éléments de procédure et premiers renvois, Lexbase Hebdo du 26 mai 2010 - édition publique (N° Lexbase : N2093BP9).

newsid:408217

Consommation

[Jurisprudence] La suite du feuilleton de la prohibition per se de certaines méthodes de vente

Réf. : Cass. civ. 1, 15 novembre 2010, n° 09-11.161, FS-P+B+I (N° Lexbase : A0230GHY)

Lecture: 8 min

N8328BQI

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par Malo Depincé, Maître de conférences à l'Université de Montpellier I, Avocat au Barreau de Montpellier

Le 04 Janvier 2011

Le droit de la consommation connaît depuis quelques mois une petite révolution. Les commentateurs les plus cyniques relèveront que c'est tout un pan de la construction de ce droit qui s'est effondré, celui du droit pénal de la consommation, de certaines méthodes de vente prohibées per se et sanctionnées par des contraventions de cinquième classe (C. consom., art. R. 121-13 N° Lexbase : L1753IBK). Une fois encore c'est le droit communautaire qui, pour l'essentiel, en a sapé les fondements, quand bien même observera-t-on que certaines cours d'appel avaient par leurs décisions mis à mal le principe même d'une prohibition automatique par la loi, sans pouvoir d'appréciation du juge quant à la caractérisation de l'infraction. En certaines hypothèses en effet, les juges semblaient cerner une certaine incohérence du système face à des mécanismes qui n'étaient pas si préjudiciables aux consommateurs et qui pouvaient même parfois leur être bénéfiques. La décision, ici commentée, de la première chambre civile de la Cour de cassation du 15 novembre 2010, semble avoir toutes les faveurs de l'institution qui la promet à une large publication (FS-P+B+I), pour permettre d'harmoniser les solutions jurisprudentielles en la matière. L'arrêt vise expressément l'article L. 122-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L4856IEL) "interprété à la lumière de la Directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur" (N° Lexbase : L5072G9Q). L'expression "à la lumière de" peut, néanmoins, être parfois trompeuse, notamment, lorsque comme dans cette espèce la disposition nationale n'est pas conforme aux dispositions du droit communautaire. La lumière de la Directive ne permet pas alors d'interpréter, mais impose bel et bien d'écarter les dispositions non conformes. Il convient ici de rappeler le principe de l'interdiction posée par le Code français de la consommation : "Il est interdit de refuser à un consommateur la vente d'un produit ou la prestation d'un service, sauf motif légitime, et de subordonner la vente d'un produit à l'achat d'une quantité imposée ou à l'achat concomitant d'un autre produit ou d'un autre service ainsi que de subordonner la prestation d'un service à celle d'un autre service ou à l'achat d'un produit" (C. consom., art. L. 122-1). L'interdiction est de principe, automatique, et sans possibilité de dispense de condamnation si l'infraction est constituée. Le principe a été confirmé par l'ordonnance n° 2009-866 du 15 juillet 2009 (N° Lexbase : L4658IEA) qui a maintenu l'essentiel des dispositions de l'article L. 122-1 en n'y apportant que des modifications mineures. Le législateur français a depuis longtemps considéré les ventes subordonnées comme dangereuses pour le consommateur dont certains avaient peur qu'il ne se voit forcer la main pour un ensemble dont il n'aurait finalement pas besoin. La mesure, par certains aspects paternaliste, consistait alors à protéger le consommateur contre certains professionnels qui tentent d'imposer un achat "groupé" mais parfois aussi contre le consommateur lui-même, contre l'achat impulsif.

Les faits sur lesquels la juridiction de proximité de Tarascon avait eu à se prononcer étaient les suivants : un consommateur avait acheté un ordinateur portable équipé de logiciels préinstallés pour un montant de 597 euros. Si quelques fabricants permettent à un consommateur de demander remboursement du prix du logiciel contre retour de ce dernier (non sans mal la plupart du temps), tel n'était pas le cas ici. Le fabricant avait accepté de rembourser le consommateur de l'intégralité de son achat (ce qui imposait par conséquent la restitution à la fois de l'ordinateur et des logiciels) mais refusait au consommateur le principe d'une offre "à la carte", c'est-à-dire de choisir entre un ordinateur "nu" et un ordinateur accompagné de logiciels d'exploitation (un peu plus cher mais toujours moins onéreux qu'un achat séparé de l'ordinateur et des logiciels).

Le juge de proximité de Tarascon avait rejeté la demande du consommateur, retenant une interprétation strictement civiliste des faits : selon lui les parties s'étaient accordées "sur un type d'ordinateur complet et prêt à l'emploi" et le consommateur conservait la possibilité de se faire rembourser l'intégralité de son achat en restituant le tout. Le juge refusait par là même, purement et simplement au nom de la force obligatoire des contrats, d'appliquer les dispositions de l'article L. 122-1 du Code de la consommation.

Sur ce point bien précis, il convient de rappeler en l'occurrence que le consommateur demandait une réduction de prix, et des plus conséquentes il faut bien l'avouer. Sur un prix total de 597 euros, il demandait paiement de 404,81 euros, c'est-à-dire le prix des logiciels achetés seuls dans le commerce. Pour le fabricant et distributeur assigné, cela impliquait de facto une vente à un prix inférieur à ses coûts (voire même s'il s'était agi d'un revendeur à une revente à perte prohibée par l'article L. 442-2 du Code de commerce N° Lexbase : L5731H97 cette fois). Le consommateur demandait, donc, non pas la nullité du contrat de vente (ce qui aurait impliqué également la restitution de l'ordinateur) mais une réduction du prix, sanction qui n'est absolument pas prévue par les dispositions du Code de la consommation dans ce cas précis (seules des sanctions pénales sont prévues dans le Code).

La Cour de cassation, en revanche, impose la mise en oeuvre des dispositions de l'article L. 122-1 du Code de la consommation, mais à la lumière de la Directive précitée. Une solution qui revient, dans les faits, à une application directe des dispositions de la Directive à défaut pour le droit français de leur être conforme :

"Attendu, cependant, que par arrêt du 23 avril 2009 (C-261/07 et C-299/07) (N° Lexbase : A5552EGQ), rendu sur renvoi préjudiciel, la Cour de justice des communautés européennes a dit pour droit que la Directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs, doit être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose à une réglementation nationale qui, sauf certaines exceptions et sans tenir compte des circonstances spécifiques du cas d'espèce, interdit toute offre conjointe faite par un vendeur à un consommateur, de sorte que l'article L. 122-1 du Code de la consommation qui interdit de telles offres conjointes sans tenir compte des circonstances spécifiques doit être appliqué dans le respect des critères énoncés par la directive ; qu'en statuant comme elle l'a fait sans rechercher si la pratique commerciale dénoncée entrait dans les prévisions des dispositions de la directive relative aux pratiques commerciales déloyales, la juridiction de proximité n'a pas donné de base légale à sa décision". Cet arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes (aujourd'hui Cour de justice de l'Union européenne) avait été rendu à la suite d'une question préjudicielle des juridictions belges dans deux affaires de ventes subordonnées auxquelles s'appliquait en principe une réglementation identique aux dispositions du Code français de la consommation.

Que faut-il retenir de la solution rendue par la Cour de cassation à la lumière de la Directive et de la jurisprudence de la Cour de justice ?

1. Quant au problème de la sanction des ventes subordonnées en premier lieu, on retiendra que, dorénavant, la prohibition de principe de celles-ci n'est plus possible. Une vente subordonnée ou une vente par lot n'est plus, par principe, prohibée. La règle s'en trouve même inversée, le principe devient celui de la libre commercialisation par des ventes liées ou subordonnées. Un distributeur pétrolier pourrait dorénavant joindre à l'achat de carburant une assurance obligatoire, un éditeur pourrait refuser de vendre son magasine sans le produit qui lui est accessoire (faits de l'arrêt de la CJCE) et un distributeur informatique pourrait continuer à vendre des ordinateurs en imposant système d'exploitation et logiciels bureautiques. Le conditionnel est toutefois de rigueur car la Cour de cassation pose certaines limites à cette liberté, auxquelles il conviendra d'ajouter les exceptions posées par le droit de la concurrence cette fois.

L'interdiction par principe des ventes subordonnées n'est pas conforme aux dispositions de la Directive. Cette dernière permet, en revanche, de sanctionner les pratiques, fussent-elles constituées par une vente subordonnée ou par lot, qui doivent être considérées comme déloyales. Toute pratique commerciale doit, par conséquent, en droit français et en application de la Directive, voir sa validité appréciée au regard des dispositions des articles L. 121-1 et suivants du Code de la consommation. Une vente subordonnée ne sera, par conséquent, désormais sanctionnée que si elle est de nature à induire le consommateur en erreur ou, hypothèse plus difficile à considérer dans ce cas si elle est agressive. S'agissant du caractère trompeur du message, il appartiendra donc au juge, en fonction des éléments apportés par le consommateur ou par l'administration, d'apprécier si la pratique était ou non de nature à tromper le consommateur sur la portée de son engagement (peu importe la volonté du professionnel, il suffit que des effets néfastes soient établis).

2. Quant à son domaine ensuite, il convient de remarquer que la Cour de cassation n'aura pas, en principe, à se prononcer uniquement sur la prohibition des ventes subordonnées ou par lots. La Directive est une Directive d'harmonisation totale, interdisant aux Etats-membres de maintenir, dans son champ d'application i.e. les pratiques commerciales, une prohibition de principes de méthodes qui ne seraient pas visées par la Directive. Il faut alors se référer à l'annexe I de celle-ci pour constater que le droit français connaît une autre pratique prohibée per se, à savoir la vente avec prime, qui n'est pas dans l'annexe I de la Directive. Le raisonnement de la Cour doit, par conséquent, être transposé à cette dernière pratique. Peu importe, alors, que le législateur, sans doute bien mal informé des arrêts de la Cour de justice ait, par la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 (N° Lexbase : L6505IMU), modifié les dispositions de l'article L. 121-35 du Code de la consommation (N° Lexbase : L8008IMK) en maintenant le principe de la prohibition des ventes avec prime (mais il est vrai que cette loi avait pour objet "l'engagement national pour l'environnement"). En pratique, la solution rendue par la CJCE implique que la sanction d'une vente avec prime n'est plus possible (sauf à prouver, comme pour une vente subordonnée ou par lot, que la méthode au fait de l'espèce serait de nature à induire le consommateur en erreur) et qu'il est désormais possible à un professionnel d'accompagner la vente d'un produit d'un cadeau, sans qu'il soit besoin de faire payer au consommateur l'euro symbolique.

3. Quant à l'affaire soumise au juge de proximité enfin (de Tarascon ou d'ailleurs), il lui faudra mieux justifier au regard de la Directive précitée ses décisions en matière de ventes subordonnées ou de ventes avec primes. Dans l'espèce qui a donné lieu à cet arrêt de la Cour de cassation, la solution in fine sera sans doute identique à celle préalablement rendue. Le consommateur n'obtiendra pas gain de cause. Non seulement parce qu'il a consenti au contrat et aux engagements qui en résultent, mais aussi parce qu'il n'aurait pas pu établir en quoi la pratique était déloyale.

Le consommateur a-t-il vraiment à y perdre ? Peut-être pas. En premier lieu, parce que les sanctions sur le fondement de ces textes étaient relativement rares. En second lieu, parce que le consommateur demeure protégé par d'autres dispositions que le droit communautaire n'invalide pas. On rappellera, notamment, l'article 7 de l'arrêté du 3 décembre 1987, relatif à l'information du consommateur sur les prix (N° Lexbase : L7977DNR), et qui dispose que "les produits vendus par lots doivent comporter un écriteau mentionnant le prix et la composition du lot ainsi que le prix de chaque produit composant le lot".

Plus que jamais la meilleure protection du consommateur réside dans sa parfaite et complète information.

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Droit pénal fiscal

[Chronique] Chronique de droit pénal fiscal - Décembre 2010

Lecture: 14 min

N8228BQS

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par Christian Lopez, Maître de conférences à l'Université de Cergy-Pontoise

Le 04 Janvier 2011

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose de retrouver la chronique d'actualités en droit pénal fiscal réalisée par Christian Lopez, Maître de conférences à l'Université de Cergy-Pontoise. Cette chronique de droit pénal fiscal traite, dans un premier temps, de la procédure spécifique des visites domiciliaires. L'ordonnance d'autorisation de la visite domiciliaire et l'exécution des opérations matérielles peuvent, désormais, faire l'objet d'un recours devant le premier président de la cour d'appel (Cass. com., 14 septembre 2010, n° 09-67.404, F-P+B). La Cour de cassation continue à apporter des éclairages sur ce nouveau contentieux résultant de la loi n° 2008-776 du 4 août 2009 de modernisation de l'économie (N° Lexbase : L7358IAR) (Cass. com., 26 octobre 2010, n° 09-16.917, FS-D). La partie consacrée aux sanctions propose une analyse relative à la question prioritaire de constitutionnalité relative à la solidarité des dirigeants en matière de distributions occultes (CGI, art. 1754,V-3 N° Lexbase : L4624ICA) (CE 3° et 8° s-s-, 27 octobre 2010, n° 342925).
I - Procédure : droit de visite et de saisie
  • Mention dans l'ordonnance du premier président de la transmission du dossier du tribunal au greffe de la cour d'appel (Cass. com., 14 septembre 2010, n° 09-67.404, F-P+B N° Lexbase : A5877E9K)

Il ressort de cet arrêt que le premier président n'a pas à mentionner dans son ordonnance que le dossier du tribunal a été transmis au greffe de la cour d'appel et a été mis à la disposition des parties.

Les demandeurs reprochaient à l'ordonnance du premier président de la cour d'appel, l'oubli de la mention selon laquelle le dossier a été transmis au greffe de la cour d'appel et a été mis à la disposition des parties. L'ordonnance qui ne comporte pas ces mentions est frappée de nullité conformément à l'article L. 16 B II du LPF (N° Lexbase : L0549IHS).

Aux termes mêmes de l'article L. 16 B II d, il est précisé que "le greffe du tribunal de grande instance transmet sans délai le dossier de l'affaire au greffe de la cour d'appel où les parties peuvent le consulter". Sur cette disposition, la Cour de cassation a, déjà, eu l'occasion de préciser que le droit de consultation des pièces au greffe n'implique pas la délivrance de copies par le greffe (Cass. com., 2 février 2010, n° 09-13.795, FS-P+B+I+R N° Lexbase : A2063ERT). Si aucune obligation de communiquer les pièces du dossier ne pèse sur le greffe malgré une pratique largement mise en oeuvre de transmission des pièces sur demande, les appelants ont tout intérêt à consulter l'intégralité des pièces au greffe de la cour d'appel. En effet, le dossier comporte la requête de l'administration à l'origine de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention et des pièces nécessaires à la vérification concrète de la demande. Le texte n'impose, donc, qu'une transmission sans délai du dossier du greffe du tribunal de grande instance au greffe du premier président de la cour d'appel. Dans la mesure où le juge signataire de l'ordonnance d'autorisation de visite et de saisie doit vérifier concrètement le bien fondé de la demande au regard des pièces qui lui sont communiquées, il semble judicieux de vérifier qu'aucune pièce ne manque au dossier. En effet, le nombre important de pièces produites par l'administration fiscale à l'appui de sa requête et utilisées dans l'ordonnance doit se retrouver dans le dossier. L'accès au dossier peut, ainsi, se révéler favorable à la défense des droits de l'appelant. En revanche, si le texte invoqué dans l'arrêt "Husson" (arrêt rapporté) (LPF, art. L. 16 B II d) impose la transmission immédiate du dossier au greffe de la cour d'appel pour permettre la consultation, celui-ci ne dispose pas que le premier président soit contraint de mentionner dans son ordonnance, à peine de nullité, que le dossier a été transmis et mis à la disposition des parties.

A ce stade, il convient de souligner, également, que la Cour de cassation a eu l'occasion de préciser les conditions d'accès, en cause d'appel, du dossier sur lequel le juge des libertés et de la détention a statué (Cass. com., 2 février 2010, n° 09-14.821, FS-P+B+I+R N° Lexbase : A2064ERU). Il a été jugé que "la faculté de consultation du dossier au greffe prévue par l'article L. 16 B du LPF ne dispense pas l'administration fiscale de communiquer à la partie qui le demande des pièces dont elle fait état".

  • Visite et saisie domiciliaire dans un cabinet d'avocats : atteinte au secret professionnel (Cass. com., 26 octobre 2010, n° 09-16.917, FS-D N° Lexbase : A0326GDG)

Dans cette affaire le pourvoi en cassation est dirigé contre l'ordonnance du premier président de la cour d'appel ayant refusé d'annuler l'ordonnance du juge des libertés et de la détention qui avait autorisé les visites domiciliaires dans les locaux d'une société et ceux d'un cabinet d'avocats, ainsi que les opérations de visites et de saisies qui s'en sont suivies. Pour refuser d'annuler l'ordonnance d'autorisation de visite et de saisie, le premier président de la cour d'appel relevait que la visite de la société d'avocats avait eu pour objet, non pas de rechercher des documents de nature confidentielle couverts par le secret professionnel de l'avocat, mais des actes signés par celui-ci, non pas en qualité de conseil, mais de représentant de l'une ou l'autre des sociétés concernées par une éventuelle fraude.

Cette décision prend appui sur l'arrêt "André" rendu par la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH, 24 juillet 2008, Req. 18603/03 N° Lexbase : A8281D9L). La Cour se situe dans le prolongement des décisions qui ont jugé que le but d'intérêt général poursuivi par les visites domiciliaires (lutte contre la fraude fiscale) pouvait justifier une atteinte au domicile, à condition que cette atteinte soit entourée de garanties effectives et ne soit pas disproportionnée (CEDH, 16 décembre 1992, Req. 72/1991/324/396 N° Lexbase : A6532AWT ; CEDH, 25 février 1993, Req. 83/1991/335/408 N° Lexbase : A6543AWA ; CEDH, 25 février 1993, deux arrêts, Req. 86/1991/338/411 N° Lexbase : A6546AWD et Req. n° 82/1991/334/407 N° Lexbase : A6542AW9 ; Cass. com., 2juillet 1996, n° 93-20.725 N° Lexbase : A3859CLI ; Cass. com., 8 février 2000, n° 98-30.103 N° Lexbase : A5772CPH ; CEDH, 8 janvier 2002, Req. 51578/99 N° Lexbase : A9798DDA).

En effet, le juge européen a eu l'occasion de préciser que la visite domiciliaire et les saisies effectuées au cabinet d'un avocat dont les clients étaient soupçonnés de fraude fiscale sont disproportionnées par rapport au but visé et sont donc incompatibles avec l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (droit au respect du domicile N° Lexbase : L4798AQR) compte tenu des circonstances suivantes :

- le secret professionnel de l'avocat n'a pas été respecté -en l'absence du juge ayant autorisé la visite domiciliaire, tous les documents du cabinet, y compris ceux soumis au secret professionnel ont été consultés et saisis, et ce, malgré la présence et les observations du Bâtonnier de l'Ordre ; en outre, l'ordonnance du juge autorisant la procédure conférait aux agents de larges pouvoirs, sans mention du respect du secret professionnel- ;

- la visite domiciliaire litigieuse a été effectuée chez un tiers à l'infraction présumée, puisqu'elle visait exclusivement à la découverte de documents susceptibles de prouver la fraude présumée des clients de l'avocat en raison des difficultés rencontrées lors du contrôle fiscal en cours.

Selon la Cour, il ressort clairement que le respect du secret professionnel des avocats est inclus dans les garanties de l'article 8 de la Convention, au même titre que celui de leur domicile professionnel ou personnel. Au risque de violer le principe même de ce droit, l'administration doit s'abstenir de consulter et de saisir tout document couvert par le secret professionnel, ce qui soulève deux questions.

Ainsi, le juge de renvoi devra s'interroger sur plusieurs points. Dans un premier temps, il devra délimiter le périmètre des documents concernés. Selon la Cour européenne, les documents relevant soit de la défense, soit de la représentation en justice, ou bien d'actes de consultation tels que des conseils, des correspondances ou des notes manuscrites des avocats, sont couverts par le secret professionnel. Il devra, dans un second temps, s'interroger sur la qualité de la personne susceptible d'apprécier si un document est couvert par le secret professionnel, étant précisé qu'en aucun cas les agents de l'administration fiscale ne peuvent avoir cette qualité. Il va de soi qu'en la matière, ils ne peuvent être juges et parties. Ainsi, ils ne pourront pas consulter eux-mêmes les documents couverts par le secret professionnel, à moins que le représentant de l'Ordre ou le juge ne les y autorise, ce qui revient en outre à leur interdire toute saisie en l'absence de décision du juge, puisqu'une saisie impliquerait la lecture de ces documents.

Mais, ce questionnement passera par un préalable, afin d'établir la participation directe de l'avocat à la fraude présumée. Si la Cour réserve l'insaisissabilité des documents couverts par le secret professionnel aux avocats qui exercent leur mission de défense ou de conseil de leur client, encore faut-il que l'avocat visé soit totalement tiers à l'infraction présumée. Ce ne sera évidemment pas le cas lorsque ces documents sont de nature à établir la preuve de la participation de l'avocat à la fraude présumée. Il a, d'ailleurs, déjà été jugé que les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci et les correspondances échangées entre le client et son avocat sont couvertes par le secret professionnel. Une saisie de pièces répondant à cette définition ne peut être autorisée ou maintenue, à l'occasion d'une visite dans un cabinet d'avocat, qu'à la condition que les documents saisis soient de nature à établir la preuve de la participation de l'avocat à la fraude présumée (Cass. com., 5 mai 1998, n° 96-30.116 N° Lexbase : A2855ACQ). Dans cette dernière affaire, il avait été précisé que le juge saisi de la régularité des opérations apprécie souverainement si un document, en l'occurrence une lettre émanant d'un autre avocat, constitue une consultation, couverte par le secret professionnel.

De manière plus générale, il appartient au juge de l'autorisation de s'assurer des garanties particulières susceptibles d'encadrer les perquisitions chez un avocat afin de rendre effectif le respect du secret professionnel. Il doit donc en principe prévoir dans son ordonnance d'une part la présence du bâtonnier de l'Ordre afin de s'assurer de l'obligation de respect du secret professionnel et d'autre part sa présence pour éviter que les documents soumis au secret professionnel ne soient lus par les agents de l'administration sans autorisation.

Doivent être considérés comme couverts par le secret professionnel :

- une consultation juridique émanant d'un avocat et destinée aux personnes en cause ;

- l'ensemble des correspondances échangées entre les personnes en cause et leurs conseils, à quelque titre que ce soit ;

- un projet de lettre à un avocat se référant expressément à des projets de conclusions préparées par cet avocat ;

- des notes manuscrites de la main même de l'avocat destinées à la préparation de la défense de ses clients. La note d'un cabinet d'avocat saisie au domicile du contribuable, même si elle est formellement adressée au comptable de l'intéressé et ne mentionne pas expressément son nom, doit, eu égard notamment à l'exacte coïncidence des situations familiales et professionnelles évoquées, être regardée comme une consultation rédigée par les avocats signataires et destinée à ce contribuable, couverte par le secret professionnel en application de l'article 66, 5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 . Dès lors, les redressements établis à l'issue d'un examen de la situation fiscale personnelle qui procèdent des éléments contenus dans cette note sont irréguliers (CAA Lyon, 26 juin 2007, n° 05LY01861 N° Lexbase : A2251DXN).

En revanche, ne sont pas couvertes par le secret professionnel et peuvent être ainsi saisies, les pièces strictement comptables relatives aux notes d'honoraires des avocats (Cass. com., 20 octobre 1998, n° 96-30.117 N° Lexbase : A0157AUD).

Il ressort de l'ensemble de la jurisprudence que, si le droit interne peut prévoir la possibilité de perquisitions ou de visites domiciliaires dans le cabinet d'un avocat, celles-ci doivent impérativement être assorties de garanties particulières. Certaines obligations peuvent être imposées aux avocats dans le cadre des relations avec leurs clients. Il en va, ainsi, notamment en cas de constat de l'existence d'indices plausibles de participation d'un avocat à une infraction, ou encore dans le cadre de la lutte contre certaines pratiques. Reste qu'il est alors impératif d'encadrer strictement de telles mesures, les avocats occupant une situation centrale dans l'administration de la justice et leur qualité d'intermédiaires entre les justiciables et les tribunaux permettant de les qualifier d'auxiliaires de justice.

Au titre des garanties, la visite domiciliaire doit être accompagnée d'une garantie spéciale de procédure, puisqu'elle doit être exécutée en présence du Bâtonnier de l'Ordre des avocats. De plus, la présence du Bâtonnier et les observations concernant la sauvegarde du secret professionnel que celui-ci estime devoir faire à propos des documents à saisir doivent être mentionnées dans le procès-verbal des opérations.

Néanmoins, ces garanties ne pourront pas être jugées suffisantes pour avoir empêché la disproportion entre les mesures et le but. Il conviendra d'analyser l'étendue des pouvoirs conférés par l'autorisation aux agents de l'administration en raison de l'absence de limitation au regard du secret professionnel des avocats (ce grief est à rapprocher de la jurisprudence de la Cour de cassation qui estime que l'absence de mention de l'obligation de respecter le secret professionnel n'entache pas la régularité de l'ordonnance). Il sera nécessaire, également, d'analyser la finalité de la visite et de déterminer si elle avait pour but la découverte chez les avocats, en leur seule qualité d'avocats de la société soupçonnée de fraude, de documents susceptibles d'établir la fraude présumée de celle-ci et de les utiliser à charge contre elle, sans que les avocats eux-mêmes aient été accusés ou soupçonnés d'avoir commis une infraction ou participé à une fraude commise par leur cliente.

II - Sanctions

  • La solidarité du dirigeant au paiement de l'amende (CGI, art. 1759 N° Lexbase : L1751HN8) relative aux distributions occultes : l'article 1754, V-3 du CGI renvoyé devant le Conseil constitutionnel (CE 3° et 8° s-s-, 27 octobre 2010, n° 342925 N° Lexbase : A1112GDK)

Le Conseil d'Etat renvoie au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux principes de personnalité et de nécessité des peines, de présomption d'innocence, du respect des droits de la défense et d'égalité devant les charges publiques, de la responsabilité solidaire des dirigeants pour le paiement de l'amende prévue à l'article 1759 du CGI.

Une brève analyse de l'économie du système de la sanction initiale permettra d'établir un examen critique sur lequel repose la solidarité du dirigeant prévue par l'article 1754, V-3 du CGI.

Sont considérées comme des distributions occultes, celles résultant, le plus souvent, de dissimulations de recettes ou de la prise en charge par la société de dépenses qui ne lui incombent pas. Dans ces deux cas, les sommes en cause ne sont pas déductibles des bénéfices imposables de la société versante et sont considérées comme des revenus mobiliers distribués imposables. Pour permettre leur imposition, une procédure spéciale autorise l'administration à demander à la société l'identité des bénéficiaires.

Cette procédure spéciale est prévue aux articles 117 (N° Lexbase : L1784HNE), 1754, V-3 et 1759 du CGI. Aux termes de cette procédure, la société peut être invitée par le service des impôts à fournir, dans un délai de trente jours, toutes indications complémentaires sur les bénéficiaires des distributions dites "occultes". Si, à la suite de cette demande, la société désigne le bénéficiaire, l'intéressé est imposé personnellement au barème progressif de l'impôt sur le revenu à raison de la distribution (sans abattement ni crédit d'impôt), étant précisé que, pour le calcul de l'impôt sur le revenu, les sommes ainsi distribuées sont retenues pour 125 % de leur montant (CGI, art. 158, 7-2° N° Lexbase : L0074IKX).

Si, au contraire, la société ne répond pas dans le délai de 30 jours, ou se borne à faire une réponse imprécise ou ambiguë, elle doit verser elle-même au Trésor une pénalité fiscale, non déductible de son bénéfice imposable, égale à 100 % de la distribution occulte. Lorsque l'entreprise a spontanément fait figurer et réintégré le montant des sommes en cause dans sa déclaration de résultat, le taux de la pénalité est ramené à 75 %.

Les dirigeants de droit ou de fait sont solidairement responsables pour le paiement de la pénalité (CGI, art. 1754, V-3 faisant l'objet de la QPC).

Cet article ne s'explique que par le fait de vouloir renforcer les moyens dont dispose l'administration pour le recouvrement de la pénalité visée à l'article 1759 du CGI. En effet, l'article en cause (1754, V-3 du CGI, avant 2006 codifié à l'article 1763 A, alinéa 2) prévoit que les dirigeants sociaux mentionnés à l'article 62 du CGI (N° Lexbase : L2354IBS) et aux 1°, 2° et 3° du b de l'article 80 ter du CGI (N° Lexbase : L1776HLD), ainsi que les dirigeants de fait, sont solidairement responsables du paiement de cette pénalité. Cette disposition est applicable, s'agissant des dirigeants sociaux. Quant aux dirigeants de fait, selon la jurisprudence du Conseil d'Etat, cette qualité est reconnue aux personnes qui assument des fonctions analogues à celles des dirigeants de droit ou qui exercent un contrôle effectif et constant sur la direction de l'entreprise.

Le régime des sanctions des distributions officieuses est pour le moins très sévère à l'encontre du contribuable directement concerné, à savoir la société, mais surtout dépourvu de toute motivation au regard des dirigeants susceptibles d'avoir engagé leur responsabilité de manière limitée. Les conditions d'applications de l'article 117 et de la solidarité prévues à l'article 1754, V-3 du CGI apparaissent en totale contradiction avec les principes de personnalité et de nécessité des peines, de présomption d'innocence et du respect des droits de la défense.

Concernant le bénéficiaire des sommes considérées comme distribuées, soulignons qu'aux termes de l'article 109-1, 2° du CGI (N° Lexbase : L2060HLU) les sommes ou valeurs non prélevées sur les bénéfices ne peuvent être considérées comme des revenus distribués que si l'associé en a eu la disposition. Mais, pour déterminer si l'associé en a eu la disposition, le Conseil d'Etat procède par présomption, niant ainsi la réalité de la personne morale. Si cette preuve peut découler des circonstances de fait dans le cadre des rémunérations excessives ou de dettes de l'associé payées par l'associé, une telle présomption se révèle dépourvue de tout fondement en cas de recettes dissimulées. C'est l'existence même de la personnalité morale qui est mise à mal. On peut comprendre cette recherche d'efficacité de l'administration fiscale pour sauvegarder les recettes de l'Etat, mais ce but légitime doit-il être atteint au détriment de la charge de la preuve et de l'atteinte portée aux principes fondamentaux évoqués ci-dessus ?

Sur la base de l'assimilation de la sanction administrative à la sanction pénale (Cons. const., décision n° 82-155 DC du 30 décembre 1982 N° Lexbase : A8054ACB ; CEDH, 24 février 1994, Req. 00012547/86 N° Lexbase : A2994AUG ; Avis CE 31 mars 1995, n° 164008 N° Lexbase : A3250ANP), ne conviendrait-il pas d'aller jusqu'au bout du processus et d'éviter des subterfuges d'atténuation des principes ?

Ce malaise ressort des instructions de l'administration fiscale elle-même, puisqu'en vertu des règles générales qui définissent l'obligation des codébiteurs et notamment des articles 1200 (N° Lexbase : L1302ABT) et 1203 (N° Lexbase : L1305ABX) du Code civil, les comptables de la direction générale des finances publiques seraient fondés à actionner, pour le paiement, indifféremment, le débiteur principal ou les codébiteurs solidaires. Toutefois, il est recommandé aux comptables de mettre en cause, en premier lieu, la société débitrice, en utilisant à son encontre, si besoin est, tous les moyens de recouvrement à leur disposition. Les débiteurs solidaires ne sont poursuivis qu'en cas d'échec de la démarche initiale. Ainsi, selon la doctrine administrative, les poursuites éventuelles devront être précédées d'une mise en demeure les informant de leurs obligations. La mise en demeure et, le cas échéant, les actes de poursuites ultérieurs feront expressément référence à l'article 1754, V-3 du CGI.

Par ailleurs, en contradiction totale au principe des droits de la défense, l'administration n'est pas tenue d'inviter les débiteurs solidaires de la pénalité pour distributions occultes à présenter des observations avant de leur en demander le paiement. Elle n'est pas non plus tenue de motiver cette pénalité (CE Contentieux, 28 juin 1996, n° 148479 N° Lexbase : A9641ANE ; CE Contentieux, 3 décembre 1999, n° 162925 N° Lexbase : A4532AX7).

Il ressort de ces quelques réflexions non exhaustives que cette arme redoutable de sauvegarde des intérêts budgétaires ne saurait justifier l'ensemble des atteintes portées à nos principes constitutionnels.

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Entreprises en difficulté

[Chronique] Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly - Décembre 2010

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Le 18 Février 2011

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures collectives. Ce mois-ci, les auteurs ont choisi de s'arrêter, sur deux arrêts rendus par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 16 novembre 2010, promis aux honneurs de son Bulletin. Le premier arrêt commenté pose une solution inédite en matière de charge de la preuve de l'absence de paiement d'un créancier dans le cadre de la reprise de ses poursuites après clôture de la procédure collective du débiteur pour extinction du passif. Il donne, en outre, l'occasion de relever plusieurs questions relatives à la clôture de la procédure. Dans le second arrêt, la Cour de cassation était confrontée à une problématique originale, mêlant droit des entreprises en difficulté et droit des régimes matrimoniaux, puisqu'elle affirme que les salaires d'un époux marié sous un régime de communauté sont des biens communs frappés par la saisie collective au profit de l'époux des créanciers de l'époux mis en procédure collective qui ne peuvent être saisis, pendant la durée de celle-ci, au profit d'un créancier de l'époux maître de ses biens.
  • La charge de la preuve de l'absence de paiement dans le cadre de la reprise des poursuites individuelles après clôture de la procédure pour extinction du passif (Cass. com., 16 novembre 2010, n° 09-69.495, FS-P+B N° Lexbase : A5881GKZ)

La clôture de la procédure collective intervient peu souvent pour extinction du passif exigible de sorte que rares sont les arrêts statuant en ce domaine. Cette rareté ne fait qu'augmenter l'intérêt de la décision rendue le 16 novembre 2010 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation en matière de reprise des poursuites individuelles après clôture de la procédure pour extinction du passif.

En l'espèce, un créancier bénéficiaire d'une ordonnance de référé condamnant son débiteur à une provision avait été admis au passif de la procédure de redressement judiciaire de celui-ci ouverte ultérieurement. Un plan de redressement par voie de continuation avait été arrêté et prévoyait le règlement intégral de la créance du créancier sur une durée de dix ans. Trois années plus tard, le tribunal avait prononcé la clôture de la procédure collective pour extinction du passif en retenant que la société débitrice avait apuré la totalité de son passif sans attendre l'achèvement du plan. Le créancier, qui soutenait qu'il n'avait pas été désintéressé, avait alors, sur le fondement de l'ordonnance de référé obtenue avant l'ouverture de la procédure collective, notifié à la société débitrice un commandement de payer aux fins de saisie vente. Le juge de l'exécution puis la cour d'appel avaient annulé ce commandement de payer. La cour d'appel (CA Nîmes, 5 mai 2009) avait débouté le créancier en considérant qu'en raison du jugement ayant prononcé la clôture du redressement judiciaire pour extinction du passif il appartenait au créancier d'apporter la preuve qu'il n'avait pas été désintéressé de sa créance par la société débitrice.

Se pourvoyant en cassation, le créancier reprochait à l'arrêt d'appel d'avoir inversé la charge de la preuve et violé l'article 1315 du Code civil (N° Lexbase : L1426ABG), aux termes duquel "celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré, doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation". Par cet arrêt appelé à la publication au Bulletin, la Chambre commerciale de la Cour de cassation rejette le pourvoi considérant que, "si le jugement de clôture pour extinction du passif n'a pas autorité de chose jugée quant à l'extinction des créances et si, dès lors, il ne rend pas irrecevable la demande en paiement formée par un créancier prétendant n'avoir pas été désintéressé, il appartient à celui-ci de rapporter la preuve de ce fait lorsque le jugement de clôture a été prononcé au motif que le passif avait été réglé ; qu'ayant relevé, au vu du jugement de clôture [...] que la société débitrice avait réglé, par anticipation, toutes les créances inscrites au plan, suivant les modalités de celui-ci, la cour d'appel en a exactement déduit qu'il incombait [au créancier] de rapporter la preuve contraire".

Cet arrêt pose une solution inédite en matière de charge de la preuve de l'absence de paiement d'un créancier dans le cadre de la reprise de ses poursuites après clôture de la procédure collective du débiteur pour extinction du passif. Il donne, en outre, l'occasion de relever plusieurs questions relatives à la clôture de la procédure.

Tout d'abord, il apparaît, à deux titres, surprenant qu'ait été prononcée, en l'espèce, la clôture de la procédure pour extinction du passif.

La première remarque qui vient à l'esprit est la suivante : comment le passif avait-il pu être apuré sur trois ans alors que son règlement était prévu sur une durée de dix ans ? On sait, en effet, que le débiteur doit régler ses créanciers conformément aux dispositions du plan. S'il n'entend pas les respecter à la lettre, il lui appartient de solliciter du tribunal une modification du plan prévue à l'article L. 626-26 (N° Lexbase : L2418IB8), qui dispose qu'"une modification substantielle dans les objectifs ou les moyens du plan ne peut être décidée que par le tribunal, à la demande du débiteur et sur le rapport du commissaire à l'exécution du plan" (C. com., art. L. 621-69, al. 1er, anc. N° Lexbase : L6921AI8). De telles modifications portant sur les modalités d'apurement du passif -réduction de la durée de règlement de dix à trois ans- apparaissent incontestablement substantielles. Rappelons que, si le débiteur ne règle pas ses créanciers conformément aux dispositions du plan, il est passible des peines prévues par l'article L. 654-8 du Code de commerce (N° Lexbase : L4154HBH ; C. com., art. L 626-8, anc. N° Lexbase : L7064AIH), à savoir un emprisonnement de deux ans et d'une amende de 30 000 euros s'il effectue un paiement en violation des dispositions de règlement du passif prévues au plan. Dans cette espèce, un jugement de modification dans les moyens du plan aurait donc, logiquement, dû être rendu.

Il apparaît, ensuite, singulier qu'un jugement de clôture pour extinction du passif ait été rendu à la suite de l'exécution d'un plan de continuation. Remarquons, en effet, que, sous l'empire de la législation du 25 janvier 1985 (loi n° 85-98 N° Lexbase : L4126BMR), applicable en la cause, la fin du plan de continuation n'était pas officialisée par une décision de justice. Le texte n'envisageait pas la clôture des opérations du plan de continuation. La loi du 26 juillet 2005 (loi n° 2005-845 [LXB=L5150HGT ]) a innové à ce sujet en prévoyant que "quand il est établi que les engagements énoncés dans le plan ou décidés par le tribunal ont été tenus, celui-ci [...] constate que l'exécution du plan est achevée" (C. com., art. L. 626-28 N° Lexbase : L4077HBM en sauvegarde, applicable également au plan de redressement par renvoi de l'article L. 631-19 N° Lexbase : L3314ICQ). La décision rendue n'est pas à proprement parler une décision de clôture des opérations du plan de redressement mais plutôt une décision de constat de l'exécution du plan (1).

Il apparaît ainsi que, dans l'espèce rapportée, le tribunal a fait preuve d'initiative en prononçant, à l'image de ce qui existe en matière de liquidation judiciaire, la clôture du plan de continuation pour extinction du passif.

Quoi qu'il en soit, la solution posée par la Chambre commerciale, dans ce cadre original de la clôture pour extinction du passif intervenue en plan de continuation, a vocation à s'appliquer dans le cadre plus classique de la clôture de la procédure de liquidation judiciaire pour extinction du passif. Cette clôture est prévue par le Code de commerce, tant sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985 (C. com., art. L. 622-30, 1°, anc. N° Lexbase : L7025AIZ) que sous l'empire de la loi de sauvegarde des entreprises (C. com., art. L. 643-9, al. 2 N° Lexbase : L5568HDL), qui précisent qu'il y a place à clôture de la liquidation judiciaire "lorsqu'il n'existe plus de passif exigible ou que le liquidateur dispose de sommes suffisantes pour désintéresser les créanciers".

Quid si, comme en l'espèce, la clôture pour extinction du passif est intervenue par erreur, alors qu'un créancier dont la créance a été admise au passif n'a pas été désintéressé ? En principe, cela doit rester sans conséquence pour le créancier car une différence essentielle existe quant aux effets respectifs de la clôture de la procédure pour extinction du passif et la clôture pour insuffisance d'actif. Seul "le jugement de clôture de liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif ne fait pas recouvrer aux créanciers l'exercice individuel de leurs actions contre le débiteur" (C. com., art. L. 643-11, I N° Lexbase : L3338ICM, C. com, art. L. 622-32, al. 1er, anc. N° Lexbase : L7027AI4), sous réserve des exceptions prévues par le texte. Ainsi, la clôture de la procédure pour extinction du passif exigible n'interdit pas au créancier de demander au débiteur le paiement de sa créance (2).

La clôture pour extinction du passif suppose, comme son nom l'indique, que les créances soient éteintes (3). Cette extinction résultera classiquement du paiement du passif dont il sera fait état dans le jugement de clôture. Cependant, le jugement de clôture pour extinction du passif n'a pas autorité de chose jugée quant à l'extinction des créances et ne rend pas irrecevable la demande en paiement formée par un créancier. La Chambre commerciale rappelle ici que le débiteur ne peut donc se réfugier derrière l'autorité de la chose jugée attachée au jugement de clôture pour extinction du passif pour prétendre que la créance est éteinte (4). La clôture de la procédure pour extinction du passif n'interdira donc pas au créancier impayé de reprendre l'exercice de ses poursuites individuelles. Cependant, à qui va incomber la charge de la preuve de l'absence de désintéressement du créancier ? La Chambre commerciale répond ici à cette question en faisant peser la charge de cette preuve sur le créancier et non sur le débiteur. Est ainsi balayé l'argumentation du créancier qui soutenait que la cour d'appel avait inversé la charge de la preuve et violé l'article 1315 du Code civil en obligeant le créancier à rapporter la preuve qu'il n'avait pas été désintéressé par la société débitrice.

Ainsi, le jugement de clôture pour extinction du passif, s'il n'a pas autorité de chose jugée quant à l'extinction des créances, a néanmoins pour effet d'emporter une présomption de règlement de l'intégralité des dettes du débiteur. Cette présomption simple devra être renversée par le créancier non désintéressé qui sera tenu de démontrer que sa créance n'a pas été réglée par le débiteur. Cette preuve ne sera pas aisée à rapporter car elle tend à l'établissement d'un fait négatif : il s'agit, pour le créancier, de prouver qu'il n'a pas été payé. ! Afin d'éviter cet écueil, le créancier non désintéressé serait bien avisé de former tierce-opposition réformation au jugement de clôture pour extinction du passif, sauf à considérer que cette décision est d'administration judiciaire et qu'elle n'est donc pas susceptible de recours, ce que nous ne pensons pas...

Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences à l'Université du Sud-Toulon-Var, Directrice du Master 2 Droit de la banque et de la société financière de la Faculté de droit de Toulon

  • L'insaisissabilité des gains et salaires du conjoint in bonis commun en biens pendant la procédure collective de son époux (Cass. com., 16 novembre 2010, n° 09-68.459, F-P+B N° Lexbase : A5867GKI)

L'article 1413 du Code civil (N° Lexbase : L1544ABS) pose le principe d'engagement des biens communs par l'initiative d'un époux, même agissant seul. Le créancier d'un époux peut, en conséquence, saisir les biens communs.

L'article 1414, alinéa 1er, du Code civil (N° Lexbase : L1545ABT) pose un tempérament pour la saisie des gains et salaires d'un époux lorsque la dette est entrée en communauté du chef de l'autre. Le principe est alors inversé : un créancier ne peut saisir les gains et salaires du conjoint de l'époux ayant fait naître la dette commune. Il n'est fait exception à ce principe que pour les dettes ménagères.

Interprété a contrario, ce texte conduit à décider que la saisie des gains et salaires est possible par un créancier si la dette est entrée en communauté du chef de ce conjoint, dont on veut saisir les gains et salaires. Les conditions d'un tel raisonnement sont réunies. L'article 1414, alinéa 1er, pose une exception au principe énoncé par l'article 1413 du Code civil : celui de l'engagement des biens communs par l'initiale d'un seul époux. Si l'on raisonne sur l'hypothèse de la naissance de la dette par l'initiative du conjoint du chef duquel on veut pratiquer une saisie des rémunérations, l'on n'est plus dans le cas explicitement visé à l'article 1414, alinéa 1er. En écartant ce dernier texte, puisque la situation sur laquelle on raisonne n'est pas celle visée au texte, on en revient au principe : celui de l'engagement des biens communs par l'initiale d'un seul des époux.

En énonçant à l'article 1414, alinéa 1er, du Code civil une telle exception au principe, le législateur fait apparaître que les gains et salaires ont la nature juridique de biens communs (5). Il n'en demeure pas moins qu'ils obéissent à un régime particulier : en effet, ils ne sont, en application de l'article 1414, alinéa 1er, engagés que par les dettes de l'époux qui les perçoit, et répondent du passif propre. Ces particularismes font écrire à des auteurs avertis du droit des régimes matrimoniaux que ces gains et salaires ont une nature hybride (6).

Quoi qu'il en soit, l'affirmation du caractère de biens communs des gains et salaires est lourde de conséquences, si une procédure collective s'ouvre contre l'un des époux communs en biens.

La Cour de cassation a déjà posé en règle que l'ouverture d'une procédure collective produit un effet de saisie réelle, en ce sens qu'elle joue comme une une saisie collective (7). La procédure collective fait tomber dans son périmètre tous les biens du débiteur, non seulement ses biens propres, mais encore tous les biens communs. La conjonction de l'effet de saisie collective qu'opère le jugement d'ouverture et de l'application de l'article1413 du Code civil, selon lequel "le paiement des dettes dont chaque époux est tenu, pour quelque cause que ce soit, pendant la communauté, peut toujours être poursuivi sur les biens communs", conduit à faire tomber dans le périmètre de la procédure collective tous les biens communs.

En application de ce principe, il n'apparaît pas possible de poursuivre le recouvrement d'une créance sur les biens communs, à l'encontre du conjoint. L solution a vocation à s'appliquer tant au régime de la communauté légale qu'à celui de la communauté universelle (8).

Si le conjoint est codébiteur, le créancier peut tenter d'exhiber cette qualité pour essayer de le poursuivre, non en tant que conjoint, mais en qualité de codébiteur. Mais il ne pourra obtenir paiement de celui-ci à l'aide d'argent commun, puisque les biens communs sont inclus dans le périmètre de la procédure collective.

Le droit du créancier à exécuter sur le débiteur sous sauvegarde, en redressement ou en liquidation judiciaire, conditionne son droit d'exécution sur l'époux in bonis. Si le créancier ne peut poursuivre l'époux commun en biens sous procédure collective, il ne pourra davantage poursuivre le conjoint commun en biens resté in bonis. Cette symétrie dans le droit de poursuite a bien été mise en évidence par la Cour de cassation. Ainsi, pour que le créancier puisse poursuivre en paiement le codébiteur in bonis, il faut qu'il ait le droit de poursuivre également le débiteur commun en biens sous procédure collective. Il n'en est ainsi que dans une hypothèse. Le créancier titulaire d'une sûreté spéciale retrouve son droit de poursuite du débiteur, sur le fondement de l'article L. 643-2, alinéa 1er, du Code de commerce (N° Lexbase : L3367ICP), lorsque le liquidateur n'a pas entrepris la vente du bien grevé dans les trois mois de la liquidation judiciaire. En pareille situation, ce créancier retrouve identiquement le droit de poursuivre le conjoint in bonis (9). La solution, qui existait déjà sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985 (C. com., art. L. 622-23, anc. N° Lexbase : L7018AIR) est reconductible sous l'empire de la loi de sauvegarde des entreprises, laquelle, tout en conservant le délai de principe de trois mois (C. com. art. L. 643-2, al. 1er), prévoit que, si le tribunal a envisagé un délai de présentation d'offres de cession de l'entreprise, la possibilité pour un créancier de reprendre ses poursuites individuelles est recouvrée soit au jour où le tribunal statue sur le plan de cession, dès lors que le bien n'est pas intégré dans le plan, soit à l'expiration de la période provisoire d'activité autorisée en liquidation judiciaire (C. com., art. L. 643-2, al. 2).

Ce cas de poursuite du codébiteur in bonis, commun en biens, est exceptionnel, comme l'est la possibilité de poursuivre le débiteur pendant sa procédure collective.

On pressent les difficultés que pourrait avoir un créancier à poursuivre le conjoint commun en biens, resté in bonis, alors même qu'il serait débiteur, en tentant de son chef une saisie des rémunérations. C'est la problématique sur laquelle a dû statuer la Cour de cassation, dans un arrêt de sa Chambre commerciale du 16 novembre 2010.

En l'espèce, deux époux ont donné à bail un immeuble à M. B.. Ce dernier avait réclamé l'exécution de travaux à ses bailleurs et un litige s'était élevé au sujet de cette dernière. L'époux bailleur avait été placé en redressement, puis en liquidation judiciaire. Trois ans plus tard, le locataire assignait ses bailleurs. Seule l'épouse commune en biens a été condamnée, du fait de la règle de l'arrêt des poursuites individuelles. Fort de cette condamnation, le locataire a alors tenté une saisie des rémunérations du chef de sa bailleresse, tout à la fois codébitrice in bonis, et épouse commune en biens.
Les juges du fond ont fait droit à la demande, du fait de la nature de revenus des sommes saisies. Implicitement, mais nécessairement, les juges du fond ont dû poser en postulat que les salaires de l'époux in bonis sont saisissables parce qu'ils ne sont pas des biens communs.
La Cour de cassation va censurer l'arrêt de la cour d'appel en ces termes : "les salaires d'un époux marié sous un régime de communauté sont des biens communs frappés par la saisie collective au profit de l'époux des créanciers de l'époux mis en procédure collective qui ne peuvent être saisis, pendant la durée de celle-ci, au profit d'un créancier de l'époux maître de ses biens".

La Cour de cassation ne statuait pas ici sur l'application de l'article 1414, alinéa 1er, du Code civil, puisque la saisie était faite du chef de l'époux ayant fait naître la dette commune, les deux époux, en l'occurrence ayant contracté cette dette.

Pour répondre à la question posée, la Cour de cassation devait impérativement qualifier les salaires : il s'agit, affirme-t-elle sans ambiguïté, de biens communs. Une fois l'affirmation posée, le raisonnement peut être déroulé de manière la plus simple.

La Cour de cassation réaffirme une nouvelle fois -c'est la troisième en 2010- que l'ouverture de la procédure collective produit un effet de saisie collective. Elle n'utilise pas ici le concept précédemment employé d'"effet réel" de la procédure collective, mais qu'importe, le résultat est le même. Puisque la procédure collective produit un effet de saisie collective, et puisque, par l'effet de l'article 1413 du Code civil, les actes d'un seul des époux engagent la communauté, la procédure collective appréhende à elle seule tous les biens communs. Ces derniers étant collectivement saisis, ils ne peuvent plus l'être individuellement au profit d'un créancier soumis à la discipline collective. Ce créancier n'a pas plus de droits à faire valoir sur les biens communs, que ce soit du chef de l'époux placé sous procédure collective ou du chef de son conjoint demeuré in bonis. La procédure collective opère in rem, et interdit toute initiative sur les biens qui y sont assujettis, ce qui est le cas des biens communs. Cela n'interdit pas, à notre sens, de poursuivre en paiement le codébiteur in bonis, époux commun en biens : le titre de condamnation semble pouvoir être obtenu, sous réserve des interdictions de poursuites des codébiteurs pendant la période d'observation de la sauvegarde ou du redressement judiciaire, depuis la loi de sauvegarde des entreprises (C. com., art. L. 622-28, al. 2 N° Lexbase : L3512IC3, texte de la sauvegarde applicable en redressement judiciaire). Ce qui, en revanche, est interdit est d'exercer des voies d'exécution ou des saisies conservatoires sur les biens communs, puisqu'ils sont déjà saisis collectivement par l'effet de l'ouverture de la procédure collective.

Si le créancier n'est pas concerné par la discipline collective, qui lui interdit d'obtenir paiement de sa créance, d'agir en justice pour en obtenir le paiement et de pratiquer des mesures d'exécution à cette même fin, alors il peut appréhender les biens communs. Ainsi, pour obtenir paiement d'une créance postérieure méritante, il peut agir non seulement contre le débiteur sous procédure collective, mais également contre son conjoint in bonis, commun en biens.

Enfin, précise la Cour de cassation, l'interdiction de pratiquer, du chef du conjoint époux commun en biens des mesures d'exécution sur les biens communs ne dure que le temps de la procédure collective. Et le raisonnement se comprend : la procédure collective provoque un effet de saisie collective. Cet effet cesse lorsqu'elle est clôturée. Cela ne signifie pas que, dans les rapports entre le créancier et le débiteur ayant été placé sous procédure collective, la poursuite après clôture de la procédure collective sera possible sur les biens communs. En effet, l'effet de saisie de la procédure collective est relayé à la clôture pour insuffisance d'actif par une interdiction de principe de reprise des poursuites individuelles. En revanche, cette interdiction, qui n'affecte que l'action en justice contre le débiteur et non pas le droit substantiel de créance, n'interdit nullement d'exercer des poursuites contre le codébiteur qui était resté in bonis, fut-il époux commun en biens.

Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du CERDP (ex Crajefe) et Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises


(1) V. en ce sens J. Vallansan, Difficultés des entreprises - Commentaire article par article du livre VI du Code de commerce, Litec, 4ème éd., n° 319 ; Sur les conditions du constat de l'exécution du plan de redressement, v. P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz, 2010/2011, n° 525.11.
(2) V. sur la question P.-M. Le Corre, préc., n° 592.25.
(3) "Ou que le liquidateur dispose de sommes suffisantes pour désintéresser les créanciers" (C. com., art. L. 643-9, al. 2 N° Lexbase : L5568HDL).
(4) Cass. com., 4 octobre 2005, n° 03-17.619, F-P+B (N° Lexbase : A7050DKC), Bull. civ. IV, n° 192 ; D., 2005, AJ 2806, obs. A. Lienhard ; D., 2006, somm. 82, obs. P.-M. Le Corre ; JCP éd. E, 2006, chron. 1006, p. 74, n° 9, obs. M. Cabrillac ; Gaz. proc. coll., 2006/2, p. 36, obs. M. Sénéchal.
(5) J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2ème éd., 2001, n° 451.
(6) J. Flour et G. Champenois, ibid..
(7) Cass. com., 16 mars 2010, n° 08-13.147, FS-P+B (N° Lexbase : A8033ETP), D., 2010, AJ p. 825, note A. Lienhard ; D., 2010, 1112, note M.-L. Bélaval ; D., 2010, pan. com. 1828, nos obs. ; Gaz. pal. éd. sp. Droit des entreprises en difficulté, 2 et 3 juillet 2010, n° 183 et 184, p. 13, note L. Antonini-Cochin ; Act. proc. coll., 2010/8, n° 122, note J. Vallansan.
(8) CA Colmar, 1ère ch., 26 novembre 2002, RD banc. et fin., 2004/1, p. 31, n° 33, obs. F.-X. Lucas.
(9) Ass. plén., 23 décembre 1994, n° 90-15.305 (N° Lexbase : A9933AYK), Bull. Ass. plén., n° 7, D., 1995, jur. 145, rapp. Y. Chartier, et note F. Derrida, JCP éd. N, 1995, II, 423, note. D. Randoux, JCP éd. E, 1995, II, 660, note Ph. Pétel, RJ com., 1995, 55 obs. M. Storck, Quot. jur., 7 février 1995, p. 5, note P. M., Banque, 1995, 91, obs. J.-L. Guillot ; Cass. com., 17 juin 1997, n° 95-14.470, inédit (N° Lexbase : A8326CUW), D., Affaires, 1997, 901.

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Fiscalité des entreprises

[Chronique] Chronique de droit fiscal des entreprises - Décembre 2010

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N8220BQI

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par Frédéric Dal Vecchio, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines

Le 04 Janvier 2011

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité en droit fiscal des entreprises réalisée par Frédéric Dal Vecchio, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. Cette chronique est entièrement dévolue à "l'impôt magique" qu'est la TVA, représentant près de la moitié des recettes budgétaires de l'Etat, les enjeux liés à la bonne application par les contribuables de la 6ème Directive-TVA (Directive 2006/112 depuis le 1er janvier 2007 [LXB=L7664HTZ ]) sont de tout premier plan : dans une première décision, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) prend position quant au programme de fidélisation de clients qui se voient remettre des cadeaux en échange de points collectés au fur et à mesure de leurs achats (CJUE, 7 octobre 2010, aff. C-53/09 et C-55/09). Puis, la CJUE précise les conditions de l'exonération de la TVA quant aux opérations financières et particulièrement du recouvrement de créances dans le cadre du système de soins dentaires en Angleterre (CJUE, 28 octobre 2010, aff. C-175/09). Enfin, les juges de droit interne se prononcent, en première instance, sur la déductibilité de la TVA grevant des commissions de mandat facturées par un tiers pour la cession d'un immeuble pourtant hors champ d'application de la taxe (TA Montreuil, du 16 septembre 2010, n° 0901643).
  • Programme de fidélisation et cadeaux remis aux clients en échange de points (CJUE, 7 octobre 2010, aff. C-53/09 et C-55/09 N° Lexbase : A1849GB4)

Les programmes de fidélisation des clients ont entraîné d'importantes réflexions chez les spécialistes du marketing pour lesquels "un bon programme de fidélité doit fidéliser une majorité de clients satisfaits et rattraper une minorité de clients insatisfaits" (cf. J. Lendrevie, A. de Baynast, C. Emprin, Publicitor, Dunod, 2008, p. 483). Parmi ces "insatisfaits", figure également l'administration fiscale britannique, mais pour des raisons bien différentes des clients de l'entreprise, car la problématique soumise à la CJUE est de qualifier la contrepartie des paiements par le gestionnaire du programme de fidélisation aux fournisseurs qui livrent les cadeaux de fidélité aux clients et par le commerçant au gestionnaire du programme de fidélisation livrant de tels cadeaux.

Deux programmes de fidélisation ont fait l'objet de l'arrêt du 7 octobre 2010 rendu par la CJUE saisie après renvoi préjudiciel quant à l'interprétation de la 6ème Directive-TVA. Dans le cadre de l'affaire n° 55/09 (1), des sociétés liées qui fabriquent des chaudières ont mis en place un programme de fidélisation auprès des installateurs de chaudières afin de les inciter à acheter leurs produits. Le litige ne concerne, ici, que des cadeaux remis sous la forme de biens. Concernant l'affaire n° 53/09 (2), il s'agit de la gestion d'un programme de fidélisation des clients.

A titre liminaire, la Cour rappelle l'importance de la "réalité économique", qu'elle qualifie de fondamentale, dans le cadre de l'appréciation du fonctionnement de la TVA et que le lecteur pourra comparer (opposer ?) aux effets du contrat conclu entre les parties (cf. Y. Sérandour, Le contrat, outil d'interprétation de la sixième Directive TVA, in Mélanges dédiés à Bernard Bouloc Les droits et le Droit, Dalloz, 2007, p. 1059).

La Cour va vérifier, conformément à sa jurisprudence, si l'opération était bien effectuée à titre onéreux (CJCE, 1er avril 1982, aff. C-89/81 N° Lexbase : A6251AU3), sauf livraison à soi-même, et s'il existe un lien direct entre le bien livré ou le service rendu et la contre-valeur reçue (CJCE, 8 mars 1988, aff. C-102/86 N° Lexbase : A7336AH8). La CJUE fera remarquer qu'il faut distinguer deux opérations distinctes que l'on retrouve dans les deux affaires examinées par la Cour : vente d'un bien ou d'un service et remise de points puis transmission de biens en échange de ces points. Il y a un parallèle avec la jurisprudence "Kuwait Petroleum" relative à un programme de fidélisation pour l'achat d'essence pour lequel il ne pouvait être soutenu que le prix à la pompe tenait compte, au moins pour partie, de la valeur du bien ou du service : le prix de l'essence achetée ne dépendait pas de l'acquisition, ou non, des points par le conducteur du véhicule (CJCE, 27 avril 1999, aff. C-48/97 N° Lexbase : A0462AWZ).

Les solutions offertes par la Cour dans ces deux affaires sont de prendre en considération, lorsqu'une opération est constituée par un faisceau d'éléments et d'actes, toutes les circonstances dans lesquelles se déroule l'opération examinée afin de déterminer l'existence d'une seule prestation constitutive d'une livraison de biens ou de prestation de services ou de plusieurs prestations distinctes (CJCE, 29 mars 2007, aff. C-111 /05 N° Lexbase : A7809DUR) (3).

Pour la CJUE, des paiements effectués par le gestionnaire du programme en cause aux fournisseurs qui livrent des cadeaux de fidélité aux clients doivent être considérés, dans l'affaire C-53/09, comme la contrepartie, versée par un tiers, d'une livraison de biens à ces clients ou, le cas échéant, d'une prestation de services fournie à ceux-ci. La Cour laisse, cependant, au juge de renvoi de vérifier si ces paiements englobent également la contrepartie d'une prestation de services correspondant à une prestation distincte. S'agissant de l'affaire C-55/09, relative aux paiements effectués par le sponsor au gestionnaire du programme qui livre des cadeaux de fidélité aux clients, ils doivent être considérés comme étant, en partie, la contrepartie, versée par un tiers, d'une livraison de biens à ces clients et, en partie, la contrepartie d'une prestation de services effectuée par le gestionnaire de ce programme au profit de ce sponsor.

On gardera, toutefois, à l'esprit que les schémas adoptés par les acteurs de ces techniques promotionnelles sont susceptibles de varier sensiblement de sorte que les arrêts de la CJUE rendent difficile toute extrapolation à des cas concrets qui diffèrent des circonstances de fait de ces deux affaires (4) (cf. J. M. Moreno et A. Rodrigues, Le régime de TVA des techniques promotionnelles - Etat des lieux et perspectives, Dr. fisc., 2009, ét. 434).

  • Dentisterie et prestations d'assistance au recouvrement de créances : "Tout un monde lointain"... (5) (CJUE, 28 octobre 2010, aff. C-175/09 N° Lexbase : A7808GC8)

Aux termes de l'article 261 C du CGI (N° Lexbase : L5553ICN), certaines opérations, y compris la négociation, ne sont pas imposées à la TVA, lorsqu'elles portent sur les comptes bancaires, les virements, les créances, les chèques et les autres effets de commerce. Toutes les opérations portant sur les créances telles que la négociation, garantie, gestion, sont exonérées, quelle que soit la nature des créances (commerciale ou civile, à long ou court terme) à la seule exception des opérations de recouvrement. La question est donc de savoir ce qu'est une opération de recouvrement car cette notion n'est pas définie par la sixième Directive alors en vigueur mais, selon la jurisprudence communautaire, le recouvrement inclut les opérations financières visant à obtenir le paiement d'une dette d'argent (CJCE, 26 juin 2003, aff. C-305/01 N° Lexbase : A0199C9A).

La question juridique portée à la connaissance de la Cour a trait à l'assujettissement à la TVA de commissions perçues par une entreprise britannique, Denplan, qui fait partie du groupe Axa, en contrepartie de la fourniture de prestations de services à ses clients, lesquelles auraient dû, selon la société Axa, être exonérées de la TVA. Ces prestations de services visent à améliorer la gestion des cabinets dentaires et, dans ce cadre, Denplan propose à ses clients dentistes un service de "collecte de paiements" dus par les patients.

Pour resituer les enjeux d'une problématique qui peut nous paraître exotique en France compte tenu des différents choix de société qui gouvernent les systèmes de santé français et anglais, Denplan est présente chez 6 500 dentistes au Royaume-Uni et 1 800 000 patients anglais en assurant un certain nombre de services dont des prêts sans intérêts pour les patients, des plans de soins tels que "Denplan Essentials" permettant au dentiste de fixer une redevance mensuelle pour son patient afin de couvrir un certain nombre d'examens dentaires, les visites d'hygiène dentaire et les radiographies dentaires ; Denplan laissant, toutefois, au praticien la possibilité de fixer lui-même la fréquence des examens dentaires et des visites d'hygiène dentaires de ses patients...

Pour considérer in fine que ces prestations ne peuvent être exonérées de la TVA (6), quand bien même ces services de recouvrement seraient effectués à l'échéance des dettes, la Cour va s'attacher, tout comme dans l'arrêt "Loyalty Management ou Levob Verzekeringen BV" (CJCE, 27 octobre 2005, aff. C-41/04 N° Lexbase : A0986DL4 (7)) à déterminer si les opérations effectuées par Denplan pour ses clients revêtent plusieurs prestations distinctes et indépendantes ou s'il faut considérer qu'il s'agit d'une prestation complexe composée de plusieurs éléments. Au cas particulier, la CJUE va considérer qu'il s'agissait bien d'une seule et même prestation dont le but est de transférer la somme due par le patient dans le compte du dentiste. La Cour retient l'objet économique des actes caractérisant ces opérations et l'utilité du transfert de la somme sous déduction de la rémunération du prestataire de services. L'unicité des opérations étant caractérisée, le second temps du raisonnement de la Cour de justice de l'Union européenne est alors de considérer que les exonérations -toujours d'interprétation stricte sous réserve qu'elles ne soient pas privées de leur effet utile (CJUE, 30 septembre 2010, aff. C-581/08 N° Lexbase : A6586GA8 (8)) et définies selon leur nature et non en fonction du prestataire ou du destinataire du service (9)- sont autonomes au sens où elles visent à éviter des divergences entre les Etats membres quant à l'application du régime de la TVA. Ce souci d'harmonisation est constant dans les arrêts de la Cour et a été récemment exprimé dans l'arrêt "Future Health Technologies Ltd", relatif à la question de l'exonération de TVA concernant les prestations de soins à la personne effectuées dans le cadre de l'exercice des professions médicales et paramédicales et, plus précisément, quant à la collecte, l'analyse et le traitement de sang de cordon ombilical dans le but de conserver les cellules souches pour un éventuel futur usage thérapeutique (CJUE, 10 juin 2010, aff. C-86/09 N° Lexbase : A6449EYI). L'événement le plus extraordinaire de la vie d'un homme, et ses éventuelles conséquences thérapeutiques, ne sont pas incompatibles avec la TVA (10) !

  • Déductibilité de la TVA grevant des commissions lors de la cession d'un ensemble immobilier hors champ de la TVA (TA Montreuil, du 16 septembre 2010, n° 0901643 N° Lexbase : A4813GCA)

Aux termes de la jurisprudence bien connue "des pommes et des poires", afin de qualifier une opération imposable à la TVA, il faut notamment relever l'existence d'un lien direct entre le bien livré, ou le service rendu, et la contre-valeur reçue (CJCE, 8 mars 1988, aff. C-102/86 N° Lexbase : A7336AH8).

Au cas particulier, à la suite d'une vérification de comptabilité d'une société civile immobilière portant sur une période de 2005 à 2008, l'administration fiscale a remis en cause la déductibilité de la TVA à raison des commissions facturées par un tiers lors de la cession de cet immeuble qui était placé hors du champ d'application de la TVA.

La TVA immobilière, réformée depuis le 11 mars 2010 (loi n° 2010-237, 9 mars 2010, de finances rectificative pour 2010, art. 16 N° Lexbase : L6232IGW), comporte des particularismes : sont ainsi soumises à la TVA les opérations concourant à la production ou à la livraison d'immeubles (CGI, art. 257, dans la rédaction applicable aux faits de l'espèce, N° Lexbase : L5182HLI). Toutefois, les opérations qui portent sur des immeubles ou parties d'immeubles qui sont achevés depuis plus de cinq ans ou qui, dans les cinq ans de cet achèvement, ont déjà fait l'objet d'une cession à titre onéreux à une personne n'intervenant pas en qualité de marchand de biens ne relèvent plus de la TVA.

En s'appuyant également sur les dispositions de l'article 271 du CGI (N° Lexbase : L5374HLM) (11) et en relevant que ces commissions liées à la vente de l'immeuble relevaient des frais généraux de la société cédante, les premiers juges, qui vont décharger la société requérante des cotisations de TVA, vont constater, d'une part, que les loyers de cet immeuble étaient soumis à la TVA et, d'autre part, que les commissions versées pour cette vente l'ont été dans le but de cesser l'activité de location. Le tribunal administratif de Montreuil en déduit alors qu'il existait bien un lien direct et immédiat avec l'activité exercée par la société redevable.

En attendant la confirmation par le juge d'appel, on comparera ce jugement avec les récentes décisions relatives aux cessions d'actifs -il s'agissait de titres ou de valeurs mobilières de placement- rendues nécessaires en vue de maintenir l'activité et pour lesquelles la question du lien direct s'est également posée tant devant la CJUE (CJCE, 29 octobre 2009, aff. C-29/08 N° Lexbase : A5614EMU) que devant le juge interne (CE 3° et 8° s-s-r., 10 juin 2010, n° 292389 N° Lexbase : A9189EYY ; CAA Versailles, 8 juillet 2010, deux arrêts, n° 08VE00970 N° Lexbase : A6435GMB et n° 08VE00985 N° Lexbase : A6436GMC).


(1) "Il ressort également de la décision de renvoi que les cadeaux de fidélité sont facturés par @1 à Baxi au prix de vente au détail majoré des frais d'expédition applicables au lieu de la commande où la propriété est transférée et l'échange des points effectué. Ainsi, déduction faite de la marge de @1 consistant en la différence entre le prix de vente au détail des cadeaux de fidélité et le prix d'acquisition auquel @1 se procure ces cadeaux, le paiement par Baxi à @1 constitue la contrepartie de la livraison desdits cadeaux".
(2) "Il ressort de la décision de renvoi dans l'affaire C-53/09 que l'échange de points par les clients auprès des fournisseurs donne lieu au versement d'un paiement par LMUK à ces derniers. Ce paiement se calcule en additionnant les commissions, qui représentent un montant fixe pour chaque point échangé contre une partie, ou la totalité, du prix du cadeau de fidélité. Dans ce contexte, il convient, ainsi que le soutient le gouvernement du Royaume-Uni, de constater que ce paiement correspond à la contrepartie de la livraison des cadeaux de fidélité".
(3) "Ainsi qu'il ressort de la jurisprudence de la Cour, lorsqu'une opération est constituée par un faisceau d'éléments et d'actes, il y a lieu de prendre en considération toutes les circonstances dans lesquelles se déroule l'opération en question, aux fins de déterminer, d'une part, si l'on se trouve en présence de deux ou de plusieurs prestations distinctes ou d'une prestation unique et, d'autre part, si, en ce dernier cas, cette prestation unique doit être qualifiée de livraison de biens ou de prestation de services (voir, en ce sens, arrêts du 2 mai 1996, Faaborg-Gelting Linien, C-231 /94, Rec. p. I-2395, points 12 à 14 N° Lexbase : A9401AUQ ; du 25 février 1999, CPP, C-349 /96, Rec. p. I-973, point 28 N° Lexbase : A7318AHI, ainsi que du 27 octobre 2005, Levob Verzekeringen et OV Bank, C-41/04, Rec. p. I-9433, point 19 N° Lexbase : A0986DL4). 22. - Compte tenu de la double circonstance que, d'une part, il découle de l'article 2, point 1, de la sixième Directive que chaque opération doit normalement être considérée comme distincte et indépendante et que, d'autre part, l'opération constituée d'une seule prestation sur le plan économique ne doit pas être artificiellement décomposée pour ne pas altérer la fonctionnalité du système de la TVA, il importe de rechercher, d'abord, les éléments caractéristiques de l'opération en cause pour déterminer si l'assujetti livre à son client plusieurs prestations principales distinctes ou une prestation unique (voir, en ce sens, arrêts précités CPP, point 29, et Levob Verzekeringen et OV Bank, point 20)".
(4) "Il convient de répondre aux questions posées que, dans le cadre d'un programme de fidélisation des clients tel que celui en cause dans les affaires au principal [nous soulignons]".
(5) Henri Dutilleux, Tout un monde lointain, concerto pour violoncelle, (1970).
(6) "Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que l'article 13, B, sous d), point 3, de la sixième Directive doit être interprété en ce sens que ne relève pas de l'exonération de la TVA prévue à cette disposition une prestation de services qui consiste, en substance, à demander à la banque d'une tierce personne le transfert via le système de 'débit direct' d'une somme due par cette personne au client du prestataire de services sur le compte de ce dernier, à envoyer au client un relevé des sommes reçues, à prendre contact avec la tierce partie dont le prestataire de services n'a pas reçu le paiement et, enfin, à donner l'ordre à la banque du prestataire de services de transférer les paiements reçus, diminués de la rémunération de celui-ci, sur le compte bancaire du client".
(7) "A cet égard, la Cour a jugé que l'on est en présence d'une prestation unique notamment dans l'occurrence où un ou plusieurs éléments doivent être considérés comme constituant la prestation principale alors que, à l'inverse, un ou des éléments doivent être regardés comme une ou des prestations accessoires partageant le sort fiscal de la prestation principale (arrêts CPP, précité, point 30, et du 15 mai 2001, Primback, C-34/99, Rec. p. I-3833, point 45 N° Lexbase : A3959ATS)".
(8) "Les termes figurant à la seconde phrase de l'article 5, paragraphe 6, de la sixième Directive sont d'interprétation stricte, de telle sorte qu'il ne soit pas porté atteinte aux objectifs de la première phrase dudit article 5, paragraphe 6, tout en veillant à ce que l'exception relative aux échantillons et aux cadeaux de faible valeur ne soit pas privée de son effet utile (voir, par analogie, arrêts du 18 novembre 2004, Temco Europe, C-284/03, Rec. p. I-11237, point 17 N° Lexbase : A9123DDA, et du 14 juin 2007, Horizon College, C-434/05, Rec. p. I-4793, point 16 N° Lexbase : A8188DW8)".
(9) La Cour précise alors : "L'exonération n'est donc pas subordonnée à la condition que les opérations soient effectuées par un certain type d'établissement ou de personne morale, dès lors que les opérations en cause relèvent du domaine des opérations financières" ; v. également : CJCE, 26 juin 2003, aff. C-305/01, § 64 (N° Lexbase : A0199C9A).
(10) "Il y a lieu de répondre à la deuxième question que la notion d'opérations 'étroitement liées' à l''hospitalisation et [aux] soins médicaux', au sens de l'article 132, paragraphe 1, sous b), de la Directive 2006/112, doit être interprétée en ce sens qu'elle ne couvre pas des activités telles que celles en cause au principal, consistant dans l'envoi d'un matériel de collecte de sang de cordon ombilical des nouveau-nés ainsi que dans l'analyse et le traitement de ce sang et, le cas échéant, dans la conservation des cellules souches contenues dans ce sang en vue d'un possible futur usage thérapeutique auquel ces activités ne sont qu'éventuellement liées et qui n'est ni effectif ni en cours ou encore planifié".
(11) "1. La TVA qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la TVA applicable à cette opération".

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Fonction publique

[Doctrine] Chronique de droit de la fonction publique - Décembre 2010

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N8273BQH

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par Manuel Carius, Maître de conférences à l'Université de Poitiers et avocat à la cour

Le 20 Octobre 2011

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique de droit interne de la fonction publique de Manuel Carius, Maître de conférences à l'Université de Poitiers et avocat à la cour. Sera étudié, tout d'abord, un décret du 12 novembre 2010 concernant le fonctionnaire dont l'emploi est susceptible d'être supprimé en cas de restructuration. Après une période de réorientation professionnelle et de disponibilité d'office, le fonctionnaire pourra être réintégré à sa demande, sur l'une des trois premières vacances de son corps d'origine. En cas de refus, il pourra être licencié. Ensuite, dans un arrêt rendu le 17 novembre 2010, la Haute juridiction dit pour droit que la condamnation du fonctionnaire à la privation de ses droits civiques n'entraîne la rupture de ses liens avec le service qu'à la date à laquelle elle est devenue définitive. Enfin, dans une décision du 15 novembre 2010, le Conseil d'Etat précise les conditions de reclassement des fonctionnaires reconnus physiquement inaptes à l'exercice de leurs fonctions.
  • Les fonctionnaires d'Etat refusant trois offres d'emploi en remplacement d'un poste perdu dans le cadre d'une restructuration pourront être licenciés (décret n° 2010-1402 du 12 novembre 2010, relatif à la situation de réorientation professionnelle des fonctionnaires de l'Etat N° Lexbase : L3262IN7)

Très attendu, mais, également, très redouté, les organisations syndicales de fonctionnaires ayant boycotté la séance du Conseil supérieur de la fonction publique durant laquelle le projet de décret a été présenté en février dernier, le décret n° 2010-1402 du 12 novembre 2010 adopte les mesures d'application de l'article 7 de la loi n° 2009-972 du 3 août 2009, relative à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique (N° Lexbase : L6084IE3). Ce texte a, en effet, créé, aux articles 44 bis et suivants du titre II du statut général de la fonction publique, à savoir la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat (N° Lexbase : L7077AG9), la possibilité de placer les fonctionnaires dans une "situation" de réorientation professionnelle.

Ce dispositif s'applique aux agents titulaires dont l'emploi est susceptible d'être supprimé à la suite de la restructuration d'une administration de l'Etat ou de l'un de ses établissements publics administratifs (art. 44 bis) et dont la réaffectation sur un emploi correspondant à son garde n'apparaît pas possible en l'état. Il ne s'agit pas d'une nouvelle position du fonctionnaire puisque l'agent sera maintenu en position d'activité. Il bénéficiera, cependant, de mesures spécifiques d'accompagnement vers un nouvel emploi. La situation de réorientation professionnelle est à terme imprécise puisqu'elle peut durer tant que l'agent n'a pas accédé à un nouvel emploi ou n'a pas été exclu de l'administration (ceci pour refus de trois offres d'emplois vacants après avoir été mis en disponibilité d'office).

Dans la circulaire du 19 novembre 2009, relative aux modalités d'application de la loi n° 2009-972 du 3 août 2009 (N° Lexbase : L9351IE3), le ministère de la Fonction publique précisait que la réorientation professionnelle doit essentiellement concerner les personnels dont la réaffectation sur un emploi vacant n'est pas envisageable, soit parce qu'il n'y a pas d'emploi correspondant au grade de l'agent susceptible d'être vacant à court terme dans l'administration, soit parce qu'une formation longue ou une période de professionnalisation ou de reconversion est nécessaire pour l'accès à un nouvel emploi.

Au-delà de la question, explicite, de l'amélioration de la mobilité professionnelle et d'une meilleure reconversion des fonctionnaires, l'article 7 de la loi du 3 août 2009 et son décret d'application du 12 novembre 2010 s'inscrivent dans la politique de réduction de l'emploi public, dont le Président de la République fait "une conséquence et un moyen de la réforme, non une fin en soi". D'aucuns y verront une brèche dans le système de la "carrière" qui caractérise la fonction publique française.

Les quelques observations qui suivent ont pour objet de présenter la situation du fonctionnaire, ainsi que les droits et obligations qui en découlent.

1) Le placement en situation de réorientation professionnelle et ses suites

Un agent titulaire dont l'emploi est "susceptible" d'être supprimé peut être placé dans cette situation -qui n'est qu'un avatar de la position d'activité- si l'administration ne peut le réaffecter dans un emploi correspondant à son grade. A priori, si l'on conserve l'esprit du statut général des fonctionnaires, la réaffectation de l'agent en raison de la suppression de son emploi constitue une priorité (voir les articles 12 et 13 du titre I du statut général). C'est très certainement le sens de l'article 1er du décret du 12 novembre 2010 qui fait de la réorientation professionnelle une situation par défaut, puisqu'elle ne peut être mise en place qu'en l'absence de possibilité de réaffectation de l'agent.

Le placement en situation de réorientation professionnelle intervient par une procédure légère. L'administration procède par voie d'arrêté émanant de l'autorité de nomination. Toutefois, les commissions administratives paritaires sont informées, une fois par an, du nombre d'agents en phase de réorientation et de la situation de ces personnels.

La réorientation professionnelle prend fin lorsque le fonctionnaire est nommé sur un nouvel emploi ou est placé, à sa demande, dans une autre situation ou position statutaire (disponibilité, détachement...). A lire ce premier alinéa de l'article 9 du décret du 12 novembre 2010, on pourrait légitimement penser que le fonctionnaire conserve la maîtrise de son avenir professionnel et que, faute de perspective dans son emploi d'origine (qui, par définition, est voué à disparaître), il dispose du temps nécessaire à l'adaptation de son profil professionnel et à la recherche d'un emploi propre à le satisfaire, tout en correspondant au grade qu'il détient. La réalité est un peu différente, puisque l'administration dispose, elle aussi, du droit de mettre un terme à la phase de réorientation. En effet, conformément à l'article 44 quater du titre II du statut général, la réorientation professionnelle peut, également, prendre fin à l'initiative de l'administration, après avis de la commission administrative paritaire, après que le fonctionnaire a refusé successivement trois offres d'emplois publics. Précisons que la loi du 3 août 2009 exige qu'elles soient fermes, précises, correspondant au grade détenu par le fonctionnaire, ainsi qu'à son projet personnalisé d'évolution professionnelle, et tiennent compte de sa situation de famille et de son lieu de résidence habituel.

De ce triple refus, la loi précitée induit que l'agent puisse être placé en position de disponibilité d'office pour une durée indéterminée : dans ce cas, il percevra l'allocation d'assurance-chômage en application de l'article L. 5424-1 du Code du travail (N° Lexbase : L2903H9E). Le cas échéant, l'agent sera admis à la retraite.

Cependant, le placement en disponibilité ne met pas fin à la recherche d'une solution de réaffectation de l'agent. L'article 51 du titre II du statut général prévoit, en effet, depuis la loi du 3 août 2009, que pourra être licencié, le fonctionnaire qui, placé en disponibilité d'office en application de l'article 44 quater, refuserait successivement trois postes qui lui auraient été proposés dans le cadre de sa réintégration.

Il ressort de l'article 9 du décret du 12 novembre 2010 qu'une fois en disponibilité d'office, le fonctionnaire a la possibilité de demander sa réintégration sur l'une des trois premières vacances de poste dans son corps d'origine. S'il ne saisit aucune de ces opportunités, l'administration pourra lui proposer d'autres postes. C'est au terme du refus de trois de ces postes (ce qui fait six au total) que le licenciement pourra être prononcé (ou, s'il a droit à pension, admis à la retraite) après avis de la commission administrative paritaire. Toute la rigueur du système mis en place réside dans le fait qu'au fur et à mesure du temps qui passe l'administration est de moins en moins tenue d'adapter les offres d'emplois au profil de l'agent. Une fois qu'il est en disponibilité, les critères de l'article 44 quater du titre II du statut général s'effacent pour laisser place à une simple référence au corps d'origine (dans la limite des trois premières vacances), puis il est simplement indiqué que des "emplois" seront proposés à l'agent.

Les règles ainsi mises en place visent donc clairement à inciter les fonctionnaires dont le poste doit disparaître dans le cadre de la révision générale des politiques publiques à s'adapter à tous points de vue (fonctionnel, géographique...), sous peine d'être licenciés.

2) Les aspects financiers de la réforme

L'article 7 du décret commenté tire les conséquences logiques du maintien de l'agent en position statutaire d'activité lorsqu'il est placé en situation de réorientation professionnelle. Comme s'il occupait son emploi habituel, le fonctionnaire perçoit son traitement tout au long de la période de réorientation professionnelle. Il reçoit, également, les éléments accessoires au traitement : indemnité de résidence, supplément familial de traitement, ainsi que les primes et les indemnités afférentes à son grade et aux fonctions qu'il exerçait lors de son placement dans cette situation.

De même, les règles issues de l'article 34 du titre II du statut général trouvent à s'appliquer lorsque le fonctionnaire est mis en congé : pour les congés de maladie ordinaire, le traitement sera maintenu à son taux plein pendant trois mois, et réduit de moitié pendant les neuf mois suivants.

S'agissant des primes, le texte apparaît favorable aux agents dont l'emploi doit être supprimé car il leur permet, alors qu'ils n'occupent plus concrètement leur poste, de percevoir des sommes qui sont pourtant attachées à l'exercice effectif des fonctions (primes pour travaux supplémentaires, de rendement ou de sujétions...).

Lorsque le fonctionnaire est conduit à exercer une mission temporaire au profit d'un autre service de l'Etat ou de ses établissements publics, il sera remboursé des frais exposés (frais de transport, notamment) dans les conditions prévues par le décret n° 2006-781 du 3 juillet 2006, fixant les conditions et les modalités de règlement des frais occasionnés par les déplacements temporaires des personnels civils de l'Etat (N° Lexbase : L1684HKL).

On notera, enfin, que la période de réorientation est prise en compte pour les droits à avancement, à promotion ou, le cas échéant, au titre de l'engagement de servir l'Etat (article 8 du décret).

3) Les obligations de l'administration tendant à la réorientation professionnelle de l'agent

Le décret du 12 novembre 2010 reprend les diverses modalités de réorientation professionnelle mises en place par l'article 44 ter du titre II du statut général. Ces modalités sont :

- l'établissement d'un projet personnalisé d'évolution professionnelle. Il a pour objet de faciliter l'affectation de l'agent dans un emploi correspondant au grade de l'agent, situé dans son service ou dans une autre administration, ou de lui permettre d'accéder à un autre corps ou cadre d'emplois de niveau au moins équivalent. Le projet peut, également, avoir pour objet de l'aider à accéder à un emploi dans le secteur privé ou à créer ou reprendre une entreprise ;

- le suivi d'actions d'orientation, de formation, d'évaluation et de validation des acquis de l'expérience professionnelle destinées à favoriser la réorientation ;

- un suivi individualisé et régulier par l'administration, ainsi qu'un appui dans les démarches de réorientation ;

- l'exercice par le fonctionnaire de missions temporaires pour le compte de son administration ou d'une autre administration. Les missions qui lui sont alors confiées doivent s'insérer dans le projet personnalisé.

Du décret d'application, on retiendra que le projet personnalisé d'évolution professionnelle doit être établi dans le mois qui suit le placement en situation de réorientation professionnelle, après un (ou plusieurs) entretien(s) entre l'agent et le responsable des ressources humaines (et, le cas échéant, le chargé de mobilité) du service dans lequel il est affecté. Ce projet, qui donne lieu à la rédaction d'un "document" qui est versé au dossier du fonctionnaire, doit contenir certains éléments que le décret énumère avec précision. Il s'agit, tout d'abord, des perspectives d'évolution professionnelle de l'intéressé, des types d'emplois, d'activités et de responsabilités auxquels, dans ce cadre, est susceptible d'être candidat le fonctionnaire ou qui peuvent lui être proposés. Il peut aussi concerner les types de missions temporaires qui peuvent lui être confiées. En outre, le projet doit comporter les actions d'orientation, de formation, d'évaluation et de validation des acquis de l'expérience professionnelle destinées à favoriser la réorientation du fonctionnaire.

Au plan matériel, on trouve, également, dans le projet, les actions d'accompagnement mises en oeuvre par l'administration que le fonctionnaire a l'obligation de suivre, ainsi que l'identité du responsable en charge du suivi individualisé du fonctionnaire pendant cette période et un calendrier prévisionnel de mise en oeuvre du projet personnalisé d'évolution professionnelle. Afin de garantir l'obligation de "suivi individualisé et régulier" prévue par le texte, le fonctionnaire doit rencontrer son référent lors d'un entretien au moins bimestriel. Sans que le décret en dise plus, notamment quant à leur portée juridique, il est précisé que "les engagements réciproques du fonctionnaire et de l'administration pendant cette période" sont rappelés dans le projet. Le décret indique, enfin, que toute modification du projet personnalisé d'évolution professionnelle, le cas échéant après une évaluation à "mi-parcours" de la mise en oeuvre du projet, intervient dans les conditions prévues pour l'établissement du projet initial.

En ce qui concerne les actions de formation, le décret du 12 novembre 2010 indique que les agents en situation de réorientation professionnelle sont prioritaires pour bénéficier des formations mentionnées par l'article 1er du décret n° 2007-1470 du 15 octobre 2007, relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie des fonctionnaires de l'Etat (N° Lexbase : L6782HYT) : formation continue, formation de préparation aux examens, concours administratifs et autres procédures de promotion interne, réalisation de bilans de compétences, validation des acquis de l'expérience en vue de l'acquisition d'un diplôme, d'un titre à finalité professionnelle ou d'un certificat de qualification inscrit au répertoire national, approfondissement de la formation en vue de satisfaire à des projets personnels et professionnels grâce au congé de formation professionnelle.

Tant que son emploi n'est pas supprimé, ces formations peuvent se dérouler parallèlement à l'activité habituelle de l'agent. Dans ce cas, l'agent pourra disposer d'un aménagement de son temps de travail, nécessaire à la réalisation des actions prévues dans son projet personnalisé d'évolution professionnelle. Le fonctionnaire peut, également, être placé en congé de formation professionnelle (article 34, titre II du statut général), ou bien en période de professionnalisation (alternance d'activité et de formation), instituée par l'article 15 du décret du 15 octobre 2007 précité.

Une fois l'emploi supprimé, le décret du 12 novembre 2010, à son article 4, prévoit que l'agent pourra continuer à être occupé à des missions de service public, tout en demeurant en situation de réorientation professionnelle. Il demeure, ainsi, "à la disposition" de son administration d'origine (à laquelle il continue d'appartenir). Les missions, par nature temporaire (trois mois maximum selon l'article 6 du décret), peuvent avoir lieu au sein de l'administration d'origine, mais aussi auprès d'un autre service relevant de l'Etat ou de ses établissements publics. Elles doivent être inscrites dans le projet personnalisé d'évolution professionnelle, leur lieu d'exercice étant défini en fonction de la situation familiale et de la résidence administrative de l'agent.

  • A quelle date l'administration peut-elle prononcer une radiation des cadres pour perte des droits civiques ? (CE 3° et 8° s-s-r., 17 novembre 2010, n° 315829, mentionné dans les tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4244GKE)

Dans cette affaire, un agent des douanes a fait l'objet d'une radiation des cadres consécutivement à un jugement rendu par un tribunal correctionnel le condamnant, entre autres peines, à la privation de ses droits civiques, civils et de famille pour trois années (peine complémentaire prévue à l'article 131-26 du Code pénal N° Lexbase : L2174AMH). Le jugement est intervenu le 25 juin 2003 ; l'agent n'ayant pas fait appel, l'administration a cru pouvoir en tirer les conséquences le 28 juillet 2003. La radiation des cadres ainsi décidée repose sur les articles 5 (N° Lexbase : L2630E3S) et 24 (N° Lexbase : L2675E3H) du titre I du statut général des fonctionnaires, suivant lesquels, d'une part, "nul ne peut avoir la qualité de fonctionnaire [...] s'il ne jouit de ses droits civiques" et, d'autre part, "la cessation définitive de fonctions qui entraîne radiation des cadres et perte de la qualité de fonctionnaire résulte [...] de la déchéance des droits civiques ".

Sur recours de l'agent, la cour administrative d'appel (1) a annulé la décision. A la suite du pourvoi formé par le ministre du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique, le Conseil d'Etat confirme la solution des juges du fond en indiquant qu'il résulte des dispositions précitées du statut général "que la condamnation à la privation des droits civiques, prononcée par le juge pénal, entraîne de plein droit, pour le fonctionnaire, la rupture de ses liens avec le service à la date à laquelle cette condamnation est devenue définitive" et que "l'autorité compétente ne peut prendre une mesure portant radiation des cadres pour ce motif qu'à compter de cette date".

Il est de jurisprudence constante que la perte de la qualité de fonctionnaire en raison d'une perte des droits civiques constitue une mesure purement recognitive d'une situation de fait, et que l'administration se trouve dans une situation de compétence liée (2). L'article 131-26 précité du Code pénal indique, d'ailleurs, que la perte du droit de vote et de celui d'être élu emporte interdiction ou incapacité d'exercer une fonction publique. Le Conseil d'Etat se fonde, dans l'arrêt commenté, explicitement sur cette disposition, parallèlement à celles du statut général des fonctionnaires. Il incombe donc à l'employeur de l'agent d'agir au plus vite puisque l'agent ne dispose plus d'un droit au traitement à compter de l'entrée en vigueur de la mesure. En outre, en laissant en place un agent qui ne peut plus occuper un emploi public, l'administration commet une faute de nature à engager sa responsabilité (3).

L'arrêt du 17 novembre 2010 est intéressant à deux égards. D'une part, il confirme la solution déjà acquise suivant laquelle la radiation des cadres ne peut intervenir qu'après que la décision pénale soit devenue définitive (4). D'autre part, il vient définir ce qu'il faut entendre par décision définitive lorsqu'il n'a pas été interjeté appel d'un jugement correctionnel. La date limite retenue par le Conseil d'Etat est l'expiration du délai d'appel dont dispose le procureur général (C. pr. pén., art. 505 N° Lexbase : L9467IED), et non l'expiration du délai de dix jours dans lequel il peut être interjeté appel par le condamné, ou le procureur, d'un jugement contradictoire (C. pr. pén., art. 498 N° Lexbase : L9441IEE). A l'époque des faits qui sont à l'origine de la décision commentée, le délai d'appel ouvert au procureur général était de deux mois à compter du prononcé de la décision ; ce délai a été réduit à vingt jours par la loi pénitentiaire n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 (N° Lexbase : L9344IES). Le fait que le délai laissé au procureur général pour faire appel ne préjudicie pas à l'exécution du jugement (C. pr. pén., art. 708 N° Lexbase : L9425IES) n'est pas, pour le Conseil d'Etat, de nature à avancer la date à laquelle le jugement, non frappé d'appel par les parties, devient définitif. Sur ce point, l'arrêt constate que, s'agissant d'une mesure qui n'exige aucune mesure exécution, cette circonstance est sans portée.

  • Inaptitude physique des personnels enseignants : reclassement ou adaptation professionnelle ? (CE 4° et 5° s-s-r., 15 novembre 2010, n° 330099, mentionné dans les tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4274GKI)

Dans l'arrêt ici commenté, le Conseil d'Etat apporte d'utiles précisions quant aux conséquences que l'administration peut tirer d'une déclaration d'inaptitude professionnelle d'un enseignant du premier ou du second degré. La solution est d'importance car elle conduit à faire naître une obligation d'adaptation du poste, au besoin sur des fonctions différentes, avant tout mesure de reclassement professionnel dans un emploi d'un autre corps, éventuellement de niveau inférieur.

En l'espèce, Mme X, professeur des écoles ayant été reconnue définitivement inapte aux fonctions d'enseignement, mais non à des fonctions administratives, a sollicité son affectation sur un poste adapté pour l'année scolaire 2008-2009, ce que l'inspecteur d'académie a refusé.

Pour rejeter le recours en annulation formé à l'encontre de la décision de rejet dont elle était l'objet, le tribunal administratif a considéré que la requérante ne relevait pas des dispositions du décret n° 2007-632 du 27 avril 2007, relatif à l'adaptation du poste de travail de certains enseignants, d'éducation et d'orientation (N° Lexbase : L3727HXC). Selon l'article 1er de ce texte, "les personnels enseignants des premier et second degrés [...] lorsqu'ils sont confrontés à une altération de leur état de santé, peuvent solliciter un aménagement de leur poste de travail ou une affectation sur un poste adapté". Une telle affectation "est destinée à permettre aux personnels mentionnés à l'article 1er de recouvrer, au besoin par l'exercice d'une activité professionnelle différente, la capacité d'assurer la plénitude des fonctions prévues par leur statut particulier ou de préparer une réorientation professionnelle".

Ce régime, propre aux enseignants du primaire et du secondaire, se distingue de la procédure de reclassement de droit commun, instituée par l'article 63 du titre II du statut général des fonctionnaires. Dans cette hypothèse, le reclassement, y compris dans un autre corps, peut avoir lieu dès lors que l'adaptation du poste de travail n'est pas possible, sans pour autant que l'inaptitude de l'agent lui interdise d'exercer toute activité, conformément au décret n° 84-1051 du 30 novembre 1984 (N° Lexbase : L1004G8P).

La difficulté principale de l'affaire soumise au Conseil d'Etat résidait dans la combinaison entre ces deux modalités de prise en considération de l'inaptitude physique de l'agent. Le Conseil fait prévaloir le décret du 27 avril 2007, dans la mesure où le comité médical supérieur a estimé que l'agent était inapte à l'exercice des fonctions d'enseignement, mais pas à celui de fonctions administratives. En effet, l'arrêt retient qu'eu égard, notamment, à l'objectif, spécifié à l'article 8 du décret du 27 avril 2007, de préparer, le cas échéant, la réorientation professionnelle d'un enseignant déclaré inapte à l'exercice de ses fonctions, le reclassement dans un emploi d'un autre corps de niveau équivalent ou inférieur ne peut avoir lieu qu'à la condition qu'il ait été constaté que l'adaptation d'un poste de travail à son état de santé, y compris, au besoin, dans une activité professionnelle différente, n'est pas possible.

Manuel Carius, Maître de conférences à l'Université de Poitiers et avocat à la cour


(1) CAA Lyon, 3ème ch., 26 février 2006, n° 05LY01618, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A5169D7L).
(2) CE Contentieux, 28 février 1997, n° 147955, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8361ADZ).
(3) CE Contentieux, 22 mars 1999, n° 191393 (N° Lexbase : A3321AXB), Rec. CE, 1999, p. 80, Cahiers fonct. publ., 1999, n° 180, p. 27.
(4) CE 9° et 10° s-s-r., 17 juin 2005, n° 215761, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7280DIH) ; CE 7° et 5° s-s-r., 21 avril 2000, n° 197388, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4416B83).

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Juristes d'entreprise

[Evénement] "Le Baromètre des juristes d'entreprise" : présentation et explications

Lecture: 5 min

N8191BQG

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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la rédaction

Le 27 Mars 2014


Le 30 novembre 2010 se tenait dans les salons de l'hôtel Four seasons George V, un point presse organisé par l'Association française des juristes d'entreprise (AFJE), Legal suite et Wolters Kluwer, présentant les résultats du sondage "Baromètre des juristes d'entreprise" réalisé par Ipsos au printemps 2010. Les éditions Lexbase vous proposent de revenir sur ces chiffres porteurs d'avenir pour le métier de juriste d'entreprise en France. Des représentants de l'Institut des juristes d'entreprises belges et de l'association des in-house counsels canadiens avaient été invités à apporter leur éclairage. I - Les apports de l'enquête

L'AFJE, qui a soufflé ses quarante bougies l'année dernière, avait annoncé qu'elle réaliserait une enquête afin de savoir combien il y a de juristes d'entreprise en France.

Obtenir cette donnée était très importante. En effet, comme l'a souligné Jean-Philippe Gille, vice-Président de l'AFJE, longtemps des chiffres fantaisistes ont circulé, polluant le débat sur le rapprochement des professions de juristes d'entreprise et d'avocats. Il était donc indispensable de disposer d'une donnée fiable.

Le sondage, réalisé par l'institut IPSOS, révèle qu'il y a 15 870 juristes d'entreprise exerçant en France. Et, selon Jean-Philippe Gille, ce chiffre est significatif pour une profession qui existe depuis à peine trois générations. Les juristes d'entreprise constituent, en effet, numériquement la deuxième profession du droit en France après celle d'avocat (50 000) et de notaire (9 000).

Cette enquête met en lumière l'évolution du métier. Le juriste d'entreprise des débuts, chargé du recouvrement des créances et des contentieux, relève aujourd'hui de l'image d'Epinal. Les juristes d'entreprise ont gagné leurs galons auprès des directions générales et contribuent, par leurs conseils dans des domaines de plus en plus complexes, à la sécurisation et au développement de l'activité des entreprises. La fonction s'est considérablement développée et les profils sont de plus en plus exigeants : le juriste d'entreprise est aujourd'hui le plus souvent titulaire d'un Master 2 et d'un double diplôme de droit ou d'école de commerce obtenu en France ou à l'étranger.

Cette enquête devrait contribuer à mettre un terme à quelques idées reçues.

Sur l'indépendance d'abord : 93 % des juristes d'entreprise considèrent exercer leur métier en toute liberté individuelle. Sociologiquement ils se comportent comme leurs homologues canadiens ou belges invités (1). Le seul décalage est d'ordre juridique. Les droits belge et canadien ne considèrent pas que le contrat de travail du juriste ou de l'avocat exerçant en entreprise soit un frein à leur indépendance. L'indépendance est avant tout une question d'état d'esprit et de formation. A quel titre l'exercice du droit en France nécessiterait que l'indépendance du juriste d'entreprise requiert un exercice libéral du métier alors que ce n'est pas le cas dans des pays dont le droit, qu'il soit continental ou de common law, n'est ni moins avancé, ni moins performant dans le monde des affaires que le droit français ?

Sur la concurrence entre juristes d'entreprise et avocats : 15 % des entreprises déclarent avoir un ou plusieurs juristes. Le marché du droit dans l'entreprise serait donc loin d'être saturé en France. L'enquête indique, néanmoins, que le recours aux conseils extérieurs est stable. Faut-il y voir un simple effet conjoncturel lié à la crise économique ? Une explication complémentaire réside sans doute pour partie dans le fait que les juristes traitent des sujets confiés auparavant à des conseils extérieurs. Alors avocats et juristes d'entreprise, concurrents ou non ? "Partenaires" répond Jean-Philippe Gille, car "le juriste d'entreprise n'est pas un praticien solitaire et reste un défricheur de dossiers juridiques sur lesquels il fait intervenir des avocats". Chaque fois qu'une entreprise embauche un juriste, la part de marché du droit devrait mécaniquement s'accroître. Le défi majeur du marché, que les juristes d'entreprise et les avocats devraient relever ensemble aujourd'hui, est l'accompagnement juridique des PME françaises à l'international.

Jean-Philippe Gille, qui pratique son métier de responsable juridique dans de nombreux pays, souligne qu'il "est impératif aujourd'hui, plutôt que de perdre du temps sur des sujets emprunts d'un corporatisme désuet de défendre une approche dynamique de l'exercice du droit au profit du développement économique du pays".

II - L'avenir de la profession de juriste d'entreprise

Quelle évolution pour ce jeune métier de juriste d'entreprise ?

Le 14 septembre 2010, la Cour de justice de l'Union européenne en refusant, dans une affaire "Akzo" (2), à un juriste d'entreprise néerlandais le bénéfice de la confidentialité alors même qu'il était par ailleurs avocat inscrit au barreau est venu limiter l'intérêt du statut d'avocat en entreprise.

Le 18 novembre 2010, le Conseil national des barreaux s'est, par ailleurs, massivement prononcé contre la fusion des professions d'avocats et de juristes d'entreprise et n'a pas su se départager sur la création d'un statut d'avocat en entreprise.

Depuis 40 ans que la question du rapprochement est débattue, le constat qui s'impose est celui de l'impasse.

Face à cet état de fait et considérant l'existence de 16 000 professionnels ayant développé leur savoir-faire dans l'entreprise, la mission confiée à Michel Prada par le Garde des Sceaux et le ministre de l'Economie, le 28 octobre 2010, concernant la possibilité d'octroyer aux juristes d'entreprise la confidentialité de leurs écrits, s'inscrit nettement dans un mouvement de pragmatisme économique.

L'AFJE, au cours de son assemblée générale du 22 novembre 2010, a pris acte de la situation et a rappelé que l'objectif premier de l'association est d'obtenir la confidentialité des avis, au bénéfice des entreprises que les juristes assistent.

Une telle avancée permettrait de mettre les entreprises françaises à parité de situation dans la compétitivité internationale par rapport aux sociétés étrangères qui bénéficient de la confidentialité.

Pour l'AFJE, une fois cette réglementation introduite en France, elle produira son plein effet dans les affaires de droit national et pourra contribuer, à terme, au revirement de la jurisprudence "Akzo".

Anne de Wolf, directrice de l'Institut des juristes d'entreprise de Belgique, présente à la table ronde a rappelé que c'est précisément dans un souci de prise en compte des réalités de l'exercice du droit au sein des entreprises que la loi du 1er mars 2008 a créé un statut des juristes d'entreprise en Belgique. Depuis, le titre de juriste d'entreprise y est légalement protégé et réservé aux seuls membres de l'Institut dont les écrits bénéficient de la confidentialité. Les critères d'accès sont fondés sur les diplômes, sur l'existence d'un lien contractuel ou statutaire avec une entreprise belge privée ou publique et l'exercice à titre principal d'activités juridiques au sein de l'entreprise. Il y a à ce jour 1 565 membres au sein de cet Institut (46 % sont des femmes ; 73 % ont un troisième cycle ; 23 % sont titulaires d'une formation obtenue à l'étranger).

Lors de l'assemblée générale de l'AFJE, Jean-Charles Savouré, Président de l'AFJE, a rappelé en décrivant l'état d'esprit de l'association : "ce qui nous anime c'est notre volonté de porter haut les couleurs de la fonction juridique en entreprise, en faisant reconnaître par une réglementation adaptée les exigences déontologiques inhérentes à nos activités".

Gageons que la mission "Prada" qui doit remettre son rapport pour la fin du premier trimestre de l'année 2011 saura entendre ce message.

Le juriste d'entreprise n'a décidément pas fini de faire parler de lui...


(1) Etaient présents à cette table ronde, pour le Canada, Charles Gervais, directeur régionale de l'ACCJE, et pour la Belgique, Anne de Wolf, directrice de l'Institut des juristes d'entreprise.
(2) CJUE, 14 septembre 2010, aff. C-550/07 P, Akzo Nobel Chemicals Ltd c/ Commission européenne (N° Lexbase : A1978E97) ; lire, les obs. de Cédric Tahri, La protection de la confidentialité des communications entre un avocat interne et l'entreprise, Lexbase Hebdo n° 50 du 28 octobre 2010 - édition professions (N° Lexbase : N4382BQD) ; voir, aussi, Juriste d'entreprise et legal privilege... - Questions à Isabelle Cretenet, directrice juridique affaires générales du Groupe Areva, et Philippe Rincazaux, avocat associé, Cabinet Orrick Rambaud Martel, Lexbase Hebdo n° 52 du 11 novembre 2010 - édition professions (N° Lexbase : N5620BQ9).

Annexe : les chiffres

Comme le souligne Etienne Mercier, directeur adjoint du Pôle Opinion & Société chez Ipsos, évaluer une profession au sein d'une entreprise est très compliqué et cela a demandé beaucoup de temps. Il a fallu réaliser une photographie de la profession, opérer des quotas croisés et fonctionner avec un échantillonnage par tranche. Et pour opérer ce sondage, Ipsos est parti d'une définition type du juriste d'entreprise : il est celui qui a une activité juridique à titre principal dans l'entreprise et qui est titulaire des diplômes ad hoc.

Estimation du nombre de juristes

15 870 : cette estimation a été calculée par catégorie d'entreprise (secteur d'activité croisé par taille), en multipliant la moyenne du nombre de juristes déclarés par les entreprises interrogées par le nombre total d'entreprises existantes pour cette catégorie.

Près d'un juriste sur deux est rattaché à la direction générale

- 47 % sont rattachés à la direction générale
- 22 % à la direction financière
- 12 % au secrétariat général
- 8 % à la direction administrative
- 11 % à d'autres services divers

Un rattachement qui n'empêche pas le ressenti très fort d'une réelle liberté intellectuelle par rapport à la direction générale

A la question "Considérez-vous que vous pouvez exercer votre fonction en toute liberté intellectuelle par rapport à votre direction générale ?"

- 44 % s'estiment tout à fait indépendants
- 49 % plutôt indépendants
- 6 % plutôt pas indépendants
- 1 % pas du tout indépendant

Une fonction qui semble subir de très fortes mutations au sein de l'entreprise

- 91 % des juristes interrogés interviennent dans des domaines de plus en plus complexes
- 88 % sont de plus en plus consultés sur les opérations majeures de l'entreprise
- 84 % interviennent, à la demande de la direction générale, en amont des opérations de l'entreprise

Une très forte variété des domaines d'intervention

- 73 % exercent principalement leurs activités en droit des contrats
- 30 % sont généralistes
- 22 % sont orientés sur le droit des sociétés
- 22 % ne font que du contentieux
- 17 % sont spécialisés en propriété intellectuelle et industrielle
- 14 % opèrent en droit social
- 7 % sont sur le secteur du droit de la concurrence

Dans le même temps, le recours à des conseils externe ne progresse pas

A la question "Par rapport à il y a un an, avez-vous de plus en plus, de moins en moins ou ni plus, ni moins, recours à des conseils externes tels que..."

Des avocats :

- 17 % de plus en plus
- 15 % de moins en moins
- 68 % ni plus, ni moins

Des conseils en propriété intellectuelle :

- 12 % de plus en plus
- 13 % de moins en moins
- 75 % ni plus, ni moins

Des conseils en organisations et management :

- 5 % de plus en plus
- 8 % de moins en moins
- 83 % ni plus, ni moins

Des experts-comptables :

- 3 % de plus en plus
- 9 % de moins en moins
- 85 % ni plus, ni moins

Sur l'information pour mener à bien leurs missions

- 23 % estiment manquer de formations concernant des domaines du droit en très fort développement
- 27 % manquent de fonds éditoriaux au contenu juridique
- 22 % auraient aimé avoir des outils pour améliorer les échanges entre le service juridique et l'ensemble de l'entreprise
- 20 % trouvent insuffisant les sites internet dédiés à leurs fonctions
- 13 % manquent d'information sur l'actualité juridique

Sur les outils dont les juristes d'entreprise souhaiteraient disposer dans leur entreprise

- 55 % souhaiteraient bénéficier de colloques, de conférences et de formations
- 51 % aimeraient disposer de bases de données professionnelles
- 23 % souhaiteraient avoir des logiciels de gestion juridique
- 16 % aimeraient avoir des séances d'e-learning

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Marchés publics

[Questions à...] Ethique et déontologie dans les marchés publics - Questions à Jean-Pierre Gohon, avocat à la cour, spécialiste en droit public et en droit économique

Lecture: 8 min

N8244BQE

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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique

Le 04 Janvier 2011

Dans un contexte qui voit les personnes publiques se tourner de plus en plus vers les acteurs privés pour couvrir leurs besoins de biens, de services et de travaux publics, les marchés publics sont devenus une activité économique fondamentale qui, de par l'importance des flux financiers générés, se voit largement exposée au risque de corruption. Par ailleurs, dans un contexte de crise économique et de fortes restrictions budgétaires, ces pratiques, qui visent à annihiler toute forme de concurrence, représentent un surcoût important pour la collectivité, qui se voit, ainsi, contrainte de payer des prix artificiellement élevés. En outre, à l'occasion de la réforme du Code pénal, sont entrés dans le droit répressif les délits sanctionnant les actes susceptibles d'être commis à l'occasion des marchés publics visant à la fois les agents publics et les élus. C'est pourquoi il nous est apparu important de revenir sur les fondements des principes et des textes sur lesquels se fonde l'autorité judiciaire pour sanctionner ces pratiques, qui, au delà des affaires emblématiques mettant en cause des célébrités politiques et ayant défrayé la chronique, participent largement à l'appauvrissement de la collectivité. Pour faire le point sur ce sujet, Lexbase Hebdo - édition publique a rencontré Jean-Pierre Gohon, avocat à la cour, spécialiste en droit public et en droit économique. Lexbase : Comment éviter les conflits d'intérêts dans les marchés publics ? Quelles sont les précautions élémentaires que doivent prendre les pouvoirs adjudicateurs ?

Jean-Pierre Gohon : Ces deux questions sont liées et concernent à la fois les pratiques de favoritisme (C. pén., art. 432-14 N° Lexbase : L1963AMN) et de conflits d'intérêts (C. pén., art. 432-12 N° Lexbase : L7146ALA), lorsque les décideurs confondent intérêts privés et intérêt général.

Lorsqu'un élu ou un directeur d'administration centrale attribue, en méconnaissance des règles de publicité et de mise en concurrence, un marché à une entreprise dirigée par une personne qu'il connait ou avec laquelle il a des liens de famille, ou encore, à une entreprise dans laquelle il a des intérêts, il y a, manifestement, dans ce cas là, conflit d'intérêts.

Il est normal, si le juge est saisi de telles situations, qu'il entre en voie de condamnation lorsque l'intérêt est de nature matérielle ou morale, qu'il soit direct ou indirect (1), puisque le délit se consomme par le seul abus de la fonction, indépendamment de la recherche d'un gain ou de tout autre avantage personnel (2). C'est cette sévérité de la Haute juridiction, dans son appréciation quasi-formelle des faits, qui fait redouter toute poursuite aux manquements au devoir de probité, de la part des fonctionnaires ou des élus qui sont des justiciables par fonction.

Eviter de telles situations dans la dévolution des marchés suppose un respect intégral des dispositions du Code des marchés publics, mais pas seulement. Il faut aussi que les personnes qui exercent une fonction publique d'autorité ou élective s'abstiennent de toute intervention dès que le moindre soupçon pèse sur leur action et évitent de prendre une part active dans toute action dans laquelle ils pourraient apparaître, à la fois, comme "surveillant" et comme "surveillé".

Pour les marchés qui suivent une procédure adaptée (MAPA) ou une procédure formalisée, il me semble que trois temps ou moments peuvent être identifiés qui nécessitent des précautions au regard du risque pénal :

- Avant : le pouvoir adjudicateur doit veiller spécialement pendant cette phase à une bonne définition des besoins, sur la base d'un cahier des charges neutre qui évite toute clause technique faite sur mesure pour une entreprise donnée. La vérification ou la validation de cette définition peut nécessiter le recours à un spécialiste extérieur aux services de l'acheteur. Il faut ensuite choisir la bonne mise en concurrence, si possible sans recourir à l'urgence (l'urgence et les marchés publics ne font pas bon ménage), par la diffusion la plus large possible des avis d'appel à la concurrence, et pas seulement au niveau local ou sur le "profil d'acheteur". Le règlement de la consultation sera un élément particulièrement soigné, notamment pour ce qui concerne la définition des critères de choix pondérés. Il n'est pas inutile de faire relire l'ensemble du dossier de consultation des entreprises par un oeil extérieur pour assurer la cohérence des documents, ou même, par exemple, par un autre service de la même administration ou collectivité qui sera à même d'apporter une appréciation plus objective. La meilleure méthode est encore de disposer d'un bureau des marchés structuré et suffisamment doté en personnel et/ou en logiciel afin d'assurer à tout moment la sécurité des procédures.

- Pendant : c'est sans doute la phase la plus risquée, celle au cours de laquelle sont reçues les offres, ouvertes et examinées par les services ou la commission d'appel d'offres. Il faut, ayant créé un registre et un lieu unique de dépôt des offres, permettre à la commission d'appel d'offres d'exercer ses prérogatives, éventuellement sur la base d'un règlement dont elle serait dotée. Plusieurs points seront à surveiller : l'examen des offres au regard des critères annoncés, la présentation devant la commission des marchés des rapports d'analyse confiée soit à un architecte ou à un assistant à maîtrise d'ouvrage, soit aux services eux-mêmes. Pour les collectivités territoriales, le pouvoir adjudicateur ou la commission d'appel d'offres, selon le cas, doit contrôler étroitement les conditions dans lesquelles des questions seraient adressées aux concurrents. Il peut être intéressant à ce stade que l'analyse des offres soit effectuée par une autre personne que celle qui a défini le besoin. Enfin, tout fonctionnaire ou élu qui aurait un lien, même très éloigné, avec un (ou des) candidat(s), doit s'abstenir de toute participation à une étape de la dévolution d'un marché, car toute action en méconnaissance de cette interdiction sera considérée comme un abus de la fonction exercée. Il n'y a pas d'exception à cette prohibition.

- Après : ce sont les conditions d'exécution que le pouvoir adjudicateur devra surveiller avec attention. Les avenants systématiques pour travaux supplémentaires et les modifications abusives des délais d'exécution doivent être surveillés de près. L'absence de notification d'un décompte général et définitif à l'entreprise peut aussi révéler une relation particulière avec le titulaire d'un marché.

En définitive, ce sont des principes de précaution qu'il faut mettre en oeuvre et, en particulier, éviter toute relation singulière avec les entreprises en cours de procédure.

Lexbase : A-t-on une idée de l'ampleur du nombre de contrats touchés en France par ces pratiques frauduleuses ?

Jean-Pierre Gohon : Il est très difficile d'obtenir des statistiques sur les condamnations relatives aux manquements au devoir de probité, délits définis au Livre IV du Code pénal. Les statistiques diffusées par la Chancellerie n'individualisent pas les condamnations pour ce type de délits. Les chiffres sont donc difficiles à rassembler. Cependant, le rapport enregistré le 2 juin dernier à la Présidence du Sénat, sur la proposition de loi visant à réformer le champ des poursuites de la prise illégale d'intérêts des élus locaux, mentionne une cinquantaine de condamnations par an pour prise illégale d'intérêts, dont 10 à 20 concernent des élus locaux.

Pour le seul délit de favoritisme, créé en 1991, et selon le rapport 2008 de la Cour de cassation, au 1er octobre 2008, la Chambre criminelle de la Cour aurait prononcé 89 arrêts de rejets de pourvois et 29 arrêts de cassation.

Il y a donc une amplification certaine du fait de la publicité donnée à ces affaires entre la réalité et la médiatisation dont elles font l'objet. Par ailleurs, nombre des condamnations ne sont pas inscrites au casier judiciaire, et certaines affaires de favoritisme font l'objet de comparutions devant le Procureur de la république sur reconnaissance préalable de culpabilité en présence d'un avocat (C. pr. pén., art. 495-7 N° Lexbase : L0876DY4 et suivants), ces affaires ne donnant pas lieu à publicité.

Sur ce même sujet des manquements au devoir de probité, le rapport public annuel 2010 de la Cour des comptes fait état de 25 à 30 révélations d'affaires par an à l'autorité judiciaire, en application de l'article 40 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5531DYI).

Je pense donc que l'on peut affirmer que, par rapport au nombre de contrats conclus, c'est une infime partie qui pourrait donner lieu à des irrégularités.

Lexbase : Existe-t-il une prescription en matière pénale pour les marchés publics ?

Jean-Pierre Gohon : Oui, cette prescription est comme pour tous les délits, de trois ans après la commission des faits (C. pr. pén., art. 8 N° Lexbase : L2877HIE). Cependant, s'agissant d'actions occultes par nature, "le délai de prescription du délit poursuivi ne commence à courir, lorsque les actes ont été dissimulés, qu'à partir du jour où ils sont apparus et ont pu être constatés dans des conditions permettant l'exercice des poursuites" (3). Parfois, c'est l'audition même des personnes poursuivies qui donne le point de départ de la prescription (4).

De plus, les actes d'enquête et d'investigation sont interruptifs du délai de prescription. Il en va ainsi des actes d'enquêtes de la Mission interministérielle d'enquête sur les marchés et délégations de service public (5) pour ce qui concerne le délit de favoritisme de l'article 432-14 du Code pénal.

Lexbase : L'octroi d'une formation juridique minimale aux élus vous semble-t-elle une piste de réflexion intéressante ?

Jean-Pierre Gohon : Il s'agit là, comme pour les fonctionnaires, d'un sujet sensible, le droit pénal n'étant pas décrit dans les manuels scolaires. Il existe de nombreuses associations agréées pour la formation des élus, et ceux-ci peuvent bénéficier, sur demande, d'actions de formation. Faut-il rendre obligatoire un cursus particulier dès lors qu'un élu est susceptible d'exercer des fonctions "à risques" ? Il me semble que toute nouvelle prise de fonction devrait s'accompagner d'une formation a minima.

Lexbase : Quelles sont les décisions les plus emblématiques prises récemment par l'autorité judiciaire en matière de poursuites et de sanctions ?

Jean-Pierre Gohon : J'en citerai deux, de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, une pour chacun des délits que nous examinons.

La première concerne le délit de favoritisme, il est vrai constitué sans aucun doute possible dans cette affaire puisqu'un élu avait attribué un marché d'études de sa collectivité à une société amie, mais pour un montant de 5 850 euros TTC (6). Comme on le voit, la taille de la fraude n'a aucune influence sur la volonté de la Cour d'entrer en voie de condamnation.

La deuxième concerne le délit de prise illégale d'intérêts, pour lequel la Cour de cassation élargit la notion "d'intérêt quelconque" pris par des élus (7). Ceux-ci, présidents d'associations devraient s'abstenir de participer au vote des subventions. En effet, "l'intérêt, matériel ou moral, direct ou indirect, pris par des élus municipaux en participant au vote des subventions bénéficiant aux associations qu'ils président entre dans les prévisions de l'article 432-12 du Code pénal [...] il n'importe que ces élus n'en aient retiré un quelconque profit et que l'intérêt pris ou conservé ne soit pas en contradiction avec l'intérêt communal". Ainsi, sans profit pour les auteurs et sans préjudice pour la collectivité, le délit est constitué (dura lex sed lex !)

Lexbase : Que pensez-vous du projet du Sénat tendant à réformer la prise illégale d'intérêt pour les élus locaux ?

Jean-Pierre Gohon : Ce sont justement les incertitudes pesant sur l'appréciation de ce délit au regard de la notion "d'intérêt quelconque" qui ont conduit les parlementaires à proposer une loi visant à réformer le champ des poursuites de la prise illégale d'intérêts des élus locaux.

En effet, selon l'article 432-12 du Code pénal, la prise illégale d'intérêts réside dans le fait pour "une personne [...] investie d'un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise [...] dont elle a, au moment de l'acte, en tout ou en partie, la charge d'assurer [...] l'administration".

En proposant de remplacer les mots "un intérêt quelconque" par "un intérêt personnel distinct de l'intérêt général", les parlementaires cherchent à écarter expressément du champ des poursuites les situations dans lesquelles les élus siègent es qualités de représentant de leur collectivité au sein d'instances décisionnaires, sans y prendre un intérêt personnel qui serait distinct de l'intérêt général.

Il s'agit donc là d'une avancée permettant de rassurer les élus qui estiment de plus en plus exercer un "métier à risques" et devoir faire face à une incrimination pour l'accomplissement d'un délit formel de prise illégale d'intérêts dont on les accuse injustement.


(1) Cass. crim., 29 septembre 1999, n° 98-81.796 (N° Lexbase : A5592AWZ).
(2) Cass. crim., 21 juin 2000, n° 99-86871 (N° Lexbase : A4344CIQ).
(3) Cass. crim., 17 décembre 2008, n° 08-82.319 (N° Lexbase : A1637ECM).
(4) Cass. crim., 24 février 2010, n° 09-83.988 (N° Lexbase : A8312ETZ).
(5) Cass. crim., 8 avril 2010, n° 09-86.691 (N° Lexbase : A1826EXW).
(6) Cass. crim., 14 février 2007, n° 06-81.924 (N° Lexbase : A6114DUY).
(7) Cass. crim., 22 octobre 2008, n° 08-82.068 (N° Lexbase : A2497EB4).

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Rupture du contrat de travail

[Jurisprudence] La délégation du pouvoir de licencier dans les SAS - Epilogue

Réf. : Cass. mixte, 19 novembre 2010, deux arrêts, n° 10-10.095, P+B+R+I (N° Lexbase : A9890GI7) et n° 10-30.215, P+B+R+I (N° Lexbase : A9891GI8)

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par Sébastien Tournaux, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

Le 04 Janvier 2011

Rares sont les arrêts de cours d'appel qui suscitent une mobilisation de la doctrine à la hauteur de celle qui survint en matière de délégation de pouvoir de licencier dans les sociétés par actions simplifiée (SAS). Nombre d'auteurs, mais également, de praticiens au contact quotidien de représentants ou de salariés de ces sociétés, attendait avec impatience les solutions que rendrait la Cour de cassation sur cette question. La question de la délégation du pouvoir de licencier dans les SAS (I) est désormais tranchée par deux arrêts de Chambre mixte en date du 19 novembre 2010. Si ces arrêts adoptent une solution tout à fait nécessaire sur le plan du droit des sociétés, acceptant, nettement, le principe de la délégation de pouvoir dans les SAS (II), ils suscitent plus d'interrogations sur le plan du droit du travail et, en particulier, sur les conséquences des modalités de la délégation de pouvoir de licencier telles qu'énoncées par la Cour de cassation (III).
Résumé

La société par actions simplifiée est représentée à l'égard des tiers par son président et, si ses statuts le prévoient, par un directeur général ou un directeur général délégué dont la nomination est soumise à publicité, cette règle n'exclut pas la possibilité, pour ces représentants légaux, de déléguer le pouvoir d'effectuer des actes déterminés tel que celui d'engager ou de licencier les salariés de l'entreprise.

Aucune disposition n'exige que la délégation du pouvoir de licencier soit donnée par écrit ; elle peut être tacite et découler des fonctions du salarié qui conduit la procédure de licenciement.

En cas de dépassement de pouvoir par le mandataire, le mandant est tenu de l'acte de celui-ci s'il l'a ratifié expressément ou tacitement.

Commentaire

I - La question de la délégation du pouvoir de licencier dans les SAS

  • Une question de droit du travail : qui peut licencier un salarié ?

Qui peut licencier un salarié dans une société par actions simplifiée ? La question peut paraître incongrue, particulièrement pour le travailliste, lequel répond instinctivement que c'est l'employeur -ou son représentant- qui détient ce pouvoir de licencier (1). La réponse à cette question est, cependant, beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît, principalement, parce que le droit des groupements implique que la personne morale employeur soit représentée par une personne physique qui pourra prononcer le licenciement au nom et pour le compte de l'employeur (2).

La détermination de la personne qui assume la représentation de la personne morale, le rôle d'employeur dans un groupement, n'est pas toujours aisée. La difficulté s'accroît encore lorsqu'il est procédé dans le groupement à des délégations de pouvoir qui permettent de transférer une partie des pouvoirs de direction sur d'autres têtes que celles initialement investies de ces missions par la loi ou par les statuts du groupement (3). Le délégataire de pouvoir peut-il être ce "représentant" de l'employeur seul apte à prononcer le licenciement ?

  • Une question de droit des sociétés : le pouvoir de licencier peut-il être délégué dans une SAS ?

C'est précisément cette question de la délégation de pouvoir qui a suscité un grand émoi, aussi bien dans le microcosme des juristes que dans les très nombreuses SAS qui représentent un poids très important dans notre tissu économique (4).

L'incendie s'est déclaré à partir d'une interprétation adoptée par certaines juridictions du fond de l'article L. 227-6 du Code de commerce (N° Lexbase : L6161AIZ). Rappelons que ce texte dispose que "la société est représentée à l'égard des tiers par un président désigné dans les conditions prévues par les statuts [...]. Les statuts peuvent prévoir les conditions dans lesquelles une ou plusieurs personnes autres que le président, portant le titre de directeur général ou de directeur général délégué, peuvent exercer les pouvoirs confiés à ce dernier par le présent article". A le lire strictement, ce texte implique que seul le président, le directeur général ou le directeur général délégué puisse représenter la société employeur. Or, rappelons-le, le droit du travail exige que le licenciement soit prononcé par l'employeur ou son représentant.

Jugeant que le pouvoir de licencier ne pouvait être assumé que par le président de la société voire, le cas échéant, par un directeur général ou un directeur général délégué, plusieurs cours d'appel ont estimé que les licenciements prononcés par d'autres personnes (5), y compris sur délégation de pouvoir, n'étaient pas valables (6).

Ces décisions ont fait l'objet de nombreux commentaires (7). Les questions qu'elles soulèvent ont aussi bien intéressé la doctrine commercialiste (8) que les auteurs travaillistes (9). Une telle effervescence appelait une prise de position ferme de la Cour de cassation afin, comme son premier président le relève, de mettre fin à cette "incertitude affectant le régime juridique des sociétés par actions simplifiées" (10).

  • En l'espèce : la validité des délégations du pouvoir de licencier dans les SAS

Aussitôt rendus, les deux arrêts de Chambre mixte (11) ont eux, rapidement, fait l'objet de déjà nombreux commentaires (12).

Dans la première affaire (n° 10-10.095), un salarié d'une SAS avait été licencié pour faute grave par le responsable des ressources humaines de la société. Le salarié contesta le licenciement et obtint gain de cause devant la cour d'appel de Versailles qui jugea que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, faute pour ce responsable des ressources humaines d'avoir été désigné directeur général par les statuts de la société.

Dans la seconde affaire (n° 10-30.215), un salarié avait été licencié par une lettre signée du chef de secteur et du chef des ventes de la société. La cour d'appel de Paris, saisie de l'affaire, prononça la nullité du licenciement faute que celui-ci ait été prononcé par le président de la SAS ou par une personne autorisée par les statuts à recevoir délégation pour exercer le pouvoir de licencier détenu par le seul président.

Dans l'une comme dans l'autre de ces deux espèces, la Chambre mixte casse la solution des juges du fond.

La cassation est prononcée, de manière commune aux deux arrêts, au visa des articles L. 227-6 du Code de commerce et L. 1232-6 du Code du travail (N° Lexbase : L1084H9Z). La Cour de cassation utilise une argumentation rigoureusement identique et affirme que si "la société par actions simplifiée est représentée à l'égard des tiers par son président et, si ses statuts le prévoient, par un directeur général ou un directeur général délégué dont la nomination est soumise à publicité, cette règle n'exclut pas la possibilité, pour ces représentants légaux, de déléguer le pouvoir d'effectuer des actes déterminés tel que celui d'engager ou de licencier les salariés de l'entreprise".

  • En l'espèce : les modalités des délégations du pouvoir de licencier dans les SAS

S'agissant de la première affaire, la cassation est également prononcée, sur une autre branche du moyen soulevé, au visa des articles L. 227-6 du Code de commerce, L. 1232-6 du Code du travail, mais également des articles 1984 (N° Lexbase : L2207ABD) et 1998 du Code civil (N° Lexbase : L2221ABU). Appréciant les modalités de la délégation du pouvoir de licencier au responsable des ressources humaines, la Cour juge "qu'aucune disposition n'exige que la délégation du pouvoir de licencier soit donnée par écrit ; qu'elle peut être tacite et découler des fonctions du salarié qui conduit la procédure de licenciement". La Chambre mixte déduit de cette règle la validité de la lettre de licenciement qui "avait été signée par la personne responsable des ressources humaines de la société, chargée de la gestion du personnel et considérée de ce fait comme étant délégataire du pouvoir de licencier".

S'agissant de la seconde affaire, la cassation est prononcée, là encore sur une autre branche du moyen, elle aussi relative aux modalités de la délégation de pouvoir, mais au visa des seuls articles L. 1232-6 du Code du travail et 1998 du Code civil. Appréciant le licenciement prononcé par le chef de secteur et le chef des ventes, la Cour dispose qu'"en cas de dépassement de pouvoir par le mandataire, le mandant est tenu de l'acte de celui-ci s'il l'a ratifié expressément ou tacitement". Or, quoique la délégation de pouvoir ne prévoyait pas initialement un mandat du pouvoir de licencier, le fait que la société soutienne la validité et le bien-fondé du licenciement, tant par ses conclusions qu'oralement, caractérisait sa volonté claire et non équivoque de ratifier la mesure adoptée par ses préposés.

Le principe de la délégation de pouvoir de licencier dans les SAS est, par conséquent, clairement affirmé par la Cour de cassation, mettant heureusement fin aux flottements nés des jurisprudences antagonistes des différentes cours d'appel. La Cour de cassation saisit, également, l'occasion de régler un certain nombre de difficultés relatives aux modalités de cette délégation de pouvoir.

II - Le principe de la délégation du pouvoir de licencier dans les SAS

  • La validité de la délégation du pouvoir de licencier

La Cour de cassation affirme, sans ambages, que malgré la rédaction de l'article L. 227-6 du Code de commerce, il n'est pas exclu que les représentants légaux visés par ce texte puissent "déléguer le pouvoir d'effectuer des actes déterminés tel que celui d'engager ou de licencier les salariés de l'entreprise". Il s'agit là d'une reconnaissance claire du pouvoir de délégation aux président, directeur général et directeur général délégué. Cette solution de raison rassurera certainement les représentants des nombreuses SAS qui avaient, en pratique, opéré une telle délégation nécessaire au fonctionnement quotidien des plus grandes de ces sociétés.

Ces délégations de pouvoir que le communiqué de la Cour de cassation qualifie de "fonctionnelles" ne pourront être délivrées que par les représentants légaux visés par l'article L. 227-6, cette précision mettant fin à une incertitude parfois soulevée en la matière (13).

  • Les limites de la délégation du pouvoir de licencier

La délégation peut être délivrée pour effectuer "des actes déterminés". Cette formule semble pouvoir être interprétée selon deux axes.

D'abord, la Cour de cassation n'exige pas que les délégations de pouvoir ne concernent qu'un acte spécifique, qu'un type d'acte déterminé, mais bien un ensemble de plusieurs actes, une sorte de faisceau de mandats (14).

Ensuite, le fait que les actes délégués soient "déterminés" semble impliquer que, même si, le pouvoir relatif à plusieurs actes peut être délégué, la nature de ces actes doit être connue, déterminée. Cette précision paraît aller dans le sens d'un refus de toute délégation générale de pouvoir (15).

Quels "actes déterminés" peuvent être concernés par une telle délégation ? La Chambre mixte donne deux exemples par la formule "tel que celui d'engager ou de licencier des salariés de l'entreprise". La Cour de cassation se prononce donc au-delà de la question qui lui était posée et qui ne concernait que le pouvoir de licencier. L'usage des termes "tel que" et l'extension au pouvoir d'engager des salariés caractérise une formule ouverte et laisse présager une faculté de déléguer l'ensemble des actes relatifs à la gestion du personnel (16). Malgré l'absence d'exemples au-delà du droit du travail, on peut, également, penser que des délégations destinées à la conclusion de contrats avec des clients, des fournisseurs, des établissements de crédit puissent être elles aussi délivrées.

Quoique chacune des délégations ne soit pas générale, comme l'exige la Cour de cassation, n'encourt-on pas cependant le risque que le cumul de diverses délégations mène in fine à vider le pouvoir du président ou des directeurs généraux de leur contenu ? S'il ne faut pas oublier que les représentants demeureront responsables des actes de leurs délégataires, il n'en demeure pas moins que la multiplication des délégations pourrait opérer un transfert ipso facto de l'intégralité des pouvoirs du président (17).

  • La délégation de pouvoir conforme au "droit commun" des sociétés ?

Le communiqué de la Cour de cassation affirme, encore, que la solution rendue "permet aux représentants de toute société, y compris des SAS, de déléguer, conformément au droit commun, une partie de leurs pouvoirs afin d'assurer le fonctionnement interne de l'entreprise" (18). Là encore, la question faisait grand débat, principalement, parce que les dispositions du Code de commerce relatives à la société anonyme "sont systématiquement appelées en renfort sur tous les points qui ne sont pas spécialement réglés par les articles L. 227-1 et suivants" du Code du commerce (19). Faute pour l'article de recourir à un tel renvoi, le raisonnement, purement technique, menait à évincer les règles de droit commun pour maintenir la spécificité du monopole de représentation du président et des directeurs généraux. La technique doit cependant parfois s'effacer au profit de considérations plus pragmatiques...

Quoiqu'il en soit, et malgré toutes les contingences pratiques qui justifiaient cette solution, il y a de quoi se demander ce qui pourrait encore dissuader des actionnaires de constituer une SAS plutôt que toute autre forme de société commerciale (20). A la souplesse délibérément souhaitée par le législateur s'ajoute désormais une plus grande libéralité dans l'usage de la délégation de pouvoir.

La délégation du pouvoir de licencier dans les SAS étant affirmée, encore fallait-il en déterminer les principales modalités.

III - Les modalités de la délégation du pouvoir de licencier dans les SAS

  • La détermination des modalités de la délégation du pouvoir de licencier par assimilation aux règles du mandat

Chacun des deux arrêts sous examen apporte son obole au régime de la délégation du pouvoir de licencier dans les SAS.

Le premier arrêt (n° 10-10.095) précise ainsi "qu'aucune disposition n'exige que la délégation du pouvoir de licencier soit donnée par écrit" et "qu'elle peut être tacite et découler des fonctions du salarié qui conduit la procédure de licenciement". Le second arrêt (n° 10-30.215) ajoute "qu'en cas de dépassement de pouvoir par le mandataire, le mandant est tenu de l'acte de celui-ci s'il l'a ratifié expressément ou tacitement".

Ces règles tirent toutes les conséquences de la qualification de mandat de la délégation de pouvoir. En effet, les textes du Code civil en matière de mandat autorisent que de tels contrats soient conclus verbalement et même tacitement (21). Cela devrait permettre de généraliser la délégation de pouvoir en matière de gestion du personnel pour les directeurs ou les responsables des ressources humaines, quand bien même aucune stipulation statutaire ne prévoirait expressément une telle délégation. De la même manière, les arrêts affirment que les actes du mandataire qui dépassent les limites de la mission fixée par le mandant peuvent être ratifiés, aussi bien expressément que tacitement (22).

  • Les vastes conséquences de la faculté de ratification

L'assimilation pleine et entière de la délégation au mandat ne va pas sans soulever quelques interrogations. On peut ainsi se demander si tout dépassement de pouvoir pourra être ratifié. L'hypothèse d'un salarié ou d'un cadre de l'entreprise qui procèderait à un licenciement sans disposer d'aucune délégation de pouvoir semble proscrite puisqu'il demeure nécessaire qu'un mandat existe pour que les limites du pouvoir délégué puissent être excédées (23). En revanche, dès lors qu'une délégation de pouvoir existe, même dans un domaine radicalement différent de celui de la gestion du personnel, la ratification semble pouvoir intervenir, y compris oralement lors du procès prud'homal.

Dans un cas de dépassement manifeste de pouvoir, il devient, dès lors peu probable, que le représentant de la SAS, seul apte à ratifier le mandat, s'y refuse, sous peine de voir le licenciement invalidé. Il y a donc fort à parier que tout licenciement prononcé par une personne qui a excédé les limites des pouvoirs qui lui avaient été conférés sera validé, au plus tard au moment de l'instance.

  • Les interrogations persistantes : quelle sanction du licenciement prononcée sans ratification ?

Cette observation devrait rendre la pertinence des interrogations sur la sanction d'un licenciement prononcé à défaut de ratification relativement théorique. Quoiqu'il en soit, aucune réponse n'est explicitement apportée par la Cour de cassation en la matière. On se souviendra que la Chambre sociale de la Cour de cassation oscille en la matière -à l'image des cours d'appel dont les arrêts étaient ici cassés- entre la nullité du licenciement (24) et l'absence de cause réelle et sérieuse (25).

La confirmation par les arrêts commentés de la validité des délégations de pouvoir ne permettait pas à la Cour de cassation d'apporter des précisions sur la sanction dans la situation hypothétique dans laquelle le mandat ne serait pas ratifié (26). Malgré tout, l'absence de ratification du mandat mènerait à ce que le licenciement ne soit prononcé ni par l'employeur -la SAS- ni par son représentant - le président ou le directeur général. Compte tenu du visa de l'article L. 1232-6 du Code du travail dont découle généralement l'exigence que le licenciement soit prononcé par l'employeur ou son représentant, la sanction devrait logiquement consister dans la nullité du licenciement, faute pour l'acte d'avoir été prononcé par une personne en ayant la capacité.


(1) Sur cette question, v. G. Auzero, L'exercice du pouvoir de licencier, Dr. soc., 2010, p. 289.
(2) Les difficultés liées à la détermination de la personne ayant le pouvoir de licencier dans les groupements est loin d'être circonscrite aux SAS. V., par exemple, s'agissant des associations, Cass. soc., 8 juillet 2010, n° 08-45.592, F-D (N° Lexbase : A2219E4X) et les obs. de G. Auzero, L'exercice du pouvoir de licencier au sein des associations et autres personnes morales, Lexbase Hebdo n° 409 du 23 septembre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N0950BQA). Ou encore dans le cadre d'un comité d'établissement, Cass. soc., 29 septembre 2010, n° 09-42.296, FS-P+B (N° Lexbase : A7658GAU) et les obs. de G. Auzero, L'exercice du pouvoir de licencier au sein d'un comité d'établissement, Lexbase Hebdo n° 412 du 14 octobre 2010 - édition sociale, (N° Lexbase : N2723BQW).
(3) La délégation de pouvoir pose, bien évidemment, d'autres difficultés que celles liées au pouvoir de licencier, principalement en matière de responsabilité relative au manquement à une obligation de sécurité dans l'entreprise. Sur ces question, v. nos obs., Retour sur la délégation de pouvoir, Lexbase Hebdo n° 409 du 23 septembre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N0945BQ3) ; F. Marmoz, La délégation de pouvoir, préf. Y. Reinhard, Litec, 2000.
(4) La France comptait, selon l'INPI, 138 953 SAS au 30 septembre 2009, v. M. Cozian, A. Viandier, F. Deboissy, Droit des sociétés, Litec, 23ème édition, p. 3.
(5) V. not. CA Versailles, 5ème ch., 24 septembre 2009, n° 08/02615 (N° Lexbase : A2125ENZ) ; CA Paris, Pôle 6, 2ème ch., 3 décembre 2009, n° 09/05422 (N° Lexbase : A6415EPB) ; CA Colmar, 4ème ch., sect. B, 13 janvier 2009, n° 08/01150 (N° Lexbase : A2129EN8) ; CA Orléans, 3 novembre 2009, n° 09/01446.
(6) Les arrêts retenaient, selon les cours, la nullité du licenciement ou l'absence de cause réelle et sérieuse de ce dernier. Pour une réflexion sur la sanction d'un licenciement prononcé par une personne qui n'y était pas habilité, v. les obs. de G. Auzero, L'exercice du pouvoir de licencier, préc.
(7) V. not., Quand la signature de la lettre de licenciement dans une SAS devient risquée, Questions à Maîtres C. Michelet-Quinquis, A.- F. Léon-Oulié, Lexbase Hebdo n° 391 du 15 avril 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N7508BNE) ; Rev. sociétés, 2010, p. 226, obs. A. Lienhard ; Bull. Joly, 2010, p. 338, note Germain et Perrin ; I. Mathieu, Qui peut signer une lettre de licenciement dans une SAS, JCP éd. S, 2009, 1573 ; A. Leport et H. Guyot, Polémiques autour du pouvoir de licencier dans une SAS, JCP éd. S, 2010. 1067 ; F. Cohen et T. Rabain, Délégations de pouvoirs et représentations légales dans les SAS - Confusions jurisprudentielles, RTDF, 2010, n° 2, 72.
(8) D. Tricot, Le dirigeant de société et ses délégués, Journ. sociétés, mars 2010, p. 11 ; F.-X. Lucas, La SAS décapitée, Bull. Joly Sociétés, 2010, p. 615.
(9) Pour deux approches radicalement différentes, v. A. Lyon-Caen, Le pouvoir entre droit du travail et droit des sociétés. A propos du licenciement dans une S.A.S, RDT, 2010, p. 494 ; P. Morvan, Nullité en droit du travail et délégation de pouvoirs dans la SAS, JCP éd. S, 2010, 1239.
(10) V. l'instructif communiqué de la Cour de cassation.
(11) La Chambre mixte était constituée de la deuxième chambre civile, de la Chambre commerciale et de la Chambre sociale.
(12) V. B. Saintourens, Délégation de pouvoir au sein d'une société par actions simplifiée : retour à l'orthodoxie grâce à la Cour de cassation, Lexbase Hebdo n° 229 du 28 septembre 2006 - édition affaires (N° Lexbase : N6900BQM) ; A. Lienhard, Pouvoir de licencier dans les SAS : la chambre mixte a tranché, D. act., 23 nov. 2010 ; J.- M. Albiol, E. Boucaya, Admission de la délégation de pouvoir dans les SAS, JCP éd. S, 2010, 1512 ; P. Henriot, La délégation de pouvoirs fonctionnelle', SSL, 2010, n° 1469.
(13) V. P. Le Cannu, B. Dondero, Droit des sociétés, Montchrestien, 3ème édition, pp. 657-658.
(14) Pour des doutes sur la pertinence de la qualification de mandat de la délégation de pouvoir portant sur plusieurs actes, v. A. Lyon-Caen, préc., spéc. n° 5.
(15) Sentiment confirmé par la lecture du communiqué qui précise que cette délégation fonctionnelle "permet aux représentants de toute société, y compris des SAS, de déléguer, conformément au droit commun, une partie de leurs pouvoirs afin d'assurer le fonctionnement interne de l'entreprise" (nous soulignons). Sur la question de l'étendue de la délégation du pouvoir du président de la SAS, v. P. Le Cannu, B. Dondero, préc., p. 655.
(16) Généralité du pouvoir appelée de ses voeux par le Professeur P. Morvan, v. P. Morvan, préc., spéc. n° 2, qui fustigeait l'hypothèse d'une remise en cause de tous les actes du délégataire en matière de relations professionnelles.
(17) P. Henriot fait ainsi le constat d'une dilution de la distinction entre pouvoir général de représentation et délégations fonctionnelles, v. P. Henriot, préc. Contestant l'affirmation amplement répandue selon laquelle les délégations ne doivent pas mener à vider le pouvoir du représentant, v. N. Ferrier, La délégation de pouvoir, technique d'organisation de l'entreprise, Bibl. dr. Entr., t. 68, 2005, n° 121 et s..
(18) V. B. Saintourens, préc., pour qui il convient de se réjouir "de voir la SAS alignée sur le sort des autres sociétés commerciales".
(19) P. Le Cannu, B. Dondero, préc., p. 641. Ces auteurs relèvent, cependant, que la thèse de l'autonomie de la SAS est loin d'être unanimement partagée.
(20) Sur les "charmes" de la SAS préexistants les arrêts commentés, v. M. Cozian, A. Viandier, F. Deboissy, préc., n° 860 et s..
(21) C. civ., art. 1985 (N° Lexbase : L2208ABE) : le mandat peut "être donné verbalement". La solution est confirmée par la Chambre sociale de la Cour de cassation en matière de délégation de pouvoir de licencier qui peut être verbale. V. Cass. soc., 18 novembre 2003, n° 01-43.608, FS-P+B (N° Lexbase : A1984DAQ) ; Cass. soc., 6 juillet 2004, n° 02-43.322, inédit (N° Lexbase : A0405DDD).
(22) C. civ., art. 1998 (N° Lexbase : L2221ABU) : "Le mandant est tenu d'exécuter les engagements contractés par le mandataire, conformément au pouvoir qui lui a été donné. Il n'est tenu de ce qui a pu être fait au-delà, qu'autant qu'il l'a ratifié expressément ou tacitement".
(23) En effet, puisque le second arrêt (ED) dispose que c'est "en cas de dépassement de pouvoir par le mandataire" que la ratification peut intervenir, encore faut-il qu'existe, initialement, un mandat pour que ses limites puissent être dépassées...
(24) Cass. soc., 29 avril 2009, n° 08-40.128, F-D (N° Lexbase : A6564EG9).
(25) Cass. soc., 30 septembre 2010, n° 09-40.114, FP-P+B (N° Lexbase : A7596GAL).
(26) Pour des prises de position différentes sur la question, v. G. Auzero, L'exercice du pouvoir de licencier, préc. ; P. Morvan, Nullité et délégations de pouvoir dans la SAS, préc.

Décision

Cass. mixte, 19 novembre 2010, n° 10-10.095, P+B+R+I (N° Lexbase : A9890GI7)

CA Versailles, 5ème ch., 5 novembre 2009

Textes visés : C. com., art. L. 227-6 (N° Lexbase : L6161AIZ) ; C. trav., art. L. 1232-6 (N° Lexbase : L1084H9Z) ; C. civ., art. 1984 (N° Lexbase : L2207ABD) et art. 1998 (N° Lexbase : L2221ABU)

Mots-clés : société par actions simplifiée, licenciement, délégation de pouvoir, modalités de la délégation

Liens base :

Cass. mixte, 19 novembre 2010, n° 10-30.215, P+B+R+I (N° Lexbase : A9891GI8)

Cassation, CA Paris, Pôle 6, 2ème ch., 3 décembre 2009, n° 09/05422 (N° Lexbase : A6415EPB)

Textes visés : C. com., art. L. 227-6 (N° Lexbase : L6161AIZ) ; C. trav., art. L. 1232-6 (N° Lexbase : L1084H9Z) ; C. civ., art. 1998 (N° Lexbase : L2221ABU)

Mots-clés : société par actions simplifiée, licenciement, délégation de pouvoir, modalités de la délégation.

Liens base :

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Rupture du contrat de travail

[Jurisprudence] Rappels sur l'obligation de célérité de l'employeur en cas de licenciement pour faute grave et l'obligation pesant sur le salarié en cas de litige sur les heures de travail

Réf. : Cass. soc., 24 novembre 2010, n° 09-40.928, FP-P+B+R (N° Lexbase : A7544GLY)

Lecture: 7 min

N8246BQH

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

Le 04 Janvier 2011

Appelé à figurer dans son rapport annuel, l'arrêt, rendu le 24 novembre 2010, par la Cour de cassation, apparaît pourtant de facture relativement classique quant aux principes de solution qu'il renferme. En effet, la Chambre sociale rappelle, tout d'abord, que la faute grave étant celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, la mise en oeuvre de la rupture du contrat de travail doit intervenir dans un délai restreint après que l'employeur a eu connaissance des faits allégués, dès lors qu'aucune vérification n'est nécessaire. Elle souligne, ensuite, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié d'étayer sa demande par la production d'éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments. Au regard du caractère relativement classique désormais de ces règles, l'intérêt de l'arrêt réside dans les précisions apportées par la Cour de cassation quant à la façon dont elles doivent être comprises et mises en oeuvre par les juges du fond.
Résumé

La faute grave étant celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, la mise en oeuvre de la rupture du contrat de travail doit intervenir dans un délai restreint après que l'employeur a eu connaissance des faits allégués, dès lors qu'aucune vérification n'est nécessaire.

En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié d'étayer sa demande par la production d'éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l'employeur de répondre, en fournissant ses propres éléments.

Observations

I - L'obligation de célérité pesant sur l'employeur en matière de licenciement pour faute grave

Définition de la faute grave

Si le législateur fait produire des effets à la faute grave, en précisant qu'elle est privative du délai-congé (C. trav., art. L. 1234-1 N° Lexbase : L1300H9Z) et de l'indemnité de licenciement (C. trav., art. L. 1234-9 N° Lexbase : L8135IAK), il n'a pas défini cette dernière. Cette tâche est donc revenue à la jurisprudence.

Dans un premier temps, la Cour de cassation a défini la faute grave du salarié comme "un fait ou un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié pendant la durée du préavis" (1). En 2007, elle a modifié cette définition en retenant plus simplement que "la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise" (2). Elle n'est, depuis, jamais revenue sur cette position que l'on retrouve affirmée dans l'arrêt sous examen.

Quelle que soit la définition en cause, l'idée est au fond la même : la faute grave rend indispensable, sans attendre, le départ du salarié. De cela, la Cour de cassation a tiré des conséquences importantes et rigoureuses.

La faute grave, rendant impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, il serait pour le moins contradictoire d'admettre que, tout en se prévalant d'une telle faute, l'employeur conserve le salarié dans l'entreprise, puisqu'il n'est pas nécessaire. Il en résulte que l'employeur qui fait exécuter le préavis se prive du droit d'invoquer la faute grave du salarié (3). En revanche, le paiement volontaire par l'employeur d'indemnités auxquelles le salarié n'aurait pas pu prétendre en raison de cette faute, ne le prive pas du droit d'invoquer la faute grave (4). Ces solutions se concilient sans difficultés. La règle fondamentale réside dans l'idée que la faute grave impose d'éloigner le plus rapidement possible le salarié de l'entreprise ; ce qui ne s'oppose pas à ce que, cela ayant été fait, l'employeur verse certaines sommes au salarié.

Cette règle peut s'avérer délicate à articuler avec le nécessaire respect de la procédure de licenciement. La Cour de cassation a cependant décidé à cet égard que le maintien du salarié dans l'entreprise, pendant le temps nécessaire à l'accomplissement de la procédure de licenciement, n'interdit pas à l'employeur d'invoquer la faute grave (5). Cela étant, et l'arrêt commenté le confirme, l'employeur ne saurait tarder à mettre en oeuvre la procédure de licenciement.

L'affaire

En l'espèce, une salariée, occupant les fonctions de veilleuse de nuit dans une maison de retraite, avait été licenciée pour faute grave le 12 août 2005. Pour dire le licenciement fondé sur une faute grave, l'arrêt attaqué avait retenu, après avoir constaté que le grief selon lequel la salariée avait administré à des pensionnaires des médicaments sans prescription médicale, que l'employeur avait été informé des faits reprochés à la salariée entre le 16 juin et le 7 juillet 2005, soit à l'intérieur du délai de prescription de deux mois précédant le début de la procédure disciplinaire.

Cette décision est censurée par la Cour de cassation au visa des articles L. 1234-1 et L. 1234-5 (N° Lexbase : L1307H9B) du Code du travail. Ainsi que l'affirme la Chambre sociale, "la faute grave étant celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, la mise en oeuvre de la rupture du contrat de travail doit intervenir dans un délai restreint après que l'employeur a eu connaissance des faits allégués dès lors qu'aucune vérification n'est nécessaire". Elle en déduit "qu'en se déterminant ainsi, sans vérifier, comme elle y était invitée, si la procédure de rupture avait été mise en oeuvre dans un délai restreint, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision".

La solution retenue par la Cour de cassation ne constitue pas, loin s'en faut, une surprise. Affirmée, dans une formule en tous points identiques, dans un arrêt rendu le 6 octobre 2010 (6), on en trouve également trace dans des arrêts plus anciens (7). On peut, à la suite, s'interroger sur les raisons qui ont conduit la Cour de cassation à reprendre cette solution dans un délai aussi bref, qui plus est en donnant une très large publicité à sa décision. Peut-être cela s'explique-t-il par la résistance des juges du fond dont l'arrêt commenté porte témoignage.

Cette position peut, à dire vrai, se concevoir au regard des dispositions de l'article L. 1332-4 du Code du travail (N° Lexbase : L1079H9T) dont on sait qu'il affirme "qu'aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance [...]". Partant, il semble possible, à l'instar de juges du fond dans l'affaire en cause, de considérer que l'employeur est en droit de mettre en oeuvre la rupture du contrat de travail pour faute grave à n'importe quel moment à l'intérieur de cette période de deux mois.

Une telle position s'avère, cependant, en contradiction avec la définition de la faute grave telle qu'elle a été rappelée ci-dessus. Comment admettre, en effet, que l'employeur se prévale d'une faute qui rende impossible le maintien du salarié dans l'entreprise tout en tolérant qu'il puisse maintenir ce dernier dans l'entreprise pratiquement deux mois ? Il serait par ailleurs pour le moins curieux que la prescription établie par l'article L. 1332-4 du Code du travail, conférant en quelque sorte un "droit à l'oubli" au salarié, se retourne contre lui.

Il faut donc préférer la solution retenue par la Cour de cassation, qui impose à l'employeur d'agir sans attendre. On ajoutera que celle-ci se veut conciliante à deux égards. Tout d'abord, si la mise en oeuvre de la rupture du contrat de travail doit intervenir dans un délai restreint, celui-ci commence à courir à compter du moment où l'employeur a eu connaissance des faits allégués et non de leur commission. Ensuite, la Chambre sociale admet qu'il puisse être fait exception à l'exigence précitée lorsque l'employeur doit mener des vérifications relativement à l'existence et à la véracité des faits reprochés au salarié. Remarquons que, dans cette hypothèse, le délai de prescription de l'article L. 1332-4 du Code du travail trouve tout son sens (8).

Au final, la solution retenue par la Cour de cassation apparaît tout à fait équilibrée et préserve tant les intérêts des salariés que ceux de l'entreprise.

II - Obligation du salarié en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies

Exigences légales et prétoriennes

Selon l'article L. 3171-4, alinéa 1er, du Code du travail (N° Lexbase : L0783H9U), "en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié". Le deuxième alinéa de ce même texte dispose quant à lui qu'"au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles".

Introduit au sein du Code du travail en 1992 (loi n° 92-1446 du 31 décembre 1992 N° Lexbase : L0944AIS), cet article a considérablement amélioré la situation du salarié. Antérieurement, en effet, la preuve des heures de travail effectuées était soumise au régime de l'article 1315 du Code civil (N° Lexbase : L1426ABG). En d'autres termes, la charge de la preuve pesait sur le demandeur et donc sur le salarié. Il n'est guère besoin de s'étendre sur les difficultés que pouvait présenter une telle preuve pour un salarié. Pour autant, il convient de ne pas se méprendre sur le sens de cette disposition qui n'a nullement renversé la charge de la preuve, afin de faire peser celle-ci sur l'employeur. Ainsi que l'affirme, en effet, avec constance la Cour de cassation, "la preuve des heures de travail effectuées n'incombe spécialement à aucune des parties" (9). Elle en déduit que le juge ne peut rejeter la demande d'un salarié, qui prétend avoir effectué des heures niées par son employeur, au seul motif d'insuffisance des preuves qu'il propose.

Cela étant, et ainsi que le rappelle la Cour de cassation dans l'arrêt sous examen, "en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié d'étayer sa demande par la production d'éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments" (10).

Mise en oeuvre

En l'espèce, pour rejeter la demande de la salariée en paiement d'heures complémentaires, l'arrêt attaqué avait retenu que celle-ci ne produisait pas d'éléments de nature à étayer sa demande dès lors qu'elle avait versé aux débats un décompte établi au crayon, calculé mois par mois, sans autre explication ni indication complémentaire.

Ainsi que l'on s'en rend compte, le litige portait, en l'occurrence, sur le caractère "suffisamment précis" des éléments apportés par le salarié. Or, à la différence des juges du fond, la Cour de cassation considère que ce critère était rempli. Censurant leur décision au visa de l'article L. 3171-4 du Code du travail, elle affirme qu'"en statuant ainsi, alors que la salariée avait produit un décompte des heures qu'elle prétendait avoir réalisées auquel l'employeur pouvait répondre, la cour d'appel a violé le texte susvisé".

Cette solution démontre que les obligations qui pèsent sur le salarié, à l'orée d'un procès relatif aux heures de travail effectuées, sont légères. Nul besoin pour ce dernier d'apporter le témoignage de collègues ou de clients, par exemple, à l'appui de sa requête. Il lui suffit de verser aux débats un simple décompte des heures qu'il prétend exécuter.


(1) Cass. soc., 26 février 1991, n° 88-44.908 (N° Lexbase : A9347AAG) ; Bull. civ. V, n° 97.
(2) Cass. soc., 27 septembre 2007, n° 06-43.867 (N° Lexbase : A5947DYW) ; Bull. civ. V, n° 146 : RDT, 2007, p. 650, avec nos obs.
(3) La jurisprudence est ici constante. V. Cass. soc., 12 juillet 2005, n° 03-41.536 (N° Lexbase : A9228DIM).
(4) Qu'il s'agisse de l'indemnité compensatrice de préavis (Cass. soc., 2 février 2005, n° 02-45.748 N° Lexbase : A3499DGP ; Bull. civ. V, n° 42) ou des salaires correspondant à la mise à pied conservatoire prononcée (Cass. soc., 27 septembre 2007, préc.).
(5) Cass. soc., 19 juillet 1988. Cela étant, et bien que la Cour de cassation ait jugé qu'aucun texte n'impose à l'employeur de prendre une mesure conservatoire avant d'ouvrir une procédure de licenciement pour faute grave (Cass. soc., 4 novembre 1992, n° 91-41.189 N° Lexbase : A3805AA8 ; Bull. civ. V, n° 530), il nous semble plus prudent de décider d'une mise à pied conservatoire dans l'attente du licenciement, quitte à ce que l'employeur verse au salarié la rémunération correspondante dans l'hypothèse où il ne retiendrait pas la faute grave.
(6) Cass. soc., 6 octobre 2010, n° 09-41.294, FS-P+B (N° Lexbase : A3748GBG).
(7) Cass. soc., 22 octobre 1991, n° 90-40.077 (N° Lexbase : A7661CYE) ; Cass. soc., 24 janvier 2007, n° 04-42.234, F-D (N° Lexbase : A6751DT9).
(8) Cela ne saurait toutefois laisser à penser que l'employeur a tout son temps pour vérifier les faits allégués. Nonobstant ce délai de deux mois, il se doit d'agir rapidement. Il est, là encore, à conseiller à l'employeur de mettre à pied le salarié à titre conservatoire pendant la durée de "l'enquête". Mais, à notre sens, les conséquences de cette mise à pied devront être effacées (i.e. la rémunération correspondante devra être versée) si, en fin de compte, licenciement pour faute grave est écarté.
(9) V., par exemple, Cass. soc., 3 juillet 1996, n° 93-41.645 (N° Lexbase : A9574AAT) ; Cass. soc., 7 février 2001, n° 98-45.570 (N° Lexbase : A3652ARP).
(10) Cette solution de principe a été pour la première fois affirmée par la Cour de cassation dans un arrêt en date du 25 février 2004 (Cass. soc., 25 février 2004, n° 01-45.441, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A3356DBW et voir nos obs., La preuve des heures supplémentaires : les rôles respectifs de l'employeur et du salarié, Lexbase Hebdo n° 111 du 10 mars 2004 - édition sociale N° Lexbase : N0829ABC ; Dr. soc. 2004, p. 665, obs. Ch. Radé).

Décision

Cass. soc., 24 novembre 2010, n° 09-40.928, FP-P+B+R (N° Lexbase : A7544GLY)

Cassation partielle, cour d'appel de Toulouse (CA Toulouse, ch. soc., 16 janvier 2009)

Textes visés : C. trav., art. L. 1234-1 (N° Lexbase : L1300H9Z), L. 1234-5 (N° Lexbase : L1307H9B) et L. 3171-4 (N° Lexbase : L0783H9U)

Mots-clefs : faute grave, licenciement, mise en oeuvre de la rupture, délai restreint, heures de travail accomplies, litige, obligation pour le salarié d'étayer sa demande par la production d'éléments suffisamment précis, nature de ces éléments.

Liens base : (N° Lexbase : E9190ES8)

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