La lettre juridique n°267 du 5 juillet 2007

La lettre juridique - Édition n°267

Éditorial

Pourquoi condamner encore la fraude fiscale ?

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

Le 27 Mars 2014


L'occasion nous est donnée, cette semaine, de revenir sur la question de la fraude fiscale et, tout logiquement, sur son pendant immédiat, la question du consentement à l'impôt. Les termes de ces questions semblent éculés ; et pourtant, dans un pays où la mémoire du Président Pompidou nous rappelle que "la fraude est à l'impôt ce que l'ombre est à l'homme", il n'est pas inutile d'évoquer, à nouveau, et sans tomber dans aucun poujadisme, les ressorts profonds (quasi-psychologiques) de la fraude fiscale dans une économie libérale (donc avide de concurrence pure et parfaite), à travers le compte-rendu réalisé par Anne-Lise Lonné, rédactrice en chef de notre édition fiscale, des interventions de Charles Moynot, Magistrat au parquet financier du TGI de Nanterre et de Jean-Luc Doombs, Président du TGI de Beauvais, à l'occasion d'un colloque organisé par l'Association des Avocats Conseils d'Entreprises, sur le thème "Le regard du juge pénal sur la fraude fiscale", le 26 juin dernier.

Si selon Keynes, "éviter de payer des impôts est la seule recherche intellectuelle gratifiante", force est de constater qu'il y a, là aussi, inégalité entre les contribuables. On verra le prodige de "l'habilité fiscale", chère à Maurice Cozian, encensé par la doctrine et gratifié par des honoraires conséquents. On verra le contribuable, moins alerte, tomber dans l'abus de la loi fiscale et sous les fourches caudines du Comité consultatif pour la répression de l'abus de droit, faute d'un conseil avisé. On verra, enfin, le Béotien de l'obligation fiscale, ou tout simplement d'hermétique à l'impôt, condamné au titre de la fraude, sur le terrain pénal donc. D'aucun disait en son temps, "j'aime payer des impôts. Lorsque je paie des impôts, j'achète la civilisation" : contrevenir à l'impôt, ce serait un peu comme porter atteinte au bon développement de la société. Mais, lorsque Benjamin Constant écrit dans Principes de politique, que "l'excès des impôts conduit à la subversion de la justice, à la détérioration de la morale, à la destruction de la liberté individuelle", on comprend rapidement que la frontière entre le devoir fiscal et le devoir intellectuel est ténue.

Toujours lancinante est la question du consentement à l'impôt, principe inscrit à l'article 14 de la DDHC : "Les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée". Pilier du droit fiscal, cette disposition légitime les lois de finances successives adoptées au terme du processus parlementaire. Mais qui porte attention au vocable employé ? On parle, ici, de "contribution publique ", l'expression paraît, dès lors, accompagnée d'une symbolique bien différente de celle de "l'impôt". Dans les actes de l'Assemblée Nationale de 1789, on pouvait lire : "Un peuple libre n'acquitte que des contributions, un peuple esclave paie des impôts". Il s'agissait de marquer le caractère collectif du recouvrement dont le produit était affecté au bien public pour la construction d'une société moderne. Et dernièrement, la question est revenue sur le devant de la scène avec la quasi-suppression des droits de succession sur fond de consentement populaire (cf. notre article Droits de succession : anatomie d'une mort annoncée, publié voici deux semaines). Benoîtement, si un "impôt sur les morts" est envisageable, une "contribution ", principe actif, semble plus difficile à concevoir, sauf à penser que les contribuables décédés doivent un dernier sacrifice pour le bien social que la société leur a prodigué : la fiscalité serait-elle morale ?

On comprend, dès lors, que le terrain de la fraude fiscale est miné. D'une part, il s'agit d'un champ pénal, et par conséquent, l'affaire n'est plus une simple histoire pécuniaire, elle relève de la liberté individuelle ; c'est pourquoi l'administration suivie par le Parquet ne conduiront que des procédures à l'incrimination quasi-certaine . D'autre part, il s'agit d'un champ politique (la vie de la cité), faisant apparaître une dichotomie déconcertante entre une justice rendue au nom du Peuple français et un Peuple plus enclin à la tolérance envers le contribuable qui a tenté de se soustraire à la pression fiscale (du moins jugée comme telle), plutôt qu'à le voir condamné à une peine sévère.

Mais finalement, "les nations ne peuvent pas avoir de tranquillité sans une armée ; pas d'armée, sans une solde ; pas de solde sans des impôts", écrivait Tacite. La réponse aux questions de la fraude et du consentement réside, peut-être, dans cette formule classique : condamner la fraude fiscale, c'est garantir, aujourd'hui, la paix sociale, marquer l'atteinte ainsi portée à l'intégrité du corps social de la Nation avide de services publics.

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Social général

[Jurisprudence] La délicate distinction du contrat de gérance-mandat et du contrat de travail

Réf. : Cass. soc., 6 juin 2007, n° 06-42.951, Mme Nadine Cugney, FS-D (N° Lexbase : A7820DWK)

Lecture: 6 min

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010


Sauf à ce que le législateur institue une présomption irréfragable de non salariat, le contentieux relatif à la requalification de certaines relations contractuelles commerciales en contrat de travail n'est pas prêt de se tarir. Cela est d'autant plus vrai que ce même législateur s'ingénie à créer des statuts de travailleurs indépendants aux frontières du salariat. Le gérant-mandataire, à qui la loi du 2 août 2005 (loi n° 2005-882, en faveur des petites et moyennes entreprises N° Lexbase : L7582HEK) a donné une existence juridique à part entière, appartient à cette catégorie de personnes dont on ne sait, parfois, si elles doivent être qualifiées de patron ou de salarié (1). Un arrêt rendu le 6 juin dernier invite à revenir sur ce lancinant problème.


Résumé

Dès lors que, d'une part, le requérant ne justifie pas, pour la gestion des hôtels confiée à sa société, qu'il avait été effectivement soumis aux ordres, aux directives et au contrôle des sociétés mandantes et que, d'autre part, les limites apportées à l'autonomie de gestion de la société mandataire étaient inhérentes à la convention de franchise qu'elle devait respecter, une cour d'appel peut en déduire que le gérant-mandataire n'était pas placé dans un état de subordination à l'égard des sociétés mandantes.

1. La gérance-mandat, un contrat aux frontières du salariat

Le propriétaire d'un fonds de commerce ou d'un fonds artisanal peut souhaiter ne pas exploiter lui-même ce fonds. Dans cette hypothèse, plusieurs techniques juridiques s'offrent à lui (v., sur ces différentes techniques, N. Ferrier, Le statut du gérant-mandataire issu de la loi du 2 août 2005, Petites Affiches, n° 105 du 26 mai 2006, p. 4) (2). Outre la location-gérance, le propriétaire du fonds peut avoir recours à la gérance-salariée ou, encore, à la gérance-mandat. Ces deux dernières techniques, qui ont en commun de conduire à une exploitation du fonds au nom et pour le compte du propriétaire, se distinguent par le contrat auquel ce dernier à recours : contrat de travail dans le premier cas, contrat de mandat dans le second (3).

Le contrat de gérance-mandat n'a, pendant de nombreuses années, bénéficié d'aucun régime juridique propre, alors même qu'il était (et reste) relativement développé dans certains secteurs d'activité, notamment l'hôtellerie. Cette lacune a été réparée par la loi du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises (art. 19), qui a introduit dans le Code de commerce un véritable statut de gérant-mandataire. Ainsi que l'indique, désormais, l'article L. 146-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L3990HBE), "les personnes physiques ou morales qui gèrent un fonds de commerce ou un fonds artisanal, moyennant le versement d'une commission proportionnelle au chiffre d'affaires, sont qualifiées de 'gérants-mandataires' lorsque le contrat conclu avec le mandant, pour le compte duquel, le cas échéant dans le cadre d'un réseau, elles gèrent ce fonds, qui en reste propriétaire et supporte les risques liés à son exploitation, leur fixe une mission, en leur laissant toute latitude, dans le cadre ainsi tracé, de déterminer leurs conditions de travail, d'embaucher du personnel et de se substituer des remplaçants dans leur activité à leurs frais et sous leur entière responsabilité".

L'un des objectifs poursuivis par le législateur au travers de la réforme précitée est de limiter le risque de requalification du contrat de gérance-mandat par le juge en contrat de travail salarié en cas de litige survenant avec le gérant-mandataire ou en cas de contrôle de l'administration (4). L'arrêt rapporté constitue, très précisément, une illustration de ce type de contentieux, en pratique relativement fréquent. Il convient de relever qu'en l'espèce, le contrat de gérance-mandat, qui avait été conclu entre la société constituée par Madame C. et la société FIH pour la gestion d'un hôtel, ne relevait pas des articles L. 146-1 et suivants du Code de commerce, pour la bonne et simple raison qu'il avait été conclu avant l'adoption de la loi du 2 août 2005.

Par suite, et faute de régime juridique propre, ce contrat devait a priori être soumis au seul droit du mandat. La gérante de la société mandante a, cependant, agi en justice afin de demander la requalification du contrat de gérance-mandat en contrat de travail.

2. La requalification du contrat de gérance-mandat en contrat de travail

Si la gérante de la société mandataire avait bien, en l'espèce, demandé au juge de requalifier le contrat de gérance-mandat en contrat de travail, il est important de souligner que l'application du droit du travail à un gérant-mandataire peut être obtenue par une autre voie (5).

En effet, il convient de ne pas oublier que l'article L. 781-1, 2° du Code du travail (N° Lexbase : L6860AC3) rend applicable le droit du travail aux "personnes dont la profession consiste essentiellement, soit à vendre des marchandises ou denrées de toute nature, des titres, des volumes publications, billets de toute sorte qui leur sont fournis exclusivement ou presque exclusivement par une seule entreprise industrielle ou commerciale, soit à recueillir les commandes ou à recevoir des objets à traiter, manutentionner ou transporter, pour le compte d'une seule entreprise industrielle ou commerciale, lorsque ces personnes exercent leur profession dans un local fourni ou agréé par cette entreprise et aux conditions et prix imposés par ladite entreprise".

Ce texte peut trouver à s'appliquer à un gérant-mandataire, sans qu'il soit nécessaire d'opérer une quelconque requalification du contrat de gérance-mandat en contrat de travail. Plus précisément, ainsi que l'a affirmé avec force la Cour de cassation dans plusieurs arrêts rendus le 4 décembre 2001, "il résulte [de l'article L. 781-1, 2° du Code du travail] que dès lors que les conditions sus-énoncées sont, en fait, réunies, quelles que soient les énonciations du contrat, les dispositions du Code du travail sont applicables, sans qu'il soit besoin d'établir l'existence d'un lien de subordination" (Cass. soc., 4 décembre 2001, n° 99-41.265, Société France acheminement c/ M. Michel Sierra, publié N° Lexbase : A5707AXN ; D. 2002, p. 1934, note H. Kenfack ; adde, A. Jeammaud, L'assimilation de franchisés aux salariés, Dr. soc. 2002, p. 158). En d'autres termes, le gérant de l'article L. 781-1, 2° du Code du travail bénéficie de la législation du travail sans qu'il soit besoin de démontrer ni un lien de subordination, ni un contrat de travail. Ainsi que le note, à très juste titre, le Professeur Olivier (cf. note 2, réf. préc., p. 297), "le gérant de l'article L. 781-1, 2° du Code du travail n'est pas un salarié, pas même un salarié par détermination de la loi. Il est simplement 'réputé bénéficiaire de la législation du travail' dès lors que les conditions du texte existent" (6).

On l'aura donc compris, dès lors que les conditions d'application de l'article L. 781-1, 2° ne sont pas remplies (7), la soumission au droit du travail du gérant-mandataire exige la démonstration d'un lien de subordination. C'est précisément ce que s'était employée à faire, en l'espèce, la gérante de la société mandataire, sans grand succès toutefois. En effet, selon la Cour de cassation, "appréciant souverainement les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, la cour d'appel a relevé, d'une part, que Mme C. ne justifiait pas que, pour la gestion des hôtels confiée à la société l'Espérance, elle avait été effectivement soumise aux ordres, aux directives et au contrôle des sociétés mandantes et d'autre part, que les limites apportées à l'autonomie de gestion de la société mandataire étaient inhérentes à la convention de franchise qu'elle devait respecter ; qu'elle a pu en déduire, dans dénaturation et sans modification des termes du litige, que l'intéressée n'était pas placée dans un état de subordination à l'égard des sociétés SCHE et FIH".

Cette solution nous paraît devoir retenir l'attention en ce qu'elle s'avère conforme à l'économie même du contrat de gérance-mandat. En effet, et ainsi que le relève le Professeur Ferrier (op. cit., § 14), "en recourant à cette technique particulière d'organisation de son entreprise, le mandant entend conserver sur l'exploitation du fonds un contrôle que permet précisément l'imposition de conditions de commercialisation. Par ailleurs, et dans le cadre d'un réseau de gérants-mandataires, le mandant peut imposer des normes d'exploitation identiques et favoriser ainsi l'unité du réseau". Ce constat nous paraît d'autant plus pertinent lorsque, comme en l'espèce, le contrat de gérance-mandat se double d'un contrat de franchise.

Pour le dire autrement, la gérance-mandat comporte, par nature, une part de sujétion et de contrainte qui vient nécessairement limiter l'autonomie de gestion du mandataire, sans pour autant déboucher sur un lien de subordination. Ainsi, et pour ne prendre qu'un seul exemple, il est parfaitement concevable que le mandant entende imposer des horaires et jours d'ouverture du local commercial ou, comme en l'espèce, de l'hôtel. Une telle contrainte, qui découle des relations contractuelles propres à la gérance-mandat, n'implique pas, pour autant, l'imposition des heures et jours de travail du gérant qui reste libre d'embaucher du personnel pour l'aider dans sa tâche.

En définitive, tout est ici question de degré dans l'autonomie ou, inversement, dans la sujétion. De ce point de vue, il paraît assez évident que la loi du 2 août 2005 n'écarte en rien les risques de requalification du contrat de gérance-mandat en contrat de travail (8). Il reste, cependant, difficile de reprocher au législateur ne n'avoir pas édicté les règles permettant de mesurer l'autonomie et la liberté du gérant-mandataire. Ce statut particulier démontre, au fond, toute la difficulté qu'il y a à admettre que l'on puisse être qualifié de travailleur indépendant en étant enserré dans un lien de dépendance économique.


(1) Pour reprendre un article du Monde Economie en date du mardi 26 juin 2007 (Patron ou salarié ? Les ambiguïtés de la gérance-mandat, p. VIII).
(2) V. aussi, J.-M. Olivier, Les 'commerçants salariés'. A propos des gérants, in Le Code de commerce, 1807-2007, Livre du Bicentenaire, Dalloz 2007, p. 289.
(3) Ainsi que l'indique N. Ferrier (Le statut du gérant-mandataire issu de la loi du 2 août 2005, Petites Affiches, n° 105 du 26 mai 2006, p. 4), "le choix de la technique juridique d'exploitation du fonds relève de la stratégie d'organisation de l'entreprise". Cet auteur n'en souligne pas moins que le choix de la gérance-mandat peut reposer sur une considération moins avouable : l'évitement du salariat.
(4) V., en ce sens, le rapport n° 333 de M. Gérard Cornu, fait au nom de la Commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale déposé le 11 mai 2005.
(5) Rappelons que le droit du travail s'applique également aux gérants non salariés des succursales de maisons d'alimentation de détail (C. trav., art. L. 782-1 N° Lexbase : L6862AC7).
(6) V. aussi, pour un constat similaire, l'article d'A. Jeammaud, L'assimilation de franchisés aux salariés, Dr. soc. 2002, p. 158. Pour une confirmation jurisprudentielle de cette assertion, v. Cass. soc., 8 mars 2006, n° 04-17.059, Mme Gisèle Humbert, publié (N° Lexbase : A4991DN8).
(7) Sur ces conditions d'application, v. J.-M. Olivier, art. préc., pp. 297 à 300.
(8) Sans parler de l'application des dispositions de l'article L. 781-1, 2° du Code du travail à des gérants mandataires relevant a priori de l'article L. 146-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L3990HBE). V., sur la question, l'article préc. de N. Ferrier, §§ 39 et s.
Décision

Cass. soc., 6 juin 2007, n° 06-42.951, Mme Nadine Cugney, FS-D (N° Lexbase : A7820DWK)

Rejet (CA Caen, 3ème chambre, section sociale 1, 24 mars 2006)

Textes concernés : C. trav., art. L. 781-1, 2° (N° Lexbase : L6860AC3) ; C. com., art. L. 146-1 et s. (N° Lexbase : L3990HBE)

Mots-clefs : gérant-mandataire ; franchise ; contrat de travail ; requalification ; lien de subordination juridique.

newsid:287599

Social général

[Jurisprudence] Les différentes issues du détachement du fonctionnaire

Réf. : Cass. soc., 19 juin 2007, n° 05-44.808, Société Dexia crédit local, FS-P+B (N° Lexbase : A8693DWU) ; Cass. soc., 19 juin 2007, n° 05-44.814, Société Dexia crédit local, FS-P+B (N° Lexbase : A8697DWZ)

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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010


Les différentes lois portant statut des fonctions publiques envisagent la possibilité qu'un fonctionnaire soit détaché auprès d'une entreprise privée. Ce détachement est nécessairement d'une durée limitée. A l'issue du détachement, le fonctionnaire est réintégré automatiquement dans son corps. Mais, il arrive, également, que l'entreprise demande à l'autorité administrative de mettre fin prématurément au détachement. La Chambre sociale de la Cour de cassation, par deux arrêts du 19 juin 2007, s'est prononcée sur les différentes qualifications envisageables de la fin du détachement (1), les différentes hypothèses demeurant très nettement influencées par l'existence des statuts de la fonction publique (2).


Résumé

A l'expiration de son détachement, le fonctionnaire est obligatoirement réintégré dans son corps d'origine et affecté au poste qu'il occupait auparavant, si bien que la fin du détachement ne peut être qualifiée de licenciement. En revanche, si l'entreprise dans laquelle le fonctionnaire est détaché demande à l'autorité administrative de mettre fin au détachement avant son échéance, la rupture s'analyse en un licenciement qui doit respecter la procédure du Code du travail, à l'exception des dispositions relatives au versement d'une indemnité de licenciement.

1. La qualification variable de la fin du détachement

  • Le mécanisme du détachement du fonctionnaire dans l'entreprise

Le détachement d'un fonctionnaire dans une entreprise privée est pour le moins "ambivalent" (1). En effet, ce fonctionnaire bénéficie alors d'un statut hybride.

D'un côté, il est salarié de l'entreprise dans laquelle il est détaché et soumis, à ce titre, à un contrat de travail de droit privé, à condition toutefois qu'existe entre eux un lien de subordination. Cette règle s'applique aussi bien aux agents de la fonction publique territoriale (2), qu'à ceux de la fonction publique d'Etat (3). Cela permettra, notamment, au fonctionnaire d'être éventuellement titulaire d'un mandat de représentant du personnel dans l'entreprise (4).

D'un autre côté, l'agent demeure un fonctionnaire. Ainsi, le législateur prévoit-il que "le détachement est la position du fonctionnaire placé hors de son cadre d'emploi, emploi ou corps d'origine mais continuant à bénéficier, dans ce corps, de ses droits à l'avancement et à la retraite" (5). En outre, et c'est là un élément fondamental pour comprendre les décisions exposées, à l'issue du détachement, "le fonctionnaire est obligatoirement réintégré dans son corps ou cadre d'emplois et réaffecté dans l'emploi qu'il occupait antérieurement" (6).

La confrontation de ces deux statuts devait nécessairement amener à se poser la question de la qualification de la fin du détachement.

  • Les éventuelles qualifications de la fin du détachement

Que se passe-t-il si l'entreprise dans laquelle le fonctionnaire est détaché met fin au détachement ? Intervenant dans le cadre d'un contrat de travail de droit privé, la cessation par l'employeur devrait normalement recevoir la qualification de licenciement. De la même façon, si la fin du détachement intervient à l'initiative du fonctionnaire, c'est la qualification de démission qui devrait prévaloir.

En revanche, lorsque le détachement va jusqu'à son échéance, il serait logique de raisonner par analogie avec tout contrat pourvu d'un terme : le contrat de travail s'éteint par arrivée du terme, les lois portant statut de la fonction publique prenant le relais afin de voir le fonctionnaire réintégré dans son corps.

C'est bien sur cette distinction que devait se prononcer la Cour de cassation.

  • L'importance du respect du terme

Dans la première affaire (arrêt n° 1447), le détachement était parvenu à son terme, si bien que le fonctionnaire devait être réintégré dans son corps d'origine. Une difficulté était, cependant, née du fait que celui-ci s'était porté candidat aux élections des délégués du personnel. On sait que cette position confère au salarié une protection contre le licenciement puisque l'employeur doit obtenir l'autorisation de l'inspection du travail afin d'y procéder. Estimant que cette autorisation aurait dû être obtenue, le fonctionnaire, suivi par les juridictions du fond, estimait qu'à défaut, c'était bien un licenciement abusif qui avait été prononcé.

La Chambre sociale de la Cour de cassation casse l'arrêt d'appel en estimant que l'expiration du détachement implique la réintégration automatique du fonctionnaire dans son corps et qu'elle ne peut donc pas être qualifiée de licenciement. Conforme au fonctionnement classique du terme, cette solution paraît raisonnable, quoique, nous le verrons, les conséquences relatives au statut collectif puissent être discutées.

Dans la seconde affaire (arrêt n° 1451), en revanche, il avait été mis fin prématurément au détachement. En raison de la fermeture de son établissement, l'employeur avait demandé à l'autorité administrative de mettre fin au détachement, à la suite de quoi les fonctionnaires concernés avaient effectué les démarches afin d'être réintégrés dans leurs corps d'origine.

La Chambre sociale, confirmant ainsi sa propre jurisprudence, décide, cette fois, que la rupture doit bien être qualifiée de licenciement (7). Face à l'absence de procédure adéquate, le licenciement était donc dépourvu de cause réelle et sérieuse.

On le voit donc, le respect par l'entreprise, dans laquelle a lieu le détachement, du terme initialement prévu revêt une importance toute particulière quant à la qualification de la fin de la relation. Si l'employeur ne respecte pas ce terme, la rupture sera qualifiée de licenciement. Il est d'ailleurs probable qu'un détachement interrompu avant son terme à l'initiative du salarié puisse ainsi être qualifié de démission.

Si la logique inhérente à l'existence d'un terme est donc bien respectée concernant l'expiration du détachement, elle semble pourtant bien malmenée dans l'hypothèse d'une rupture prématurée de celui-ci. En effet, si l'on raisonne par analogie avec le contrat à durée déterminée, avatar le plus abouti de la relation à terme en droit du travail, on doit remarquer que la Cour de cassation refuse toujours de qualifier la rupture unilatérale du CDD de licenciement ou de démission (8). Il y a donc là un problème de cohérence d'ensemble entre ces différentes situations de travail à durée déterminée dans l'entreprise.

Quoi qu'il en soit, les règles relatives à la qualification de la rupture sont désormais très claires. Qu'en est-il du régime qui s'appliquera, dès lors, au fonctionnaire dont le détachement s'achève ?

2. L'influence maintenue du statut de fonctionnaire

  • Le principe directeur de soumission au droit du travail

L'ambivalence du statut de fonctionnaire détaché se retrouve tout naturellement dans les règles qui s'appliquent lorsque son détachement prend fin.

Le fonctionnaire détaché est un salarié de droit privé dans l'entreprise si bien qu'en principe, "le fonctionnaire détaché est soumis aux règles régissant la fonction qu'il exerce par l'effet de son détachement" (9). Les règles applicables aux salariés classiques doivent donc lui être appliquées, y compris d'ailleurs celles relatives au licenciement.

Pourtant, le statut de fonctionnaire vient interférer dans cette application, parfois de manière justifiée mais, aussi, parfois de manière plus discutable.

  • L'influence justifiée du statut en cas de licenciement

La Chambre sociale, dans le second arrêt (n° 1451) rappelle que "le fonctionnaire détaché est soumis aux règles régissant la fonction qu'il exerce par l'effet du détachement, à l'exception des dispositions des articles L. 122-3-5 (N° Lexbase : L5462ACB), L. 122-3-8 (N° Lexbase : L5457AC4) et L. 122-9 (N° Lexbase : L5559ACU) du Code du travail ou de toute disposition législative, réglementaire ou conventionnelle prévoyant le versement d'indemnités de licenciement ou de fin de carrière".

Or, cette règle est issue de l'article 45 de la loi portant statut de la fonction publique d'Etat du 11 janvier 1984 (loi n° 84-16, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat N° Lexbase : L7077AG9). Le statut interfère donc avec l'application normale du droit du travail.

Cependant, cette interférence se trouve parfaitement justifiée dans la mesure où le fonctionnaire recouvrera, après la rupture, le poste qu'il occupait précédemment dans son emploi. Or, l'indemnité de licenciement, versée au salarié dont le contrat est rompu à l'initiative de l'employeur, est considérée comme étant "destinée à réparer le préjudice résultant de la perte de l'emploi" (10). Le fonctionnaire ne perd pas son emploi puisqu'il retourne dans celui qu'il occupait précédemment. L'indemnité n'a donc pas d'objet et il est fort logique que le statut intervienne en ce sens.

Pour le reste, la qualification de licenciement emporte, malgré tout, l'obligation de respecter la procédure idoine, à défaut de quoi les indemnités pour rupture abusive seront dues, notamment une indemnité compensant l'absence de caractère réel et sérieux du licenciement. La possibilité d'allouer une telle indemnisation demeure justifiée puisqu'il ne s'agit pas, cette fois, de compenser la perte d'un emploi mais bien de réparer l'atteinte constituée par l'absence de justification du licenciement ; cela à condition, bien entendu, d'accepter que la rupture puisse être qualifiée de licenciement... (11)

  • L'influence discutable du statut en l'absence de licenciement

Lorsque le détachement est mené à son terme, la Cour de cassation estime donc qu'il ne s'agit pas d'un licenciement, si bien que les règles le concernant ne peuvent être appliquées (arrêt n° 1447).

Mais, dans cette affaire, le fonctionnaire détaché s'était porté candidat aux élections des délégués du personnel. Or, l'article L. 425-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0054HDD) prévoit que les candidats à ces élections bénéficient du statut de salarié protégé pendant une durée de 6 mois à partir du dépôt de leur candidature. Ce statut, rappelons-le, comporte principalement une protection contre le licenciement qui doit préalablement être autorisé par l'inspecteur du travail.

La fin du détachement n'étant pas un licenciement, il pourrait paraître logique que la protection ne puisse s'appliquer au fonctionnaire. Pourtant, là encore, un regard jeté vers le régime du contrat à durée déterminée laisse présager qu'une autre solution aurait pu être envisagée.

En effet, on sait que "lorsque le salarié, candidat aux fonctions de délégué du personnel, est titulaire d'un contrat à durée déterminée, l'arrivée du terme du contrat n'entraîne la cessation du lien contractuel" qu'après avoir obtenu l'autorisation de l'inspection du travail (12). La règle n'est pas seulement guidée vers la protection du salarié, mais également en vue de protéger le statut d'institution représentative du personnel. On peut se demander s'il n'aurait pas été opportun d'étendre ces considérations au fonctionnaire détaché, toujours dans un souci de protéger la fonction bien plus que l'emploi.

En outre, on peut se demander si la solution aurait été identique si la rupture était intervenue avant le terme du détachement, entraînant ainsi une qualification de licenciement de la rupture. S'il n'existe pas de texte concernant le terme du CDD, le code est, en revanche, particulièrement clair à l'égard du licenciement des candidats. On le voit, l'influence des effets du statut permettant de distinguer entre licenciement et simple fin du détachement s'avère donc, dans ce cas, bien discutable.

Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu Bordeaux IV


(1) J.-Y. Kerbourc'h, Fonctionnaire territorial détaché dans un organisme de droit privé, note sous Cass. soc., 23 mai 2006, n° 05-43.633, M. Daniel Michel c/ Société Onyx, FS-P+B (N° Lexbase : A1484DQZ) ; JCP éd. S, 2006, p. 1619.
(2) Cass. soc., 7 décembre 1999, n° 97-43.230, M. Gérard Moreau c/ Association Centre de culture ouvrière (CCO) et autres, inédit (N° Lexbase : A4659CPA).
(3) Notamment, Cass. ass. plén., 20 décembre 1996, n° 92-40.641, L'Alliance française, publié (N° Lexbase : A2388AGK) ; Dr. soc. 1997, p. 710, obs. J.- F. Lachaume ; D. 1997, p. 275, note Y. Saint-Jours.
(4) V. Cass. soc., 5 mars 1997, n° 96-60.041, Association Notre-Dame-de-Bon-Secours c/ Mme Bouille et autre, publié (N° Lexbase : A2232AAW) ; Cass. soc., 23 mai 2006, n° 05-43.633, précité.
(5) Article 64 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale (N° Lexbase : L6978AHW).
(6) Pour les agents de la fonction publique territoriale, v. art. 67 de la loi du 26 janvier 1984, préc. ; pour les agents de la fonction publique d'Etat, v. l'article 45 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat (N° Lexbase : L7077AG9), visé dans l'arrêt n° 1447.
(7) Cass. soc., 27 juin 2000, n° 97-43.536, Mme Fraysse c/ Association pour l'éducation et l'insertion des handicapés d'Escassefort, publié (N° Lexbase : A3555AU9).
(8) Sur ce thème, v. Cass. soc., 29 novembre 2006, n° 04-48.655, Société Sanbel, FS-P+B (N° Lexbase : A7749DSS) et nos obs., L'exclusion de la démission comme mode de rupture du CDD, Lexbase Hebdo n° 240 du 14 décembre 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N3096A9K) ; v., également, Cass. soc., 30 mai 2007, n° 06-41.180, Mme Marion Gallais, FS-P+B (N° Lexbase : A5660DWK) et les obs. de Ch. Radé, Donner et reprendre ne vaut (à propos du salarié démissionnaire d'un CDD), Lexbase Hebdo n° 264 du 14 juin 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N3974BBS).
(9) Cass. soc., 25 janvier 2006, n° 04-46.695, Compagnie générale française de transports et d'entreprises (CGFTE) c/ M. Serge Gibault, FS-P (N° Lexbase : A5603DMH).
(10) G. Couturier, Droit du travail - Les relations individuelles de travail, Puf, 3ème éd., 1996, p. 258.
(11) Cf. supra.
(12) V. Cass. soc., 16 octobre 2001, n° 98-44.269, M. Jean Claude Sorin c/ Société JM, FS-P (N° Lexbase : A4804AWT).
Décisions

- N° 1447 : Cass. soc., 19 juin 2007, n° 05-44.808, Société Dexia crédit local, FS-P+B (N° Lexbase : A8693DWU)

Cassation sans renvoi (CA Paris, 18ème ch., sect. D, 6 septembre 2005, n° 05/01300, M. André Le Clec'h c/ Société Dexia Crédit Local N° Lexbase : A9427DKD)

Textes visés : article 45 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 (N° Lexbase : L7077AG9) ; article 22 du décret n° 85-986 du 16 septembre 1985 (N° Lexbase : L1022G8D)

Mots-clés : fonctionnaire détaché ; terme du détachement ; réintégration dans le corps d'origine ; candidature aux élections du personnel ; licenciement (non).

Lien bases :

- N° 1451 : Cass. soc., 19 juin 2007, n° 05-44.814, Société Dexia crédit local, FS-P+B (N° Lexbase : A8697DWZ)

Rejet (CA Paris, 18ème ch., sect. D, 27 septembre 2005, n° 05/02177, Société Dexia Crédit Local c/ M. Eric Buval N° Lexbase : A4716DLA).

Textes concernés : C. trav., art. L. 122-3-5 (N° Lexbase : L5462ACB) ; C. trav., art. L. 122-3-8 (N° Lexbase : L5457AC4)  ; C. trav., art. L. 122-9 (N° Lexbase : L5559ACU)

Mots-clés : fonctionnaire détaché ; fin du détachement avant son terme ; licenciement.

Lien bases :

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Procédure administrative

[Jurisprudence] La possibilité pour le juge du référé-liberté de prononcer des mesures définitives

Réf. : CE référé, 30 mars 2007, n° 304053, Ville de Lyon (N° Lexbase : A8164DUW) ; CE 1° et 6° s-s-r., 31 mai 2007, n° 298293, Syndicat CFDT Interco 28 (N° Lexbase : A5282DWK)

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N7640BBL

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par Frédéric Dieu, Commissaire du Gouvernement près le tribunal administratif de Nice (1ère ch.)

Le 07 Octobre 2010

Nuançant une formule jusque-là établie, le juge des référés du Conseil d'Etat a estimé dans une récente ordonnance (1) que si les mesures prescrites dans le cadre du référé-liberté devaient "en principe" présenter un caractère provisoire, il en allait autrement lorsque aucune mesure provisoire n'était susceptible de faire disparaître les effets d'une atteinte à une liberté fondamentale. C'est le cas lorsque les délais dans lesquels le juge des référés est saisi ou lorsque la nature de l'atteinte y font obstacle : celui-ci peut, alors, enjoindre à l'auteur de la décision en cause de prendre toute disposition de nature à sauvegarder l'exercice effectif de la liberté fondamentale menacée, notamment si l'atteinte résulte d'une interdiction dont les effets sont, eux-mêmes, provisoires ou limités dans le temps. Pour cette raison, il a été admis que le juge des référés pouvait suspendre l'exécution d'un refus de location d'une salle municipale présentée par les Témoins de Jéhovah et enjoindre à la commune de mettre un local à disposition de l'association au jour demandé pour lui permettre de célébrer une fête religieuse. Le prononcé de cette injonction qui ne présente pas de caractère provisoire est justifié par la nature de l'interdiction opposée et ses effets qui portent une atteinte grave à la liberté de réunion et de religion.

Cette possibilité pour le juge du référé-liberté a été encore plus récemment affirmée par le Conseil d'Etat, statuant en formation collégiale (2), selon lequel les mesures prises par ce juge doivent "en principe présenter un caractère provisoire, sauf lorsque aucune mesure de cette nature n'est susceptible de sauvegarder l'exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte". Dans le même temps, le Conseil d'Etat a tenu à préciser la notion de "mesures provisoires" en définissant ces mesures comme des mesures réversibles. Il résulte, donc, de l'ordonnance du 30 mars 2007 et de l'arrêt du 31 mai 2007 que le juge du référé-liberté doit, en principe, prononcer des mesures réversibles, mais qu'il peut prononcer des mesures irréversibles lorsque la protection d'une liberté fondamentale le requiert.

S'il s'agit là d'une extension considérable des pouvoirs du juge du référé-liberté, il faut, cependant, nuancer cette évolution par les limites tenant au statut de ce juge dont les ordonnances ne peuvent être revêtues de l'autorité de la chose jugée.

I. Le juge du référé-liberté doit, en principe et en règle générale, se borner à prononcer des mesures provisoires qui n'ont pas l'autorité de la chose jugée

A. Notion et contenu des mesures provisoires pouvant être prononcées par le juge du référé-liberté

1) L'objectif de l'institution du référé-liberté : un rappel

Le référé en sauvegarde d'une liberté fondamentale ou référé-liberté, figurant à l'article L. 521-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3058ALT), est issu de la loi du 30 juin 2000, relative aux procédures d'urgence devant le juge administratif (N° Lexbase : L0703AIU), et a permis d'investir le juge des référés administratif d'un "pouvoir profondément nouveau", qui "trouve son inspiration directe" (3) dans la loi du 8 février 1995, relative à l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative (N° Lexbase : L1139ATD). Adoptée dans l'intérêt de fixer des bornes efficaces à l'administration, la loi du 30 juin 2000 a fait du référé-liberté son innovation la plus remarquable autant par sa vocation à protéger spécialement les libertés que par son audace à doter le juge de pouvoirs généraux justifiés par l'urgence. La nouveauté de ce pouvoir tient à la possibilité pour le juge d'adresser à l'administration des injonctions allant au-delà d'une explicitation des obligations résultant nécessairement de la chose jugée, au point que certains, tel le Professeur Chapus, se sont demandés si le principe de séparation des pouvoirs tel qu'il est conçu en France n'en était pas "plus ou moins froissé" (4). Précisons à cet égard que le juge du référé-liberté peut user de ses pouvoirs à l'encontre de l'administration en dehors de tout litige principal qu'on demanderait au juge du fond de trancher. La loi du 30 juin 2000 marque, ainsi, une étape historique dans l'élargissement et l'efficacité du contrôle du juge administratif. En dotant le juge administratif des pouvoirs d'un juge civil, elle en a fait un meilleur garant de la légalité administrative.

Soulignons, enfin, que la loi du 30 juin 2000 n'a précisé ni ce dont pouvait résulter l'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ni ce que pouvaient être les "mesures nécessaires" destinées à sauvegarder cette liberté. Ainsi que l'indique le Professeur Chapus, "ce double silence est éloquent : il signifie absence de restrictions" et c'est bien à partir de ce silence qu'ont pu être dégagées des solutions constructives comme celle retenue par le juge des référés du Conseil d'Etat dans son ordonnance du 30 mars 2007.

2) La notion de mesures provisoires

Aux termes de l'article L. 511-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3043ALB), qui concerne l'ensemble des procédures de référé et qui n'est donc pas propre au référé-liberté : "Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire" et "Il n'est pas saisi du principal". Le juge administratif a interprété ce texte comme interdisant au juge des référés de prononcer des mesures définitives, telles que l'annulation d'une décision administrative (5) ou l'obligation faite à l'administration de prendre des dispositions qui auraient des effets identiques à ceux qui résulteraient de l'exécution par l'autorité administrative d'un jugement annulant une telle décision pour défaut de base légale (6). Par ailleurs, et bien entendu, le juge des référés ne saurait enjoindre à l'administration de prendre une décision ou d'agir, irrégulièrement ou incompétemment (7).

Les pouvoirs du juge du référé-liberté n'en sont pas moins très importants et variés. En disposant que le juge "peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale", l'article L. 521-2 du Code de justice administrative n'a, en effet, pas entendu limiter a priori son pouvoir de décision. En l'absence de toute précision sur la nature ou le contenu des décisions qu'il peut prendre, l'on doit s'en tenir à un critère finaliste de son pouvoir (toute mesure nécessaire à la sauvegarde d'une liberté). Pratiquement, il exerce son pouvoir sous la forme d'injonctions adressées à l'administration -au besoin sous astreinte- : obligation d'agir en cas de carence ou obligation de cesser un agissement liberticide ou encore interdire préventivement un tel agissement. Ainsi, un juge du référé-liberté a pu ordonner à un maire "de procéder à la réintégration de la caravane" à l'emplacement antérieur d'où elle avait fait l'objet d'un enlèvement d'office, et ceci dans les 48 heures (8). Par ailleurs, le prononcé de la suspension d'un acte administratif montre que les référés liberté et suspension ne sont pas exclusifs l'un de l'autre (9).

Remarquable est l'hypothèse dans laquelle la requête est rejetée sous réserve d'injonction. Dans l'affaire "Tibéri", si la liberté d'expression de l'intéressé n'est pas méconnue de manière "manifestement illégale", c'est "sous réserve pour le conseil supérieur de l'audiovisuel de poursuivre, en liaison avec Canal +, la recherche des solutions appropriées à l'exigence d'un traitement équitable des candidats". Il est, également, notable que cette ordonnance permette au juge du référé-liberté d'adresser une injonction sous la forme d'une obligation de résultat à une personne morale de droit privée non chargée d'une mission de service public, Canal +, dans la mesure où celle-ci est partie prenante avec le CSA : "il incombe toutefois à cette chaîne de veiller à ce que ce choix n'entraîne pas une rupture du principe d'équité de traitement entre candidats" (10).

Pour revenir à la notion de mesures provisoires, il faut souligner que la décision du 31 mai 2007 "Syndicat CFDT Interco 28", qui assimile les mesures provisoires à des mesures réversibles, conduit à faire prévaloir le critère des effets concrets des décisions que le juge des référés enjoint à l'administration sur le critère de l'effet équivalent, le juge des référés ne pouvant prononcer des mesures équivalentes à celles qui résulteraient de l'intervention du juge du principal. La décision du 31 mai 2007 s'attache, ainsi, à la nature des mesures ordonnées en référé plus qu'à la position et au statut du juge des référés par rapport au juge du fond et l'on passe d'une approche institutionnelle ou juridictionnelle de son rôle à une approche concrète ou matérielle.

3) Le contenu des mesures provisoires pouvant être prises par le juge des référés

Il entre, notamment, dans les pouvoirs du juge des référés d'enjoindre à un préfet de restituer sous astreinte des passeports et cartes nationales d'identité retirés dans l'attente des suites données aux démarches entreprises par des personnes en vue d'établir leur nationalité française (11). Il peut également enjoindre de différer temporairement l'exécution d'une mesure d'éloignement d'un étranger (12) ou de lui restituer un titre de séjour (13) ou encore de délivrer un récépissé de demande d'asile territorial (14) ou de titre de séjour (15).

Il importe de relever que les mesures prononcées par le juge des référés n'ont pas toujours un caractère purement conservatoire : le juge du référé-liberté peut, par exemple, ordonner à un maire de convoquer le conseil municipal avant qu'un délai de 48 heures ne se soit écoulé à compter de la lecture de la décision du Conseil d'Etat, afin que ce conseil municipal délibère sur la question du remplacement éventuel des délégués de la commune siégeant à une communauté d'agglomération (CE, 5 mars 2001, n° 230045, M. et Mme Saez N° Lexbase : A2562AT3, au Recueil).

Des mesures positives peuvent être prononcées par le juge du référé-liberté. Le juge administratif a ainsi précisé les cas dans lesquels le juge des référés, qui a ordonné une suspension d'une décision ou d'un comportement administratif, pouvait prononcer d'autres mesures conservatoires, à caractère positif. Conformément à la décision "Ministre de l'emploi et de la solidarité contre Vedel" du 27 juillet 2001 (n° 232603 N° Lexbase : A5519AUX), deux hypothèses doivent être distinguées. Lorsque le juge des référés a prononcé la suspension d'une décision administrative de rejet, il peut, "de sa propre initiative", assortir la mesure de suspension "de l'indication des obligations positives qui en découleront pour l'administration". Il s'agit là de la transposition de la jurisprudence "Ouatah" du 20 décembre 2000 aux nouveaux référés administratifs (CE, 20 décembre 2000, n° 206745, M. Ouatah N° Lexbase : A2049AIQ). La formation collégiale a, ainsi, confirmé la position du juge des référés du Conseil d'Etat, qui considérait qu'il lui revenait d'assortir le prononcé de la suspension des décisions de rejet "de l'indication des obligations qui en découleront pour l'administration et qui pourront consister à réexaminer la demande dans un délai déterminé ou, le cas échéant, à prendre toute mesure conservatoire utile" (CE référé, 9 juillet 2001, n° 235696, M. et Mme Boc N° Lexbase : A4841AUT). Par exemple, après avoir prononcé la suspension d'une décision de rejet en tant qu'elle emportait cessation du versement au requérant de son traitement, le juge des référés a enjoint au ministre de l'Education nationale de "régulariser sans délai la situation financière [du requérant], dans les conditions fixées par la présente ordonnance" et de "transmettre sans délai [au requérant] les originaux de ses bulletins de salaire depuis le mois de mars 2000" (CE référé, 22 juin 2001, n° 234434, Creurer N° Lexbase : A5277B8X, publié aux Tables ; v. déjà, CE référé, 22 mai 2001, n° 232784, Mme Benazet N° Lexbase : A7159ATC, publié aux Tables).

Lorsque le juge des référés a prononcé la suspension d'une décision administrative à caractère exécutoire, il ne peut assortir cette suspension de l'indication d'obligations positives à la charge de l'administration que s'il est "saisi de conclusions en ce sens". Par suite, un juge des référés qui a assorti l'octroi de la suspension d'un arrêté préfectoral ordonnant la fermeture d'une maison de retraite d'une injonction faite à l'autorité préfectorale d'autoriser la société gérante à reprendre l'administration de cette maison statue ultra petita, dès lors qu'il "n'était pas saisi de conclusions tendant au prononcé de ces mesures" (CE, 27 juillet 2001, n° 234389, Ministre de l'Emploi et de la Solidarité N° Lexbase : A1255AWE).

B. L'absence d'autorité de la chose jugée des ordonnances de référé

La portée des décisions du juge administratif varie en fonction de la combinaison de deux critères. Le premier est relatif à l'autorité de la décision, c'est-à-dire à son aptitude à mettre fin à une instance en disant le droit : certaines possèdent l'autorité de la chose jugée, c'est-à-dire que leur prononcé entraîne le dessaisissement de la juridiction qui a rendu la décision et l'obligation pour les parties de s'y conformer (16) ; d'autres constituent de simples mesures d'administration de la justice et, par suite, sont dépourvues de l'autorité de la chose jugée, tels les jugements par lesquels, en application de l'article L. 113-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L2626ALT), un tribunal administratif saisit le Conseil d'Etat d'une question de droit nouvelle (17) ou les jugements avant dire droit qui peuvent être contestés malgré leur caractère définitif (18).

Le second critère est relatif au caractère de la décision : en droit administratif, la décision ayant autorité de la chose jugée et a fortiori la décision passée en force de chose jugée, c'est-à-dire qui n'est susceptible d'aucun recours suspensif d'exécution (NCPC, art. 500 N° Lexbase : L2744ADY), sont exécutoires en ce sens que les parties sont tenues de s'y conformer ; mais il se peut qu'une décision dépourvue de la chose jugée ait également un caractère exécutoire.

Tel est le cas des ordonnances de référé, lesquelles n'ont pas pour objet de trancher un litige mais n'en constituent pas moins des "décisions de justice" (19). En tant qu'elles ne lient pas la juridiction dont elles émanent, ces ordonnances sont dépourvues de l'autorité de la chose jugée, mais, en tant qu'elles confèrent provisoirement des droits et obligations aux parties, elles sont dotées de la force exécutoire.

1) L'autorité de la chose ordonnée et le juge des référés

L'absence d'autorité de la chose jugée des ordonnances de référé implique, notamment, que le juge de l'urgence n'est pas lié par sa première décision. L'article 488 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2728ADE) dispose que "l'ordonnance de référé n'a pas, au principal, l'autorité de la chose jugée". S'il n'existe pas de disposition textuelle identique dans le Code de justice administrative, le juge administratif a, de longue date, eu l'occasion d'indiquer que la règle applicable en droit privé processuel était transposable au droit du contentieux administratif. Sont ainsi dépourvus de l'autorité de la chose jugée tant les ordonnances de référé (20) que les jugements statuant sur des conclusions à fin de sursis (21). Le fondement de cette absence d'autorité de la chose jugée tient à la nature de l'acte juridictionnel pris par le juge des référés : la circonstance que les décisions de ce juge n'aient qu'un caractère "purement provisoire" (22) et qu'elles ne puissent "faire aucun préjudice au principal" (23) interdit de leur reconnaître la force qui s'attache aux décisions au fond, puisqu'elles ne mettent pas fin à une instance.

Dès lors que, selon l'article L. 511-1 du Code de justice administrative, "le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n'est pas saisi du principal", il ne faisait pas de doute que la jurisprudence relative à l'autorité des anciens référés et des jugements prononçant le sursis à l'exécution de décisions administratives persiste sous l'empire des référés issus de la loi du 30 juin 2000. Le caractère provisoire des ordonnances du juge du référé-suspension découle de ce que, comme l'indique le deuxième alinéa de l'article L. 521-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3057ALS), la suspension prend automatiquement fin lorsque le juge du fond s'est prononcé sur la demande d'annulation ou de réformation de la décision litigieuse. Pour les autres référés d'urgence, comme d'ailleurs pour certains référés dépourvus de la condition d'urgence, le caractère provisoire des mesures prescrites découle de ce que le juge des référés peut les modifier, sans condition de délai, s'il est fait état d'au moins une circonstance nouvelle.

L'absence d'autorité de la chose jugée en référé implique que le juge des référés peut modifier le sens d'une précédente ordonnance, selon deux voies différentes. En premier lieu, le demandeur peut, au titre d'une nouvelle instance et, donc, par une nouvelle saisine fondée sur l'article L. 521-1 ou l'article L. 521-2 du Code de justice administrative, réitérer une demande de suspension auprès du juge des référés qui l'avait une première fois refusée. Ce juge peut alors, sans méconnaître l'autorité de la chose jugée puisque la première ordonnance en est dépourvue (24), accorder la suspension re-demandée. En second lieu, le défendeur peut revenir vers le juge des référés, au titre de la première saisine, lorsqu'il a été fait droit à la demande de mesures provisoires. L'article 488 du Nouveau Code de procédure civile lie l'absence d'autorité de la chose jugée des ordonnances de référé à la possibilité, pour le juge des référés, de modifier ou de rapporter la première ordonnance en cas de circonstances nouvelles. Cette possibilité, qui traduit le caractère fondamentalement précaire des ordonnances de référé, est désormais inscrite à l'article L. 521-4 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3060ALW), aux termes duquel "saisi par toute personne intéressée, le juge des référés peut, à tout moment, au vu d'un élément nouveau, modifier les mesures qu'il avait ordonnées et y mettre fin". Le juge des référés peut, ainsi, revenir sur la suspension antérieurement prescrite : par exemple, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille, saisi sur le fondement de l'article L. 521-4 du Code de justice administrative a, au vu des éléments nouveaux produits par le demandeur -lequel n'avait pas été partie à l'audience dans l'instance de référé précédente-, mis fin à la suspension ordonnée le 22 août 2003 d'une décision d'un inspecteur du travail rejetant une demande de licenciement d'un salarié protégé (25).

2) L'autorité de la chose ordonnée et le juge du fond

Le juge du fond n'étant pas lié par le dispositif de l'ordonnance de référé, le principe d'impartialité ne fait pas obstacle à ce que le juge des référés participe à la formation collégiale qui aura à statuer sur la demande d'annulation ou de réparation. L'autorité de la chose jugée a pour effet qu'une décision d'annulation prononcée par le juge du fond s'impose à toutes les juridictions administratives. Par comparaison, l'autorité de la chose ordonnée ne peut avoir d'incidence sur l'office du juge du fond, lequel n'est pas lié par le dispositif de l'ordonnance de référé. Comme l'a relevé la Cour de justice des Communautés européennes, en s'inspirant des motifs retenus par le juge administratif (26), les mesures ordonnées en référé "ne préjugent pas les points de droit ou de fait en litige ni ne neutralisent par avance les conséquences de la décision à rendre ultérieurement au principal" (27).

Sous l'empire des anciennes dispositions applicables aux référés administratifs, il avait déjà été relevé que les mesures conservatoires que prend le juge des référés ne font "nul obstacle à ce que le juge chargé de trancher un litige principal en décide autrement" (28) ; et le Conseil d'Etat avait indiqué que la position qu'adopte un juge des référés "ne préjuge [...] pas sur le fond" (29), de sorte, par exemple, que le juge du fond avait pu à bon droit admettre la recevabilité d'une requête, alors même que le juge du sursis avait estimé que les décisions litigieuses ne pouvaient faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir (30). Il n'est désormais plus exceptionnel que le juge du fond rejette les moyens qui avaient conduit le juge des référés à concevoir un doute sérieux sur la légalité de la décision litigieuse : le juge des référés doit ainsi accepter comme normale la perspective d'un démenti, au terme d'une instruction approfondie, de la part du juge du principal. Ainsi, le Conseil d'Etat a, d'une part, estimé qu'un juge des référés avait pu retenir, à bon droit, que le moyen tiré de l'insuffisance des mesures de sécurité était de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté préfectoral litigieux, ce qui justifiait que son exécution soit suspendue, et cependant a, d'autre part, rejeté au fond la demande d'annulation de cet arrêté (31). Si, sur le plan procédural, l'octroi des mesures en référé doit inciter le juge du fond à se prononcer dans un bref délai afin de limiter les conséquences fâcheuses d'une suspension ou d'une injonction, il est, théoriquement, neutre s'agissant de l'office du juge du fond.

II. En octroyant au juge du référé-liberté la possibilité de prononcer des mesures définitives, le Conseil d'Etat consacre la place particulière de ce juge mais laisse planer une incertitude quant à l'extension de cette solution aux autres procédures de référés

A. Le Conseil d'Etat privilégie ainsi l'esprit du référé-liberté sur la lettre de l'article L 511-1 du Code de justice administrative

1) Une solution qui n'est pas sans précédent

Dans l'ordonnance "Ville de Lyon", le juge des référés, estimant que la ville avait violé deux libertés fondamentales (les libertés d'association et de réunion), a suspendu l'exécution de la décision implicite de rejet et enjoint au maire de louer la salle sollicitée ou une salle équivalente. Il faut cependant souligner que la solution dégagée par le Conseil d'Etat dans cette ordonnance n'est pas aussi innovante que l'on pourrait le penser au premier abord. En effet, on trouve dans la jurisprudence quelques cas dans lesquels la mesure prononcée, présentée comme provisoire, revêt en réalité un caractère définitif. Ainsi, le juge des référés du Conseil d'Etat a pu enjoindre à l'administration de lever les obstacles empêchant une société privée d'accéder à ses locaux (32) : l'on peut douter, ici, du caractère provisoire de cette mesure d'injonction. De même, dans une espèce assez proche de celle jugée par l'ordonnance "Ville de Lyon", puisque était également en cause la liberté de réunion qualifiée à cette occasion pour la première fois de liberté fondamentale, le juge des référés du Conseil d'Etat a pu enjoindre au maire d'une commune de ne pas faire obstacle, sauf circonstance de droit ou de fait nouvelle, à l'exécution du contrat de location d'une salle pour la tenue d'une réunion politique (33). Enfin, le juge des référés du Conseil avait déjà enjoint à l'administration de restituer ses documents d'identité au requérant, mesure qui nous paraît bien revêtir un caractère définitif (34).

2) Une solution fondée sur une approche finaliste du référé-liberté

Le juge des référés du tribunal administratif de Lyon ne s'était pas, en effet, contenté de suspendre la décision de refus ou encore d'enjoindre à la ville de réexaminer la demande de location dans un délai déterminé. Il avait, bien au contraire, fait droit à la demande d'injonction de location d'une salle municipale le 2 avril 2007. Le prononcé d'une telle mesure semblait contraire à la lettre des dispositions de l'article L. 511-1 du Code de justice administrative selon lesquelles "le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire". Ce principe, qui a pour corollaire l'absence d'autorité de chose jugée des décisions du juge des référés mais qui n'empêche évidemment pas que ces dernières soient exécutoires et obligatoires (35) semblait clairement condamner la solution du tribunal administratif de Lyon. Toutefois, le juge des référés du Conseil d'Etat s'est attaché à accorder un plein effet utile aux dispositions de l'article L. 521-2 du Code de justice administrative relatives au référé-liberté en cherchant à adapter sa solution au but de ces dispositions, c'est-à-dire à l'objectif de protection des libertés fondamentales. C'est donc cet objectif qui doit prévaloir sur la lettre des dispositions de l'article L. 511-1 qui imposent le prononcé de mesures provisoires. Ainsi que l'avait déjà indiqué la doctrine, "le référé est une procédure [...] qui permet à un juge [...] d'ordonner immédiatement [...] les mesures nécessaires. Or, la nécessité peut se satisfaire des mesures provisoires ; elle peut parfois exiger des mesures plus définitives".

En conséquence, lorsque aucune mesure provisoire ne suffit à faire disparaître les effets d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, que ce soit en raison des délais d'intervention du juge ou eu égard à la nature de l'atteinte (notamment lorsque, comme dans l'espèce "Ville de Lyon", l'atteinte résulte d'une interdiction aux effets limités dans le temps), le juge du référé liberté fondamentale peut prononcer des injonctions ne présentant pas un caractère provisoire, autrement dit présentant une forme de caractère définitif (même si l'article L. 521-4 du Code de justice administrative, qui permet au juge des référés de modifier les mesures qu'il avait ordonnées ou d'y mettre fin, demeure applicable). Une telle solution était probablement inévitable dès lors que le référé-liberté n'est pas en principe l'accessoire d'une action au principal : cette condition de caractère provisoire était inadaptée au référé-liberté qui constitue souvent bien davantage une action au fond menée en la forme des référés qu'une procédure d'urgence au sens strict (37). Une telle solution est d'ailleurs cohérente avec le fait qu'en vertu des dispositions de l'article L. 521-2 du Code de justice administrative, le juge du référé-liberté a la possibilité d'ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale, "toutes mesures" c'est-à-dire aussi bien des mesures provisoires que définitives.

B. Une incertitude subsiste quant à la possibilité pour les autres juges des référés de prononcer des mesures définitive

1) La décisions du Conseil d'Etat du 31 mai 2007 ne donne aucune indication sur la possibilité de prononcer des mesures définitives en ce qui concerne les autres types de référés

Rappelons qu'aux termes de cette décision, "il appartient au juge des référés, lorsqu'il est saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du Code de justice administrative et qu'il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, de prendre les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte", le Conseil d'Etat poursuivant en indiquant que "ces mesures doivent en principe présenter un caractère provisoire, sauf lorsque aucune mesure de cette nature n'est susceptible de sauvegarder l'exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte". L'on voit, donc, que la solution retenue, qui est certes prétorienne en ce qu'elle contredit la lettre des dispositions de l'article L. 511-1 du Code de justice administrative, ne vaut explicitement, et pour l'instant, que pour le seul juge des référés, ce qui peut s'expliquer, d'une part, par le fait que, contrairement à ce qu'il en est d'autres procédures de référé, son intervention n'est pas subordonnée à l'introduction d'une requête au fond et, d'autre part, par l'objectif particulier du référé-liberté qui est de prévenir ou de réparer toute atteinte à une liberté fondamentale. C'est donc bien, selon nous, parce que ce juge est le garant des libertés fondamentales qu'il est justifié de lui accorder des pouvoirs (prononcé de mesures définitives) dont les autres juges des référés ne disposent pas. C'est pourquoi nous ne partageons pas l'avis des chroniqueurs de l'AJDA qui estiment que le Conseil d'Etat a souhaité ne pas cantonner, par principe, la position adoptée au seul référé-liberté. En juger autrement reviendrait à vider de leur contenu les dispositions de l'article L. 511-1 du Code de justice administrative.

Ainsi, pour ne prendre que ce seul exemple, s'il est vrai que référé-suspension et référé-liberté peuvent être utilisés à des fins similaires (38), il n'en demeure pas moins que le second a un champ d'application matériel doublement plus large que le premier, tenant aux personnes visées et aux actes pouvant faire l'objet d'une demande de mesures provisoires sur le fondement de l'article L. 521-2 du code. D'une part, et conformément aux souhaits du Sénat qui avait adopté une modification rédactionnelle en ce sens, l'atteinte à une liberté fondamentale, au sens de l'article L. 521-2 du code, peut être causée non seulement par une personne morale de droit public, mais également par un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public. D'autre part, il peut être demandé au juge de l'injonction que des mesures provisoires soient prononcées, non seulement vis-à-vis d'actes de l'administration, mais aussi à l'encontre de comportements ou d'intentions de l'administration ou de personnes privées chargées de la gestion d'un service public. C'est pourquoi il semble légitime de n'accorder qu'au juge du référé-liberté la possibilité de prononcer des mesures définitives.

Au total, la spécificité du référé-liberté (délai de jugement de 48 heures, absence de nécessité de devoir appréhender et attaquer une décision administrative et étendue des pouvoirs (39) qui lui sont conférés par les dispositions de l'article L. 521-1 du Code de justice administrative) justifie la solution de l'ordonnance "Ville de Lyon", solution confirmée par la décision "Syndicat CFDT Interco 28".

2) Une extension des pouvoirs du juge du référé liberté qui doit être nuancée

Il faut souligner, en effet, qu'au moment même où le Conseil d'Etat autorisait le juge du référé-liberté à prononcer des mesures définitives et consacrait, donc, une extension considérable de ses pouvoirs, la CEDH indiquait que le référé-liberté ne pouvait être qualifié de "recours effectif" au sens des stipulations de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, ce dans la mesure où la saisine du juge du référé-liberté n'a pas d'effet suspensif de plein droit (40). Par ailleurs, nous l'avons vu, l'ordonnance du juge du référé-liberté, même si elle est assortie du prononcé de mesures définitives, n'est pas revêtue de l'autorité de la chose jugée.

Il faut, également, souligner que même s'il est désormais loisible au juge du référé-liberté, lorsque la nature de l'atteinte à la liberté fondamentale l'exige, de prononcer des mesures définitives, les dispositions de l'article L. 521-4 du Code de justice administrative permettront toujours à l'administration d'engager une action afin que ce juge réexamine le bien-fondé de sa position au regard d'éléments nouveaux postérieurs à la première ordonnance qu'il aura rendue. Dans ce cadre, et il s'agit là encore des conséquences de l'absence d'autorité de la chose jugée, le juge du référé-liberté pourra revenir sur les mesures "définitives" qu'il aura prononcées. De même, il ne faut pas exclure que le juge du fond soit saisi d'une demande similaire à celle présentée devant le juge du référé-liberté et qu'il décide de revenir sur les mesures définitives que ce juge aura prononcées avant lui. C'est dire, si l'on ose ce paradoxe, que les mesures définitives prononcées par le juge du référé-liberté ne sont pas définitivement définitives.


(1) CE référé, 30 mars 2007, n° 304053, Ville de Lyon : AJDA 2007 p. 719 ; AJDA 25 juin 2007, note Damarey.
(2) CE 31 mai 2007, n° 298293, Syndicat CFDT Interco 28 : AJDA 2007 p. 1237, chronique Lenica et Boucher.
(3) D. Labetoulle, Le projet de réforme des procédures d'urgence devant le juge administratif, AJDA 1999, n° spécial, p. 80.
(4) Droit du contentieux administratif, Montchrestien, § 1591.
(5) V. par ex., le juge du référé-liberté rejetant les conclusions à fin d'annulation d'une décision administrative : CE réf., 1er mars 2001, n° 230794, Paturel (N° Lexbase : A2699AT7) (demande d'injonction au ministre de l'Intérieur, après sa décision de refus de communiquer le dossier concernant une personne détenue par le service des renseignements généraux, de procéder à cette communication) ; TA Cergy-Pontoise référé, 21 juin 2001, n° 0102740, A. Meyet. Dans le même sens, s'agissant d'une demande d'annulation d'une décision administrative formée auprès du juge du référé-suspension : TA Strasbourg référé, 21 mars 2001, n° 011243, J. Maréchal.
(6) En ce sens, pour le référé-liberté : CE référé, 10 avril 2001, n° 232308, N. Merzouk (N° Lexbase : A3645AT8) (demande d'injonction à l'administration de délivrer à un ressortissant algérien un certificat de résidence d'un an après le refus du préfet de faire droit à sa demande de titre de séjour) et CE référé, 9 juillet 2001, n° 235696, M. et Mme Boc, (N° Lexbase : A4841AUT). Et pour le référé-suspension, TA Bordeaux référé, 11 juillet 2001, n° 0101952, M. Loustalot-Barbe.
(7) CE référé, 26 septembre 2001, Westerloppe à propos de l'injonction faite au maire de démolir un bâtiment alors que les conditions légales d'une telle destruction ne sont pas remplies.
(8) TA Grenoble, 7 février 2001, Bienvenu.
(9) Cf. CE 28 février 2001, n° 229163, Casanovas (N° Lexbase : A0825ATQ) : RFDA 2001, p. 399, conclusions Fombeur et CE 9 juillet 2001, n° 235638, Préfet du Loiret (N° Lexbase : A4838AUQ) : JCP éd. A, 18 juillet 2001, act. p. 1413, à propos du refus de suspendre un arrêté municipal "couvre-feu" restreignant la liberté de circulation des mineurs.
(10) CE référé, 24 février 2001, n° 230611, Jean Tibéri (N° Lexbase : A2604ATM), publié au Recueil p. 85 : RFDA 2001 p. 629 note Maligner qui qualifie le juge du référé-liberté de "juge qui administre'" ; Dalloz 2001, p. 1748, note Ghevontian.
(11) CE référé, 2 avril 2001, n° 231965, Ministre de l'Intérieur c/ Consorts Marcel (N° Lexbase : A2605ATN), publié au Recueil p. 167 : DA 2001 n° 155 ; RFDA 2001 p. 767.
(12) CE référé, 10 avril 2001, n° 232308, N. Merzouk, précité.
(13) CE référé, 8 novembre 2001, n° 239734, Kaigisiz, publié au Recueil (N° Lexbase : A7363AYD).
(14) CE référé, 12 novembre 2001, n° 239792, Ministre de l'Intérieur c/ Farhoud (N° Lexbase : A7368AYK), mentionné aux Tables.
(15) CE référé, 12 novembre 2001, n° 239794, Ministre de l'intérieur c./ Mlle Bechar (N° Lexbase : A7369AYL).
(16) CE 4 mars 1898, Ferry, publié au Recueil p. 178.
(17) CE 7 juillet 2000, n° 199324, Clinique chirurgicale du Coudon (N° Lexbase : A9415AGS), publié au Recueil p. 313.
(18) CE 9 décembre 1991, n° 69544, Buchalet (N° Lexbase : A9153AQ3), mentionné aux Tables p. 1138 (solution implicite).
(19) CE, référé, 30 juin 2003, n° 257914, Lecomte (N° Lexbase : A2255C9E) (à propos d'une précédente ordonnance de référé-liberté infligeant au requérant une amende pour recours abusif).
(20) CE Section, 3 octobre 1958, n° 37051, Société des autocars garonnais, publié au Recueil p. 468 et CE, 14 novembre 1997, n° 165540, Communauté urbaine de Lyon (N° Lexbase : A5135ASY) : AJDA 1998, pp. 60-62, conclusions Arrighi de Casanova ; JCP éd. G 1998, IV, p. 258, n° 1291, note M.-C. Rouault.
(21) CE Section 9 décembre 1983, n° 30665 (N° Lexbase : A0842AM7) et 30763 (N° Lexbase : A0843AM8), Ville de Paris et autre, publié au Recueil pp. 499-504, conclusions Genevois.
(22) CE Section 28 février 1958, Société financière et industrielle des pétroles, publié au Recueil p. 133.
(23) CE Section 3 octobre 1958, n° 37051, Société des autocars garonnais, publié au Recueil p. 468.
(24) L'autorité de la chose jugée implique, notamment, que "la partie qui a succombé ne peut plus engager une nouvelle instance pour obtenir, d'une manière directe ou indirecte, ce qui lui a été refusé par un premier jugement" : J. Karila de Van, Chose jugée, Rép. civ. Dalloz, 1996, § 1.
(25) TA Marseille, référé, 27 novembre 2003, n° 03-8134, Sanchis.
(26) CE Assemblée 2 juillet 1982, n° 25288, Huglo et autres (N° Lexbase : A1806ALH), publié au Recueil p. 257 : une décision prononçant un sursis à l'exécution "ne préjuge aucune question de droit ou de fait et n'intervient qu'à titre provisoire".
(27) CJCE, 19 juillet 1995, aff. C-149/95, Commission c/ Atlantic Container Line (N° Lexbase : A1838AWY), publié au Recueil I p. 2165 (point 22).
(28) Conclusions Arrighi de Casanova sous CE, 14 novembre 1997, Communauté urbaine de Lyon, préc.
(29) CE, 11 février 1977, n° 97407, Groupe des industries métallurgiques de la région parisienne (N° Lexbase : A7803B77) : Droit social 1978, pp. 39-51, conclusions Gentot.
(30) CE Section, 9 décembre 1983, Ville de Paris, précité.
(31) CE Section 11 juillet 2001, n° 231692, Société Trans-Ethylène (N° Lexbase : A5510AUM): Environnement 2002, comm. 29, note P.-J. Baralle et CE, 24 octobre 2001, n° 22843, Commune de Marennes (N° Lexbase : A1660AXR) : Environnement 2002, comm. 56, note D. Deharbe. Pour un commentaire conjoint de ces deux décisions : DA 2002, comm. 38, note C. Maugüé.
(32) CE référé, 31 mai 2001, n° 234226, Commune de Hyères-les-Palmiers (N° Lexbase : A7170ATQ), publié au Recueil p. 253.
(33) CE référé, 19 août 2002, n° 249666, Front national et Institut de formation des élus locaux (N° Lexbase : A2256AZL), publié au Recueil p. 311 : AJDA 2002, p. 1017, note X. Braud.
(34) CE référé, 2 avril 2001, n° 231965, Ministre de l'Intérieur c/ Marcel, préc. : DA 2001 n° 155.
(35) CE Section 5 novembre 2003, n° 258777, Association protection des animaux sauvages et association "Convention vie et nature pour une écologie radicale" (N° Lexbase : A1061DAK), publié au Recueil p. 440 : conclusions Lamy ; DA 2004, comm. 15 et 34, note M. V. ; RD rur. 2004, p. 32, obs. M. Gautier ; AJDA 2003, p. 2253, chron. F. Donnat et D. Casas.
(36) B. Plessix, Le caractère provisoire des mesures prononcées en référé, RFDA 2007 p. 76.
(37) J. Gourdou et A. Bourrel, Les référés d'urgence devant le juge administratif, L'Harmattan, 2003, p. 86-87.
(38) En effet, dans la mesure où un requérant peut demander au juge qu'il "ordonne toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale", il peut aussi se borner à demander une simple suspension d'une décision administrative, en application de l'adage "Qui peut le plus peut le moins". Et le simple fait d'être en présence d'une éventuelle atteinte à une liberté fondamentale ne contraint pas le requérant à user du référé liberté.
(39) Pouvoirs de suspension de la décision attaquée mais aussi possibilité d'ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale.
(40) CEDH, 26 avril 2007, req. 25389/5, G. c/ France (N° Lexbase : A9539DUT).

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Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Le sort des accords de prévoyance non agréés dans les établissements sociaux et médico-sociaux

Réf. : Cass. soc., 25 juin 2007, n° 06-40.601, Association Hospitalière Sainte-Marie, F-D (N° Lexbase : A9498DWP)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010


Les institutions sociales ou médico-sociales sont soumises, depuis 1975, à un régime particulier qui impose l'agrément des accords collectifs conclus en leur sein (1). La Cour de cassation rappelle, dans un arrêt inédit en date du 25 juin 2007, qu'à défaut d'agrément, cet accord ne vaut que comme engagement unilatéral de l'employeur, même lorsqu'il concerne un régime de retraite surcomplémentaire (2).



Résumé

Faute d'avoir été soumis à l'agrément du ministre compétent, les avenants ne pouvaient avoir l'effet d'accords collectifs et valaient, à l'égard des salariés, comme engagements unilatéraux de l'employeur. Ces engagements n'ayant pas été dénoncés dans des délais suffisants pour permettre des négociations, le régime de retraite "chapeau" doit se poursuivre aux conditions antérieures.

1. Le triple régime applicable aux accords de prévoyance dans les établissements sociaux et médico-sociaux

  • Sort des accords non agréés dans les institutions sociales et médico-sociales

L'article 16 modifié de la loi n° 75-535 du 30 juin 1975, relative aux institutions sociales et médico-sociales (N° Lexbase : L6769AGS), dispose que "les conventions collectives de travail, conventions d'entreprise ou d'établissement et accords de retraite applicables aux salariés des établissements ou services à caractère social ou sanitaire à but non lucratif dont les dépenses de fonctionnement sont, en vertu de dispositions législatives ou réglementaires, supportées, en tout ou partie, directement ou indirectement, soit par des personnes morales de droit public, soit par des organismes de Sécurité sociale, ne prennent effet qu'après agrément donné par le ministre compétent après avis d'une commission où sont représentés des élus locaux et dans les conditions fixées par voie réglementaire. Ces conventions ou accords s'imposent aux autorités compétentes pour fixer la tarification".

Le texte ne prévoit pas de manière très explicite la sanction qui s'attache au défaut d'agrément de l'accord et se contente d'indiquer que celui-ci ne "prend effet" qu'après l'agrément. Cette formule interdit-elle de considérer que l'accord collectif puisse produire le moindre effet, sous quelque qualification que ce soit, ou qu'il ne puisse produire les effets d'un accord collectif, ou simplement que l'accord reste valable comme accord collectif mais qu'il n'est pas opposable aux pouvoirs publics ?

  • L'affaire

C'est à cette délicate question que répond la Cour de cassation dans cet arrêt inédit en date du 25 juin 2007.

Dans cette affaire, il ne s'agissait pas d'un accord ordinaire mais d'un accord relatif à un régime de protection sociale complémentaire d'entreprise, dont on sait qu'il se trouve soumis aux règles du Code du travail et aux dispositions spécifiques des articles L. 911-1 et suivants du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L2615HIP). Or, si l'accord mettant en place le régime des retraites surcomplémentaires "chapeau" avait bien été agréé, les avenants conclus postérieurement ne l'avaient pas été, singulièrement le dernier d'entre eux, censé mettre un terme au régime litigieux. L'employeur avait donc fait comme si ces accords se substituaient valablement les uns aux autres et avait ainsi mis un terme au régime de la retraite surcomplémentaire, au grand dam des salariés qui prétendaient en réclamer le bénéfice.

La cour d'appel d'Aix-en-Provence avait considéré que les accords non agréés ne pouvaient recevoir la qualification d'accord collectif, à défaut d'agrément, et considéré qu'il convenait de les analyser comme des engagements unilatéraux de l'employeur, même s'ils avaient été conclus conformément aux règles de droit commun présentes dans le Code du travail. Dès lors, ces engagements unilatéraux de l'employeur ne pouvaient cesser de produire effet tant qu'une dénonciation, en bonne et due forme, n'avait pas été réalisée par l'employeur et qu'un délai de préavis suffisant n'avait pas été respecté afin de favoriser une nouvelle négociation. Constatant, enfin, que le dernier "accord" non agréé, qui supprimait le régime litigieux, n'avait pas été précédé de la dénonciation des "avenants" antérieurs, la cour avait considéré que la suppression du régime de retraite surcomplémentaire n'était pas valablement intervenue et que les salariés pouvaient en réclamer le bénéfice.

L'employeur contestait, bien entendu, ces conclusions et considérait que les accords relatifs aux régimes de retraite surcomplémentaire, bien que non agréés, devaient recevoir la qualification d'accords collectifs de droit commun dès lors qu'ils avaient été conclus conformément aux prescriptions du Code du travail. L'objectif était ici, bien entendu, de considérer que l'accord mettant en place le régime de la retraite chapeau avait valablement été dénoncé par le dernier accord d'entreprise.

Tel n'est pas l'avis de la Cour de cassation qui rejette le pourvoi et donne raison à la cour d'appel d'Aix-en-Provence.

2. La qualification d'engagement unilatéral et ses conséquences pour l'employeur

  • Une solution fondée juridiquement

Sur un plan strictement juridique, la solution n'est guère contestable. Les accords relatifs à la protection sociale complémentaire sont des accords collectifs de type particulier. Pour être soumis aux dispositions propres au Code de la Sécurité sociale, ils doivent, par conséquent, valoir comme accords collectifs de droit commun. Il est donc logique de considérer qu'à défaut d'agrément, les avenants successifs conclus dans cette entreprise ne pouvaient recevoir la qualification d'accords collectifs "typiques" et qu'ils constituaient, par conséquent, des engagements unilatéraux de l'employeur. Or, la Cour de cassation a considéré que ces engagements unilatéraux, qui constituent des sources non conventionnelles autonomes, ne sont pas soumis aux dispositions de l'article 16 de la loi du 30 juin 1975 et qu'ils peuvent donc valablement être invoqués par les salariés en l'absence de tout agrément ministériel.

Cette solution est parfaitement justifiée au regard même de la lettre de l'article 16 de la loi du 30 juin 1975. Ce texte dispose, en effet, que "les conventions [...] ne prennent effet qu'après agrément". L'absence d'agrément les prive d'effet purement et simplement, sans que la loi ne précise d'ailleurs si cette privation vaut uniquement pour le ministère ou si elle concerne tous les tiers à l'accord. A défaut de distinction au sein du texte, il n'appartient pas au juge d'introduire dans l'application du texte une condition supplémentaire, et il convient donc de considérer que l'accord est également privé d'effet à l'égard des salariés de l'entreprise. Reste que la "transformation" de l'accord en engagement unilatéral apparaît comme un tour de passe-passe dans la mesure où elle aboutit à faire produire en partie effet à l'accord, les salariés ne pouvant toutefois pas être obligés en application de cet engagement.

  • Le refus d'"autonomiser" les accords relatifs à la protection sociale complémentaire d'entreprise

Le demandeur prétendait, en réalité, "autonomiser" les accords relatifs à la protection sociale complémentaire en les soumettant exclusivement aux dispositions du Code de la Sécurité sociale, à l'exception donc des dispositions propres aux institutions sociales et médico-sociales. Or, rien n'indique que les accords relatifs à la protection complémentaire devraient constituer une catégorie juridique d'accords collectifs à part, dérogeant au régime de l'agrément ministériel.

Ce régime d'agrément ministériel trouve d'ailleurs, ici, parfaitement sa raison d'être. Cette tutelle s'explique, en effet, par l'origine "publique" des fonds et la nécessité que l'autorité publique s'assure que l'entreprise ne s'expose pas à des charges, ou à des risques, trop importants. Or, les accords de prévoyance font peser sur les entreprises des passifs sociaux considérables que ces fonds publics devraient, le cas échéant, couvrir ; il est, par conséquent, parfaitement logique que l'agrément ministériel soit exigé, y compris pour ce type d'accords.

  • L'analyse de la succession d'engagements unilatéraux

Reste l'épineuse question de l'analyse de la situation résultant de la succession d'accords/engagements ayant le même objet.

On sait, s'agissant des accords collectifs, qu'un nouvel accord se substitue à un ancien soit lorsqu'il est révisé, dans les conditions de l'article L. 132-7 du Code du travail (N° Lexbase : L4696DZX), soit lorsqu'il est dénoncé, ou mis en cause, et qu'un accord de substitution est conclu dans les 12 mois suivant l'expiration du préavis de 3 mois, conformément aux dispositions de l'article L. 132-8 du Code du travail (N° Lexbase : L5688ACN).

Dans cette affaire, le demandeur prétendait faire application de ce principe de substitution aux engagements unilatéraux de l'employeur en utilisant un argument analogique. Dès lors, l'employeur pourrait valablement prendre un nouvel engagement qui se substituerait de plein droit à l'ancien, sans être contraint de passer par la procédure de la dénonciation, comme le nouvel accord révisé de substitue à l'accord qu'il révise dans les conditions de l'article L. 132-7 du Code du travail.

Or, l'analogie entre le régime des accords d'entreprise et les engagements unilatéraux de l'employeur est trompeuse. La Cour de cassation a, d'ailleurs, eu l'occasion, dernièrement, de considérer qu'en cas de modification dans la situation juridique de l'employeur, les engagements unilatéraux et les usages n'étaient pas mis en cause, contrairement aux accords d'entreprise, par le transfert, mais qu'ils continuaient d'être opposables, par les salariés transférés, au nouvel employeur, tant que ce dernier ne les a pas valablement dénoncés.

Cette fois-ci, c'est donc l'analogie avec la procédure de révision de l'article L. 132-7 du Code du travail qui se trouve bannie, puisque la Cour de cassation confirme, suivant en cela l'analyse de la cour d'appel, que le dernier accord/engagement ne s'était pas substitué aux précédents. Bref, l'employeur qui souhaite prendre un nouvel engagement doit, tout d'abord, dénoncer le précédent, chercher à négocier un nouvel accord et, une fois le précédent engagement dénoncé, en prendre un nouveau.

Cette analyse est judicieuse dans la mesure où les engagements unilatéraux de l'employeur ne sont qu'une source subsidiaire. Considérer qu'un nouvel engagement pourrait ipso jure se substituer au précédent priverait les salariés de tout préavis, et de toute information, ce qui n'est guère souhaitable.


(1) En ce sens, Cass. soc., 4 janvier 2000, n° 98-41.100, Association Union des oeuvres réunionnaises c/ Mme Delphine et autres, publié (N° Lexbase : A5564AWY) ; Bull. civ. V, n° 5 : "si, à défaut d'agrément, le protocole d'accord du 28 mai 1974 est inopposable, en application de l'article 16 de la loi n° 75-735 du 30 juin 1975, aux personnes morales de droit public et aux organismes de Sécurité sociale qui assurent le financement de l'établissement, les salariés peuvent en réclamer le bénéfice à leur employeur en tant qu'engagement unilatéral" ; Cass. soc., 26 octobre 2005, n° 03-45.781, Association hospitalière Sainte-Marie c/ M. Jean-Michel Nelva, FP-D (N° Lexbase : A1493DLU) : "faute d'avoir été soumis à l'agrément du ministre compétent, les avenants en litige ne pouvaient prendre effet comme accords collectifs de travail" ; Cass. soc., 11 octobre 2006, n° 05-44.855, Association cherbourgeoise d'action institutionnelle sanitaire et sociale (ACAIS), F-D (N° Lexbase : A7893DRR). Dans un premier temps, la Cour de cassation avait considéré que l'application constante de l'accord créait au bénéfice des salariés un usage : Cass. soc., 25 janvier 1994, n° 90-42.571, M. Christophe Roux et autres c/ Association 'La Source', inédit (N° Lexbase : A8849CZR).
(2) Cass. soc., 26 avril 2006, n° 05-42.642, Association cherbourgeoise d'action institutionnelle sanitaire et sociale c/ Mme Chantal Cretois, F-D (N° Lexbase : A2194DPX) ; Cass. soc., 26 avril 2006, n° 05-43.362, Association cherbourgeoise d'action institutionnelle sanitaire et social (ACAIS) c/ Mme Sylvie Grillat, F-D (N° Lexbase : A2202DPA) ; Cass. soc., 11 octobre 2006, n° 05-44.855, Association cherbourgeoise d'action institutionnelle sanitaire et sociale (ACAIS), F-D (N° Lexbase : A7893DRR) ; Cass. soc., 11 octobre 2006, n° 05-44.880, Association cherbourgeoise d'action institutionnelle sanitaire et sociale (ACAIS), F-D (N° Lexbase : A7894DRS).
(3) Cass. soc., 7 décembre 2005, n° 04-44.594, Société Foster Wheeler France c/ M. Pierre Zaviopoulos, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8958DLD) ; lire nos obs., L'effet relatif des usages et engagements unilatéraux transférés au nouvel employeur, Lexbase Hebdo n° 194 du 14 décembre 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N1904AKQ).
Décision

Cass. soc., 25 juin 2007, n° 06-40.601, Association Hospitalière Sainte-Marie, F-D (N° Lexbase : A9498DWP)

Rejet (CA Aix-en-Provence, 17ème chambre, 28 novembre 2005)

Textes concernés : article 16 de la loi n° 75-535 du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales (N° Lexbase : L6769AGS)

Mots-clefs : institutions sociales ou médico-sociales ; accord de prévoyance ; défaut d'agrément ; engagement unilatéral ; substitution ; dénonciation.

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Assurances

[Chronique] Chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférence

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Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur de droit privé, Membre de l'IRDP de la Faculté de droit de Nantes, en collaboration avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes, Membre de l'IRDP (institut de recherche en droit privé). Au sommaire de cette chronique, seront abordées la libre prestation de service en assurance et la défense de la nature consensuelle du contrat d'assurance. I - La libre prestation de service en assurance à l'épreuve de la réalité : Cass. civ. 2, 14 juin 2007, n° 05-21.166, Société Generali Lloyd, FS-P+B (N° Lexbase : A7845DWH)

Les banques françaises sont-elles les seules à proposer des contrats d'assurance à leurs clients emprunteurs afin de garantir le prêt consenti ? L'arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 14 juin 2007 démontre que tel n'est pas le cas, bien au contraire. Le phénomène existe, notamment, en Allemagne, puisque telle fut la démarche adoptée par un couple résidant en France. Mais l'intérêt de cet arrêt dépasse largement ce seul constat connu depuis un moment. Outre qu'il met en oeuvre un cas de nullité du contrat d'assurance demandé par les assurés eux-mêmes, ce qui est rarissime, il rappelle les règles issues des Directives européennes ayant institué la libre prestation de service, ce qui n'est guère plus fréquent.

A l'occasion, l'arrêt du 14 juin 2007 atteste aussi -s'il était encore nécessaire- du réflexe quasi systématique de la part des assurés d'arguer de l'absence d'information sur tel ou tel aspect du contrat. Enfin, l'arrêt reprend aussi la définition du contrat d'assurance vie, énoncée dans les arrêts de la Chambre mixte de la Cour de cassation du 23 novembre 2004 (Cass. mixte, 23 novembre 2004, n° 03-13.673 N° Lexbase : A0919DER ; n° 01-13.592 N° Lexbase : A0225DE3 ; n° 02-11.352 N° Lexbase : A0235DEG ; et n° 02-17.507 N° Lexbase : A0265DEK). Mais, pour ces deux derniers aspects, l'apport n'est pas nouveau, ni surprenant.

En l'espèce, en 1991, des époux résidant en France décident de signer une offre de prêt, par l'intermédiaire d'une société de courtage, auprès d'une banque allemande, la Commerz Credit Bank, devenue la Commerzbank Lloyd. Dans le même temps, ils souscrivent une assurance vie auprès de la société Deutscher Lloyd, aux droits de laquelle est venue la société Generali Lloyd, assureur. Dès 1994, ils cessent les remboursements et assignent la banque et l'assureur, devant le tribunal de grande instance, afin de voir prononcées la déchéance du droit aux intérêts et, subsidiairement, la nullité du contrat d'assurance, mettant en cause la responsabilité des trois protagonistes à l'opération pour manquement à leur obligation d'information et de conseil. Leurs requêtes, globalement accueillies par la cour d'appel, le sont aussi par la Cour de cassation mais pour un autre motif.

De prime abord, la demande de nullité d'un contrat d'assurance par les assurés eux-mêmes étant d'ordinaire exceptionnelle, l'affaire surprend, pour employer un euphémisme. Il est bien plus fréquent qu'une telle requête émane de l'assureur ayant constaté les manquements de la part des assurés à leurs obligations contractuelles fondamentales. Mais l'examen plus approfondi de cette affaire, comme le sens de la décision de la Cour de cassation, accrédite la démarche entreprise par les époux résidant en France et ayant contracté en Allemagne.

Le fond de l'affaire apparaît à la lecture des arguments du pourvoi qui permet de comprendre que ne furent pas respectées les exigences imposées par le législateur pour la mise en oeuvre de la libre prestation de service en assurance vie, notamment, celle supposant l'obtention d'un agrément pour exercer dans un pays étranger. En d'autres termes, dans le cas présent, l'assureur allemand n'avait pas sollicité d'agrément en assurance vie pour pratiquer cette activité d'assurance en France.

La libération des prestations de services en matière d'assurances vie résulte d'abord d'un arrêt fondamental de la Cour de justice des Communautés européennes en date du 4 décembre 1986 (1).

Pour mémoire, l'expression "libre prestation de services" a pu être définie comme l'opération par laquelle une entreprise d'un Etat membre de l'espace économique européen couvre, ou prend à partir de son siège social ou d'une succursale située dans un Etat partie à l'accord sur l'espace économique européen, un risque ou un engagement situé dans un autre de ces Etats, lui-même désigné comme Etat de libre prestation de services (2). La libre prestation de service a été créée par des Directives européennes afin de faciliter le commerce de l'assurance par delà les frontières des pays de l'Union européenne (3). Or, pour qu'une telle faculté soit accordée aux assureurs, encore convenait-il de prendre des précautions.

Chacun sait que l'activité d'assurance est très réglementée sur le plan comptable et financier : l'ensemble de ces dispositions constitue ce que l'on appelle les règles prudentielles. En effet, il faut que les assurés, souffrant en principe déjà des conséquences dommageables de la survenance du risque, n'aient pas, de surcroît, à pâtir des difficultés ou insuffisances financières de l'assureur.

C'est ainsi que l'article L. 310-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L0312AAS), issu de la loi n° 94-5 du 4 janvier 1994, modifiant le Code des assurances (N° Lexbase : L8227HXY), plante d'entrée le décor : "Le contrôle de l'Etat s'exerce dans l'intérêt des assurés, souscripteurs et bénéficiaires de contrats d'assurance et de capitalisation" (4). Des garanties bien supérieures à celles demandées à une entreprise ordinaire sont exigées pour les entreprises d'assurance, comme d'ailleurs les mutuelles, puisque l'article L. 510-1 du Code de la mutualité (N° Lexbase : L9006HEB), né de la loi n° 2003-706 du 1er août 2003 (N° Lexbase : L3556BLB), énonce la même règle, sous une autre formulation (5). Mais surtout, un agrément doit avoir été sollicité et obtenu, pour chaque branche d'assurance que l'entreprise veut développer, conformément à l'article L. 321-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L7554GYG) (6). En d'autres termes, une entreprise d'assurance doit solliciter autant d'agréments qu'elle veut exercer dans un domaine de l'assurance et, particulièrement un agrément pour chaque branche lorsqu'elle veut travailler dans un pays étranger. En effet, le Code des assurances français indique bien, dans l'article L. 310-2 (N° Lexbase : L3006HI8), que ces opérations peuvent être pratiquées par des entreprises étrangères, c'est-à-dire n'ayant pas leur siège social en France mais dans un Etat partie de la Communauté européenne, à la condition qu'elles aient été agréées pour pratiquer la branche d'assurance à laquelle se rattache le contrat concerné, en l'espèce la branche d'assurance vie.

Une approbation totale de cette décision ne peut donc qu'être émise et la solution était assez prévisible. Néanmoins, le pourvoi essayait de démontrer que le risque n'était pas situé à l'étranger par rapport à sa société, c'est-à-dire en France, mais en Allemagne, lieu de son siège social où, là, il avait obtenu un agrément pour exercer en assurance vie. L'argument n'était pas tout à fait astucieux ; en tous les cas, il ne pouvait pas résister à la réalité que rappelle la Cour de cassation. Dans une assurance vie, le risque ne peut que reposer sur une personne physique ; or, celle-ci résidait en France et non en Allemagne. Le risque était donc bien situé à l'étranger pour un assureur allemand.

L'hésitation peut, certes, se comprendre en raison du fait que les banquiers font de ces assurances vie une garantie du prêt consenti. Mais, ladite garantie ne doit pas être confondue avec une sûreté réelle. Le contrat d'assurance vie est encore moins une assurance caution, garantissant une créance. C'est la raison pour laquelle la Cour de cassation rappelle la définition du contrat d'assurance retenu désormais par les tribunaux, depuis les quatre arrêts en Chambres réunies du 23 novembre 2004. Pourtant, soit dit en passant, rarement des arrêts, surtout rendus en Chambre mixte, auront suscité autant de réserves, pour ne pas dire de désapprobation (7), car les arguments tentant à démontrer que cette définition est insuffisante sont légion (8). Il suffit ainsi de rappeler que c'est exactement cette définition qui a toujours été retenue pour définir le contrat de rente viagère, qui, s'il est un contrat aléatoire comme le contrat d'assurance, ne peut en aucun cas être assimilé à ce dernier. Mais peu importe, les enjeux financiers étaient tels que la Cour de cassation ne pouvait pas adopter une autre position. L'important, qui n'a pas changé avec les arrêts du 23 novembre 2004, est que le risque demeure -selon cette formule peu élaborée, mais claire- sur "la tête d'une personne". Celui-ci est donc situé là où habite, de manière régulière, cet individu. La solution était inévitable.

Au-delà de ces précisions, une dernière remarque peut être effectuée. En réunissant les deux premiers moyens, la Cour de cassation ne revient guère sur la critique tenant à l'absence d'information effectuée par l'organisme bancaire, c'est-à-dire le souscripteur d'une assurance de groupe. Mais, en retenant la nullité du contrat pour absence de respect de la loi en quelque sorte, elle dépasse la sanction habituellement attachée à ce manquement. Ce qui retient l'attention, c'est le caractère de plus en plus systématique, de la part des assurés, de l'appel à la notion de manquement à l'obligation d'information sous toutes ses formes, dans tous les aspects de la relation contractuelle, y compris lorsque la difficulté n'est pas réellement celle-là. La Cour de cassation a donc eu raison de statuer dans les termes qu'elle a retenus.

Véronique Nicolas
Professeur de droit privé
Membre de l'IRDP de la Faculté de droit de Nantes

II - La défense de la nature consensuelle du contrat d'assurance : Cass. civ. 2, 14 juin 2007, n° 06-15.955, Syndicat des copropriétaires du 40 rue de Bellechasse et du 1 rue Las Cases 75007 Paris, agissant par son syndic, la société anonyme VIP, exploitant sous l'enseigne Josiane Gaude, F-P+B (N° Lexbase : A7969DW3)

La formation graduelle du contrat d'assurance, faite d'échanges de multiples documents, visés dans le Code des assurances sous diverses appellations (9), engendre, ce qui ne surprendra guère, un vif contentieux qui affecte, par prolongement, la modification du contrat. Dans un déroulement ordinaire, la formation emprunte d'abord une phase "d'information préalable réciproque" (10), articulée autour d'une fiche d'information sur les prix et les garanties fournie par l'assureur et d'une proposition d'assurance émanant du "candidat à l'assurance" qui formule à l'assureur cette offre en répondant au questionnaire que ce dernier lui a préalablement remis. Vient, ensuite, la phase d'échange des consentements et, normalement, de signatures réciproques. Toutefois, l'assureur (ou l'intermédiaire le représentant) délivre souvent, avant tout envoi d'une police d'assurance, une note de couverture, document temporaire qui l'engage dès cet instant. L'envoi de cette police d'assurance, signée par l'assureur, aux fins de signature par le souscripteur, n'en demeure pas moins important, tant pour la constatation de l'existence du contrat d'assurance que pour en prouver le contenu (cf. conditions générales et particulières).

Lorsque, comme en l'espèce, l'assuré prétendu ne peut produire de police d'assurance signée par toutes les parties en bonne et due forme, doit-on en conclure, comme les juges d'appel dans l'affaire examinée, qu'"il n'est pas justifié que ce contrat ait jamais été effectivement conclu" et faire succomber l'assuré sur l'autel du droit de la preuve ? La censure indique, au contraire, que la Cour de cassation n'a pas souhaité se départir d'une ligne jurisprudentielle classique. Ce classicisme de l'arrêt examiné n'en diminue pas la portée car il est des tentatives pour, tantôt remettre en cause le caractère consensuel du contrat d'assurance, tantôt l'aménager.

Pour régler les hésitations sur le moment de formation du contrat et, en amont, sur sa formation même, la Cour de cassation a, sur le fondement des articles L. 112-2 et L. 112-3 du Code des assurances, dégagé une jurisprudence assise sur deux grands principes corrélatifs : celui du caractère consensuel du contrat d'assurance (11), duquel résulte celui qui tient l'exigence d'un écrit, expressément consignée à l'alinéa 1er de l'article précité, pour une simple exigence probatoire et non ad validitatem.

Du principe du consensualisme, il résulte que le contrat est valablement formé dès l'échange des consentements. La question se déplace, ensuite, sur le terrain de la preuve, car il incombe à celui qui saisit le juge (souvent l'assuré comme en l'espèce) de rapporter la preuve du moment de cette rencontre des volontés (12). L'article L. 112-3 du Code des assurances dispose que le contrat d'assurance est rédigé par écrit (13). La jurisprudence impose ce principe d'une preuve littérale du contrat d'assurance, quel que soit le montant de la somme en jeu (contrairement au droit commun et l'actuel seuil de 1 500 euros fixé par le décret du 20 août 2004 [décret n° 2004-836 N° Lexbase : L0896GTD]), tant pour en prouver l'existence (14) que le contenu (15). Toutefois, l'article L. 112-3 n'exige nullement une signature de la police par chacune des parties, alors que l'alinéa 5 de ce même article formule expressément une telle exigence pour un avenant (16). Où l'on comprend que, pour la formation, l'assuré peut valablement produire un écrit même non signé par l'assureur, qu'on qualifie d'écrit "imparfait".

Tel était justement le cas en l'espèce, puisque le syndicat de copropriétaires, actionné par ses voisins et cherchant à obtenir garantie de son assureur, ne pouvait produire qu'une police (identifiée par un numéro 0286587) et une lettre de l'assureur "demandant à la société GTIM, qui était vraisemblablement le syndic de l'époque assurant la gestion de l'immeuble [...] de lui verser la somme de 5 495 francs, soit 837,71 euros et de retourner les exemplaires signés". Les juges du fond avaient considéré que, faute pour le demandeur de fournir davantage d'éléments, il n'apportait pas "la preuve d'une assurance garantissant l'immeuble au moment du sinistre". Ce faisant, les juges d'appel s'étaient fait plus exigeants que la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation.

En effet, la Cour de cassation avait, dès avant l'arrêt étudié, admis que la police d'assurance, signée par l'assureur mais non par l'assuré, répond aux exigences du code et suffit à prouver le consentement de l'assureur en réponse à la proposition émanant de l'assuré (17). Un raisonnement similaire a été conduit, en amont, s'agissant d'une note de couverture, document signé par le seul assureur, dans des hypothèses où ce document ne serait pas suivi d'une police(18). La Haute juridiction entend, toutefois, que les juges du fond recherchent si la note de couverture litigieuse constitue "un simple accord temporaire ou la constatation provisoire d'un engagement définitif" (19).

L'arrêt du 14 juin 2007 prend place dans une lignée de décisions assurant la défense du consensualisme du contrat d'assurance. A ainsi été justement remarqué, un arrêt du 9 mars 1999 (20) ayant eu à connaître d'une espèce où un courtier d'assurances, entré en relation avec un assureur duquel il avait reçu un document se proposant de couvrir les risques déclarés, avait "donné son accord par apposition d'une mention manuscrite sur le document contenant cette offre". Une attestation d'assurance fut ensuite établie par l'assureur, l'assuré ayant réglé la prime entre les mains du courtier mais "n'[ayant] ni retourné à l'assureur, ni signé la police que celui-ci avait adressée [...] pour signature".

Pour régler ce litige sur la formation du contrat dépourvu de police signée par l'assuré, les Hauts magistrats énoncent "que si le contrat d'assurance doit, dans un but probatoire, être rédigé par écrit, il constitue un contrat consensuel qui est parfait dès la rencontre des volontés de l'assureur et de l'assuré ; qu'ayant relevé que le [courtier] avait accepté l'offre de contracter, telle que formulée le 12 novembre 1992 par l'assureur, la cour d'appel en a justement déduit que le contrat avait été définitivement conclu peu important l'existence, dans la police envoyée ensuite pour signature par l'assureur, d'une clause stipulant que le contrat serait parfait dès qu'il serait signé par le souscripteur". La défense du consensualisme triomphait ici d'une clause cherchant à "essentialiser" la signature, comme cela peut se rencontrer en matière de promesses synallagmatiques de vente lorsque les parties décideraient d'"essentialiser" la signature de l'acte authentique en faisant de cette signature un élément de leur consentement et non la simple réitération d'un consentement exprimé dans l'avant-contrat.

Cette question de la possibilité pour l'assureur d'insérer une telle clause est très débattue (21) et on a relevé que cet arrêt de 1999 a été démenti par un arrêt postérieur, en date du 4 février 2003 (22), ayant retenu que les juges du fond ne font qu'appliquer le contrat d'assurance en suivant la clause selon laquelle il était stipulé qu'à défaut de retourner la police dans un délai maximum de deux mois à compter de sa date d'émission, le contrat serait considéré comme n'ayant jamais existé, ce qui fut le cas, de sorte que le risque garanti réalisé avant l'expiration de la date limite contractuellement prévue ne devait pas être couvert par suite du caractère rétroactif de cette non régularisation. On partagera les critiques adressées contre cet arrêt et les doutes exprimés par un auteur à l'égard "de la validité d'une clause qui interdirait le jeu du consensualisme en affectant à la signature un rôle autre que probatoire" (23). Le rapprochement opéré avec les promesses synallagmatiques de vente ne tient guère car, alors que les règles du Code civil sont en cette matière supplétives, celles du Code des assurances, qui n'imposent pas une telle signature (cf. supra), sont, elles, d'ordre public ! En revanche, on ne confondra pas une telle clause subordonnant la formation du contrat à la signature de l'assuré avec celle "qui repousse la prise d'effet du contrat à cette signature, mécanisme prévu par l'article L. 112-4 du Code des assurances" (24).

De la jurisprudence antérieure, on extraira également une décision du 5 juillet 2006 (25) dans laquelle la Cour de cassation précise que "si le contrat d'assurance est un contrat consensuel parfait dès la rencontre de volonté des parties, il est nécessaire qu'un accord intervienne sur l'ensemble des éléments du contrat", pour constater, à l'examen des divers documents échangés entre l'assureur et un courtier, "que le contrat n'avait pu se former antérieurement au sinistre faute d'accord sur le moment à partir duquel le risque était garanti et la durée de cette garantie".

L'arrêt du 14 juin 2007, confortant cette défense du caractère consensuel du contrat d'assurance, maintient que la réception par l'assuré de la police imparfaite prouve l'échange des consentements, donc la formation du contrat. L'assureur peut-il utilement déployer quelque raisonnement pour résister à la nécessité de s'exécuter ? On constatera qu'en l'espèce le paiement de la prime (prime initiale comme on croit le deviner à la lecture de l'arrêt) n'était pas établie, les juges du fond ayant relevé que le demandeur, assuré prétendu, ne pouvait produire, au titre des pièces justificatives de sa demande, que la police (imparfaite) et la lettre invitant l'assuré à la retourner signée et à s'acquitter de la prime. Il importerait, ici, de savoir si dans le contrat litigieux l'assureur avait subordonné sa couverture au paiement de cette prime. Mais l'on retomberait sur cette même difficulté, liée à une volonté d'"essentialiser" un élément qui ne participe pas, par nature, aux conditions de formation du contrat (le paiement relevant de l'exécution du contrat). Encore qu'il est une autre façon, plus usuelle, d'analyser les choses, en considérant que le versement de la prime ne conditionne pas la formation du contrat d'assurance mais son effet, analyse conforme aux possibilités ouvertes par l'article L. 112-4 de déterminer "le moment à partir duquel le risque est garanti" et déjà validée en jurisprudence (26).

Rien de tel n'est cependant évoqué en l'espèce (le débat pourrait être soulevé devant la cour de renvoi !) où les juges du fond avaient, à l'examen tant des conditions générales que particulières, considéré que ces documents contractuels confus "n'apport(ai)ent aucun élément explicatif des termes hermétiques censés indiquer au lecteur la durée de vie de l'engagement contractuel" ; on reconnaîtra ici la lourde tendance à interpréter les documents peu clairs contre l'assureur. Mais il faut croire que les Hauts magistrats (peut-être parce qu'ils statuent de plus "haut" !) ont une vue plus perçante, pour déceler, avec netteté, un point de départ et un terme au contrat litigieux (27).

Sans prêter à l'arrêt du 14 juin 2007 une portée excessive [notamment quant à la question des clauses subordonnant la formation du contrat soit à la signature de la police soit au paiement de la prime initiale (comme condition de formation ou comme condition de prise d'effet) puisque ces questions ne lui ont pas été soumises], on retiendra que la défense du consensualisme du contrat d'assurance est de nature à marginaliser toute tentative de remise en cause ou d'aménagement dénaturant cette nature consensuelle.

Sébastien Beaugendre
Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes
Membre de l'IRDP (institut de recherche en droit privé)


(1) CJCE, 4 décembre 1986, aff. C-220/83, Commission c/ France (N° Lexbase : A8307AU9), Rec. CJCE, p. 3663 ; CJCE, 4 décembre 1986, aff. C-205/84, Commission c/ Allemagne (N° Lexbase : A4563AWW), Rec. CJCE, p. 3755 ; CJCE, 4 décembre 1986, aff. C-206/84, Commission c/ Irlande (N° Lexbase : A8321AUQ), Rec. CJCE p. 3817 ; CJCE, 4 décembre 1986, aff. C-252/83, Commission c/ Danemark (N° Lexbase : A8333AU8), Rec. CJCE, p. 3713.
(2) V. Nicolas, Société et mutuelles d'assurance, Rép. Sociétés Dalloz, janvier 2005, n° 88, p. 17 ; Lamy assurances, éd. 2007, n° 2854, p. 1140. Parléani, V° Prestation de services, D. Rép. Communautaire.
(3) Directive (CE) 90/619 du 8 novembre 1990, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'assurance directe sur la vie, fixant les dispositions destinées à faciliter l'exercice effectif de la libre prestation de services (N° Lexbase : L7656AU4).
(4) V. Nicolas, Société et mutuelles d'assurance, Rép. Sociétés Dalloz, janvier 2005, n° 26, p. 8.
(5) C. mut., art. L. 510-1: "Le contrôle de l'Etat sur les mutuelles, unions et fédérations régies par le présent code est exercé, dans l'intérêt de leurs membres et de leurs ayants droit, par la Commission de contrôle des assurances, des mutuelles et des institutions de prévoyance instituées à l'article L. 310-12 du Code des assurances".
(6) V. Nicolas, Société et mutuelles d'assurance, Rép. Sociétés Dalloz, janvier 2005, n° 110, p. 20 ; Traité de droit des assurances, Tome I, Entreprises et organismes d'assurance, sous la direction de J. Bigot, LGDJ, 2ème éd., 1996, n° 911 et s., p. 687.
(7) Cass. mixte, 23 novembre 2004, précité, ; Rép. Defr. 15 avril 2005, n° 7, art. 38142, p. 607-612, obs. J.-L. Aubert ; M. Grimaldi, RTDCiv., avril 2005, n° 2, chro. p. 434-439 ; L. Aynès, Des arrêts politiques, Droit et patrimoine, janvier 2005, n° 133, p. 11 ; F. Leduc et Ph. Pierre, Assurance-placement : une qualification déplacée, RCA février 2005, n° 3, p. 7 ; R. Libchaber, Rép. Défr. 2005, n° 07/05, chro. 38142, p. 607 ; A.-M. Ribeyre, Assurance-vie : le débat se déplace de l'aléa vers la prime excessive, Droit et patrimoine, janvier 2005, n° 133, p. 10 ; même si quelques auteurs furent plus positifs : J. Ghestin, JCP éd. G, 9 février 2005, n° 6, p. 253-267.
(8) V. Nicolas, Essai d'une nouvelle analyse du contrat d'assurance, Thèse, dacty. 1994, LGDJ 1996, préf. J. Héron ; V. Nicolas, La prévisibilité de la norme juridique en assurances de personnes, Risques 2001.
(9) "Fiche d'information sur le prix et les garanties" (C. assur., art. L. 112-2 N° Lexbase : L0963G9K) ; "projet de contrat et de ses pièces annexes" (C. assur., art. L. 112-2) ; "notice d'information sur le contrat, qui décrit précisément les garanties assorties des exclusions, ainsi que les obligations de l'assuré" (C. assur., art. L. 112-2) ; "proposition d'assurance" (C. assur., art. L. 112-2) ; "note de couverture" (C. assur., art. L. 112-2, L. 112-3 N° Lexbase : L9858HET et L. 112-8 N° Lexbase : L0059AAG) ; "police" (C. assur., art. L. 112-2, L. 112-4 N° Lexbase : L0055AAB, L. 112-5 N° Lexbase : L0056AAC et L. 112-6 N° Lexbase : L0057AAD) ; "contrat d'assurance" (C. assur., art. L. 112-3 et L. 112-8) ; "formulaire de déclaration du risque" (C. assur., art. L. 112-3 et L. 113-2 N° Lexbase : L0061AAI). Là-dessus, cf. Lamy Assurances, 2007, n° 413 et s..
(10) Expression employée par Y. Lambert-Faivre et L. Leveneur, Droit des assurances, Précis Dalloz, 12ème éd., 2005, n° 217.
(11) Cf. Cass. req., 1er juillet 1941, DC 1943, jur. p. 57, note Besson ; Grands arrêts du droit de l'assurance, p. 40, obs. Berr et Groutel.
(12) Pour une application de l'article 1315, alinéa 1er, du Code civil (N° Lexbase : L1426ABG) à la demande d'un assuré ou d'un tiers lésé, cf. Cass. civ. 1, 29 avril 1997, n° 94-21.217, M. X c/ Mme Y (N° Lexbase : A0136ACZ), RGDA 1997, p. 841, note J. Kullmann.
(13) On notera, toutefois, que l'aveu judiciaire et le serment supplétoire sont également des modes de preuve recevables. Cf. Lamy Assurances, 2007, n° 460.
(14) Cf. Cass. civ. 1, 10 juillet 2002, n° 99-15.430, Compagnie La Médicale de France c/ Mme Aline Larios, FS-P (N° Lexbase : A0806AZU), RGDA 2002, p. 951, note L. Mayaux.
(15) Cf. Cass. civ. 1, 18 mai 2004, n° 02-30.711, Mme Kamen Koidrun, veuve Lalie, agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité de représentante légale de sa fille mineure Aurélia Lalie c/ Compagnie d'assurances Generali France assurances, F-D (N° Lexbase : A1993DCS), RCA 2004, comm. 277.
(16) "Toute addition ou modification au contrat d'assurance primitif doit être constaté par un avenant signé des parties" (souligné par nos soins). On notera, toutefois, que la modification du contrat demeure bien, comme la formation, soumise au principe du consensualisme. L'avenant n'est donc requis qu'à titre probatoire (cf. Cass. civ. 1, 4 juillet 1978, n° 77-10772, Fonds de Garantie Automobile c/ Compagnie La Prévoyance, Benayoun, publié N° Lexbase : A0594CG4, RGAT 1979, p. 171, note Besson).
(17) Cf. déjà, Cass. civ. 1, 23 juin 1965, n° 64-10.928 (N° Lexbase : A9866DWC), Bull. civ. I, n° 420.
(18) Cf. Cass. civ., 25 octobre 1994, n° 92-18.447, SA Score international. Société Cigna France c/ Société Comptoir européen de la fourrure et autres, inédit (N° Lexbase : A2650C3K), JCP éd. G, 1995, II 22452, note P. Sargos.
(19) Cf. Cass. civ. 1, 30 avril 1970, n° 69-10237, Caisse Régionale d'Assurances Agricoles Mutuelles Cantal c/ Clauzet, publié (N° Lexbase : A5404CKD), Bull. civ. I, n° 141 ; RGAT 1971, p. 65.
(20) Cass. civ. 1, 9 mars 1999, n° 96-20.190, Société Div''Air c/ compagnie La Concorde et autre (N° Lexbase : A3239AUI), RGDA 1999, p. 567, note J. Kullmann.
(21) Sur l'ensemble de la question, cf. Lamy Assurances, 2007, n° 447.
(22) Cass. civ. 1, 4 février 2003, n° 99-17.993, Mme Denise Chevassu, épouse Bussioz c/ Compagnie Gan assurances, F-D (N° Lexbase : A8981A4E), RGDA 2003, p. 439, note J. Kullmann.
(23) Lamy Assurances, 2007, n° précité, qui motive son analyse comme suit : "les termes de l'article L. 112-3 du Code des assurances [étant] assez clairs pour en déduire que la police délivrée par l'assureur traduit, en tout état de cause, l'engagement de l'assureur. Or, l'article L. 112-4 dudit code ne cite pas la signature au titre des mentions obligatoires de ce document. Imposer une mention non prévue par la loi constituerait, de la part de l'assureur, une exigence de nature à nuire à l'assuré ou à ses ayants droit (en cas de décès avant signature) et s'accorderait fort mal avec les dispositions impératives de la loi. Au demeurant, et en toute logique, si la clause ayant un tel objet figure dans la police, son effectivité suppose que le contrat soit tenu pour existant. Comment faire jouer la clause d'un contrat dont l'assureur prétend qu'il n'est pas formé ?".
(24) J. Kullmann, obs. préc. sous Cass. civ. 1, 9 mars 1999, préc..
(25) Cass. civ. 2, 5 juillet 2006, n° 05-14.566, Société Imprimerie de l'Ouest, F-D (N° Lexbase : A3772DQR), RCA 2006, comm. 357.
(26) Cf. Cass. civ. 1, 24 mai 1971, RGAT 1972, p. 254.
(27) "En statuant ainsi alors qu'elle constatait que l'assureur avait envoyé au syndicat des copropriétaires la police d'assurance souscrite sous le n° 286.587 pour signature, avec les conditions particulières mentionnant que le contrat prenait effet au 1er avril 1999 pour un terme fixé au 1er avril 2000, la cour d'appel a violé les textes susvisés".

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[Jurisprudence] Retour sur la notion "d'exception purement personnelle" en droit du cautionnement

Réf. : Cass. mixte, 8 juin 2007, n° 03-15.602, M. Christian Velluz c/ M. Antoine Magrino, P+B+R+I (N° Lexbase : A5464DWB)

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par Géraud Mégret, Moniteur-Allocataire à l'Université Paris I - Panthéon-Sorbonne

Le 07 Octobre 2010

Alors que l'on croyait la notion "d'exceptions purement personnelles" définitivement "enterrée" au nom du caractère accessoire du cautionnement (1), la Cour de cassation, réunie en Chambre mixte, n'hésite pas à placer celle-ci au coeur d'une solution nouvelle qui suscitera, sans aucun doute, la controverse.
Elle affirme que "la caution ne peut opposer les exceptions qui sont purement personnelles au débiteur [...] ; que M. X [la caution] n'était pas recevable à invoquer la nullité relative tirée du dol affectant le consentement du débiteur principal". Dans l'espèce rapportée, une personne physique se porte caution solidaire du paiement du solde du prix de vente d'un fonds de commerce acquis par la société dont il est le dirigeant. La société débitrice est placée en liquidation judiciaire.
La caution prend l'initiative d'assigner le vendeur du fonds. Elle demande la nullité de la vente pour dol ainsi que la nullité de son engagement de caution afin d'échapper à son engagement.

Les juges du fond déclarent sa demande irrecevable. Le garant forme alors un pourvoi en cassation. Selon lui, "la caution est recevable à invoquer la nullité pour dol de l'obligation principale". La cour d'appel aurait ainsi violé les articles 2012 (N° Lexbase : L2247ABT) (2) et 2036 du Code civil (N° Lexbase : L2281AB4) (3).

La Cour de cassation rejette une telle analyse. Elle relève que "la caution ne peut opposer les exceptions qui sont purement personnelles au débiteur principal". Elle approuve ainsi les juges du fond d'avoir relevé que la caution n'était pas partie au contrat de vente et qu'elle n'était donc pas recevable à invoquer la nullité relative tirée du dol, laquelle constituait une "exception purement personnelle".

Une telle solution, qui place la notion d'exception purement personnelle au coeur du raisonnement de la Cour régulatrice, constitue une limite au caractère accessoire du cautionnement (I) qui fragilise les droits des cautions (II).

I - La notion d'exception purement personnelle : une limite au caractère accessoire du cautionnement

La solution dégagée en l'espèce par une Chambre mixte de la Cour de cassation peut, de prime abord, surprendre. Sans viser l'article 2314 du Code civil (N° Lexbase : L1372HIN, ancien article 2036), la Cour de cassation y fait expressément référence puisqu'elle affirme que la caution "ne peut opposer les exceptions qui sont purement personnelles au débiteur". Or, ce texte, qui a longtemps suscité des difficultés d'interprétation, est, aujourd'hui, unanimement relégué au second plan par la doctrine.

Pour reprendre les mots d'une doctrine avisée (4), "il convient [...] de ne pas se laisser abuser par les termes de l'article 2036 [...] à partir du moment où le cautionnement est accessoire, toutes les exceptions affectant l'obligation principale sont potentiellement opposables par la caution. Autrement dit, la distinction faite par l'article 2036 n'a pas de valeur générale".

Ainsi, la jurisprudence (5), soutenue par la doctrine (6), admet-elle traditionnellement que la caution puisse prendre l'initiative d'invoquer la nullité du contrat principal. La solution n'était, jusqu'alors, pas remise en cause par le caractère relatif de la nullité (7). Si la théorie générale des nullités semblait s'opposer à une telle action de la caution (8), le caractère accessoire du cautionnement l'emportait aux yeux de la jurisprudence. L'argument tiré de l'article 2289 du Code civil était, lui aussi, balayé. On sait, en effet, que ce texte prévoit la possibilité de cautionner une obligation "encore qu'elle pût être annulée par une exception purement personnelle à l'obligé ; par exemple, dans le cas de minorité". La doctrine (9) ne s'est pas embarrassée de la lettre du texte et s'accorde pour limiter l'application du texte au seul cas d'incapacité du débiteur principal (10). La caution peut donc invoquer la nullité relative de l'obligation principale, sous la seule réserve de l'incapacité.

C'est, semble-t-il, avec cette tradition que veut rompre la Cour de cassation. En affirmant sans équivoque que la caution ne peut invoquer les "exceptions purement personnelles" au débiteur et qu'ainsi, elle n'est pas recevable à invoquer la nullité du contrat principal tirée du dol affectant le consentement du débiteur principal, la Cour régulatrice met fin à une lecture restrictive des articles 2313 et 2289 du Code civil. Le doyen Simler (11) avait ainsi pu écrire : "si la caution ne pouvait opposer au créancier les exceptions personnelles au débiteur, son engagement ne pourrait pas, sans abus de langage, être qualifié d'accessoire". C'est donc une nouvelle limite au caractère accessoire du cautionnement (12) que pose aujourd'hui la Cour régulatrice. La notion d'exception purement personnelle qui avait, semble-t-il, été absorbée par le "dogme du caractère accessoire du cautionnement" (13), retrouve une place en droit positif.

Toute restriction du caractère accessoire du cautionnement conduit à un affaiblissement corrélatif des droits des cautions (II).

II - La notion d'exception purement personnelle : un affaiblissement des droits des cautions

Le caractère accessoire du cautionnement est traditionnellement considéré comme le "talon d'Achille" du cautionnement pour les créanciers. Il offre, en effet, à la caution des moyens de défense qui fragilisent considérablement les chances pour un créancier d'être payé (14). En cela, il renforce la protection des garants.

La solution retenue par la Cour de cassation risque d'affaiblir considérablement une telle protection. Sans doute, le principe posé en l'espèce est-il plus en adéquation avec les règles gouvernant la théorie générale des nullités. Il n'en demeure pas moins que la caution est exposée au paiement d'une dette dont le débiteur principal a la possibilité de demander la nullité. Le sort de la caution est entre les mains du débiteur de l'obligation principale qui, seul, peut décider de faire annuler l'obligation principale et, ainsi, libérer la caution.

L'affaiblissement des droits des cautions est d'autant plus grand que la solution paraît avoir un vaste champ d'application. Si la voie de l'action en nullité est rejetée, en l'espèce, par la Cour régulatrice, l'exception de nullité est également à exclure, ce que confirme la motivation de l'arrêt : "la caution ne peut opposer les exceptions purement personnelles au débiteur principal". La caution perd donc l'initiative de l'action en nullité mais également un moyen de défense tiré de la nullité relative du contrat principal.

Par ailleurs, on peut légitiment s'interroger sur la notion même d'exception purement personnelle. En dehors du cas de la nullité relative expressément visé par la Chambre mixte de la Cour de cassation, quel est exactement le contenu de la notion ? Il est difficile d'y répondre, mais les créanciers ne manqueront pas de s'engouffrer dans la brèche... Le recours à la notion d'exception purement personnelle pour justifier la solution risque fort d'accroître un peu plus le contentieux et donc de déstabiliser le droit du cautionnement.

On peut, au surplus, légitimement s'interroger sur l'opportunité du recours à la notion d'exception purement personnelle en droit du cautionnement. Elle conduit à admettre que la caution peut être tenue d'une obligation entachée d'un vice et donc susceptible de nullité. La caution ne pourra ainsi échapper à son engagement, faute de pouvoir invoquer une nullité réservée au débiteur de l'obligation. Elle supportera donc l'aléa d'un recours après paiement. La finalité du cautionnement est, semble-t-il, détournée, la caution s'engageant, en principe, à garantir l'insolvabilité du débiteur de l'obligation et non les vices qui l'affectent (15).

Une telle évolution jurisprudentielle est d'autant plus surprenante que le Code civil connaît, désormais, d'autres formes de garanties non accessoires permettant d'assurer un paiement systématique du créancier en dépit des vices pouvant affecter l'obligation garantie (16). En introduisant "une dose d'inopposabilité des exceptions" en droit du cautionnement, la Cour de cassation entretient une certaine confusion ne favorisant pas le développement de ces nouvelles sûretés personnelles (17).


(1) En ce sens, notamment : L. Aynès, P. Crocq, Les sûretés, La publicité foncière, Defrénois, 2ème éd., n° 126 p. 29 J. François, Les sûretés personnelles, Economica, 1ère éd., n° 305 et s. p. 254 ; Ph. Simler et Ph. Delebecque, Les sûretés, La publicité foncière, Précis Dalloz, 4ème éd., n° 48 p. 39.
(2) Devenu l'article 2289 du Code civil depuis l'ordonnance du 23 mars 2006 (N° Lexbase : L1118HIA).
(3) Devenu l'article 2313 du Code civil depuis l'ordonnance du 23 mars 2006 (N° Lexbase : L1372HIN).
(4) J. François, Les sûretés personnelles, Economica, 1ère éd., n° 305 et s. p. 254.
(5) V. récemment : Cass. civ. 3, 11 mai 2005, n° 03-17.682, M. Yves Philippe c/ Coopérative du Gouessant, FS-P+B (N° Lexbase : A2263DIN) ; RTD Civ. 2005, p. 590 obs. J. Mestre.
(6) L. Aynès, P. Crocq, op. cit., loc. cit. ; J. François, op. cit., loc. cit. ; Ph. Simler et Ph. Delebecque, op. cit., loc. cit..
(7) Cass. civ. 3, 11 mai 2005, préc..
(8) On sait, en effet, que la nullité relative ne peut, en principe, être invoquée que par la personne protégée par la règle violée ; sur cette question, v. notamment. Ph. Malaurie, L. Aynès et Ph. Stoffel-Munck, Les obligations, Defrénois, 1ère éd., n° 702 p. 316.
(9) J. François, op. cit., n° 183 et s. p. 162 et s.
(10) Sur cette question, v. notamment les critiques de D. Grimaud, Le caractère accessoire du cautionnement, PUAM 2001, préf. D. Legeais. n° 83 et s. p. 95 et s.
(11) Ph. Simler, Cautionnement et garantie autonome, Litec, 3ème éd.
(12) Il y a peu, la Cour régulatrice affirmait que la caution ne peut se prévaloir de la renonciation par le créancier à son droit d'agir contre le débiteur principal : Cass. com., 22 mai 2007, n° 06-12.196, Société Mars Occidentale, FS-P+B (N° Lexbase : A4900DWE) et nos obs., La caution ne peut se prévaloir de la renonciation par le créancier à son droit d'agir contre le débiteur principal, Lexbase Hebdo n° 264 du 14 juin 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N3990BBE).
(13) Expression empruntée à D. Grimaud, op. cit..
(14) Cette faiblesse du cautionnement aurait conduit la pratique à s'orienter vers d'autres formes de garanties et, notamment, la garantie autonome.
(15) Ph. Simler et Ph. Delebecque, op. cit, n° 39 p. 31 : "Le contrat de cautionnement est le contrat par lequel une personne, la caution, s'engage à l'égard d'un créancier à payer la dette d'un débiteur [...] au cas où celui-ci est défaillant" (souligné par nos soins).
(16) On pense, naturellement, à la garantie autonome mais aussi au porte-fort d'exécution.
(17) La doctrine se montre relativement pessimiste sur l'avenir de la garantie autonome en droit interne, v. par ex., F. Jacob, L'avenir des garanties autonomes en droit interne, 15 ans après, in Etudes offertes au doyen Philippe Simler, p. 341 et s..

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Famille et personnes

[Jurisprudence] L'annulation des actes faits antérieurement à l'ouverture de la tutelle

Réf. : Cass. civ. 1, 24 mai 2007, n° 06-16.957, Association Pour l'accompagnement et la réadaption de l'individu (PARI), F-P+B (N° Lexbase : A4987DWM)

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par Nathalie Baillon-Wirtz, Maître de conférences à l'Université de Reims Champagne-Ardenne

Le 07 Octobre 2010

La nullité des actes faits par un majeur en tutelle antérieurement à l'ouverture de cette mesure de protection ne suppose pas la preuve de l'insanité d'esprit au moment où l'acte a été passé, mais est seulement subordonnée à la condition que la cause ayant déterminé l'ouverture de la tutelle ait existé à l'époque où l'acte a été fait. Telle est la solution retenue par l'arrêt du 24 mai 2007 de la première chambre civile de la Cour de cassation. En l'espèce, une personne est placée sous le régime de la tutelle par jugement du 23 mai 2002. Son tuteur demande alors l'annulation d'un acte de cautionnement conclu par elle, sept ans plus tôt, sur le fondement de l'article 503 du Code civil (N° Lexbase : L3072ABE). La cour d'appel rejette cette demande au motif que la preuve d'une altération des facultés mentales de la personne protégée au moment de la signature de l'acte contesté n'était pas rapportée. Sa décision est cassée par la Cour de cassation au visa de l'article 503 du Code civil. L'article 503 du Code civil prévoit que les actes antérieurs à l'ouverture de la tutelle pourront être annulés si la cause qui a déterminé l'ouverture de cette mesure de protection "existait notoirement à l'époque où ils ont été faits". Cette disposition se distingue du principe posé par l'article 489 du Code civil (N° Lexbase : L3043ABC) selon lequel "pour faire un acte valable, il faut être sain d'esprit. Mais c'est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l'existence d'un trouble mental au moment de l'acte". L'article 503 soumet, en effet, l'action en nullité à des conditions moins strictes que celles prévues à l'article 489.

Ces conditions sont au nombre de trois.

En premier lieu, l'article 503 ne peut recevoir application lorsque, pour une raison quelconque, aucun jugement prononçant l'ouverture de la tutelle n'a été rendu (1). Il ne suffit pas, en effet, qu'une procédure de tutelle ait été diligentée (2). De même, il est admis que le texte ne vise pas les actes précédant l'ouverture d'une curatelle (3).

En deuxième lieu, l'article 503 exige la preuve de l'existence de la cause qui a déterminé l'ouverture de la tutelle "à l'époque" où l'acte a été fait. C'est ici une différence pratique importante par rapport à la nullité pour insanité d'esprit de l'article 489 qui requiert la preuve de l'altération des facultés "au moment", c'est-à-dire à l'instant précis de l'acte. Preuve difficile à fournir dans la mesure où un grand nombre de maladies mentales laissent à la personne vulnérable des périodes de lucidité. Au contraire, selon l'article 503, il suffit de prouver l'altération des facultés à l'époque de l'acte (4), autrement dit d'apporter la preuve que la maladie existait au temps de l'acte, sans se demander si la personne concernée était alors dans une période de lucidité.

En dernier lieu, il faut encore établir que l'altération démontrée des facultés est notoire (5). Cette dernière condition s'entend d'une "notoriété générale" (6) ou encore, selon les cas, de la connaissance personnelle que le cocontractant avait, à l'époque de l'acte, de la situation de l'intéressé (7). Là encore, la condition de notoriété contribue à distinguer les articles 503 et 489 puisqu'il n'est pas nécessaire, lorsque l'insanité d'esprit au moment de l'acte est invoquée, d'apporter la preuve de son caractère notoire (8).

Une fois ces conditions réunies, l'article 503 prévoit que les actes antérieurs à la mesure de protection "pourront" être annulés. Il s'ensuit que la nullité n'est que facultative pour le juge, contrairement à la nullité visée à l'article 489 qui est obligatoire s'il est établi que l'altération des facultés mentales existait au moment précis de l'acte.

Le présent arrêt de la Cour de cassation revient sur ces conditions d'application de l'article 503 du Code civil. En l'espèce, le tuteur demandait l'annulation d'un acte de cautionnement conclu, en 1995, par une femme placée sous le régime de la tutelle par un jugement du 23 mai 2002. La cour d'appel rejeta cette requête au motif que la preuve d'une altération des facultés mentales "au moment" de la signature de l'acte contesté n'était pas rapportée. Cette motivation encourait nécessairement la cassation dans la mesure où les juges du fond ont appliqué les conditions posées par l'article 489 du Code civil (insanité d'esprit au moment de la conclusion de l'acte) et non celles prévues à l'article 503 (existence de la cause ayant déterminé l'ouverture de la tutelle à l'époque de l'acte).

L'arrêt du 24 mai 2007 est, toutefois, contestable sur un point. La Cour de cassation retient, en effet, que "la nullité des actes faits par un majeur en tutelle antérieurement à l'ouverture de cette mesure de protection [...] est seulement subordonnée à la condition que la cause ayant déterminé l'ouverture de la tutelle ait existé à l'époque où l'acte a été fait". La condition de notoriété, absente du dispositif, serait-elle délibérément abandonnée ? Une réponse positive paraît exclue au regard des nouvelles dispositions introduites par la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007, portant réforme de la protection juridique des majeurs (N° Lexbase : L6046HUH).

Le nouvel article 464 du Code civil (N° Lexbase : L8450HWU) maintient, en effet, la condition de notoriété de l'altération des facultés à l'époque de la conclusion de l'acte critiqué. Il introduit, en outre, un certain nombre de modifications qui entreront en vigueur le 1er janvier 2009.

Tout d'abord, les dispositions du texte sont étendues aux actes précédant l'ouverture d'une curatelle.

Ensuite, les actes accomplis par la personne concernée avant l'ouverture de la mesure de protection pourront être attaqués au moyen de deux actions : l'action en réduction et l'action en nullité qui sont subordonnées aux conditions suivantes :
- d'une part, ces actions ne pourront atteindre que des actes conclus par le majeur moins de deux ans avant la publicité du jugement d'ouverture de la mesure de protection. Actuellement, l'article 503 du Code civil ne limite pas dans le temps cette "période suspecte" durant laquelle l'annulation des actes faits par le majeur peut être prononcée. L'instauration d'un délai de deux ans aura, notamment, pour effet de renforcer la sécurité juridique des transactions (9). S'agissant, cependant, des actes faits antérieurement à cette période de deux ans, l'exercice de l'action en nullité pour insanité d'esprit prévue désormais par les nouveaux articles 414-1 (N° Lexbase : L8394HWS) et 414-2 (N° Lexbase : L8395HWT), restera possible (10) ;
- d'autre part, conformément au droit en vigueur, les actions en réduction et en annulation devront être introduites, par dérogation à l'article 2252 du Code civil (N° Lexbase : L2540ABP), dans les cinq ans à compter du jugement d'ouverture de la mesure de protection ;
- ces actions nécessiteront, en outre, la preuve de la notoriété de l'inaptitude de la personne à défendre ses intérêts ou de la connaissance que le cocontractant de l'acte litigieux avait de cette incapacité au moment de la conclusion de l'acte.

Enfin, spécifiquement à l'action en nullité, le tuteur ou le majeur avec l'assistance de son curateur ne pourra agir que s'il est justifié d'un préjudice pour la personne protégée.

Eu égard à ces conditions et au maintien exprès de la preuve de la notoriété dans le nouveau dispositif, il semblerait que le présent arrêt de la Cour de cassation ait finalement péché par omission.


(1) Cass. civ. 1, 12 février 1985, n° 83-14.717, Mme Gimenez c/ Emmanuelli (N° Lexbase : A0418AHX), D. 1985, p. 518, note J. Massip.
(2) J. Massip, Les incapacités, Etude théorique et pratique, Defrénois, 2002, p. 514, n° 624.
(3) Cass. civ. 1, 29 novembre 1983, n° 82-14982, Dame Uytterelst c/ Lefevre, publié (N° Lexbase : A5068CKW), Defrénois 1984, art. 33230, p. 293, obs. J. Massip. En revanche, dès lors qu'une mesure de tutelle est prononcée, il importe peu que cette mesure ait été précédée d'une curatelle, instaurée postérieurement aux actes critiqués : Cass. civ. 1, 24 février 1998, n° 95-21.473, Caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Centre Ouest c/ M. X et autre (N° Lexbase : A2042ACM), JCP éd. G, 1998, II 10118, note Th. Fossier.
(4) Cass. civ. 1, 25 février 1986, n° 84-11.256, Union départementale des associations familiales du département de Maine-et-Loire UDAF c/ Bodin, Mme Roy, Mme Erve, Ruspini, Mme Dumas, Epoux Mercier et autres (N° Lexbase : A2974AAE), G. P. 1986, II, p. 771, note J. Massip ; Cass. civ. 1, 28 janvier 2003, n° 00-17.712, Mme Véronique Bocus, épouse Petit c/ Mme Danielle Pinol, F-D (N° Lexbase : A8448A4N), RTD. civ. 2003, p. 478, obs. J. Hauser.
(5) Cass. civ. 1, 9 mars 1982, n° 81-10.354, Dame Fuss c/ Kunkel-Eber, Kohler, publié (N° Lexbase : A7406CGE), G. P. 1983, I, p. 169, note J. Massip ; Cass. civ. 1, 5 mai 1987, n° 85-13.837, Hervé c/ Mme Jan, inédit (N° Lexbase : A9425CMZ), JCP éd. G, 1988, II 21109, note Th. Fossier ; Cass. civ. 1, 30 juin 2004, n° 02-13.827, M. Claude Saint-Romas c/ Mme Christine Pilon, F-D (N° Lexbase : A8898DCK), Defrénois 2005, p. 442, obs. J. Massip.
(6) J. Massip, Les incapacités, Etude théorique et pratique, préc., p. 517, n° 624 : "La notoriété à laquelle se réfère l'article 503 du Code civil est, en principe, une notoriété générale, et il a été précisé que la notoriété ne pouvait être considérée comme générale lorsqu'elle se limitait aux seuls familiers de l'incapable. Elle doit avoir débordé ce cercle étroit et être connue des voisins, des simples relations".
(7) J. Massip, op. cit. : "La preuve de la notoriété générale n'aura pas à être rapportée si l'on établit que le cocontractant avait lui-même connaissance de l'altération des facultés, situation que l'on rencontre fréquemment en cas de captation d'héritage, les personnes qui s'occupent d'une personne âgée dont les facultés sont affaiblies par l'âge, profitant de leur situation pour se faire consentir des avantages au détriment de la famille, soit sous forme de libéralités, soit sous forme d'actes à titre onéreux particulièrement avantageux".
(8) Cass. civ. 1, 10 juin 1981, n° 80-13421, Lecomte c/ Garreau, dame Manoury, publié (N° Lexbase : A3645CG4), Defrénois 1982, art. 32905, obs. J. Massip.
(9) Rapp. AN n° 3557, p. 180 : "Il est en effet apparu nécessaire d'enfermer dans un délai court cette possibilité de réduire ou d'annuler facilement les actes antérieurs à la mesure pour trois raisons :
- ce dispositif est étendu à la curatelle ;
- en dehors des cas où les règles de nullité pour insanité d'esprit sont applicables, la preuve de la connaissance ou du caractère notoire de l'altération est d'autant plus difficile que l'acte est ancien ;
- cette 'période suspecte' est source d'insécurité juridique pour les cocontractants et il est donc nécessaire de l'enfermer dans un délai précis
".
(10) Rapp. Sénat n° 212, 2006-2007, p. 172.

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