Jurisprudence : CE Référé, 10-04-2001, n° 232308

CONSEIL D'ETAT

Statuant au contentieux

Cette décision sera mentionnée dans les tables du Recueil LEBON

N° 232308

M. Nasser MERZOUK

ordonnance du 10 avril 2001

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE JUGE DES RÉFÉRÉS

Vu la requête enregistrée le 7 avril 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Nasser MERZOUK, domicilié 2, avenue Chardonnet à Décines (69150) ; M. MERZOUK demande au président de la section du contentieux du Conseil d'Etat, sur le fondement des articles L. 521-2 et L. 523-1 (alinéa 2) du code de justice administrative :

- d'annuler l'ordonnance n° 0101289 du 28 mars 2001 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande de référé injonction ;
- d'ordonner au préfet du Rhône, sous astreinte de 500 F par jour de retard de lui délivrer un certificat de résidence de dix ans ou, à défaut, un certificat de résidence d'un an portant la mention « salarié » ;
- de condamner l'Etat à lui payer la somme de 5 980 F au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

M. Merzouk expose qu'il a la nationalité algérienne bien qu'étant né en France et qu'à la suite du jugement du tribunal administratif de Lyon en date du 7 juin 2000, dont le ministre de l'intérieur a interjeté appel, annulant la décision implicite de rejet de sa demande d'abrogation de l'arrêté en date du 9 novembre 1987 prononçant son expulsion, il a demandé au préfet du Rhône, le 13 juillet 2000, de lui délivrer un certificat de résidence de dix ans ou, à défaut, un certificat de résidence d'un an portant la mention « salarié » ; qu'un refus lui a été opposé par une décision en date du 23 octobre 2000 qui a décidé de le maintenir sous le régime du sursis trimestriel renouvelable ; que le recours hiérarchique qu'il a formé le 3 novembre 2000 a été implicitement rejeté par le ministre de l'intérieur ; que les décisions de refus sont entachées d'une illégalité manifeste au motif tout d'abord que l'annulation par le tribunal administratif du refus d'abroger l'arrêté d'expulsion reposant sur la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il doit se voir attribuer un certificat de résidence de dix ans en application du e) de l'article 7 bis de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ou du f) du même article ; qu'en outre, les décisions de refus violent le droit à la dignité de la personne humaine car l'exposant se trouve dans une situation d'extrême précarité qui nuit à son équilibre psychologique et qui l'empêche de reprendre une vie sociale stable ; qu'il y a atteinte à des libertés fondamentales dans la mesure où le Conseil constitutionnel a affirmé la valeur constitutionnelle tant du droit à la protection de la vie privée que du droit pour les étrangers dont la résidence en France est stable et régulière de mener une vie familiale normale et a également jugé que la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d'asservissement et de dégradation est un principe de valeur constitutionnelle ; que, contrairement à ce qu'a estimé le juge des référés du tribunal administratif de Lyon, il existe une urgence à ordonner les mesures sollicitées en raison même de la gravité de l'atteinte portée à son droit fondamental à une existence familiale normale ; qu'en outre, plus la situation de non-droit dans laquelle il se trouve perdure, et plus l'équilibre psychologique fragile de l'exposant risque de se rompre ;

Vu l'ordonnance attaquée ;

Vu le mémoire en intervention enregistré comme ci-dessus le 7 avril 2001, présenté par l'association Tiberius Claudius dont le siège est 92 rue Greuze à Villeurbanne (69100), représentée par son président en exercice ; l'association Tiberius Claudius conclut à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de la requête de M. Merzouk en s'associant aux moyens soulevés par ce dernier ;

Vu enregistré comme ci-dessus le 9 avril 2001 le mémoire en défense présenté par le ministre de l'intérieur qui conclut au rejet de la requête ; il expose que M. Merzouk a fait l'objet d'un arrêté d'expulsion pris le 9 novembre 1987 et motivé par des faits répétés de vols aggravés en récidive, arrêté dont la légalité a été admise tant par le tribunal administratif de Lyon que par le Conseil d'Etat ; qu'assigné à résidence dans le département du Rhône il s'est rendu coupable d'abord de trafic de stupéfiants, ce qui a entraîné sa condamnation à une peine d'emprisonnement de trois ans, puis de violences volontaires et d'agression sexuelle, pour lesquelles a été prononcée une peine d'emprisonnement de quatre ans dont un an avec sursis, assortis d'une mise à l'épreuve pendant trois ans ; que le jugement du tribunal administratif de Lyon du 7 juin 2000 qui a annulé le refus d'abroger l'arrêté d'expulsion a été frappé d'appel ; que l'intéressé a été maintenu sous le régime du sursis trimestriel ; que la demande de référé injonction qu'il a présentée ne satisfait pas aux conditions posées par l'article L. 521-2 du code de justice administrative, lesquelles revêtent un caractère cumulatif ; que, comme l'a relevé à bon droit le juge des référés du tribunal administratif de Lyon l'urgence n'est pas constatée ; qu'en effet, il aurait été loisible à M. Merzouk de déposer une requête au fond tendant à l'annulation de la décision refusant de lui délivrer un titre de séjour en présentant en outre, en fonction de la date d'introduction de son pourvoi, une demande de sursis à exécution ou de suspension de la décision attaquée ; que de plus, les décisions prises par l'autorité administrative ne font pas obstacle à son maintien sur le territoire français ; que l'atteinte manifestement grave et illégale à une liberté fondamentale n'est pas constituée ; qu'il n'y a pas inexécution du jugement du tribunal administratif de Lyon du 7 juin 2000 car l'annulation de la décision de refus d'abrogation de l'arrêté d'expulsion n'implique pas la délivrance du titre de séjour sollicité ; que toute autre interprétation serait contraire au fait que le juge des référés ne peut prescrire que des mesures à caractère provisoire, ce qui ne serait pas le cas, si, comme le demande le requérant, était ordonnée la délivrance d'un certificat de résidence de dix ans ou d'un an portant la mention « salarié » ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution du 4 octobre 1958, notamment son Préambule ;

Vu la loi n° 73-1227 du 31 décembre 1973 autorisant la ratification de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble le décret n° 74-360 du 3 mai 1974 portant publication de- ladite convention ;

Vu le décret n° 69-243 du 18 mars 1969 portant publication de l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles, signé à Alger le 27 décembre 1968 ;

Vu le décret n° 86-320 du 7 mars 1986 portant publication du Premier avenant à l'accord du 27 décembre 1968 ;

Vu le décret n° 94-1103 du 19 décembre 1994 portant publication du Deuxième avenant à l'accord du 27 décembre 1968 ;

Vu l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée, notamment ses articles 2, 6 (alinéa 3), 23, 24, 25, 26, 26 bis et 28 ;

Vu le décret n° 46-1574 du 30 juin 1946 modifié, notamment son article 4 ;

Vu les articles 22 et 43 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;

Vu le code de justice administrative, notamment ses articles L. 511-1, L. 511-2 (alinéa 2), L. 521-2, L. 522-1, L. 523-1, R. 421-2 et R. 522-1 et suivants ;

Après avoir convoqué à une audience publique, M. Merzouk et le ministre de l'intérieur (direction des libertés publiques et des affaires juridiques),

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 9 avril 2001 à 17 heures ;

- Sur l'intervention de l'association Tiberius Claudius :

Considérant que l'association Tiberius Claudius, qui a pour objet « le respect et la défense du droit des étrangers et la lutte contre toutes discriminations raciales dont ils pourraient être l'objet », justifie d'un intérêt à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de la requête de M. Merzouk ; que, dès lors, son intervention est recevable ;

- Sur les conclusions de la requête à fin d'injonction :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 511-1 du code de justice administrative : « Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n'est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais » ; que selon l'article L. 521-2 du même code, « saisi d'une demande en ce sens, justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public (...) aurait porté dans l'exercice d'un de ces pouvoirs une atteinte grave et manifestement illégale » ; que le respect de ces conditions revêt un caractère cumulatif ;

Considérant que M. Merzouk, de nationalité algérienne, est né en France où il réside à l'instar de ses parents et de ses neuf frères et sœurs nés en France et qui eux sont de nationalité française ; que l'intéressé est père d'une enfant de nationalité française née le 28 juillet 1992 ; qu'il n'a pas eu de contact avec le pays dont il a la nationalité, réserve faite de la période où il y a effectué son service militaire à la suite de son expulsion décidée par un arrêté du ministre de l'intérieur du 28 août 1980 ultérieurement abrogé ; que, compte tenu de la double circonstance qu'il s'est rendu coupable après son retour en France de vol, vol avec effraction, tentative de vol aggravé et recel et que le total des condamnations prononcées par l'autorité judiciaire a excédé six mois, le ministre de l'intérieur a, par un arrêté du 9 novembre 1987, ordonné son expulsion ; que le pourvoi introduit contre cet arrêté a été rejeté par un jugement du tribunal administratif de Lyon du 31 mai 1988 confirmé en appel par une décision du Conseil d'Etat statuant au contentieux du 6 mai 1991 ; qu'au vu de nouvelles infractions ayant entraîné la condamnation de M. Merzouk, le 7 avril 1992, à une peine d'emprisonnement de trois ans pour infraction à la législation sur les stupéfiants et à une peine d'emprisonnement de quatre ans dont un an avec sursis pour violences volontaires et agression sexuelle par un jugement du 4 février 1998, le ministre de l'intérieur a, par un arrêté du 15 février 1999, décidé de mettre à exécution la mesure d'expulsion en abrogeant un arrêté du 26 mai 1989 qui avait assigné à résidence l'intéressé ; que cette mise à exécution a été différée compte tenu de la requête introduite par M. Merzouk devant la Cour européenne des droits de l'homme le 28 mai 1999 ;

Considérant que par un jugement rendu le 7 juin 2000 le tribunal administratif de Lyon a annulé, pour violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la décision implicite par laquelle le ministre de l'intérieur avait implicitement refusé de faire droit à une demande d'abrogation de l'arrêté d'expulsion formée le 7 mai 1998 ; que le même jugement a rejeté les conclusions du requérant tendant à ce qu'il soit enjoint à l'Etat de lui délivrer un certificat de résidence de dix ans et subsidiairement d'une durée d'un an ; que le ministre de l'intérieur a relevé appel de ce jugement ; que le préfet du Rhône saisi d'une demande de l'intéressé tendant à la délivrance de titres de séjour ayant le même objet a refusé d'y faire droit, par une décision du 23 octobre 2000, à l'encontre de laquelle a été formé, le 3 novembre 2000, un recours hiérarchique qui, du fait du silence observé plus de deux mois par le ministre, a été implicitement rejeté ; que c'est en arguant de l'illégalité de ces décisions que le requérant a saisi le 26 mars 2001 le juge des référés aux fins qu'il enjoigne à l'autorité administrative de lui délivrer un certificat de résidence ou, à défaut, un titre de séjour d'un an l'autorisant à travailler ;

Considérant que si, pour le cas où l'ensemble des conditions posées par l'article L. 521-2 du code de justice administrative sont remplies, le juge des référés peut prescrire « toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale », de telles mesures doivent, ainsi que l'impose l'article L. 511-1 du même code, présenter un « caractère provisoire » ; qu'il suit de là que le juge des référés ne peut, sans excéder sa compétence, ni prononcer l'annulation d'une décision administrative, ni ordonner une mesure qui aurait des effets en tous points identiques à ceux qui résulteraient de l'exécution par l'autorité administrative d'un jugement annulant pour défaut de base légale une telle décision ;

Considérant que M. Merzouk, qui n'établit d'ailleurs pas avoir formé à ce jour un appel incident à l'encontre du jugement du tribunal administratif rejetant ses conclusions à fin d'injonction n'a pas introduit, avant la saisine du juge des référés du tribunal administratif de Lyon, de recours en annulation des décisions rejetant sa demande tendant à l'obtention d'un certificat de résidence de dix ans ou d'un certificat d'un an l'autorisant à travailler ; que les conclusions présentées au juge des référés tendent ainsi à faire prononcer par ce dernier une injonction dont les effets seraient en tous points identiques à ceux qui résulteraient de l'exécution par l'autorité administrative de la décision par laquelle le juge de l'excès de pouvoir viendrait, le cas échéant, à prononcer l'annulation pour manque de base légale, des décisions rejetant la demande de titres de séjour ; que le prononcé de l'injonction sollicitée, à la différence de conclusions qui enjoindraient à l'administration, si cela est nécessaire, de différer temporairement l'exécution d'une mesure d'éloignement, excède la compétence du juge des référés ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède et sans qu'il soit besoin de rechercher si les conditions mises par l'article L. 521-2 du code de justice administrative à son application sont réunies et en particulier si, comme le soutient la requête, la notion de « liberté fondamentale » au sens de cet article vise l'ensemble des droits et libertés constitutionnellement garantis, que M. Merzouk n'est pas fondé à demander l'annulation de l'ordonnance par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a rejeté ses conclusions ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamné à verser à M. Merzouk la somme qu'il réclame au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

ORDONNE :

Article 1er : L'intervention de l'association Tiberius Claudius est admise.

Article 2 : La requête de M. Nasser Merzouk est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Nasser MERZOUK, au préfet du Rhône et au ministre de l'intérieur.

Fait à Paris, le 10 avril 2001

Signé : B. Genevois

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

Pour expédition conforme,
Pour le secrétaire,

Jean-Pascal Lefèvre
(Signature)

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