La lettre juridique n°248 du 15 février 2007

La lettre juridique - Édition n°248

Éditorial

Si "bon droit a besoin d'aide"*, l'aide n'a pas toujours bon droit !

Lecture: 3 min

N0487BAB

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3208913-edition-n-248-du-15022007#article-270487
Copier
bon droit a besoin d'aide"*, l'aide n'a pas toujours bon droit ! - par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction">

par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

Le 27 Mars 2014


Chacun sait, depuis la petite enfance, que "donner, c'est donner, reprendre, c'est voler !". Et bien force est de constater que les membres de la Commission européenne, que l'on dit si éloignés et technocrates, ont gardé une part de leur candeur et se souviennent, encore, du proverbe enfantin, pour l'appliquer aux situations pourtant les plus sérieuses. Il y a peu, la Commission concluait que le régime fiscal français dit des "GIE fiscaux" constituait une aide d'Etat. Pour être plus précis, l'article 39 C du CGI prévoit que l'amortissement fiscalement déductible d'un bien mis en location par un groupement d'intérêt économique (GIE), structure fiscalement transparente, ne peut excéder le montant du loyer perçu par celui-ci. L'article 39 CA prévoit, toutefois, sur agrément ministériel préalable, une dérogation à ce principe. En effet, les opérations portant sur des biens amortissables sur une période de plus de huit ans ne sont pas soumises à cette limitation de l'amortissement. Outre le déplafonnement de l'amortissement, les opérations concernées bénéficient, également, d'une majoration d'un point du coefficient d'amortissement applicable habituellement au bien considéré et, éventuellement, d'une exonération de la plus-value de cession dans l'hypothèse d'une vente du bien par le GIE à son utilisateur. A l'issue d'une enquête approfondie ouverte en décembre 2004, la Commission européenne a conclu que le dispositif fiscal de financement de biens mis en location par des GIE constitue une aide d'Etat en vertu des règles du Traité CE. Ce régime, qui a, principalement, bénéficié au secteur du transport maritime, est une aide d'Etat en raison de l'avantage sélectif qu'il procure à certains secteurs et du caractère discrétionnaire de ses conditions d'octroi. Il serait incompatible avec le marché commun, à l'exception des aides visant à faciliter le développement du transport ferroviaire et des autres aides éventuellement compatibles en application de règles sectorielles ou régionales. La trame juridique n'est pas nouvelle, la théorie des dominos prévaut excellemment bien en matière d'impôt et d'aide d'Etat. La CJCE affirme de façon très claire que "les taxes n'entrent pas dans le champ d'application des dispositions du Traité concernant les aides d'Etat, à moins qu'elles constituent le mode de financement d'une mesure d'aide, de sorte qu'elles font partie intégrante de cette mesure". On se souvient que, dernièrement, par trois arrêts rendus le 21 décembre 2006, le Conseil d'Etat a déclaré contraire aux prescriptions communautaires la taxe sur certaines dépenses de publicité, dont le produit est entièrement affecté au fonds de modernisation de la presse quotidienne et assimilée d'information politique et générale afin de financer les projets de modernisation présentés par les agences de presse inscrites. En effet, cette taxe constitue une aide d'Etat instituée sans que le dispositif en fût préalablement notifié à la Commission européenne ; et c'est sur ce fondement que le Conseil accorde la restitution de la taxe. Mais, plus surprenante est la clémence de la Commission européenne au regard du régime des "GIE fiscaux" : la Commission limite grandement la restitution des avantages fiscaux ainsi accordés par l'Etat. Autrement dit, lorsqu'une taxe est perçue à l'encontre de la réglementation communautaire, l'Etat doit en restituer le montant, suivant certaines règles liées à l'enrichissement sans cause ; mais, lorsqu'il incomberait aux contribuables de restituer l'avantage fiscal indûment perçu, la Commission conseillerait la clémence... décidément, "il est contre la bienséance de reprendre en public (proverbe oriental). Alors, en ce 15 février, aux contribuables d'aider l'Etat à arrondir ses fins de mois en mensualisant leurs impôts (cf. Communiqué du Minéfi, 13 février 2007, n° 081)... Les éditions juridiques Lexbase publient, cette semaine, la nouvelle édition de la Revue Lexbase de Droit Public. Nous vous invitons, donc, à lire le commentaire d'Olivier Dubos, Professeur de droit public à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, sur le groupement d'intérêt économique fiscal : entre condamnation et mansuétude européennes.

* Molière, La comtesse d'Escarbagnas

newsid:270487

Marchés publics

[Jurisprudence] Les contrats conclus pour leur compte par les sociétés d'économie mixte avec d'autres personnes privées sont des contrats privés

Réf. : Cass. civ. 1, 9 janvier 2007, n° 05-14.365, Société Pollet, FS-P+B (N° Lexbase : A4804DT4)

Lecture: 15 min

N0411BAH

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3208913-edition-n-248-du-15022007#article-270411
Copier

Le 07 Octobre 2010

1-Tout comme le droit administratif général, le droit des contrats administratifs est de moins en moins jurisprudentiel (1). Face à la multiplication des textes internationaux, européens, communautaires et nationaux, la conclusion s'impose avec la force de l'évidence et le débat porte aujourd'hui davantage sur la mesure du déclin du caractère jurisprudentiel du droit des contrats administratifs que sur son existence. Il est, en effet, difficile et sans doute même impossible de dire si ce droit est aujourd'hui majoritairement, essentiellement ou partiellement jurisprudentiel. Quoi qu'il en soit, on ne peut pas sérieusement contester l'ampleur du travail accompli par le juge administratif entre la fin du 19ème siècle et les trente premières années du 20ème siècle et force est de constater que la plupart des règles forgées à cette époque font encore partie du droit positif, soit sous leur forme originelle (ce sont les "règles générales applicables aux contrats administratifs" auxquelles le juge administratif fait référence de temps à autre), soit sous une forme écrite (bon nombre de textes, tels que le Code des marchés publics, l'ordonnance du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat N° Lexbase : L2584DZQ) ou encore la loi "Sapin" du 29 janvier 1993 N° Lexbase : L8653AGL) reprennent la substance de ces règles jurisprudentielles pour les décliner aux différents contrats administratifs spéciaux). Mais, si le rôle du juge administratif reste important, il n'est pas exclusif de l'intervention du juge judiciaire (2). Il n'est pas rare, en effet, que le juge civil soit saisi d'un litige l'amenant à développer sa propre conception de la notion de contrat administratif et l'arrêt rendu le 9 janvier 2007 par la première chambre civile de la Cour de Cassation en constitue une parfaite illustration. 2-A l'origine de l'affaire se trouvait une convention cadre conclue le 6 octobre 1994 par la société d'économie mixte La Madeleine (SAIEM) avec la société SCIC Amo, devenue SCIC développement, puis Icade G3A, et dont l'objet portait sur la passation de mandats de maîtrise d'ouvrage pour la construction de logements sociaux à Evreux. Dans le cadre de sa mission, la SCIC développement avait noué des contacts avec la société Pollet, laquelle était détentrice d'un brevet qui évitait de recourir à la procédure d'appels d'offres. Mais les négociations n'ont pas abouti et la SAIEM, sans donner suite à une ultime proposition de la société Pollet, a finalement lancé un appel d'offres en janvier 1999 au terme duquel la société Pollet n'a pas été retenue. S'estimant lésée, cette dernière a alors assigné la SAIEM et la SCIC développement devant le tribunal de commerce de Nanterre en responsabilité pour rupture abusive des pourparlers du marché. En première instance comme en appel, le juge judiciaire a rejeté le recours formé par la société Pollet au motif, notamment, qu'elle n'était pas en mesure d'obtenir le financement adéquat et que la SCIC développement n'avait commis aucune faute. Surtout, dans son arrêt du 10 février 2005, la cour d'appel de Versailles a cru bon de rejeter le recours formé par la société Pollet au motif que le litige se rapportait à un contrat administratif à l'égard duquel le juge judiciaire n'était pas compétent. Plus précisément, elle a considéré que les critères organique et matériel du contrat administratif étaient remplis. Sur le premier, les juges d'appel ont considéré que la SAIEM était une société d'économie mixte entièrement contrôlée par la ville d'Evreux, qu'elle concourait à des missions d'intérêt général et qu'en dépit de son immatriculation au registre du commerce et des sociétés elle présentait tous les traits d'une véritable personne morale de droit public. Sur le second, ils ont estimé que le litige se rapportait à la signature d'un marché de travaux publics relatif à la construction de logements sociaux dans la ville d'Evreux.

3-Saisi par la société Pollet, la Cour de Cassation a cassé et annulé l'arrêt rendu par la cour d'appel au motif que "les sociétés d'économie mixte sont des personnes morales de droit privé qui ne sont pas soumises au Code des marchés publics et que les contrats qu'elles concluent, pour leur propre compte et non pour le compte d'une personne morale de droit public, avec une personne privée sont des contrats de droit privé". Les spécialistes du droit administratif verront dans cette décision le rappel d'une solution classique. On sait, en effet, qu'en matière contractuelle, et à la différence de la jurisprudence relative aux actes administratifs unilatéraux, la présence directe ou indirecte d'une personne publique est toujours nécessaire même si elle n'est jamais suffisante pour entraîner la qualification administrative du contrat, la compétence du juge éponyme et l'application des règles du droit public. Il reste qu'elle n'est pas sans intérêt car elle donne l'occasion de rappeler que si les contrats conclus par les sociétés d'économie mixte avec d'autres personnes privées sont par principe des contrats privés (I), il arrive aussi qu'ils soient qualifiés de contrats administratifs (II).

I- Le principe : la nature privée des contrats conclus par les sociétés d'économie mixte avec d'autres personnes privées

4-Comme le juge administratif, le juge judiciaire considère que les contrats conclus entre deux personnes privées ont une nature privée (A). Sans doute peut-on regretter que le fondement de cette solution n'ait jamais été explicitement précisé ni par l'un ni par l'autre (B).

A- Une solution classique

5-Le principe du caractère privé d'un contrat conclu entre deux personnes privées est ancien. Très tôt, la jurisprudence et la doctrine ont totalement exclu qu'un tel contrat puisse posséder une nature administrative. Toute une série d'arrêts relativement anciens ont clairement posé le principe (3) et les grands travaux doctrinaux consacrés à l'étude du contrat administratif entre la fin du 19ème siècle et le milieu du 20ème siècle ont raisonné comme si seuls les contrats passés par l'administration pouvaient prétendre à la qualification de contrat administratif (4). Ainsi Georges Péquignot écrivait-il en 1945 dans sa remarquable Contribution à la théorie générale du contrat administratif que "tous les contrats conclus par les administrations ne sont [...] pas nécessairement des contrats administratifs. Mais il faut bien se garder de formuler la proposition réciproque. Il est nécessaire, au contraire, pour qu'un contrat possède la qualité d'administratif, que l'administration y soit partie. Un contrat entre deux particuliers n'est pas un contrat administratif : il en est, par exemple, ainsi des contrats conclus par des organismes privés, même si ceux-ci poursuivent un but d'intérêt général ou sont soumis à un certain contrôle de la part de l'Etat" (5).

6-La solution n'a pas été remise en cause par la suite. Elle a, au contraire, été réaffirmée avec force par la jurisprudence à tel point que le Tribunal des conflits considère, depuis l'arrêt "Société Compagnie générale d'entreprise de chauffage" du 26 juin 1989, qu'elle constitue "une règle de valeur législative" (6). Sans doute faut-il y voir l'expression d'une "sorte" de principe général du droit (un peu étrange à vrai dire car il est rare qu'une règle de compétence juridictionnelle soit érigée au rang de principe général du droit, au surplus par le Tribunal des conflits) auquel seul le législateur peut déroger. Sont, donc, aujourd'hui qualifiés de contrats privés les contrats liant deux personnes privées et cela alors même que l'une d'entre elles est concessionnaire de service public (7) ou participe à l'exécution d'une mission de service public. Est également sans effet la circonstance que le contrat satisfait par ailleurs au critère matériel du contrat administratif : l'insertion de clauses exorbitantes (8), la soumission à un régime exorbitant du droit privé, le lien avec un travail public (9) ou une mission de service public ne suffisent pas à eux seuls à qualifier d'administratifs les contrats conclus entre deux personnes privées.

B- Les fondements de la solution

7-Ni le juge judiciaire ni le juge administratif n'ont pris le soin de préciser les fondements du principe selon lequel les contrats conclus entre personnes privées ont une nature privée. Celui-ci semble s'imposer avec la force de l'évidence et la seule explication avancée par les commissaires du Gouvernement réside dans la simplicité du critère organique. Dès 1963, G. Braibant affirmait dans ses conclusions sur l'arrêt "Syndicat des praticiens de l'art dentaire du Nord" "que la délimitation des compétences entre la juridiction administrative et l'autorité judiciaire soit compliquée, subtile, nuancée à l'excès, c'est aujourd'hui une vérité d'évidence sur laquelle il est inutile d'insister. Dans cet écheveau de principes, d'exceptions, et d'exceptions aux exceptions, il subsiste heureusement quelques règles claires, précises, constantes : tel est le cas de la règle selon laquelle les contrats passés par des personnes privées sont des contrats privés" (10). En 1999, J. Arrighi de Casanova soutenait devant le Tribunal des conflits (et a fortiori devant certains membres de l'autorité judiciaire compte tenu de la composition paritaire de ce Tribunal) que l'abandon de l'exigence organique serait "radicalement contraire à l'objectif de simplification qui doit, dans un souci de bonne administration de la justice, guider dans toute la mesure du possible la répartition des compétences entre les ordres de juridiction" (11).

8-Nul ne peut sérieusement contester la simplicité de l'équation contrat conclu entre personnes privées égale contrat privé. Il reste que pour faire face à la réalité de l'action administrative, laquelle se traduit par le recours de plus en plus fréquent à la technique contractuelle et à la personnalité privée (12), le juge administratif a reconnu qu'il ne fallait pas toujours s'arrêter aux apparences et qu'il convenait parfois de rechercher si derrière l'une des personnes privées contractantes ne se dissimulait pas une personne publique. Comme l'illustre l'arrêt commenté, le juge judiciaire retient une conception identique et cela même si elle provoque en retour une réduction de sa sphère de compétence.

II- La nature administrative de certains contrats conclus par les sociétés d'économie mixte avec d'autres personnes privées

9- Les contrats conclus par les sociétés d'économie mixte avec d'autres personnes privées peuvent être qualifiés d'administratifs s'il apparaît qu'elles sont transparentes et dissimulent une personne publique dont elles constituent en réalité le faux-nez (A). Il se peut aussi que sans être transparentes les sociétés d'économie mixte agissent comme mandataires d'une personne publique (B). Ces deux hypothèses méritent d'être clairement distinguées car elles correspondent à deux courants jurisprudentiels distincts. D'ailleurs, il semble que dans la présente affaire la cour d'appel ait entendu invoquer la notion de transparence pour retenir l'incompétence du juge judiciaire alors que la Cour de cassation a finalement opté pour la thèse du mandat.

A- La société d'économie mixte transparente

10-La tentation est forte pour les collectivités publiques, et surtout pour les collectivités territoriales, de recourir à la personnalité privée (et notamment à celle de l'association ou de la société d'économie mixte) pour échapper aux règles du droit public en général et de la comptabilité publique en particulier (13). En chargeant une personne morale de droit privé de conclure à sa place un certain nombre de contrats avec d'autres personnes privées, l'administration parvient à contourner le régime juridique général du contrat administratif et la compétence du juge administratif. Le juge a bien connaissance et conscience de ce genre de pratiques et des abus auxquelles elles peuvent conduire et il n'hésite donc pas à qualifier la personne privée contractante de transparente et à faire comme si la personne publique avait en vérité signé le contrat litigieux. Pour ce faire, il fonde sa solution sur la réunion de quatre critères devenus classiques en jurisprudence : création de la personne privée à l'initiative d'une personne publique, objet public et plus précisément gestion d'une mission de service public, financement public et influence publique

11-Un exemple bien connu de l'utilisation de la théorie des institutions transparentes en matière contractuelle est l'arrêt "Laurent" du 22 avril 1985. S'agissant d'un contrat relatif à l'exécution d'une mission de service public (une fête locale traditionnelle et plus précisément un lâcher de taureau) conclu entre un comité des fêtes municipal et un manadier, le Tribunal des Conflits a considéré que ledit comité avait agi pour le compte d'une personne publique "eu égard à son organisation et à son mode de financement" et qu'il convenait donc de qualifier ledit contrat de contrat administratif (14). Dans l'affaire jugée par la Cour de cassation le 9 janvier 2007, la cour d'appel a clairement entendu se placer sur ce terrain de la transparence. On retrouve, en effet, dans l'argumentation de la cour d'appel de Versailles une référence explicite aux deux indices tirés du contrôle public (la SAIEM est "une société d'économie mixte entièrement contrôlée par la ville d'Evreux, qui détient la majorité de son capital social") et de l'objet public ("elle concourt à des missions d'intérêt général, telles que la construction de logements sociaux"). Et de cette double constatation, les juges versaillais ont conclu qu'en "dépit de son immatriculation au registre du commerce et des sociétés, la SAIEM est une personne morale de droit public". Nul doute qu'une telle appréciation méritait d'être censurée. S'il est vrai que la jurisprudence n'exige pas toujours la réunion des quatre indices évoquées pour établir la situation de transparence, elle n'a jamais affirmé, comme l'a fait la cour d'appel, que la société d'économie mixte transparente est une personne morale de droit public. La reconnaissance de la transparence d'une institution n'a jamais eu pour effet de transformer une personne privée en personne publique. Elle permet simplement de débusquer la personne publique qui se cache derrière la personne privée.

B-La société d'économie mixte mandataire

12-La Cour de cassation a donc logiquement cassé l'arrêt de la cour d'appel en rappelant solennellement que "les sociétés d'économie mixte sont des personnes morales de droit privé qui ne sont pas soumises au Code des marchés publics et que les contrats qu'elles concluent, pour leur propre compte et non pour le compte d'une personne morale de droit public, avec une personne privée sont des contrats de droit privé". Par cette formule, elle a en réalité fait d'une pierre deux coups. Elle a censuré le raisonnement erroné que l'on sait en soulignant que la transparence d'une personne morale de droit privé n'en faisait pas pour autant une personne morale de droit public. Mais elle a aussi placé son argumentation sur un autre terrain que la transparence comme en témoigne l'utilisation de l'expression "pour le compte de". On sait, en effet, que par cette formule le juge renvoie directement à la notion de mandat. Celui-ci peut être un mandat civil au sens de l'article 1984 du Code civil (N° Lexbase : L2207ABD) (1°) ou être un mandat spécifique propre au droit administratif (2°) (15).

1-La société d'économie mixte titulaire d'un mandat civil

13-Il n'est pas rare que le juge qualifie d'administratif un contrat conclu entre deux personnes privées lorsqu'il lui apparaît que l'une d'entre elles a agi en vertu d'un mandat délivré par l'administration dans les conditions définies par l'article 1984 du Code civil lequel dispose que le mandat est "l'acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom". Il n'est pas toujours facile de déterminer sur quel fondement le juge a entendu se placer pour identifier un contrat administratif conclu entre personnes privées et plus précisément de savoir s'il s'agit d'un mandat civil ou d'un mandat administratif. En vérité, quelques signes ne trompent pas. Le renvoi dans les visas des décisions du juge aux dispositions pertinentes du Code civil est un renseignement très fort. De même, le vocabulaire employé par le juge n'est pas le même lorsqu'il se fonde sur l'existence d'un mandat civil. Dans cette hypothèse, il affirme volontiers que l'une des personnes privées contractantes a agi "par mandat et pour le compte" d'une personne publique (16) ou même "au nom et pour le compte" de l'administration (17) alors qu'il considère que la personne privée a seulement agi "pour le compte" de l'administration dans le cadre d'un mandat administratif.

2-La société d'économie mixte titulaire d'un mandat administratif

14-L'idée selon laquelle il existerait un mandat administratif distinct du mandat civil est aujourd'hui plus facilement admise que par le passé et on doit s'en féliciter car elle permet de donner une certaine unité à des courants jurisprudentiels que l'on s'expliquait difficilement (18). Ce mandat administratif repose comme son homologue civiliste sur une logique de représentation. Cependant, il s'en distingue aussi largement car son identification repose sur une série de critères qui en font un concept jurisprudentiel relativement souple (19).

15-Le premier d'entre eux peut être qualifié de matériel et renvoie à la célèbre jurisprudence "Société Entreprise Peyrot" (20). Dans cette décision, le Tribunal des conflits a qualifié d'administratif le contrat conclu entre la société concessionnaire de l'autoroute Estérel-Côte d'Azur et la société Entreprise Peyrot en arguant du fait que "la construction des routes nationales a le caractère de travaux publics et appartient par nature à l'Etat ; que, par suite, les marchés passés par le maître de l'ouvrage pour cette exécution sont soumis aux règles du droit public [...] qu'il doit en être de même pour les marchés passés par le maître de l'ouvrage pour la construction d'autoroutes dans les conditions prévues par la loi du 18 avril 1955, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon que la construction est assurée de manière normale directement par l'Etat, ou à titre exceptionnel par un concessionnaire agissant en pareil cas pour le compte de l'Etat, que ce concessionnaire soit une personne morale de droit public, ou une société d'économie mixte, nonobstant la qualité de personne morale de droit privé d'une telle société". Cette jurisprudence a été interprétée dans un premier temps comme consacrant une véritable exception au critère organique du contrat administratif, la doctrine majoritaire considérant que le critère matériel des travaux appartenant par nature à l'Etat permettait à lui seul de justifier la qualification administrative d'un contrat conclu entre personnes privées (21). En vérité, même si une partie de la doctrine continue de soutenir cette thèse (22), plusieurs arguments inclinent à penser que le courant jurisprudentiel initié par la décision société Entreprise Peyrot peut être rattaché à la notion de mandat administratif. Le commissaire du Gouvernement Lasry avait souligné tout d'abord dans ses conclusions que la société concessionnaire d'autoroutes était placée "dans une situation de fait et de droit assimilable à celle d'un mandataire, agissant pour le compte d'une personne morale de droit public et dans les mêmes conditions que celle-ci" (23). Par ailleurs, l'emploi par le répartiteur des compétences de l'expression "pour le compte de" peut parfaitement être interprété comme attribuant une connotation organique au critère matériel des travaux "appartenant par nature à l'Etat". Enfin, cette thèse du mandat administratif permet d'établir un lien entre la jurisprudence "Peyrot" et celle qui s'est développée par la suite.

16-Le deuxième critère d'identification du mandat administratif est d'ordre relationnel. Il se compose en une pluralité d'indices qui permettent d'établir que l'une des deux personnes privées contractantes, sans être transparente, entretient des relations tellement étroites avec l'administration qu'il apparaît qu'elle agit en réalité pour son compte. Sa consécration remonte à l'arrêt "Société d'équipement de la région montpelliéraine (SERM)" du 30 mai 1975 (24). Ayant à connaître d'un contrat par lequel la SERM, concessionnaire d'une zone à urbaniser en priorité, avait confié à une entreprise la construction des voies publiques traversant cette zone, la Section du contentieux du Conseil d'Etat a reconnu sa compétence au motif que la SERM "agissait non pas pour son propre compte, ni en sa qualité de concessionnaire mais pour le compte des collectivités publiques auxquelles les voies devaient être remises". Cette jurisprudence a été largement confirmée par la suite, aussi bien par le juge administratif (25), par le juge des conflits (26) que par le juge judiciaire (27). Et le Conseil d'Etat n'a pas hésité à affirmer explicitement que le fondement de la compétence administrative était bien le mandat. Dans l'arrêt "Société provençale d'équipement" du 27 novembre 1987, la Section du contentieux a en effet indiqué, concernant un appel en garantie intenté par la société requérante contre un maître d'oeuvre privé, qu'elle "agissait non pas pour son compte ni en sa qualité de concessionnaire mais pour le compte du Syndicat mixte d'équipement d'Aubagne et pour le compte de la commune d'Aubagne" avant de préciser qu'elle agissait ici comme "mandataire" (28). Pour identifier ce mandat administratif fondé sur un critère relationnel, le juge utilise de nombreux indices tels que l'objet du contrat, le contrôle de la personne publique sur les travaux effectués, le versement de subventions publiques, la remise des ouvrages construits à l'administration, la substitution de plein droit de la collectivité publique à la personne privée pour toute action en responsabilité décennale (29), le mode de création de la société privée, les règles applicables à son personnel, la composition de son capital, la similitude d'intérêts avec une personne publique (30), les conditions d'exécution du contrat, l'existence d'un lien de subordination vis-à-vis du chef de service de la personne publique, etc (31).

17-Rien ne permet de deviner si le juge de renvoi (la cour d'appel de Versailles autrement composée) privilégiera la thèse de la transparence comme elle l'a déjà fait dans son arrêt du 10 février 2005 (32) ou si elle tranchera en faveur de l'identification d'un mandat administratif (lequel ne pourrait être qu'un mandat administratif reposant sur un critère relationnel car la construction de logements sociaux n'a jamais été qualifiée de travaux appartenant par nature à l'Etat). En tout cas, il est un dernier point important qu'il ne faut pas négliger : l'identification d'un mandat administratif est sans influence sur la détermination du champ d'application du Code des marchés publics. En effet, les sociétés d'économie mixte sont des personnes morales de droit privé qui ne sont pas soumises au Code des marchés publics. Cela signifie que si la découverte d'un mandat administratif entraîne la qualification administrative du contrat conclu entre deux personnes privées, elle n'a pas pour effet de le faire entrer dans le champ d'application organique du Code des marchés publics. Cette solution résulte très clairement de l'arrêt "Société National Westminster Bank" (33) : "aucune disposition du Code des marchés publics ni aucune autre disposition n'a pour objet ou pour effet de rendre ce code applicable, de façon générale, aux marchés des sociétés d'économie mixte ; qu'il en va ainsi des marchés des sociétés d'économie mixte concessionnaires de travaux autoroutiers, alors même que, lorsqu'ils sont passés pour l'exécution de tels travaux, ils sont soumis aux règles du droit public". En revanche, il n'est pas certain que l'on puisse étendre cette solution aux sociétés d'économie mixte transparentes. Toute la jurisprudence relative aux personnes privées ectoplasmiques repose sur l'idée que la transparence fait apparaître la personne publique qui doit alors être considérée comme le seul signataire du contrat. En toute logique, il faudrait donc considérer qu'un contrat administratif conclu entre deux personnes privées dont l'une est transparente entre dans le champ d'application organique du Code des marchés publics. Espérons que l'arrêt à venir de la cour d'appel de Versailles nous apportera d'utiles précisions sur ce point. Si tel était le cas, se trouverait confirmée l'idée que le droit des contrats administratifs est aussi l'affaire du juge judiciaire.

François Brenet
Maître de Conférences en droit public à l'Université de Tours


(1) F. Llorens, Le droit des contrats administratifs est-il un droit essentiellement jurisprudentiel ? ; Mélanges Max Cluzeau, Université de Toulouse, 1985, p. 395.
(2) Voir sur ce point, la thèse de référence d'A. Van Lang, Juge judiciaire et droit administratif ; LGDJ 1996, BDP, tome 183.
(3) Par exemple : CE, 18 octobre 1935, Compagnie des chemins de fer du Nord, Rec. CE, p. 353 ; CE, 24 mai 1938, Sieurs Burelle et autres, Rec. CE, p. 473 ; CE, 26 janvier 1944, Société des établissements Balzer, Rec. CE, p. 32 ; CE, S, 29 juin 1951, Société des travaux du Sud, Rec. CE, p. 386 ; CE, 9 juillet 1952, Société le tube d'acier, Rec. CE, p. 367 ; CE, 28 novembre 1952, Société auxiliaire de distribution d'eau, Rec. CE, p. 546, etc.
(4) Voir en ce sens : J. Sudre, La compétence du Conseil d'Etat en matière de contrats ; Sirey, 1928 ; J. Rouvière, A quels signes reconnaître les contrats administratifs ? ; thèse Paris, 1930 ; G. Jèze, Les contrats administratifs de l'Etat, des départements, des communes et des établissements publics ; Giard, 1927, tome 1, p. 18 ; A. de Laubadère, Traité théorique et pratique des contrats administratifs ; LGDJ, 1ère édition, 1956, tome 1, n° 34, p. 55, etc.
(5) G. Péquignot, Contribution à la théorie générale du contrat administratif ; thèse, Montpellier, 1945, p. 63.
(6) T. Confl., 26 juin 1989, Société Compagnie générale d'entreprise de chauffage ; D. 1990, SC, p. 191, obs. X. Prétot ; Dr. adm. 1989, n° 439.
(7) Par exemple : T. Confl., 17 décembre 2001, Société Rue impériale de Lyon ; BJCP 2002, n° 21, p. 127, concl. G. Bachelier ; Dr. adm. 2002, comm. n° 49, comm. E. Delacour ; etc.
(8) Par exemple : T. Confl., 6 novembre 1967, n° 01902, Société coopérative HLM "Notre cottage" (N° Lexbase : A8138BDR) ; Rec. CE, p. 657 ; T. Confl., 15 novembre 1999, n° 03155, Dame Mollo c/ Société entreprise industrielle (N° Lexbase : A5574BQI) ; AJDA 2000, p. 172 ; T. Confl., 26 mars 1990, n° 02596, Association pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) (N° Lexbase : A8448BDA) ; Rec. CE, p. 635 ; D. 1991, SC, p.103, obs. P. Terneyre ; Dr. adm. 1990, n° 341 ; etc.
(9) TC, 17 janvier 1972, SNCF c/ Entreprise Solon ; RDP 1972, p. 465, concl. G. Braibant ; etc.
(10) G. Braibant, concl. sur CE, 13 décembre 1963, Syndicat des praticiens de l'art dentaire du Nord ; D. 1964, p. 55 et spéc. p. 57.
(11) J. Arrighi de Casanova, concl. sur T. Confl., 15 février 1999, n° 03108, GAEC des Trémières (N° Lexbase : A5562BQ3) ; JCP 1999, II, n° 10146.
(12) F. Lichère, L'évolution du critère organique du contrat administratif ; RFDA 2002, p. 341.
(13) Pour un exemple récent : CE, 5 décembre 2005, n° 259748, Département de la Dordogne (N° Lexbase : A9328DL3) ; AJDA 2006, p. 657, note F. Brenet ; JCP ed. A 2006, n° 1005, concl. E. Glaser ; Coll. Terr. Intercomm. 2006, n° 22, comm. J. Moreau.
(14) TC, 2 avril 1985, Laurent ; Rec. CE, p. 541. Voir aussi : CAA Paris, 2 avril 2002, n° 00PA03603, Commune de Noisy-le-Grand (N° Lexbase : A5507AZY) ; Collectivités territoriales -Intercommunalité 2002, n° 188 ; CAA Paris, 20 avril 2005, n° 02PA02193, Commune de Boulogne-Billancourt (N° Lexbase : A1219DIY) ; Contrats marchés publ. 2005, comm. n° 211, note G. Eckert. Sur ce thème, voir F. Lichère, Les contrats administratifs entre personnes privées-représentation, transparence et exceptions jurisprudentielles au critère organique du contrat administratif ; thèse Montpellier I, 1998, p. 252 et s.
(15) Sur ce thème, voir l'importante recherche de M. Canedo, Le mandat administratif ; LGDJ, 2001, BDP, tome 216.
(16) CE, S, 2 juin 1961, Sieur Leduc ; AJDA 1961, p. 345, concl. G. Braibant ; CE, 16 février 1966, n° 51026, Sieur Bernard (N° Lexbase : A0949B8N) ; Rec. CE, p. 114 ; CE, 14 octobre 1966, n° 64121, Ville de Montdidier (N° Lexbase : A0265B8C) ; Rec. CE, p. 539 ; etc.
(17) Cass. civ. 1, 2 février 1972, n° 70-10458, Société immobilière d'économie mixte et Saint Gratien c/ Compagnie industrielle et technique appliquée à la construction (N° Lexbase : A7052CEW) ; AJDA 1973, II, p. 47.
(18) Parmi les travaux les plus récents : M. Canedo, Le mandat administratif ; LGDJ, 2001,BDP, tome 216 ; C. Guettier, Droit des contrats administratifs ; PUF, 2004, p.118 et s. ; n° 168 et s. ; E. Delacour, Les contrats publics des personnes privées en droit français ; Mélanges en l'honneur du Professeur Michel Guibal ; Faculté de droit de Montpellier, 2005, vol. 1, p. 633 ; L. Richer, Droit des contrats administratifs ; LGDJ, 5ème édition, 2006, p. 124 et s., n° 170 et s. ; etc.
(19) En ce sens : B. Genevois, conclusions sur T. Confl. 12 novembre 1984, n° 02356, Société d'économie mixte du tunnel de Sainte-Marie-aux-Mines (N° Lexbase : A8242BDM) ; AJDA 1985, p.156.
(20) T. Confl., 8 juillet 1963, n° 01804, Société entreprise Peyrot ([LXB=A8175BD7 ]) ; Rec. CE, p. 787 ; AJDA 1963, p. 463, chron. M. Gentot et J. Fourré ; D. 1963, p. 534, concl. C. Lasry, note P.-L. Josse ; JCP 1963, n° 13375, note J.-M. Auby ; RDP 1963, p. 766, concl. C. Lasry ; GAJA n° 84, p. 563.
(21) Par exemple : J.-P. Colin, La nature juridique des marchés de travaux passés par les sociétés d'économie mixte concessionnaires de travaux publics ; AJDA 1966, p. 474 et spéc. p. 480 ; B. Genevois, conclusions sur TC, 12 novembre 1984, Société d'économie mixte du tunnel de Saint-Marie aux Mines et autres ; AJDA 1985, p. 156 et spéc. p. 158 ; etc.
(22) Par exemple : C. Guettier, Droit des contrats administratifs ; précité, p. 120, n° 177 ; F. Lichère, L'évolution du critère organique du contrat administratif ; précité, p.342 ; M. Long, P. Weil, G. Braibant, P. Delvolvé, B. Genevois, GAJA, précité, p. 566.
(23) Voir sur ce point la démonstration de M. Canedo, Le mandat administratif ; précité, p. 104.
(24) CE, S, 30 mai 1975, n° 86738, Société d'équipement de la région montpelliéraine (N° Lexbase : A4597A4Z) ; Rec. CE, p. 326 ; AJDA 1975, p. 345, chron. M. Franc et M. Boyon ; D. 1976, p. 3, note F. Moderne ; RDP 1976, p. 1730.
(25) CE, 11 juin 1975, n° 88606, Société d'équipement d'Auvergne c/ Dame Carvanier et Entreprise Barrat (N° Lexbase : A8011B7T) ; Rec. CE, p. 921 ; AJDA 1975, p. 348.
(26) T. Confl., 7 juillet 1975, n° 02013, Commune d'Agde (N° Lexbase : A8157BDH) ; Rec. CE, p. 798 ; D. 1977, p. 8, note C. Bettinger ; JCP 1975, II, 18171, note F. Moderne.
(27) Cass. civ. 1, 10 mars 1987, n° 85-13.939, Groupement thermique de Nemours Mont Saint-Martin c/ M. Calsat et autres (N° Lexbase : A6488AAK) ; BC I, n° 92 ; Cass. civ. 1, 1er octobre 1985, n° 84-14.700, Groupement thermique de Bures-Orsay (N° Lexbase : A4755AAD) ; BC I, n° 241.
(28) CE, 27 novembre 1987, n° 38318, Société provençale d'équipement (N° Lexbase : A3474APD) ; RFDA 1988, p. 384, concl. M. Fornacciari ; p. 397, note F. Moderne ; AJDA 1987, p. 716, chron. M. Azibert et M. de Boisdeffre ; Dr. adm. 1988, n° 32. Voir aussi : CE, 13 novembre 1987, n° 55445, Syndicat intercommunal de l'Ecole des clos (N° Lexbase : A3483APP) ; RFDA 1988, p. 380, concl. Y. Robineau ; CE, 1er mars 1989, n° 12841, Société d'équipement du département de la Gironde (N° Lexbase : A2667AQT) ; Dr. adm. 1988, n° 255 ; LPA du 23 novembre 1990, p. 12, note F. Moderne.
(29) Tous ces indices ont été utilisés dans l'arrêt "SERM" de 1975, mais cela n'a pas toujours été le cas par la suite. Par exemple : CE, 11 juin 1975, n° 88606, Société d'équipement d'Auvergne c/ Dame Carvanier et Entreprise Barrat (N° Lexbase : A8011B7T) ; Rec. CE, p. 1127 (aucune référence aux modalités de mise en oeuvre de l'action en responsabilité décennale) ; CE, 22 juillet 1977, Société "Nord Océan Poirsos et Compagnie" ; Rec. CE, p. 347 (seule référence à la destination publique des travaux) ; etc.
(30) T. Confl., 10 mai 1993, n° 02840, Société Wanner Isofi Isolation et Société Nersa (N° Lexbase : A5899BKP) ; Rec. CE, p. 399 ; CJEG 1994, p. 86, concl. P. Martin, note D. Delpirou ; RDP 1996, p. 1171, note F. Lichère ; a contrario CE, 17 décembre 1999, n° 179098, Société Ansaldo Industria et SA Bouygues (N° Lexbase : A4924AXN) ; Rec. CE, p. 423 ; BJCP 2000, p. 124, concl. H. Savoie ; Dr. adm. 2000, n° 30 ; RFDA 2000, p. 200.
(31) CE, Avis, 16 mai 2001, n° 229811, Mlle Joly et Mlle Padroza (N° Lexbase : A2666AYE) (article L. 113-1 du CJA) ; Rec. CE, p. 237 ; AJFP 2001, n° 5, p. 4, concl. P. Fombeur, note P. Boutelet ; RDP 2001, p. 1513, note M. Canedo.
(32) Encore faudrait-il dans cette dernière hypothèse qu'elle "muscle" son argumentation et qu'elle n'affirme pas comme elle l'avait fait par erreur dans sa décision du 10 février 2005 qu'une société d'économie mixte transparente est une personne morale de droit public.
(33) CE, 19 novembre 2004, Société National Westminster Bank ; Rec. CE, p. 765 ; JCP ed. A 2004, 1813, concl. D. Casas ; AJDA 2005, p. 375, note J.-D. Dreyfus ; BJCP 2005, n° 39, p. 111, obs. R.S.

newsid:270411

Social général

[Evénement] La géolocalisation des salariés : enjeux juridiques et sociaux

Lecture: 14 min

N0316BAX

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3208913-edition-n-248-du-15022007#article-270316
Copier

par Compte-rendu réalisé par Christine Baudoin, Avocat au Barreau de Paris, Associée du Cabinet LMT avocats, spécialiste en droit social

Le 07 Octobre 2010

La géolocalisation des salariés : enjeux juridiques et sociaux. Telle était la problématique abordée par l'atelier droit du travail et nouvelles technologies de l'Adij et de la Commission Ouverte Marchés Emergents et Nouvelles Technologies du Barreau de Paris, le 1er février dernier. Cet atelier était animé par Christine Baudoin, avocat au Barreau de Paris, associée du Cabinet LMT avocats, spécialiste en droit social, et Nicole Turbé Suetens, experte européenne en nouvelles organisations du travail. La géolocalisation est la localisation d'un objet sur une carte à l'aide de positions géographiques. On utilise la géolocalisation par GPS (Global Positionning System) pour localiser des mobiles en déplacement. Ce concept est de plus en plus utilisé pour des applications de gestion de flottes et de sécurisation de véhicules. Or, les dispositifs de géolocalisation permettent aux employeurs de prendre connaissance de la position géographique de leurs salariés, à un instant donné ou en continu, par la localisation des véhicules mis à leur disposition pour l'accomplissement de leur mission. Les systèmes de géolocalisation des véhicules sont fondés sur le traitement d'informations issues de satellites (GPS) couplés à l'utilisation d'un réseau de communications électroniques.

Aujourd'hui, la définition de la géolocalisation est celle que donne la Commission nationale Informatique et Libertés (Cnil) : "Les dispositifs dits de géolocalisation permettant aux employeurs privés ou publics de prendre connaissance de la position géographique, à un instant donné ou en continu, des employés par la localisation d'objets dont ils ont l'usage (badge, téléphone mobile) ou des véhicules qui leur sont confiés".

1. Les sources : pas de texte spécifique

1.1. Le droit communautaire

La géolocalisation a, tout d'abord, fait l'objet d'une réflexion par le groupe de protection des personnes à l'égard du traitement des données à caractère personnel émanant de l'article 29 de la Directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, en date du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation des données (N° Lexbase : L8240AUQ).

Ensuite, les données de la géolocalisation ont été définies par la Directive européenne 2002/58 du 12 juillet 2002 (N° Lexbase : L6515A43) : "les données traitées dans un réseau de communications électroniques indiquant une position géographique de l'équipement terminal d'un utilisateur d'un service de communications électroniques accessible au public".

1.2. Le droit français

En France, l'encadrement juridique de la géolocalisation a été régi, pour la première fois, par la loi n° 2004-669 du 9 juillet 2004 relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle (article 10) (N° Lexbase : L9189D7H).

La loi précitée avait pour finalité de transposer cinq Directives relatives aux communications électroniques :
- Directive 2002/21/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communication (Directive Cadre) (N° Lexbase : L7188AZA) ;
- Directive 2002/20/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à l'autorisation de réseaux et de services de communications électroniques (Directive autorisation) (N° Lexbase : L7187AZ9) ;
- Directive 2002/19/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à l'accès aux réseaux de communications électroniques et aux ressources associées, ainsi qu'à leur interconnexion (Directive Accès) (N° Lexbase : L7190AZC) ;
- Directive 2002/22/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques (Directive "Service universel") (N° Lexbase : L7189AZB) ;
- Directive 2002/58/CE du 12 juillet 2002 concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques, appelée également Directive "données personnelles" (N° Lexbase : L6515A43).

Elles entrent, également, dans le champ d'application de la loi n° 2004-801, du 6 août 2004, relative à la protection des personnes physiques à l'égard des traitements de données à caractère personnel (N° Lexbase : L0722GTW), modifiant la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés (article 2) (N° Lexbase : L8794AGS).

2. La jurisprudence

Dans un arrêt rendu par la Cour de cassation, il a été jugé qu'une filature organisée par l'employeur afin de contrôler et de surveiller l'activité d'un salarié constitue un moyen de preuve illicite, qui ne peut donc être invoqué en justice, même lorsque le salarié avait été informé de la possibilité de ce contrôle (Cass. soc., 26 novembre 2002, n° 00-42.401, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0745A4D ; lire les obs. de Sonia Koleck-Desautel, La filature du salarié constitue un moyen de preuve illicite en matière de licenciement, Lexbase Hebdo n° 51 du 12 décembre 2002 - édition sociale N° Lexbase : N5093AAU) : "une filature organisée par l'employeur pour contrôler et surveiller l'activité d'un salarié constitue un moyen de preuve illicite dès lors qu'elle implique nécessairement une atteinte à la vie privée de ce dernier, insusceptible d'être justifiée, eu égard à son caractère disproportionné, par les intérêts légitimes de l'employeur".

De surcroît, dans un arrêt de la cour d'appel d'Agen en date du 3 août 2005 (CA Agen, 3 août 2005, n° 04/00356, Pierre Y c/ SAS Sico Le Longeron N° Lexbase : A9980DTS), la Cour énonce, à juste titre, que "la géolocalisation d'un véhicule doit être proportionnée au but recherché et que la mise sous surveillance permanente des déplacements des salariés est disproportionnée lorsque des vérifications peuvent être faites par d'autres moyens, comme c'est le cas en l'espèce, puisque l'employeur pouvait mener des enquêtes auprès des clients que le salarié était censé visiter [...] qu'il résulte de ces éléments que la mise en oeuvre du GPS était illégale comme disproportionnée au but recherché et ne peut être admise en preuve".

3. Développement de ces dispositifs depuis les années 2000

La mise en place de dispositifs de géolocalisation séduit les entreprises. D'une part, la croissance des entreprises est étroitement liée à la mobilité des employés et, d'autre part, la géolocalisation permet une optimisation des déplacements.

3.1. L'information et la consultation du comité d'entreprise

Préalablement à la mise en place d'un tel système, il est impératif pour l'employeur d'informer et de consulter le comité d'entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel sur les traitements automatisés qu'il prévoit de mettre en place, ainsi que toutes les modifications de ceux-ci (C. trav., art. L. 432-2-1 N° Lexbase : L6403AC7).

Cette étape est indispensable pour être en mesure de démontrer que les salariés ont bien été informés de la mise en place du système, et de pouvoir, le cas échéant, utiliser les informations recueillies comme moyen de preuve dans le cadre d'un litige.

Le défaut d'information des employés est puni de 1 500 euros d'amende (décret n° 81-1142, du 23 décembre 1981, instituant des contraventions de police en cas de violation de certaines dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés N° Lexbase : L3739HUZ).

3.2. L'information individuelle et préalable des salariés

La Cnil rappelle que, conformément à l'article 32 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée en août 2004 et à l'article 34-1 V du Code des postes et des communications électroniques (N° Lexbase : L1145HHU), les employés doivent être informés individuellement et préalablement à la mise en oeuvre du traitement :
- de la finalité ou des finalités poursuivies par le traitement de la géolocalisation ;
- des catégories de données de géolocalisation traitées ;
- de la durée de conservation des données de géolocalisation les concernant ;
- des destinataires ou catégories de destinataires des données ;
- de l'existence d'un droit d'accès, de rectification et d'opposition et de leurs modalités d'exercice ;
- le cas échéant, des transferts de données à caractère personnel envisagés à destination d'un Etat non membre de la communauté européenne.

Il est absolument nécessaire de faire, également, signer à chaque salarié concerné un avenant à son contrat de travail, ou d'insérer ces dispositions dans le règlement intérieur.

D'ailleurs, un exemple de note de service adressée à l'ensemble du personnel dans une société de taxis figure dans le guide de la géolocalisation des salariés.

3.3. La déclaration préalable à la Cnil

  • Les textes

L'employeur souhaitant mettre en place un tel système devra donc, comme pour tout autre traitement d'informations personnelles, effectuer une déclaration préalable à la Cnil (chapitre IV de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978). L'employeur doit effectuer une déclaration normale. Il suffit de compléter les documents disponibles sur le site de la Cnil

La Cnil a mis en place une nouvelle norme permettant de réaliser une déclaration simplifiée du système de géolocalisation.

Par ailleurs, les entreprises ayant désigné un correspondant informatique et liberté (Cil) sont dispensées de déclarations.

  • Les sanctions

Les pouvoirs de contrôle et de sanction de la Cnil ont été largement renforcés par la loi n° 2004-182 du 6 août 2004, relative à la protection des personnes physiques à l'égard des traitements de données à caractère personnel (loi n° 2004-801, relative à la protection des personnes physiques à l'égard des traitements de données à caractère personnel et modifiant la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés N° Lexbase : L0722GTW).

Ainsi, la non-déclaration d'un système de traitement de données à caractère personnel est punie de 5 ans d'emprisonnement et de 300 000 euros d'amende (C. pén., art. 226-16 N° Lexbase : L4476GTX). Sur le plan civil, la non-déclaration rend le dispositif inopposable aux employés, c'est-à-dire que l'employeur ne pourra utiliser les données contre l'employé.

La Cour de cassation a considéré qu'un employeur ne peut sanctionner un employé qui refuserait de se plier à la mise en oeuvre d'un traitement de données à caractère personnel si ce traitement n'a pas été déclaré à la Cnil (Cass. soc., 6 avril 2004, n° 01-45.227, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8004DB3 ; lire les obs. de Christophe Radé, L'entreprise, espace privé d'exercice des libertés publiques, Lexbase Hebdo n° 116 du 15 avril 2004 - édition sociale N° Lexbase : N1239ABI). Dans cette affaire, un employé refusait d'utiliser les badges mis en place pour contrôler les entrées et sorties des employés, système non déclaré à la Cnil. Il avait alors été licencié pour faute. "Mais attendu qu'il résulte de la combinaison des articles 16, 27 et 34 de la loi n° 78-16 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, 226-16 du Code pénal, L. 121-8 (N° Lexbase : L5450ACT) et L. 432-2-1 (N° Lexbase : L6403AC7) du Code du travail, qu'à défaut de déclaration à la Commission nationale de l'informatique et des libertés d'un traitement automatisé d'informations nominatives concernant un salarié, son refus de déférer à une exigence de son employeur impliquant la mise en oeuvre d'un tel traitement ne peut lui être reproché ; que le moyen ne peut dès lors être accueilli".

4. Problématiques

Les dispositifs de géolocalisation présentent des risques certains au regard des libertés individuelles (liberté d'aller et venir anonymement, droit à la vie privée) et des droits collectifs (droit syndical, droit de grève).

4.1. La géolocalisation au regard des libertés individuelles

  • Le principe

L'utilisation de ce dispositif est susceptible de porter atteinte à la liberté d'aller et venir et à la vie privée, dans la mesure où il permet de connaître avec précision les itinéraires des conducteurs des véhicules.

Ce type de contrôle doit être apprécié à la lumière de l'article L. 120-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5441ACI) : "Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature des tâches à accomplir, ni proportionnées au but recherché".

La Cnil a, notamment, considéré que la mise sous surveillance permanente des déplacements des salariés est disproportionnée lorsque la tâche à accomplir ne réside pas dans le déplacement lui-même, mais dans la réalisation d'une prestation pouvant faire elle-même l'objet d'une vérification. Les entreprises voulant avoir recours à ces systèmes doivent, avant tout, s'interroger sur le caractère proportionné ou non d'un tel outil : "suivre mes employés lors de tous leurs déplacements n'est-il pas démesuré par rapport à la nature des tâches qu'ils effectuent ?"

Si la fonction du salarié est de conduire un véhicule pour transporter des biens, la mise sous surveillance de ses déplacements pourrait ainsi être légitime. En revanche, serait interdit à l'employeur le contrôle des déplacements de ses commerciaux dont la fonction est de se rendre chez les clients pour vendre des produits. Les visites effectuées par ces salariés peuvent être confirmées par les clients.

La Cnil distingue entre le véhicule de fonction et le véhicule de société. Le véhicule de société ne peut, en principe, être utilisé en dehors des heures de travail contrairement au véhicule de fonction. C'est pourquoi, la Commission recommande que les dispositifs de géolocalisation installés sur les véhicules de fonction disposent d'un système d'interrupteur permettant aux employés de les désactiver.

  • La jurisprudence et la doctrine

Dans un arrêt de la Cour de cassation, il a été jugé qu'une filature organisée par l'employeur afin de contrôler et de surveiller l'activité d'un salarié constitue un moyen de preuve illicite, qui ne peut donc être invoqué en justice, même lorsque le salarié avait été informé de la possibilité de ce contrôle (Cass. soc., 26 novembre 2002 n° 00-42.401, Meret c/ Société Wyeth-Lederle, préc.).

De surcroît, dans un arrêt de la cour d'appel d'Agen en date du 3 août 2005 (préc.), la Cour énonce, à juste titre, que "la géolocalisation d'un véhicule doit être proportionnée au but recherché et que la mise sous surveillance permanente des déplacements des salariés est disproportionnée lorsque des vérifications peuvent être faites par d'autres moyens, comme c'est le cas en l'espèce, puisque l'employeur pouvait mener des enquêtes auprès des clients que le salarié était censé visiter [...] qu'il résulte de ces éléments que la mise en oeuvre du GPS était illégale comme disproportionnée au but recherché et ne peut être admise en preuve".

De ce fait, la surveillance systématique des déplacements des salariés pourrait être assimilée par les juridictions à une véritable "filature électronique" et constituer, ainsi, une atteinte à la vie privée de ces derniers, susceptible de ne pouvoir être justifiée par les intérêts légitimes de l'employeur, eu égard à son caractère disproportionné.

La Commission rappelle que le détournement de finalité est sanctionné par l'article 226-21 du Code pénal (N° Lexbase : L4485GTB), qui prévoit une peine de 5 ans d'emprisonnement et de 300 000 euros d'amende.

4.2. La géolocalisation au regard des droits collectifs

  • Le principe : liberté d'exercice du droit syndical

L'article L. 412-1 du Code du travail (N° Lexbase : L6326ACB) dispose que : "l'exercice du droit syndical est reconnu dans toutes les entreprises dans le respect des droits et libertés garantis par la Constitution de la République, en particulier de la liberté individuelle du travail. Les syndicats professionnels peuvent s'organiser librement dans toutes les entreprises conformément aux dispositions du présent titre. Les dispositions du présent titre sont applicables aux établissements publics à caractère industriel et commercial et aux établissements publics déterminés par décret qui assurent, tout à la fois, une mission de service public à caractère administratif et à caractère industriel et commercial, lorsqu'ils emploient du personnel dans les conditions du droit privé".

  • Les atteintes à ce principe

Exercice du mandat. Les salariés titulaires d'un mandat de représentant du personnel ne doivent pas être géolocalisés pendant leurs heures de délégation quand ils effectuent des déplacements à l'extérieur de l'entreprise.

Droit de grève. L'exercice du droit de grève peut être entravé par la possibilité de géolocaliser à tout moment le salarié.

4.3. L'intervention de la Cnil

Ces dispositifs de géolocalisation de véhicules se banalisent dans les entreprises. L'utilisation de ces outils conduit l'employeur à exercer un contrôle renforcé sur l'activité du salarié et pose la problématique de la frontière entre travail et vie privée.

La Cnil a donc lancé une série de consultations en vue d'adopter une recommandation relative à la géolocalisation des véhicules mis à la disposition des employés.

A la suite d'un nombre croissant de déclarations de sociétés et de plaintes d'employés concernant ce type de dispositifs, le 16 mars 2006, la Cnil a été contrainte d'adopter une recommandation et une norme simplifiée afin de préciser les conditions de mise en oeuvre des dispositifs de géolocalisation des salariés par les employeurs. De surcroît, un guide de la géolocalisation des salariés exposant les droits et les obligations des employés a été élaboré par la Cnil.

4.4. L'encadrement juridique de la géolocalisation émanant des recommandations de la Cnil

  • Les finalités admises

Le champ d'application est fixé par les délibérations n° 2006-066 (délibération Cnil n° 2006-066, du 16 mars 2006, portant adoption d'une recommandation relative à la mise en oeuvre de dispositifs destinés à géolocaliser les véhicules automobiles utilisés par les employés d'un organisme privé ou public N° Lexbase : X6642ADD) et n° 2006-067 (délibération Cnil, n° 2006-067, 16 mars 2006, portant adoption d'une norme simplifiée concernant les traitements automatisés de données à caractère personnel mis en oeuvre par les organismes publics ou privés destinés à géolocaliser les véhicules utilisés par leurs employés N° Lexbase : X8158ADI) du 16 mars 2006.

La Cnil indique que le dispositif de géolocalisation n'est admissible que dans le cadre des finalités suivantes :
- la sûreté ou la sécurité de l'employé lui-même ou des marchandises ou véhicules dont il a la charge (travailleurs isolés, transports de fonds et de valeurs) ;
- une meilleure allocation de moyens pour des prestations à accomplir en des lieux dispersés (intervention d'urgence, chauffeur de taxi, flotte de dépannage) ;
- le suivi et la facturation d'une prestation de transport de personnes ou de marchandises ou d'une prestation de service directement liée à l'utilisation de véhicules (ramassage scolaire, nettoyage des accotements, déneigement routier, patrouille de service sur le réseau routier) ;
- le suivi du temps de travail, lorsqu'il ne peut être réalisé par d'autres moyens (cette dernière possibilité est fortement encadrée puisqu'elle exclut les cas dans lesquels le temps de travail peut être autrement déterminé).

  • La nature des données collectées et la durée de conservation

- La nature des données collectées

La Cnil rappelle le principe de proportionnalité. Les données collectées "doivent être adéquates, pertinentes et non excessives au regard des finalités pour lesquelles le traitement est mis en oeuvre". Par ailleurs, dans sa déclaration, l'employeur doit préciser les informations qu'il va collecter via le dispositif de géolocalisation. La nature des informations collectées doit être déterminée en fonction de la ou les finalités du traitement.

Un exemple de données collectées :
- le nom de l'employé ;
- l'immatriculation du véhicule ;
- les kilomètres parcourus ;
- les temps d'arrêt ;
- la vitesse moyenne ;
- les données de géolocalisation.

La Cnil recommande que le dispositif de géolocalisation ne mentionne pas la vitesse maximale du véhicule mais sa vitesse moyenne.

Elle rappelle, également, que les systèmes de géolocalisation ne peuvent pas permettre de sanctionner des salariés pour des infractions au Code de la route.

- La durée de conservation

La Cnil rappelle que les données relatives à la localisation d'un employé ne peuvent être conservées que pour une durée pertinente au regard de la finalité du traitement qui a justifié cette géolocalisation. La durée de conservation varie donc en fonction de la nature des informations collectées et de la finalité du traitement.

Exemples de durée de conservation :
- données relatives aux heures de travail : 5 ans ;
- identité de l'employé : le temps où l'employé est dans l'entreprise ;
- données relatives au véhicule (hors données de géolocalisation) : le temps où le véhicule est dans l'entreprise ;
- données de géolocalisation : en temps réel.

Si l'objet du dispositif est l'optimisation des tournées, le traitement des données de géolocalisation (date/heure/lieu) doit se faire en temps réel. Les données ne doivent donc pas être conservées. En revanche, si le dispositif de géolocalisation a été mis en place pour contrôler l'activité des employés, elle propose un délai moyen de conservation de 2 mois, qui paraît proportionné à la finalité. Si les données collectées sont anonymes, alors la durée de conservation peut être illimitée. Cependant, il est rare que les données collectées soient considérées comme anonymes. A titre d'exemple, le numéro d'immatriculation d'un véhicule n'est pas une donnée anonyme dès lors qu'il est possible de l'associer à un chauffeur.

newsid:270316

Aides d'Etat

[Communiqué] Le groupement d'intérêt économique fiscal : entre condamnation et mansuétude européennes

Réf. : Communiqué de presse de la Commission européenne IP/06/1852 du 20 décembre 2006

Lecture: 8 min

N0315BAW

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3208913-edition-n-248-du-15022007#article-270315
Copier

par Olivier Dubos, Professeur de droit public à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

L'article 77 de la loi n° 98-546 du 2 juillet 1998 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier (N° Lexbase : L1474AIG) avait mis en place le groupement d'intérêt économique fiscal (CGI, art. 39 CA N° Lexbase : L2433HNG). Ce dispositif avait pour objectif de permettre le financement d'investissements importants ; il a été essentiellement utilisé par les armateurs pour l'achat de navires et dans une moindre mesure par les compagnies aériennes pour l'achat d'avions. Le GIE fiscal est une structure translucide, qui est constituée par plusieurs investisseurs, qui acquiert le bien à financer et le loue dans le cadre d'un crédit-bail. Son locataire bénéficie d'une option d'achat en fin de contrat. Ce dispositif permet d'abord de créer des déficits car les frais financiers sont supérieurs au montant des loyers ; ce n'est que dans un second temps que se dégagent des bénéfices. Ce régime du GIE fiscal était strictement encadré puisque devaient être remplies plusieurs conditions : les biens à financer devaient être des biens meubles, l'utilisateur de ces biens devait être une société qui les exploitait dans le cadre de ses activités et devait pouvoir l'acquérir. Surtout, l'acquisition du bien était soumis à l'agrément préalable du ministre chargé du Budget. Quatre conditions devaient alors être réunies : le prix d'acquisition devait correspondre au prix du marché, l'investissement devait présenter un intérêt économique et social significatif (création d'emplois par exemple), l'utilisateur devait démontrer que le bien était utile pour son exploitation, les deux tiers de l'avantage fiscal devaient faire l'objet d'une rétrocession à l'acheteur. Ce mécanisme dérogeait donc à l'article 39 C, deuxième alinéa, du Code général des impôts (N° Lexbase : L1275HLS) selon lequel l'amortissement fiscalement déductible d'un bien mis en location par un groupement d'intérêt économique ne peut excéder le montant du loyer perçu par celui-ci. A la suite de la décision de la Commission (JOUE C 89 du 13 avril 2005, p. 15) d'ouvrir une procédure d'enquête approfondie concernant le GIE fiscal (P. Kirch, Les GIE "fiscaux" français et les aides d'Etat en droit communautaire, Décideurs : Stratégie, Finance & Droit n° 65, 15 mai - 15 juin 2005, p. 62), l'article 42 de la loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005 de finances rectificative pour 2005 (N° Lexbase : L6430HEU) avait modifié le dispositif de l'article 39 CA du Code général des impôts : la condition de rétrocession de deux tiers au moins de l'avantage fiscal à l'utilisateur est supprimée, la majoration d'un point du coefficient d'amortissement dégressif est supprimée, les conditions d'obtention de l'agrément devaient être définies par décret (Aménagement du régime des GIE fiscaux, Droit fiscal, 2 février 2006, p. 290). Le 20 décembre 2006, la Commission a conclu que le mécanisme des GIE fiscaux constituait une aide d'Etat "en raison de l'avantage sélectif qu'il procure à certains secteurs et du caractère discrétionnaire de ses conditions d'octroi" (Communiqué IP/06/1852 du 20 décembre 2006), mais elle n'ordonne le remboursement que pour les aides octroyées à compter de la date de la décision d'ouverture de la procédure formelle d'examen, c'est-à-dire le 15 avril 2005. L'article 77 de la loi n° 2006-1771 du 30 décembre 2006 de finances rectificative pour 2006 (N° Lexbase : L9270HTI) en a tiré les conséquences et a abrogé l'article 39 CA du Code général des impôts.

Le GIE fiscal dans sa conception issue de la loi du 2 juillet 1998 est ainsi condamné (I), mais la Commission a fait en pratique preuve d'une grande mansuétude sur la question du remboursement des aides perçues (II).

I. Condamnation

En droit communautaire, le principe est celui de la prohibition des aides d'Etat. L'article 87 CE, paragraphe 1, dispose que "sauf dérogations prévues par le présent Traité, sont incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre Etats membres, les aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d'Etat sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions". Selon une jurisprudence constante, un avantage fiscal est susceptible d'être constitutif d'une aide d'Etat ; les entreprises bénéficiaires connaissent une réduction de leurs charges qui se traduit par un manque à gagner pour le budget de l'Etat (CJCE, 12 juillet 1973, aff. C-70/72, Commission des Communautés européennes c/ République fédérale d'Allemagne N° Lexbase : A6812AUT, Rec. p. 813). Pour que la mesure soit qualifiée d'aides, il faut en outre que l'avantage revête un caractère sélectif (CJCE, 17 juin 1999, aff. C-75/97, Royaume de Belgique c/ Commission des Communautés européennes N° Lexbase : A1994AWR, Rec., p. I-3671).

La Commission reprochait essentiellement au dispositif de l'article 39 CA d'être plus avantageux que celui de l'article 39 C qui détermine les principes de l'amortissement des biens donnés en location. Comme cela avait été souligné par Pierre Kirch (op. cit.), "les amortissements dégressifs sont plus soutenus dans le régime dérogatoire, et les frais financiers sont plus concentrés sur les premières années d'utilisation d'année du bien. Il en résulte que les résultats du GIE sont plus déficitaires les premières années par rapport au régime de droit commun mais deviennent plus bénéficiaires au cours de la seconde période". Pour la Commission, quand bien même, dans un premier temps, l'avantage obtenu serait neutralisé par des charges supérieures, dans un second temps, les investisseurs participant aux GIE fiscaux sont favorisés car ils ne sont pas soumis à la limitation de l'amortissement fiscalement déductible prévue par l'article 39 C. Ils peuvent, donc, imputer durant la première période le résultat négatif du GIE sur les bénéfices réalisés dans le cadre de leurs activités courantes. Il existe également un avantage pour l'utilisateur du bien financé dans la mesure où les membres du GIE ont l'obligation de lui rétrocéder les deux tiers de leur propre avantage. Ses charges sont donc diminuées d'autant.

Concernant le critère de la sélectivité, la Commission avait relevé le caractère discrétionnaire de l'agrément et surtout la durée de l'amortissement fixée par l'article 39 CA qui est de huit ans. En pratique, seuls des biens comme les trains, les avions ou les navires pouvaient bénéficier de cet article 39 CA.

Le dispositif est donc bien constitutif d'une aide contraire au Traité. Par ailleurs, il n'est pas susceptible d'entrer dans le champ d'application des dérogations prévues aux paragraphes 2 et 3 de l'article 87 CE. On rappellera que ce n'est pas la première fois que la France est condamnée pour un montage de ce genre. Dans le cadre de la loi "Pons" (loi n° 86-824 du 11 juillet 1986 portant loi de finances rectificatives pour 1986 N° Lexbase : L3740HU3) qui favorise les investissements outre-mer, certains montages relativement complexes analogues avaient pu être mis en oeuvre. Il s'agissait de financer la construction de navires dont les parts de copropriété étaient vendues à des personnes physiques qui pouvaient ainsi bénéficier des allégements fiscaux de la loi "Pons". La gestion de cette copropriété était confiée à une société qui devait au bout de sept ans devenir propriétaire du navire (CJCE, 3 octobre 2002, aff. C-394/01, République française c/ Commission des Communautés européennes N° Lexbase : A8952AZL, Rec., p. I-8245 ; TPICE, 22 février 2006, aff. T-34/02, EURL Le Levant 001 e.a. c/ Commission des Communautés européennes N° Lexbase : A1402DNA, p. II-267).

En dépit de cette condamnation de principe des GIE fiscaux, la Commission s'est montrée d'une grande mansuétude.

II. Mansuétude

Selon la Commission "en dépit de l'illégalité du régime fiscal en cause la France ne l'ayant pas notifié alors qu'elle y est pourtant contrainte par le Traité la Commission a limité la récupération des aides à celles qui pourraient avoir été octroyées postérieurement à la publication de la décision d'ouverture de la procédure formelle d'examen le 13 avril 2005. L'existence de circonstances exceptionnelles, tenant notamment au fait que la Commission avait été informée de l'existence du régime à l'occasion de l'instruction de plaintes concernant le financement de navires, justifie cette limite temporelle à la récupération des aides. Une autre solution aurait en effet été contraire au principe de sécurité juridique" (Communiqué IP/06/1852).

Une telle clémence est particulièrement surprenante. En effet, l'aide est à la fois illégale, car elle n'avait pas été notifiée à la Commission comme l'impose l'article 88 CE, paragraphe 3 , et elle est également incompatible avec le Marché commun. La Cour de justice a, pourtant, récemment rappelé que "sous peine de porter atteinte à l'effet direct de l'article 88, paragraphe 3, dernière phrase, CE et de méconnaître les intérêts des justiciables que les juridictions nationales ont pour mission de préserver, une décision de la Commission déclarant une aide non notifiée compatible avec le marché commun n'a pas pour conséquence de régulariser, a posteriori, les actes d'exécution qui sont invalides du fait qu'ils ont été pris en méconnaissance de l'interdiction visée par cette disposition. Toute autre interprétation conduirait à favoriser l'inobservation, par l'Etat membre concerné, de ladite disposition et la priverait de son effet utile" (CJCE, 5 octobre 2006, aff. C-368/04, Transalpine Ölleitung in Österreich GmbH, Planai-Hochwurzen-Bahnen GmbH, Gerlitzen-Kanzelbahn-Touristik GmbH & Co. KG, c/ Finanzlanderdirektion für Tirol, Finanzlandesdirektion für Steimark, Finanzlandesdirektion für Kärnten N° Lexbase : A3997DRH, n° 41) (v. déjà, CJCE, 21 novembre 1991, aff. C-354/90, Fédération nationale du commerce extérieur des produits alimentaires et Syndicat national des négociants et transformateurs de saumon contre République française N° Lexbase : A9575AU8, Rec. p. I-5505). Cette solution devrait a fortiori valoir pour les aides qui sont incompatibles.

On rappellera, toutefois, que selon l'article 14, paragraphe 1, du Règlement n° 659/99 du Conseil du 22 mars 1999 portant modalités d'application de l'article 93 du Traité CE (N° Lexbase : L4215AUN, JOCE n° L 83 du 27 mars 1999, p. 1), "en cas de décision négative concernant une aide illégale, la Commission décide que l'Etat membre concerné prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer l'aide auprès de son bénéficiaire [...]. La Commission n'exige pas la récupération de l'aide si, ce faisant, elle allait à l'encontre d'un principe général de droit communautaire". Tel est le cas du principe de sécurité juridique.

Certes, il est possible de considérer que les bénéficiaires des aides étaient de bonne foi, mais ce serait une première de considérer qu'une telle circonstance suffit à justifier la non-répétition des aides illégales de surcroît incompatibles avec le Marché commun. La Cour a jugé que "compte tenu du caractère impératif du contrôle des aides étatiques opéré par la Commission au titre de l'article 93 du Traité [N° Lexbase : L5408BCB], les entreprises bénéficiaires d'une aide ne sauraient avoir, en principe, une confiance légitime dans la régularité de l'aide que si celle-ci a été accordée dans le respect de la procédure prévue par ledit article. En effet, un opérateur économique diligent doit normalement être en mesure de s'assurer que cette procédure a été respectée" (CJCE, 20 septembre 1990, aff. C-5/89, Commission des Communautés européennes c/ République fédérale d'Allemagne N° Lexbase : A9405AUU, Rec., p. I-3437, spéc. n° 14). Dans cette même affaire, la Cour admettait que "la possibilité, pour le bénéficiaire d'une aide illégale, d'invoquer des circonstances exceptionnelles, qui ont légitimement pu fonder sa confiance dans le caractère régulier de cette aide, et de s'opposer, par conséquent, à son remboursement ne saurait certes être exclue" (n° 16).

Mais, dans cette affaire, on ne voit pas très bien en quoi le fait que la Commission ait été informée de l'existence du régime à l'occasion de l'instruction de plaintes concernant le financement de navires constitue une circonstance exceptionnelle. Cette décision de la Commission manifeste assurément un infléchissement de sa position traditionnelle et il n'est pas sûr qu'elle puisse être considérée comme légale en l'état de la jurisprudence de la Cour de justice. Heureusement pour tous les intéressés (banquiers, armateurs, République française et Commission), il est fort peu probable qu'elle soit attaquée par quiconque.

Bref, le lobbying des armateurs et de leurs banquiers a probablement bien fonctionné... Dans la mesure où, à compter de l'ouverture de l'enquête par la Commission, le Gouvernement avait arrêté d'accorder des agréments, la décision d'incompatibilité de la Commission n'a donc aucune incidence pratique. Toutefois, le GIE fiscal devrait renaître de ses cendres grâce à la nouvelle mouture de l'article 39 C du Code général des impôts introduit par la loi n° 2006-1771 du 30 décembre 2006 de finances rectificative pour 2006 (v. P. Fumenier, GIE fiscaux : la loi trace les contours d'une renaissance, Droit fiscal décembre 2006, n° 72 ; Loi de finances pour 2007 et loi de finances rectificative pour 2006 : dispositions relatives aux entreprises, Lexbase Hebdo - édition fiscale, n° 242 du 4 janvier 2007 N° Lexbase : N5603A9E).

newsid:270315

Fiscalité des particuliers

[Jurisprudence] Faut-il encore préconiser une acquisition en démembrement familial lorsque celle-ci est concomitante à une donation de fonds ?

Réf. : Cass. com., 23 janvier 2007, n° 05-14.403, Directeur général des impôts, ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, F-P+B (N° Lexbase : A6790DTN)

Lecture: 4 min

N0446BAR

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3208913-edition-n-248-du-15022007#article-270446
Copier

par Daniel Faucher, Consultant au CRIDON de Paris

Le 07 Octobre 2010

On sait qu'il existe une exception légale à l'article 1133 du CGI (N° Lexbase : L9702HLW), selon lequel au décès de l'usufruitier, le nu-propriétaire recueille l'usufruit en franchise de droits de mutation à titre gratuit. En effet, l'article 751 du CGI (N° Lexbase : L8088HL7) répute faire partie de la succession de l'usufruitier tout bien mobilier ou immobilier lorsque la nue-propriété appartient à ses héritiers, à moins que ces derniers ne l'ait reçue par donation régulière, et que cette donation, si elle n'est pas constatée dans un contrat de mariage, ait été consentie plus de trois mois avant le décès de l'usufruitier. Cette présomption supporte la preuve contraire. Pour l'application de ce texte, l'administration considère que la donation, préalable à l'acquisition en démembrement, d'une somme d'argent à un présomptif héritier qui se porte acquéreur de la nue-propriété d'un bien dont le donateur acquiert, lui, l'usufruit, ne fait pas obstacle à la présomption (QE n° 7827 de M. Fréville, rép. publ. JOAN 24 janvier 1994, p. 366 N° Lexbase : L3741HU4). Cette doctrine vient d'être validée par la Haute juridiction qui s'est placée sur le terrain de la fictivité. En statuant ainsi, la Cour met à mal un outil de transmission qui permettait de s'affranchir du barème légal en matière de démembrement. 1. Les charmes discrets de l'acquisition en démembrement...

L'effet de levier lié à une acquisition en démembrement, usufruit pour les parents, nue-propriété pour les enfants, n'est plus à démontrer. En effet, l'accroissement de la valeur de la nue-propriété profite uniquement au nu-propriétaire. Par ailleurs, le décès de l'usufruitier entraîne, en principe, la consolidation de l'usufruit sur la tête du nu-propriétaire sans qu'il ne soit exigé de lui aucun droit. Enfin, n'étant pas tenu d'évaluer l'usufruit acquis par eux selon le barème de l'article 669 du CGI (N° Lexbase : L7730HLU), les parents, en recourant à une méthode économique, accroissent la valeur de l'usufruit qui sera transmise en franchise de droits (cet avantage était encore plus important lorsque le barème applicable était celui prévu à l'article 762 du CGI (N° Lexbase : L8123HLG).

2. ... remis en cause au nom de la fictivité...

Conformément au schéma maintes fois utilisé, un enfant avait, en 1989, acquis un bien immobilier en démembrement avec sa mère. Il ressortait, sans ambiguïté, de l'acte constatant le démembrement que l'acquisition de la nue-propriété de l'immeuble était financée par une donation de fonds que lui avait consentie sa mère le jour même. En effet, une déclaration d'origine des deniers, déclaration de remploi, avait été insérée dans l'acte. Au moment du décès de l'usufruitière, en 2000, après celui du nu-propriétaire intervenu en 1990, l'administration a réintégré à l'actif de la déclaration déposée par le petit-fils la valeur du bien démembré en pleine propriété. Ainsi, étaient soumis aux droits de mutation par décès non seulement la valeur de l'usufruit au jour de l'acquisition, mais également la plus-value prise par le bien immobilier entre 1989, date d'acquisition, et 2000, année du décès ! Pour confirmer le jugement de première instance, favorable au redevable qui contestait cette réintégration, la cour d'appel de Dijon (arrêt du 8 février 2005, n° 04/00730) avait précisé que le "démembrement résultant d'un don manuel constaté dans un acte notarié dont la date est antérieure de trois mois au décès, la présomption édictée par l'article 751 du CGI ne peut trouver à s'appliquer". Un tel arrêt encourait la cassation puisque, selon le texte même, la donation de plus de trois mois qui permet d'écarter la présomption, est celle de la nue-propriété. Ce que n'a pas manqué de décider la Haute juridiction (Cass. com, 23 janvier 2007, n° 05-14.403). Mais, dans un attendu, elle précise également que la donation d'une somme d'argent "permettant d'acheter fictivement la nue-propriété ou l'usufruit" d'un bien n'écarte pas la présomption "quand bien même cette donation serait elle même réalisée régulièrement".

Cette décision, qui condamne les acquisitions en démembrement familial dans lesquelles les fonds utilisés par le nu-propriétaire proviennent d'un don préalable de l'usufruitier, repose, à notre avis, sur l'argumentation suivante : la preuve du caractère sincère et réel du démembrement ne se confond pas avec la preuve du caractère onéreux de l'acquisition par le nu-propriétaire. Or, pour contester l'application de la présomption de l'article 751 du CGI, le redevable doit établir la sincérité et la réalité de l'opération que la loi présume fictive (Cass. com., 12 décembre 1995, n° 94-11.491, Mme Geneviève Patry épouse Villanneau N° Lexbase : A2809CST). Le juge avait déjà précisé que la preuve contraire à la présomption n'est pas rapportée lorsque l'héritière s'acquittait de la nue-propriété au moyen de fonds donné par l'usufruitier, donation n'ayant pas fait l'objet d'une révélation à l'administration (Cass. com., 27 janvier 1998, n° 96-13.595, Directeur général des Impôts c/ Mme Rémy-Thevenin N° Lexbase : A2682ACC).

Cette jurisprudence est donc étendue au cas où la donation préalable des fonds est faite régulièrement, c'est à dire par acte notarié enregistré ou par don manuel révélé à l'administration. Autrement dit, la sincérité de l'opération n'est pas établie lorsque l'usufruitier a fourni, seul, la totalité des fonds nécessaire à l'acquisition.

3. ... ce qui conduit à la naissance d'une présomption irréfragable ?

La conclusion provisoire est que la sincérité et la réalité du démembrement ne pourront être démontrées, en cas d'acquisition en démembrement dans un cadre familial, que si les fonds permettant l'acquisition de la nue-propriété ont une origine autre qu'une libéralité de l'usufruitier. Autrement dit, la présomption sera irréfragable lorsque des fonds auront été donnés aux enfants pour acquérir la nue-propriété puisque la preuve contraire ne pourra être considérée comme rapportée que lorsque les héritiers, nus-propriétaires, démontreront qu'ils se sont acquittés du prix correspondant à leurs droits par des fonds propres, tels qu'économies ou le produit de la cession d'autres biens, ou grâce à un prêt consenti à cet effet par un organisme de crédit. On remarquera, par ailleurs, que, faute de pouvoir imputer les éventuels droits de donation acquittés lors de l'enregistrement de la donation des fonds sur les droits de mutation par décès exigibles du fait de la mise en oeuvre de l'article 751, la règle "non bis in idem" est transgressée.

newsid:270446

Sécurité sociale

[Jurisprudence] Chômeurs "recalculés" : la Cour de cassation rejette l'analyse contractuelle du Pare

Réf. : Cass. soc., 31 janvier 2007, n° 04-19.464, Assedic Alpes Provence, FS-P+B (N° Lexbase : A7035DTQ)

Lecture: 12 min

N0468BAL

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3208913-edition-n-248-du-15022007#article-270468
Copier

par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen

Le 09 Février 2021

Par son arrêt rendu le 31 janvier 2007, la Cour de cassation met un terme à la polémique médiatisée sous le nom des "recalculés", relative aux droits à indemnisation des demandeurs d'emploi signataires d'un plan d'aide au retour à l'emploi (Pare) en application de la convention du 1er janvier 2001 (N° Lexbase : L4594AQ9). En l'espèce, la cour d'appel avait considéré que l'Assédic devait maintenir, au profit des demandeurs d'emploi, le versement de l'allocation chômage jusqu'au terme de la période d'indemnisation telle que fixée à la date à laquelle ils avaient signé un Pare, alors même qu'étaient intervenus, depuis cette signature, un avenant à la convention du 1er janvier 2001 réduisant les durées d'indemnisation, ainsi qu'une nouvelle convention d'assurance chômage applicable au 1er janvier 2004. Se prononçant sur des actions antérieures à l'arrêt du Conseil d'Etat du 7 mai 2004 (CE 1° s-s, 7 mai 2004, n° 255886, Association AC ! et autres N° Lexbase : A1829DCQ ; lire nos obs., Le Conseil d'Etat annule les arrêtés d'agrément de la convention d'assurance chômage du 1er janvier 2001 et du 1er janvier 2004, Lexbase Hebdo n° 121 du 20 mai 2004 - édition sociale N° Lexbase : N1669ABG), la Cour de cassation annule la décision conduisant à recalculer les indemnités des demandeurs d'emploi signataires d'un Pare. Le Pare ne contient aucun engagement de l'Assédic de leur verser l'Are pendant une durée déterminée. Le taux et la durée de leur indemnisation résultent de décisions d'admission au bénéfice de l'allocation prononcées par l'Assédic en application du règlement annexé à la convention du 1er janvier 2001, et non du Pare. La Cour suprême exclut, ainsi, le caractère contractuel du Pare (1), décision dont il faut mesurer, dès à présent, les conséquences (2).

Résumé

Le Pare n'est pas un contrat liant le chômeur à l'Assédic, par lequel l'Assédic s'engage à verser une allocation chômage pour une période déterminée et selon un certain taux. Le régime d'assurance chômage peut donc modifier les durées d'indemnisation sans que les chômeurs ne puissent invoquer une violation du contrat les liant aux Assédic.

Décision

Cass. soc., 31 janvier 2007, n° 04-19.464, Assédic Alpes Provence, FS-P+B (N° Lexbase : A7035DTQ)

Cassation (CA Aix-en-Provence, 9 septembre 2004)

Texte visé : C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) ; art. 1 convention d'assurance chômage du 1er janvier 2001 (N° Lexbase : L4594AQ9) ; art. 36 du règlement annexé à la convention d'assurance chômage du 1er janvier 2001.

Lien bases :

Faits

M. X. et 36 autres salariés involontairement privés d'emploi ont saisi la juridiction civile, le 19 janvier 2004, d'une demande tendant à la condamnation de l'Unedic et de l'Assédic Alpes Provence à maintenir le versement, à leur profit, de l'allocation d'aide au retour à l'emploi jusqu'au terme de la période d'indemnisation calculée sur la base de la convention d'assurance chômage du 1er janvier 2001.

La cour d'appel donne raison aux chômeurs ; elle condamne l'Assédic Alpes Provence à maintenir, pour les bénéficiaires de l'allocation d'aide au retour à l'emploi, le versement de cette prestation telle que fixée à la date à laquelle ils ont signé le Pare, avec rappel de l'arriéré à compter du 1er janvier 2004. Elle déclare cette disposition opposable à l'Unedic et condamne l'Assédic Alpes Provence et l'Unedic à payer à chacun des demandeurs une somme à titre de dommages-intérêts.

Cassation.

Solution

Le Pare signé par chacun des demandeurs d'emploi ne contient aucun engagement de l'Assédic de leur verser l'allocation d'aide au retour à l'emploi pendant une durée déterminée. Le taux et la durée de leur indemnisation résultent de décisions d'admission au bénéfice de cette allocation prononcées par l'Assédic, en application de l'article 36 du règlement annexé à la convention (et non de leur Pare).

Observations

1. Rejet de la qualification contractuelle du Pare

La convention d'assurance chômage du 1er janvier 2001 instituant le plan d'aide au retour à l'emploi (Pare) et reconduite dans les mêmes termes en 2004 (convention du 1er janvier 2004 N° Lexbase : L1532DPG, en ce qui concerne le Pare et le Pap) a entendu marquer une rupture avec les conventions d'assurance chômage antérieures, en jetant les bases d'un nouveau régime fondé sur le principe de l'activation des dépenses dites "passives" (c'est-à-dire l'indemnisation), l'intervention active du régime d'assurance chômage dans l'aide au retour à l'emploi des chômeurs et, enfin, la contractualisation des rapports avec les chômeurs, ces derniers s'engageant précisément sur une obligation de moyens portant sur le retour vers l'emploi. La convention d'assurance chômage du 1er janvier 2001 avait, de ce fait, suscité un débat assez vif dans la communauté des juristes.

En 2004, un contentieux abondant est apparu, portant sur la nature juridique du Pare, focalisé sur la qualification de contrat. Un certain nombre de chômeurs ont considéré que le Pare, véritable contrat, liait les Assédic aux chômeurs, lesquelles ne pouvaient, dès lors, modifier unilatéralement la durée de versement des allocations (ce que les médias ont dénommé les "recalculés", parce que les allocations étaient recalculées sur de nouvelles bases).

1.1. La thèse contractuelle du plan d'aide au retour à l'emploi défendue par la doctrine et certaines juridictions

Le TGI de Marseille (TGI Marseille, 15 avril 2004, n° RG 04/02019, M. Eric Lazari et 36 autres c/ l'Assédic Alpes Provence - l'Unedic N° Lexbase : A8578DBC ; lire nos obs., Le Pare est-il vraiment un contrat ?, Lexbase Hebdo n° 118 du 29 avril 2004 - édition sociale N° Lexbase : N1385ABW) et le TGI de Paris (11 mai 2004), confirmé en appel par la cour d'appel de Paris (21 septembre 2004), ainsi que la cour d'appel d'Aix-en-Provence (9 septembre 2004, décision censurée par la Cour de cassation par l'arrêt rapporté) avaient donné satisfaction aux revendications des chômeurs, en reconnaissant au Pare une nature contractuelle.

Le TGI de Marseille avait retenu la qualification juridique de contrat en relevant que le Pare comporte un double engagement : pour le chômeur, celui de respecter les engagements souscrits au titre du projet d'action personnalisé (Pap) avec l'ANPE ; en contrepartie du respect de cet engagement, se trouve l'obligation pour l'Assédic de verser cette indemnité. Le TGI en tirait la conclusion que "l'interdépendance de ces deux obligations réciproques souscrites par deux personnes de droit privé caractérise la formation d'un contrat synallagmatique, chacun des engagements étant la cause de l'autre".

Cette argumentation a été critiquée sur plusieurs points. L'engagement pris par le chômeur (dont l'ANPE est créancière) est étranger à la dette contractée par l'Assédic (vis-à-vis du chômeur) relativement au paiement de l'allocation chômage. Le chômeur est, dans ses relations avec l'Assédic, en situation d'assuré. Il a cotisé un temps minimum (période de référence), il remplit certaines conditions : dès lors, l'Assédic doit lui verser une prime, en raison de la réalisation d'un "sinistre" (le chômage).

La cour d'appel (Aix-en-provence, 9 septembre 2004), dont l'arrêt est cassé par la Cour de cassation par l'arrêt rapporté, avait condamné l'Assédic Alpes Provence à maintenir, pour les bénéficiaires de l'allocation d'aide au retour à l'emploi, le versement de cette prestation telle que fixée à la date à laquelle ils ont signé le Pare, avec rappel de l'arriéré à compter du 1er janvier 2004. Les juges du fond retenaient que, nonobstant le cadre statutaire de l'assurance chômage défini par la loi et la convention d'assurance chômage, les partenaires sociaux avaient entendu créer un dispositif nouveau individualisant les engagements envers l'Assédic des demandeurs d'emploi éligibles à l'allocation de retour à l'emploi et réciproquement. L'Assédic, qui a souscrit un engagement singulier à l'égard de chaque signataire du Pare, avait, en réduisant leurs droits ou en les supprimant à compter du 1er janvier 2004, manqué à cet engagement et, ainsi, causé aux intéressés un préjudice ouvrant droit à réparation.

1.2. Rejet de la thèse contractuelle du plan d'aide au retour à l'emploi défendue par la doctrine et certaines juridictions

Le TGI de Roanne (26 mai 2004) refusait cette qualification contractuelle du Pare. De même, le TGI de Paris, en 2002, relevait que la signature du Pare ne peut être considérée comme une contractualisation des rapports entre l'allocataire, l'Assédic et l'ANPE, car les engagements pris à cette occasion ne sont que le rappel des obligations voulues par le législateur (TGI Paris, 2 juillet 2002).

Certains auteurs ont relevé que, si le Pare est contractuel, il n'engage les chômeurs à aucune obligation autre que celles déjà prévues par le Code du travail. Le Pare trouve sa place dans un encart indivisiblement inséré parmi d'autres dans le formulaire unique d'inscription à l'ANPE et de demande d'allocations. Ne contenant aucune rubrique à compléter qui le personnaliserait, ce document se borne à exprimer des engagements, mais impersonnels et généraux.

L'arrêt rapporté met un terme définitif à la polémique. Visant l'article 1er de la convention d'assurance chômage du 1er janvier 2001, la Cour de cassation n'est pas convaincue que les partenaires sociaux avaient entendu créer un dispositif nouveau individualisant les engagements envers l'Assédic des demandeurs d'emploi, l'Assédic ayant souscrit un engagement singulier à l'égard de chaque signataire du Pare.

Au contraire, selon la Cour de cassation (arrêt rapporté), le Pare signé par chacun des demandeurs d'emploi ne contenait aucun engagement de l'Assédic de leur verser l'allocation d'aide au retour à l'emploi pendant une durée déterminée. Le taux et la durée de leur indemnisation résultaient de décisions d'admission au bénéfice de cette allocation prononcées par l'Assédic, en application de l'article 36 du règlement annexé à la convention.

2. Conséquences juridiques du rejet de la nature contractuelle du Pare

2.1. Les "recalculés" : un contentieux inutile et obsolète

Une fois retenue la qualification juridique de contrat, le TGI de Marseille (préc.) avait pris acte du fait que l'Assédic n'avait pas satisfait à ses engagements contractuels, tels que fixés par la convention d'assurance chômage du 1er janvier 2001. Or, face aux difficultés financières traversées par le régime, l'Unédic a modifié, en décembre 2000, le calcul des allocations de chômage. Les chômeurs ont ainsi considéré, devant le TGI de Marseille, que l'Assédic n'avait pas respecté le contrat "Pare".

Il faut rappeler que la convention d'assurance chômage du 1er janvier 2001 avait institué un nouveau dispositif, dénommé "plan d'aide au retour à l'emploi", qui mentionne les obligations des demandeurs d'emploi éligibles à l'indemnisation ainsi que les engagements de l'ANPE et de l'Unédic à leur égard.

En raison d'une dégradation du marché de l'emploi ayant mis en difficulté le régime d'assurance chômage, les partenaires sociaux ont conclu, le 27 décembre 2002, un avenant n° 5 au règlement annexé à la convention d'assurance chômage du 1er janvier 2001 dont l'article 5 réduit les durées d'indemnisation, un avenant n° 6 à cette convention dont l'article 8 stipule que l'avenant au règlement s'applique à tous les salariés involontairement privés d'emploi dont la fin du contrat de travail est postérieure au 31 décembre 2002, et une nouvelle convention d'assurance chômage, applicable au 1er janvier 2004, dont l'article 10, alinéa 2, prévoit que les durées d'indemnisation des salariés involontairement privés d'emploi, dont la fin de contrat de travail est antérieure au 1er janvier 2003, sont converties, en fonction des durées visées à l'article 12 du règlement annexé, à compter du 1er janvier 2004 (avenants à la convention du 1er février 2001 et à son règlement annexé et la convention d'assurance chômage du 1er janvier 2004 rendus obligatoires par arrêtés d'agrément du 5 février 2003).

Mais, par une décision du 7 mai 2004, le Conseil d'Etat a annulé, sous réserve des actions contentieuses engagées à cette date contre les actes pris sur leur fondement, les dispositions des arrêtés agréant les accords modifiant la convention d'assurance chômage du 1er janvier 2001 et l'arrêté agréant la convention d'assurance chômage du 1er janvier 2004.

La portée de cette jurisprudence initiée par la Cour de cassation (arrêt rapporté) n'est pas mince, parce qu'il faut comprendre que toute action en contestation du Pare (selon le même principe que l'affaire des "recalculés") est vouée à l'échec, la Cour de cassation rejetant fermement la thèse du contrat associé au Pare. Il en va ainsi d'un contentieux portant sur la convention d'assurance chômage du 18 janvier 2006, qui pourrait parfaitement se produire, si l'on se souvient des profonds changements introduits par la nouvelle convention d'assurance chômage.

Il faut donc comprendre de la jurisprudence inaugurée par la Cour de cassation par l'arrêt rapporté, que les chômeurs ne peuvent plus invoquer leur statut de cocontractant des Assédic par le support du Pare, pour contester, devant les juges, tout changement dans le bénéfice de leurs allocations, qu'il s'agisse de leur mode de calcul, de leur montant et de la durée de versement.

2.2. Le débat sur le caractère obligatoire de la conclusion d'un Pare n'est plus d'actualité

En disposant que le versement des allocations prévu par le règlement annexé à la convention d'assurance chômage est consécutif à la signature du Pare, le régime d'assurance chômage avait initié un débat très ouvert, sur le caractère obligatoire ou non de la conclusion d'un Pare.

En d'autre termes, il s'agissait d'apprécier dans quelle mesure la conclusion d'un Pare constitue, ou non, une nouvelle condition au bénéfice du revenu de remplacement. Le TGI de Paris, en 2002, s'était tenu à la valeur symbolique du Pare pour rejeter l'idée d'obligation de conclure un Pare (TGI Paris, 2 juillet 2002). Dans le même sens, le Comité supérieur de l'emploi estimait que le Pare ne constitue pas une nouvelle condition au bénéfice du revenu de remplacement (Comité supérieur de l'emploi, rapport relatif à l'agrément de la convention du 1er janvier 2001, publié dans l'arrêté du 4 décembre 2000 N° Lexbase : L3111ANK).

L'arrêt rapporté rendu par la Cour de cassation met un terme à ce type de questionnement, du moins implicitement.

newsid:270468

Sociétés

[Textes] Décret du 11 décembre 2006 modifiant le décret de 1967 sur les sociétés commerciales : principales dispositions intéressant les sociétés anonymes

Réf. : Décret n° 2006-1566, 11 décembre 2006, modifiant le décret n° 67-236 du 23 mars 1967 sur les sociétés commerciales (N° Lexbase : L7100HT7)

Lecture: 15 min

N0513BAA

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3208913-edition-n-248-du-15022007#article-270513
Copier

Le 07 Octobre 2010

Suivant le mouvement de multiplication et d'instabilité des textes, le Code de commerce aura connu, ces dernières années, un flot important de réformes. Une fois les grands principes dessinés par le législateur, il revient au pouvoir réglementaire d'adopter ou d'adapter, selon les cas, les décisions d'ordre techniques permettant leur mise en oeuvre. Le décret n° 2006-1566 du 11 décembre 2006 (le "décret de 2006") est venu mettre à jour les dispositions du décret n° 67-236 du 23 mars 1967 (le "décret de 1967") (décret n° 67-236, 23 mars 1967, sur les sociétés commerciales N° Lexbase : L0729AYN) afin de les rendre conforme aux diverses modifications récemment apportées au Code de commerce. Toutefois, au-delà de la simple adaptation des normes techniques, le décret de 2006 introduit de vraies nouveautés modifiant le fonctionnement des sociétés commerciales (1). Cette semaine, nous revenons sur les principales dispositions de ce texte relatives aux sociétés anonymes, quasiment toutes applicables depuis le 13 décembre 2006, et que les praticiens devront donc rapidement apprendre à maîtriser.

I - L'encadrement de la participation à distance aux décisions du conseil d'administration ou du conseil de surveillance

Depuis la loi du 26 juillet 2005 (loi n° 2005-842, 26 juillet 2005, pour la confiance et la modernisation de l'économie N° Lexbase : L5001HGC), les membres du conseil d'administration ou du conseil de surveillance peuvent participer aux réunions du conseil et exprimer leur vote non seulement par voie de visioconférence, mais aussi par voie de télécommunication.

Les modifications apportées au Code de commerce n'avaient, jusqu'à présent, pas trouvé d'écho au niveau du décret de 1967 qui ne faisait toujours référence qu'aux seuls moyens de visioconférence. Le décret de 2006 vient corriger cette discordance en ajoutant les moyens de télécommunication aux côtés des moyens de visioconférence.

Le texte précise, en outre, que ces moyens (aussi bien de visioconférence que de télécommunication) doivent transmettre au moins la voix des participants et satisfaire à des caractéristiques techniques permettant la retransmission continue et simultanée des délibérations. Cette précision a pour objectif, conformément aux travaux parlementaires de la loi du 26 juillet 2005, d'autoriser l'utilisation de systèmes de conférence téléphonique, mais de prohiber le recours au fax ou aux messageries électroniques instantanées.

II - Les apports du décret de 2006 en matière de tenue des assemblées d'actionnaires

A - Délai de convocation : alourdissement des formalités liées à la publication de l'avis de réunion

Auparavant, l'obligation de publier un avis de réunion ne concernait que les seules sociétés faisant appel public à l'épargne. Dans ces sociétés, l'assemblée générale ne pouvait être tenue moins de 30 jours après la publication de l'avis de réunion au Bulletin des annonces légales obligatoires (le "BALO").

Le décret de 2006 apporte, sur ce point, deux innovations par rapport au régime antérieur.

En premier lieu, toutes les sociétés dont le capital est composé au moins pour partie de titres au porteur (et non plus seulement les sociétés faisant appel public à l'épargne) sont tenues de publier un avis de réunion au BALO.

En second lieu, le délai entre la date de publication de l'avis de réunion et la date de tenue de l'assemblée des actionnaires est, désormais, de 35 jours.

Pour les sociétés qui suivent depuis plusieurs années l'usage de convoquer leurs actionnaires 45 jours avant la date prévue pour l'assemblée générale annuelle, la modification ci-dessus évoquée ne devrait pas, en principe, avoir d'impact sur le calendrier de ladite assemblée générale.

En revanche, pour les autres sociétés et s'agissant des assemblées générales autres que l'assemblée générale annuelle, l'allongement du délai de 30 à 35 jours est une contrainte supplémentaire. A cela s'ajoute le fait que les formalités de dépôt des résolutions au BALO se sont, elles aussi, allongées (il conviendra de compter environ une dizaine de jours entre la transmission du texte des résolutions et la publication au BALO contre 4 à 6 jours précédemment (2)). Le délai minimum entre la convocation d'une assemblée et la tenue de celle-ci pourrait, ainsi, passer à environ 45 jours. En ajoutant à cela le délai nécessaire à la réunion du conseil d'administration ou du directoire et à la préparation du texte des résolutions, il pourrait, ainsi, s'écouler un délai de l'ordre de 2 mois entre la décision de réunir une assemblée et la tenue effective de celle-ci.

B - Droit de participation aux assemblées

1 - L'introduction du mécanisme de la date d'enregistrement

Jusqu'alors, la procédure de justification de la qualité d'actionnaire, clef de voûte du système français selon lequel seuls les actionnaires peuvent participer à l'assemblée, était définie en fonction de la nature des titres concernés (au porteur ou nominatifs). Le droit d'accès à l'assemblée pouvait, en effet, être conditionné soit à l'inscription en compte s'agissant des actions nominatives, soit à la production d'un certificat d'immobilisation constatant l'indisponibilité des actions s'agissant des actions au porteur.

Les statuts pouvaient fixer le délai dans lequel devait être accomplies ces formalités (au maximum 5 jours avant la réunion de l'assemblée). Bien que le système ait déjà été assoupli et clarifié par le passé, la lettre du texte laissait à certains égards planer une incertitude autour de la possibilité de céder les actions après 15 heures la veille de l'assemblée (3) et le mécanisme continuait d'imposer un formalisme à l'actionnaire cédant. Ces dispositions du Code de commerce étaient perçues comme contraignantes pour les investisseurs étrangers et restreignaient consécutivement la participation de ces derniers aux assemblées d'actionnaires.

Même si la nature du titre reste importante, la réforme introduite par le décret de 2006 vise sur ce point à instaurer une distinction plus nette entre les sociétés dont les titres sont cotés ou assimilés et les sociétés dont les titres ne le sont pas.

S'agissant des premières -sociétés dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé ou aux opérations d'un dépositaire central par l'enregistrement comptable des titres au nom de l'actionnaire ou de l'intermédiaire inscrit pour son compte- il doit, désormais, être justifié du droit de participer aux assemblées au troisième jour ouvré précédant l'assemblée (à "J-3") à zéro heure (4). Cette règle issue, notamment, de la pratique américaine de "record date" correspond à une "photographie" à J-3 de l'actionnariat de la société (5). Cette disposition s'applique de plein droit, ce qui constitue une première innovation par rapport au régime antérieur qui n'était que facultatif (6).

Deuxième innovation du nouveau régime, la disparition du certificat d'immobilisation. La qualité d'actionnaire est attestée par l'inscription en compte ou par l'enregistrement comptable des titres auprès d'un intermédiaire habilité qui délivre à l'émetteur ou au centralisateur une attestation de participation à l'assemblée (7).

Il convient de noter, qu'à l'image du régime ancien, lorsque l'actionnaire a déjà exprimé son vote à distance, envoyé un pouvoir ou demandé sa carte d'admission ou une attestation de participation, il ne peut plus choisir un autre mode de participation à l'assemblée, sauf disposition contraire des statuts.

En cas de cession, avant la tenue de l'assemblée générale, de tout ou partie des titres, différentes hypothèses sont envisageables :

  • Opération avant J-3 : dès lors que l'enregistrement comptable des titres aura été effectué au plus tard à J-3, le cessionnaire pourra participer à l'assemblée (8).

Dans tous les cas, aucune démarche n'est, désormais, exigée des actionnaires, des intermédiaires inscrits ou des gérants de fonds pour signaler l'éventuelle cession de tout ou partie de leurs actions. Lorsque l'actionnaire a exprimé un vote à distance, consenti un pouvoir ou demandé une carte d'admission ou une attestation de participation, ce sont les teneurs de comptes qui informeront la société dès qu'ils auront connaissance de la cession. La société invalide ou modifie en conséquence, selon le cas, le vote exprimé à distance, le pouvoir, la carte d'admission ou l'attestation de participation.

  • Opération après J-3 : la cession n'aura aucune influence sur la participation à l'assemblée (pouvoirs, votes exprimés et cartes d'admission resteront valables).

Le nouveau régime permet de clarifier le statut des cessions d'actions à la veille de l'assemblée. Toutes les cessions sont possibles, étant précisé que celles intervenant après J-3 à zéro heure (9) n'affectent pas la participation à l'assemblée générale nonobstant toute convention contraire.

Pour les sociétés dont les statuts comportent une clause inspirée du régime antérieur, la modification des statuts préalablement à la tenue de l'assemblée n'est pas requise (les dispositions de la loi s'appliquant nonobstant toute disposition contraire des statuts), mais il conviendra, en revanche, de mettre ceux-ci à jour dans un délai raisonnable (10).

- S'agissant des secondes -les sociétés dont les titres ne sont pas admis aux négociations sur un marché réglementé, ni admis aux opérations d'un dépositaire central-, la justification du droit de participer aux assemblées résultera, comme autrefois, de la seule inscription des titres au nom de l'actionnaire dans les comptes-titres nominatifs tenus par la société. Dans ces sociétés, la mise en place d'une procédure de date d'enregistrement reste, toutefois, possible en vertu d'une clause statutaire. Cette solution aura l'avantage de faciliter l'établissement des feuilles de présence.

Les praticiens seront, néanmoins, attentifs au fait que cette solution pourrait soulever des difficultés à l'occasion d'opérations de transmission d'entreprise, dont on sait que les calendriers, de plus en plus concentrés, obligent parfois à tenir des assemblées dans des délais extrêmement courts (or, il n'est pas certain que l'obligation de justifier de la qualité d'actionnaire à J-3 soit toujours compatible avec la nécessité pour l'acquéreur de prendre en urgence des décisions dès le transfert de propriété des titres réalisé).

L'actionnaire qui a déjà exprimé son vote à distance, ou envoyé un pouvoir, peut, à tout moment, céder tout ou partie de ses actions. En cas de cession intervenant avant le jour de la séance ou la date d'enregistrement (si elle est prévue par les statuts), et sauf dispositions statutaires particulières, la société invalide ou modifie en conséquence, avant l'ouverture de la séance de l'assemblée, le vote exprimé à distance ou le pouvoir de cet actionnaire. Le texte ne précise pas quelles sont les "dispositions particulières" pouvant être incluses dans les statuts. Il nous semble qu'il s'agit, logiquement, de clauses statutaires permettant la prise en compte des cessions jusqu'à une date plus proche de l'assemblée, et ce, pour éviter que le cédant ne participe aux délibérations sociales alors même qu'il n'a plus la qualité d'actionnaire (11).

2 - Les nouvelles règles concernant la participation à distance

Depuis 2002 (12), la signature électronique peut être utilisée aussi bien sur les formulaires de vote par correspondance que sur les procurations.

Le décret de 2006 vient préciser en quoi consiste exactement la "signature électronique" à laquelle il est fait référence dans les dispositions relatives au vote par correspondance et au vote par procuration. Il s'agit, aux termes du décret, soit d'un procédé de signature sécurisé au sens du décret du 30 mars 2001 (13) -système bénéficiant d'une présomption légale de fiabilité mais dont la lourdeur est dissuasive- soit d'un procédé fiable d'identification (14) garantissant un lien entre la signature et l'acte auquel elle s'attache (en l'occurrence le formulaire de vote par correspondance ou de vote par procuration) (15). Dans ce dernier cas, il est aujourd'hui obligatoire que les statuts prévoient spécifiquement la possibilité d'avoir recours à un procédé fiable d'identification ; la simple référence à la possibilité de recourir au vote électronique, sans autre précision, est donc insuffisante.

Comme l'avait souligné l'ANSA, lors de la préparation du texte du décret de 2006, l'obligation d'avoir prévu une telle clause statutaire spécifique, pour, désormais, pouvoir utiliser un procédé simplifié de signature électronique, risquait de pénaliser les sociétés qui utilisaient déjà le vote électronique mais qui n'auraient pas eu le temps de mettre à jour leurs statuts. Prenant en compte cette difficulté, le décret de 2006 prévoit que les dispositions relatives à la signature électronique ne sont pas applicables à la première assemblée qui sera convoquée après le 1er janvier 2007 (ce qui laissera aux émetteurs le souhaitant la possibilité d'adapter leurs statuts au cours de ladite assemblée générale).

En outre, concernant toujours la participation à distance des actionnaires, mais cette fois-ci par voie de visioconférence ou de moyens de télécommunication, il convient de noter que le décret de 2006 introduit les mêmes modifications que celles précédemment exposées au sujet des réunions du conseil d'administration ou du conseil de surveillance (adjonction des moyens de télécommunication aux côtés de ceux de visioconférence, précisions sur les caractéristiques techniques que doivent remplir ces moyens pour satisfaire aux exigences réglementaires).

3 - La personne à convoquer en cas de location d'actions

Les règles applicables en matière de convocation à l'assemblée des actionnaires lorsque les actions sont grevées d'un usufruit sont étendues aux situations où les actions font l'objet d'un contrat de location. Le critère à retenir est donc celui de la qualité de titulaire du droit de vote. Cette qualité appartient soit au bailleur, soit au locataire, en fonction des décisions soumises à l'assemblée des actionnaires (le droit de vote appartenant au bailleur dans les assemblées statuant sur les modifications statutaires ou sur la nationalité de la société et au locataire dans les autres assemblées (16)).

C - Inscription de projets de résolution à l'ordre du jour par les actionnaires

Avant la réforme apportée par le décret de 2006, les demandes d'inscription de projets de résolution devaient être envoyées :

  • 25 jours au moins avant la date de l'assemblée réunie sur première convocation s'agissant des sociétés ne faisant pas appel public à l'épargne ;
  • dans un délai de 10 jours à compter de la publication de l'avis de réunion s'agissant des sociétés faisant appel public à l'épargne.

En outre, la justification de la détention du pourcentage, exigée pour qu'un actionnaire puisse demander l'inscription de projets de résolution à l'ordre du jour (17), devait être effectuée préalablement à l'envoi de la demande d'inscription des projets de résolution. Selon l'ANSA, le fait que l'actionnaire conserve sa qualité ou sa représentativité au sein du capital de la société n'était pas une condition à l'étude du projet de résolution déposé (18).

Pour les actions au porteur, le dépôt s'accompagnait de l'immobilisation des actions jusqu'à la date de l'assemblée générale (19).

Depuis la réforme apportée par le décret de 2006, les demandes d'inscription de projets de résolution doivent être envoyées :

  • toujours 25 jours au moins avant la date de l'assemblée réunie sur première convocation s'agissant des sociétés ne faisant pas appel public à l'épargne dès lors que leurs actions revêtent toutes la forme nominative ;
  • jusqu'à 25 jours avant l'assemblée générale ou dans un délai de 20 jours à compter de la publication de l'avis de réunion si celui-ci est publié plus de 45 jours avant l'assemblée générale (20) s'agissant des sociétés faisant appel public à l'épargne ou dont toutes les actions ne revêtent pas la forme nominative.

Les actionnaires justifient de la représentation au capital exigée lors du dépôt des projets de résolution par la remise d'une attestation d'inscription en compte. L'examen desdits projets est, de plus, soumis à la transmission, par les auteurs de la demande, d'une nouvelle attestation justifiant de l'enregistrement comptable des titres à J-3 à zéro heure (21).

Ainsi, même si les actionnaires sont convoqués 45 jours avant la date de réunion de l'assemblée, les projets de résolution pourront, désormais, être déposés jusqu'au 25ème jour précédant l'assemblée (alors qu'auparavant une convocation à 45 jours permettait de connaître les projets de résolution déposés au 35ème jour précédant l'assemblée).

Cette disposition réduira la visibilité dont disposera la direction des sociétés et retardera la date à laquelle pourra être lancée la publication de l'ordre du jour définitif.

Par ailleurs, la disparition du certificat d'immobilisation pourrait modifier l'attitude adoptée jusqu'alors par les actionnaires institutionnels, lors des prochaines assemblées, et conduire au dépôt par ceux-ci de projets de résolution (notamment des projets visant à modifier ou à supprimer les mécanismes de défense contre les offres publiques). Il convient, toutefois, de noter que la liberté offerte aux actionnaires minoritaires n'est pas totale car si ceux-ci peuvent céder leurs titres dès le dépôt des projets de résolution ; ils devront être en mesure de justifier de leur détention à J-3. A défaut de pouvoir satisfaire à cette exigence, le projet de résolution proposé ne sera pas étudié.

Le texte issu du décret de 2006 ne précise, toutefois, pas la manière selon laquelle devront être traités, en pratique, les projets de résolution dont l'inscription a été demandée par un actionnaire qui ne présenterait pas à J-3 une attestation justifiant de l'enregistrement comptable d'un nombre de titres suffisant. Faute de précision dans le décret de 2006, il nous semble que ces projets devront simplement être écartés par le président de l'assemblée au cours des débats après un rappel des textes, désormais, applicables.

D - Questions écrites

Jusqu'alors, aucune disposition légale ou réglementaire ne fixait de date limite pour le dépôt des questions écrites, de sorte que celles-ci pouvaient être déposées par les actionnaires jusqu'à l'ouverture des débats.

Les questions écrites doivent, aujourd'hui, être transmises au plus tard le quatrième jour ouvré précédant la date de l'assemblée générale.

Ce délai de quatre jours ouvrés a pour objectif de permettre au conseil d'administration ou au directoire de la société de se réunir afin d'évoquer les questions soumises par les actionnaires. La modification apportée par le décret de 2006 permettra ainsi aux membres du conseil d'administration ou du directoire de disposer d'un délai supplémentaire pour étudier les questions et les réponses qu'il convient d'y apporter. La pratique, visant à convoquer une réunion du conseil d'administration ou du directoire quelques heures avant l'assemblée générale, pourrait donc disparaître au profit de convocations plus en amont.

E - Dispositions spécifiques en matière d'offre publique d'acquisition

Lors des débats parlementaires relatifs à l'adoption de la loi sur les offres publiques d'acquisition (22), le Gouvernement avait précisé vouloir réduire les délais de convocation de l'assemblée générale lorsque celle-ci est convoquée en application des dispositions de l'article L. 233-32 du Code de commerce (N° Lexbase : L1384HI4), afin de statuer sur des mesures susceptibles de faire échouer l'offre (23). Le décret de 2006 concrétise ce souhait en prévoyant que :

  • l'avis de réunion doit être publié 15 jours au moins avant la date de tenue de l'assemblée générale ;
  • l'avis de convocation doit être adressé au moins 6 jours avant la date de tenue de l'assemblée sur première convocation et au moins 4 jours avant cette date sur convocation suivante ;
  • le délai, dans lequel doivent être déposés les projets de résolution, est réduit à 5 jours à compter de la publication de l'avis de réunion.

La réduction des délais impératifs en période d'offre publique permet de donner une cohérence au nouveau régime introduit par les articles L. 233-32 et suivants du Code de commerce. Elle rend, en effet, compatible la convocation d'une assemblée avec le calendrier d'une offre publique, même s'il nous semble, qu'en pratique, il restera difficile d'obtenir, en cours d'offre, l'accord des actionnaires sur la mise en place de mécanismes de défense contre les offres publiques (à l'exemple des "bons Breton") en cours d'offre.

III - Autres mesures notables du décret de 2006

A - Conventions réglementées et intervention des commissaires aux comptes

La loi du 26 juillet 2005 a soumis à la procédure des conventions réglementées, les engagements souscrits par une société dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé (24) au bénéfice de leurs présidents, directeurs généraux ou directeurs généraux délégués ou membres du directoire et correspondant à des éléments de rémunération, les indemnités ou les avantages dus ou susceptibles d'être dus à raison de la cession ou du changement de leurs fonctions.

Mettant à jour de cette innovation le décret de 1967, le décret de 2006 étend à ces engagements :

  • l'obligation pesant sur le président du conseil d'administration ou le président du conseil de surveillance d'aviser les commissaires aux comptes des conventions réglementées dans le délais d'un mois suivant la conclusion desdites conventions ou, lorsque l'exécution de ces conventions s'est poursuivie au-delà de l'exercice au cours duquel elles ont été autorisées, d'informer les commissaires aux comptes dans le délai d'un mois à compter de la clôture de l'exercice ;
  • le champ du rapport spécial des commissaires aux comptes sur les conventions réglementées qui comprendra, désormais, une description des conventions et des engagements.

B - Responsabilité civile des dirigeants

Le décret de 2006 vient compléter le régime existant en matière de responsabilité civile des dirigeants de sociétés anonymes sur trois points :

  • il sera, désormais, possible au tribunal de désigner un mandataire ad hoc pour représenter la société dans l'instance lorsque l'action sociale est exercée par un ou plusieurs actionnaires et qu'il existe un conflit d'intérêt entre la société et ses représentants légaux ;
  • l'action individuelle des actionnaires est, désormais, ouverte contre les membres du directoire (il s'agit, semble-t-il, ici de corriger un oubli) ;
  • l'action sociale exercée à titre collectif par les actionnaires contre les membres du conseil de surveillance n'est, en revanche, plus possible.

C - La date du transfert de propriété des titres nominatifs

Le transfert des valeurs mobilières revêtant la forme de titres nominatifs s'effectue par inscription desdites valeurs aux comptes de l'acheteur (25). Ce mode de transmission de la propriété, souple, est adapté aux exigences de fluidité que connaissent aussi les échanges de titres non cotés. Le décret de 2006 offre en cette matière une nouvelle possibilité aux parties en leur permettant de fixer d'un commun accord la date à laquelle l'inscription en compte de l'acheteur sera faite, cette date devant être notifiée à la société émettrice.

Dans le silence du texte, se pose la question de savoir si les parties peuvent retenir une date d'inscription antérieure à la date de notification. Même si cette solution paraît compatible avec la lettre du texte, nous partageons l'avis des auteurs selon lesquels les parties ne devraient pas être en mesure de retenir une date d'inscription en compte antérieure à celle de la notification faite à la société et ce pour ne pas aboutir, en pratique, à des situations peu cohérentes (26). Afin de lever cette incertitude, les dispositions nouvellement introduites seront peut-être modifiées en ce sens, à l'occasion de la prochaine réforme du décret de 1967...

Schéma du calendrier théorique simplifié de l'assemblée générale d'une société cotée (avant et après le décret de 2006) .

Florent Mazeron
Avocat à la Cour
Bredin Prat


(1) Afin de conserver un caractère synthétique à la présentation des modifications apportées par le décret de 2006, nous avons fait le choix de ne pas reprendre dans le présent article l'intégralité des nouvelles mesures prévues par ce décret. Les lecteurs noteront, notamment, que le décret de 2006 prévoit, en sus, des innovations exposées ci-après : le rétablissement de sanctions pénales pour défaut de dépôt des comptes au greffe du tribunal de commerce, l'obligation pour les commissaires aux comptes d'attester dans leur rapport général l'exactitude et la sincérité des informations concernant les rémunérations et avantages de toute nature octroyés aux dirigeants et l'unification et la simplification des renvois textuels en matière de règles d'ajustement des droits des titulaires de stock options.
(2) Cet allongement des délais est dû à la réforme engagée par les services de publication du BALO qui n'assurent plus le service de normalisation des textes à publier.
(3) Comparer la lettre du texte et le commentaire de l'ANSA formulé dans l'article suivant : Comité juridique de l'ANSA, 2 juillet 1997, n° 431, Demande d'inscription de projets de résolution à l'ordre du jour d'une assemblée générale par des actionnaires propriétaires de titres au porteur Cas où les titres sont cédés avant l'assemblée générale.
(4) Heure de Paris.
(5) L'adoption du principe de la "record date" avait été suggérée par le rapport de l'Autorité des marchés financiers de septembre 2005 élaboré par le groupe de travail sous la présidence de Yves Mansion et intitulé "Pour l'amélioration de l'exercice des droits de vote des actionnaires en France". La recommandation n° 5 de ce rapport énonce ainsi : "le système français actuel de l'immobilisation des titres, même révocable, est ressenti comme un frein à l'expression des actionnaires et recommande l'adoption d'un système de date d'enregistrement' ou record date'. Il est important que cette 'date d'enregistrement' soit aussi proche que possible de la date de l'assemblée pour éviter que des actionnaires admis à voter n'aient plus cette qualité au jour de l'assemblée. La réforme récente fixant le transfert de propriété à la date de règlement-livraison permet de retenir une date d'enregistrement à J-3 avant l'assemblée générale".
(6) ANSA, Comité juridique, du 8 novembre 2006, n° 06-056, Participation aux assemblées d'actionnaires : conditions nouveau régime modification des statuts.
(7) L'attestation, elle-même, pourra parvenir à l'émetteur ou au centralisateur jusqu'à l'ouverture de l'assemblée dernier délai (sous réserve de l'application des règles spécifiques propres aux formulaires de vote, figurant à l'article 131-3 du décret de 1967 N° Lexbase : L0996ARC tel que modifié par le décret de 2006, lorsque l'attestation est indiquée sur ou en annexe de ces formulaires). Une attestation est, également, délivrée à l'actionnaire souhaitant participer physiquement à l'assemblée et qui n'a pas reçu sa carte d'admission le troisième jour ouvré précédant l'assemblée à zéro heure, heure de Paris.
(8) Il convient de prendre en compte l'enregistrement comptable (c'est-à-dire l'exécution de l'ordre) et non simplement l'inscription en compte. Cette précision du texte permet d'inclure dans la liste des actionnaires pouvant participer à l'assemblée les personnes qui auraient acquis des titres avant J-3 (exemple : enregistrement comptable réalisé à J-5) mais pour lesquelles l'inscription en compte n'aurait pas encore été effectuée (l'inscription en compte intervenant en principe trois jours après la date d'exécution de l'ordre soit dans notre exemple à J-2) ; voir ANSA, Comité juridique du 8 novembre 2006, n° 06-056, précité.
(9) Heure de Paris.
(10) En ce sens : ANSA, Comité juridique du 8 novembre 2006, n° 06-056, précité.
(11) Il nous semble, en revanche, que les "dispositions statutaires", auxquelles il est fait référence, ne peuvent prévoir de dérogation au principe de la date d'enregistrement (si celui-ci a été retenu par les statuts) afin de permettre au cessionnaire inscrit après la date d'enregistrement de participer dans certains cas à l'assemblée. En effet, l'exception liée à l'existence de dispositions statutaires spécifiques ne figure que dans le deuxième alinéa du nouvel article 136-1 du décret de 1967 (concernant le sort des votes exprimés à distance et des pouvoirs conférés par le cédant) et non dans le premier alinéa de ce texte (concernant la possibilité ou non pour le cessionnaire de participer à l'assemblée).
(12) Décret n° 2002-803, 3 mai 2002, portant application de la troisième partie de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques (N° Lexbase : L7108AZB).
(13) Décret n° 2001-272, 30 mars 2001, pris pour l'application de l'article 1316-4 du Code civil et relatif à la signature électronique N° Lexbase : L1813ASX).
(14) Selon l'ANSA, un tel procédé comporte un code identifiant et un mot de passe (ANSA, Comité juridique n° 04-035, la signature électronique et le droit des sociétés , mai 2004).
(15) C. civ., art. 1316-4, alinéa 2 (N° Lexbase : L0630ANN).
(16) C. com., art. L. 239-3, alinéa 3 (N° Lexbase : L3995HBL).
(17) Etabli via l'inscription sur le registre des actionnaires pour les actions nominatives ou le dépôt aux lieux indiqués par l'avis de réunion des certificats d'immobilisation établis par les intermédiaires habilités pour les actions au porteur.
(18) Comite juridique de l'ANSA, 2 juillet 1997, n° 431, Demande d'inscription de projets de résolution à l'ordre du jour d'une assemblée générale par des actionnaires propriétaires de titres au porteur Cas où les titres sont cédés avant l'assemblée générale.
(19) L'intermédiaire ayant délivré un certificat d'immobilisation devait, en effet, refuser de procéder au virement des titres à compter de l'émission dudit certificat. Cette situation avait pour conséquence d'empêcher la conclusion de cession à compter de la délivrance du certificat d'immobilisation (car celle-ci n'aurait pas été opposable aux tiers) et de conduire certains actionnaires minoritaires (notamment les fonds étrangers) à s'abstenir de déposer des projets de résolution pour éviter d'être contraints de conserver leur position sur les titres jusqu'à la date de l'assemblée (voir sur ce point, Comité juridique de l'ANSA, 2 juillet 1997, n° 431, précité).
(20) Il convient de noter que, si l'avis de réunion est publié moins de 45 jours avant l'assemblée générale, les actionnaires peuvent envoyer des projets de résolution jusqu'au 25ème jour et non plus, seulement, dans un délai de 10 jours à compter de la publication de l'avis de réunion (en théorie, un avis publié à J-40 ouvrirait donc le droit de déposer des résolutions jusqu'à J-25, soit pendant une période de 15 jours).
(21) Heure de Paris.
(22) Loi n° 2006-387, 31 mars 2006, relative aux offres publiques d'acquisition (N° Lexbase : L9533HHK).
(23) Il est rappelé que l'article L. 233-32 est issu de la transposition en droit français de la Directive 2004/25, du 21 avril 2004, sur les offres publiques d'acquisition (N° Lexbase : L2413DYZ) qui pose le principe d'un contrôle par l'assemblée des actionnaires, en période d'offre publique, des mesures prises par l'organe de direction dès lors que la mise en oeuvre de ces mesures serait susceptible de faire échouer l'offre.
(24) Ou par toute société qu'elle contrôle ou la contrôlant au sens des II et III de l'article L. 233-16 du Code de commerce (N° Lexbase : L6319AIU).
(25) C. com., art. L. 228-1, alinéa 9 (N° Lexbase : L6184AIU).
(26) Notamment, en ce qui concerne la détermination de la qualité d'actionnaire pour pouvoir participer à l'assemblée générale (voir BRDA, 1/07, Modification du décret régissant les sociétés commerciales : mesures concernant les sociétés par actions).

newsid:270513

Social général

[Questions à...] Les nouvelles mesures d'interdiction de fumer dans l'entreprise : questions à... Nathalie Cerqueira, avocate spécialisée en droit social

Réf. : Décret n° 2006-1386, 15 novembre 2006, fixant les conditions d'application de l'interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif (N° Lexbase : L4959HTT)

Lecture: 11 min

N0244BAB

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3208913-edition-n-248-du-15022007#article-270244
Copier

par Propos recueillis par Aurélie Serrano, SGR - Droit social

Le 07 Octobre 2010


Depuis la loi "Evin" (loi n° 91-32 du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme N° Lexbase : L3377A9X), la connaissance scientifique des risques entraînés par le tabac a considérablement progressé. Il est, désormais, scientifiquement reconnu que le tabagisme passif provoque le cancer du poumon, des maladies cardio-vasculaires et aggrave des pathologies comme l'asthme. Selon les chiffres officiels, le tabac tue annuellement en France 66 000 fumeurs et 5 000 non fumeurs. Dans ce contexte, la législation en vigueur apparaissait insuffisante. Le décret du 15 novembre 2006 marque, donc, une nouvelle étape dans la prévention du tabagisme en France. Ce texte rappelle et précise l'étendue du principe d'interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif, applicable à l'ensemble des entreprises à compter du 1er février 2007. Pour mesurer l'étendue et l'impact de cette réforme, nous avons choisi d'interroger Nathalie Cerqueira, avocate spécialisée en droit social au sein du cabinet Bersay et associés.

Lexbase (LXB) : Quel est le nouveau cadre juridique relatif à l'interdiction de fumer ? Quelles en sont les grandes lignes ?

Nathalie Cerqueira (NC) : Le décret n° 2006-1386 du 15 novembre 2006 fixe les conditions d'application de l'interdiction de fumer dans les lieux à usage collectif et renforce la réglementation jusqu'alors applicable. En outre, plusieurs circulaires sont venues préciser les conditions d'application de ce texte (circulaire du 24 novembre 2006 concernant la lutte contre le tabagisme N° Lexbase : L6728HTD ; circulaire du 27 novembre 2006 relative aux conditions d'application dans les services de l'Etat et des établissements publics N° Lexbase : L6730HTG ; circulaire du 29 novembre 2006 relative à l'interdiction de fumer pour les personnels et les élèves dans les établissements d'enseignement et de formation N° Lexbase : L6726HTB ; circulaire du 4 décembre 2006 concernant la réglementation relative à la lutte contre le tabagisme N° Lexbase : L6727HTC ; circulaire n° DGAS/2006/528 du 12 décembre 2006 relative à la lutte contre le tabagisme dans les établissements sociaux et médico-sociaux assurant l'accueil et l'hébergement mentionnés aux 6°, 7°, 8° et 9° du I de l'article L. 312-1 du Code de l'action sociale et des familles N° Lexbase : L1018HUA), mais une seule concerne les lieux de travail (circulaire du 29 novembre 2006 relative à l'interdiction de fumer dans les lieux à usage collectif N° Lexbase : L6729HTE).

LXB : Dans quels lieux de travail s'applique l'interdiction de fumer ?

NC : Aux termes de l'article R. 3511-1 du Code de la santé publique dans sa nouvelle version, l'interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif, mentionnée à l'article L. 3511-7 du même code, s'applique dans tous les lieux fermés et couverts qui accueillent du public ou qui constituent des lieux de travail. Cette interdiction s'applique donc, non seulement, aux locaux affectés à l'ensemble du personnel (accueil, réception, locaux de restauration, espaces de repos, lieux de passage, etc.), mais aussi aux locaux de travail et aux salles de réunion ou de formation.

En outre, la circulaire du 29 novembre 2006 précise que l'interdiction s'applique aux bureaux individuels "dans la mesure où plusieurs personnes y ont accès, notamment le personnel d'entretien".

En revanche, l'interdiction de fumer ne s'applique logiquement pas aux lieux de travail en plein air tels que les chantiers de travaux publics. Précisons, également, que le domicile, alors même qu'il constitue le lieu de travail d'un salarié du particulier employeur, n'est pas concerné par l'interdiction, dans la mesure où il n'est pas destiné à un usage collectif.

LXB : En pratique, quelles sont les nouvelles obligations mises à la charge des entreprises ?

L'obligation première faite à l'employeur est celle de faire respecter l'interdiction de fumer dans ses locaux. Il s'agit d'une obligation de sécurité de résultat. Cette obligation existait, déjà, avant la parution du décret (Cass. soc. 29 juin 2005, n° 03-44.412, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8545DIC et les obs. de N. Mingant, La prise d'acte de la rupture pour non-respect par l'employeur de la législation anti-tabac, Lexbase Hebdo n° 176 du 14 juillet 2005 - édition sociale N° Lexbase : N6574AIC), mais il s'agissait d'un obligation jurisprudentielle. Elle est, désormais, renforcée par un fondement textuel. En conséquence, l'employeur ne pourra se contenter de démontrer qu'il a tout mis en oeuvre pour interdire l'usage de la cigarette sur le lieu de travail, puisque seul le résultat compte, c'est-à-dire le respect effectif de l'interdiction de fumer.

Pour parvenir à ce résultat, l'employeur dispose de certains outils.

Toute d'abord, mais cela constitue également une obligation pour lui, une signalétique doit être mise en place dans les locaux de l'entreprise. Ainsi, aux termes de l'article R. 3511-6 du Code de la santé publique dans sa nouvelle version, une signalisation apparente doit rappeler le principe de l'interdiction de fumer. Un avertissement sanitaire doit, également, être apposé à l'entrée des emplacements mis à la disposition des fumeurs lorsqu'ils existent. Cette signalétique est fixée par un arrêté du ministre chargé de la Santé, de sorte que les entreprises ayant déjà installé, certaines depuis de nombreux mois, une signalétique en harmonie avec leur ameublement devront néanmoins apposer les affichettes qui, en pratique, sont téléchargeables sur www.tabac.gouv.fr (modèle d'interdiction de fumer ; modèle d'emplacement fumeur ; modèle d'affichette de signalisation).

Ensuite, afin de faire respecter l'interdiction de fumer, l'employeur peut se placer sur le terrain disciplinaire et sanctionner le salarié récalcitrant. Il peut être opportun de mettre à jour le règlement intérieur au vu de la nouvelle réglementation. L'employeur pourra, ainsi, préciser l'étendue de l'interdiction de fumer et actualiser l'éventail de sanctions disciplinaires attachées aux manquements à l'interdiction de fumer.

Toutefois, l'interdiction de fumer s'impose dans l'entreprise, même à défaut de précision dans le règlement intérieur. Dans ces conditions, les entreprises peuvent attendre avant d'actualiser leur règlement intérieur, notamment si des négociations s'engagent avec le CHSCT pour mettre en place un emplacement fumeur.

LXB : L'employeur pourrait-il aller jusqu'à licencier un salarié récalcitrant ?

NC : Ainsi qu'il a été dit précédemment, la violation de l'interdiction de fumer peut faire l'objet d'une sanction disciplinaire dont le licenciement fait partie. Toutefois, ses conséquences étant particulièrement lourdes, il convient d'être prudent et de tenir compte des circonstances. Si le licenciement d'un salarié pour ce motif est envisageable, il conviendra de démontrer qu'il s'agissait de la sanction adaptée. En ce sens, il est recommandé de prononcer des sanctions moins lourdes, telles l'avertissement ou le blâme.

Le licenciement pour faute grave d'un salarié contrevenant à l'interdiction de fumer a été reconnu bien fondé par la Cour de cassation, mais il s'agissait d'espèces dans lesquelles le comportement du salarié faisait courir des risques importants à l'entreprise et au personnel de l'entreprise en termes de sécurité (Cass. soc., 11 juin 1998, n° 96-42.244, Gérard Tournerie et autres c/ Société Embe VI, société anonyme, inédit N° Lexbase : A0169AUS).

L'employeur sera, vraisemblablement, d'autant plus tenté de sanctionner qu'il est tenu d'une obligation de sécurité de résultat. Au vu de la nouvelle réglementation, il est incité à devenir un gendarme dans l'entreprise et à prendre des sanctions fortes en cas de non-respect de l'interdiction de fumer. Attention, toutefois, de ne pas perdre de vue le principe de proportionnalité de la sanction à la faute. On peut raisonnablement penser que la justice tiendra compte, au moment d'apprécier le bien-fondé du licenciement d'un salarié fumeur, des responsabilités de celui-ci dans l'entreprise ou du caractère répété des avertissements préalables formulés à son encontre.

LXB : Un salarié qui serait exposé à la fumée de cigarette sur son lieu de travail pourrait-il exercer son droit de retrait ?

NC : Si le tabagisme passif constitue, depuis l'arrêt du 29 juin 2005 (Cass. soc. 29 juin 2005, n° 03-44.412, préc.), un motif légitime de prise d'acte de la rupture du contrat de travail, il est logique de penser qu'il peut, également, justifier l'exercice du droit de retrait. En effet, les derniers rapports scientifiques confirment que le tabagisme passif peut constituer un "danger grave et imminent pour la vie ou la santé" (C. trav., art L. 231-8 N° Lexbase : L5969AC3). Certaines juridictions du fond l'ont déjà admis. Ainsi, dans un arrêt du 16 mars 2004, la cour d'appel de Rennes a pu décider qu'un salarié exerçait valablement son droit de retrait lorsque les mesures prises pour aménager des espaces non-fumeurs étaient nettement insuffisantes (CA Rennes, 5ème ch., 16 mars 2004, n° 03/03279, Monsieur Benoit Villeret c/ SARL Le damier N° Lexbase : A9160DDM).

La possibilité pour le salarié d'exercer son droit de retrait en cas d'exposition à la fumée de cigarette est d'autant plus évidente maintenant qu'il existe un cadre réglementaire de protection des non-fumeurs et que l'employeur est soumis à une obligation de résultat.

LXB : Quelles sont les sanctions pénales encourues par les fumeurs et/ou par l'employeur qui contreviendraient à la réglementation ?

NC : Outre les sanctions disciplinaires qui étaient déjà possibles auparavant, le salarié qui fume sur le lieu de travail encourre, désormais, des sanction pénales : une amende forfaitaire de 68 euros (contraventions de troisième classe). Si le contrevenant n'acquitte pas le montant de cette amende ou n'effectue aucune requête en exonération dans un délai de 45 jours, le montant de l'amende est majoré et passe à 180 euros. Si la procédure de l'amende forfaitaire n'est pas utilisée, l'amende maximale encourue pour les contraventions de la troisième classe est de 450 euros.

L'employeur pourra, quant à lui, être puni de l'amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe dans trois cas : lorsqu'il n'aura pas mis en place la signalétique requise, lorsqu'il aura mis à la disposition de fumeurs un emplacement non conforme aux prescriptions réglementaires et lorsqu'il aura favorisé, sciemment, par quelque moyen que ce soit, la violation de l'interdiction de fumer.

Les deux premières infractions peuvent faire l'objet d'une procédure d'amende forfaitaire dont le montant est fixé à 135 euros pour les contraventions de quatrième classe. Si le contrevenant n'acquitte pas le montant du timbre-amende ou n'effectue aucune requête en exonération dans un délai de 45 jours, le montant de l'amende est majoré et passe alors à 375 euros. L'amende maximale encourue pour les contraventions de la quatrième classe est de 750 euros.

La troisième infraction a pour objet de sanctionner les responsables des lieux qui incitent les usagers à fumer en contravention avec la réglementation en vigueur. On peut imaginer, par exemple, le cas d'un employeur qui mettrait des cendriers à disposition de ses salariés dans l'entreprise. Cette infraction ne pourra pas faire l'objet d'une amende forfaitaire. Un procès-verbal sera dressé et transmis à l'officier du ministère public, qui décidera ou non de poursuivre le contrevenant (amende maximale de 750 euros).

Il convient, enfin, de préciser que l'employeur pourra être condamné, dans le cadre de l'action civile engagée par un salarié se plaignant de tabagisme passif, à verser à ce dernier, le cas échéant, des dommages et intérêts. C'est dans le cadre d'une telle action que l'obligation de sécurité de résultat sera opposée à l'employeur. Mais encore faudra-t-il que le salarié établisse le lien de causalité entre son dommage et la faute de l'employeur...

LXB : Est-il possible d'aménager des espaces fumeurs dans l'entreprise ? S'agit-il d'une obligation pour l'employeur ?

NC : Le décret prévoit une seule exception au principe de l'interdiction de fumer dans l'entreprise qui réside dans la possibilité de mettre en place un emplacement à la disposition des fumeurs. Il s'agit d'une simple option et, en aucun cas, d'une obligation mise à la charge de l'employeur. Notons, également, que de tels emplacements ne pourront pas être mis en place au sein des établissements d'enseignement, des centres de formation des apprentis, des établissements destinés à l'accueil, la formation, l'hébergement ou la pratique sportive des mineurs et des établissements de santé (CSP, art. R. 3511-2). En outre, les mineurs de moins de 16 ans ne peuvent en aucun cas accéder aux emplacements réservés aux fumeurs.

Lorsque l'entreprise projette de mettre en place un tel espace, elle doit préalablement consulter le comité d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ou, à défaut, les délégués du personnel et le médecin du travail. Notons qu'en application de l'article L. 236-2-1 du Code du travail (N° Lexbase : L8444HN3), deux membres du CHSCT peuvent, également, demander une réunion extraordinaire afin qu'il soit discuté de cette question. Dans le cas où un tel emplacement serait créé, ces consultations devraient être renouvelées tous les 2 ans (CSP, art. R. 3511-5).

En pratique, chaque entreprise devrait s'adapter en fonction du profil de ses salariés et évaluer l'opportunité de mettre en place de tels emplacements en fonction du rapport coût/impact bénéfique sur le climat social. Il est évident que dans les entreprises ayant des salariés majoritairement fumeurs, la question de la mise en place d'emplacements fumeurs se posera avec plus d'acuité. En effet, il faut que l'entreprise prenne en compte les nouvelles problématiques liées à la réglementation comme, par exemple, la présence de salariés fumeurs sur le trottoir de l'entreprise ou l'augmentation du temps de pause pour fumer.

LXB : Quelles normes techniques devront respecter les emplacements réservés aux fumeurs ?

NC : Les modalités techniques que devront respecter ces emplacements sont extrêmement contraignantes. Ces espaces réservés devront être équipés d'un dispositif d'extraction d'air par ventilation mécanique permettant un renouvellement d'air minimal de dix fois le volume de l'emplacement par heure, être dotés de fermetures automatiques sans possibilité d'ouverture non intentionnelle, ne pas constituer un lieu de passage et présenter une superficie au plus égale à 20 % de la superficie totale de l'établissement au sein duquel ils sont aménagés. Chaque emplacement ne pourra excéder 35 mètres carrés. En outre, ces emplacements devront être affectés à la seule consommation de tabac et aucune prestation de service réalisée par un salarié, qu'il appartienne ou non à l'établissement, ne pourra y être délivrée. De même, aucune tâche d'entretien et de maintenance ne pourra y être exécutée sans que l'air ait été renouvelé, en l'absence de tout occupant, pendant au moins une heure.

LXB : Comment faut-il considérer le temps passé par le salarié à fumer ?

NC : Le salarié demeure-t-il à la disposition de l'employeur quand il fume ? Faut-il obliger le salarié à badger pendant sa pause cigarette ? Ces questions se posent avec d'autant plus d'acuité, aujourd'hui, puisque le temps passé à fumer risque d'être augmenté par les nouvelles contraintes posées par le décret.

Théoriquement, le temps passé à fumer constitue du temps de pause. Or, aux termes de l'article L. 220-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5873ACI), les salariés doivent disposer d'au moins 20 minutes de pause par jour. D'une manière générale, l'employeur ne pourrait pas aller jusqu'à interdire la pause cigarette mais garde la possibilité de considérer la pause cigarette comme du temps de pause et le déduire du temps du travail effectif. En pratique, la plupart des entreprises fait preuve d'une certaine tolérance et, sauf abus d'un salarié, ne décompte pas le temps passé à fumer du temps de travail effectif.

LXB : Est-il possible de mettre en oeuvre un dispositif d'aide à l'arrêt du tabac dans l'entreprise ? Quelles peuvent en être les modalités ?

NC : Le décret du 15 novembre 2006 et sa circulaire d'application relative aux lieux de travail encouragent la mise en place d'actions d'information et de sensibilisation associant le médecin du travail et le fumeur. La circulaire précise "qu'il convient de lier étroitement des actions de prévention et de sensibilisation avec des opérations de contrôle, lesquelles doivent concilier elles-mêmes pédagogie et sanctions des infractions".

D'une manière générale, l'employeur peut toujours mettre en place, volontairement, des actions d'aide pour encourager les salariés à arrêter de fumer, en concertation avec le CHSCT. Le coût de telles actions est à mettre en parallèle avec celui engendré par la perte de rentabilité liée aux pauses cigarettes ou avec celui de la création d'emplacements réservés aux fumeurs.

Le Gouvernement, de son côté, propose un certain nombre d'actions en vue d'aider à l'arrêt du tabac : mise en place d'un dispositif d'information et de communication (plate-forme téléphonique et site internet) ; doublement des consultations en tabacologie qui passe de 500 à 1 000 ; plan de formation, destiné aux personnels des consultations tabacologiques ; prise en charge par la caisse d'assurance maladie du prix des patchs nicotiniques à hauteur de 50 euros "correspondant environ au tiers du traitement de substitution nicotinique"...

newsid:270244

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.