Lexbase Public n°298 du 25 juillet 2013 : Procédure administrative

[Chronique] Chronique de contentieux administratif - Juillet 2013

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N8161BTG

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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz

le 01 Août 2013

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose de retrouver cette semaine la chronique de contentieux administratif de Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz. Au sommaire de cette chronique, tout d'abord, une décision du Conseil d'Etat bienvenue et attendue amenant à consolider la position du rapporteur public au sein du procès administratif. Le juge administratif y explique de manière très pédagogique le nouveau statut de ce magistrat ou membre du Conseil d'Etat et donne quelques précisions très utiles sur la notion de "sens des conclusions" du rapporteur public qui doivent être communiquées préalablement à l'audience aux parties dans un délai raisonnable et sous peine d'irrégularité de la décision (CE, S., 21 juin 2013, n° 352427, publié au recueil Lebon). La deuxième décision vient préciser l'office du juge lorsqu'un revirement de jurisprudence intervient postérieurement près d'un an après la clôture de l'instruction. Dans ce cas, il appartient au juge, dans le respect du principe du contradictoire, de rouvrir l'instruction (CE 3° et 8° s-s-r., 22 mai 2013, n° 350551, mentionné aux tables du recueil Lebon). La dernière décision concerne plus particulièrement la question des frais de justice. Il en ressort que le juge administratif peut mettre à la charge de la partie perdante dans l'instance une somme globale au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3227AL4) relatives aux frais exposés et non compris dans les dépens et de l'article R. 761-1 du même code (N° Lexbase : L1544IRM) relatives au remboursement de la contribution pour l'aide juridique (CE 2° et 7° s-s-r., 10 juin 2013, n° 361327, mentionné aux tables du recueil Lebon).
  • Le principe du contradictoire n'impose pas au rapporteur public de communiquer aux parties les moyens d'une potentielle annulation ou d'un hypothétique rejet dans ses conclusions préalablement à la tenue de l'audience (CE, S., 21 juin 2013, n° 352427, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2099KH9)

Il aura fallu moins d'un mois au Conseil d'Etat pour faire suite à la décision du juge européen "Marc-Antoine contre France" (1) et redéfinir les obligations et les modalités d'intervention du rapporteur public. La décision européenne était attendue voire redoutée par ceux qui craignaient un risque de déstabilisation du fonctionnement des juridictions administratives mais la Cour européenne des droits de l'Homme a finalement levé l'épée de Damoclès qui pesait sur le rapporteur public. La Cour a répondu par la négative au requérant qui mettait en avant une atteinte au contradictoire et à l'égalité des armes dans le fait que seul le rapporteur public, et non les parties à l'instance, obtenaient communication du rapport et du projet de décision du conseiller rapporteur, membre de la formation de jugement chargé de la fonction temporaire d'instruire l'affaire.

Cette prise de position du juge européen était loin d'être évidente et, à vrai dire, une bonne partie de la doctrine s'attendait plutôt à une décision de non-conformité. Le rapporteur public, lorsqu'il était encore désigné sous le vocable de commissaire du gouvernement avait, en effet, pu être remis en cause par la Cour à l'occasion de retentissantes condamnations. Sans forcément retracer toute l'histoire contentieuse, on peut en rappeler néanmoins les principaux éléments. Les arrêts "Kress contre France" (2) et "Martinie contre France" (3) ont d'abord sanctionné la présence au délibéré de l'ancien commissaire du Gouvernement. Etant le dernier à s'exprimer lors de l'audience, sa participation au délibéré violait l'égalité des armes et le respect du contradictoire. La situation du requérant a été en conséquence amélioré à la suite de la seconde de ces décisions avec le décret du 1er août 2006 (4) qui autorise ou laisse la possibilité aux parties de présenter de brèves observations orales après le prononcé des conclusions du commissaire du gouvernement.

Plus récemment, c'est l'affaire "UFC Que Choisir de Côte d'Or contre France" (5) qui a précisément porté sur l'absence de communication aux parties de la note du conseiller rapporteur, lacune déjà perçue comme une violation du principe du contradictoire et de l'égalité des armes. Le juge européen avait rendu une décision d'irrecevabilité et l'association requérante avait, opportunément, retiré le grief portant sur l'absence de communication du rapport. Entre temps était aussi intervenu, tout aussi opportunément, le décret du 7 janvier 2009 (6) transformant le commissaire du Gouvernement en rapporteur public. L'ancienne dénomination était en effet de nature à induire en erreur les justiciables sur la véritable fonction du rapporteur public même si la nouvelle appellation fait du coup naître une confusion nouvelle avec le conseiller rapporteur. Enfin, la Cour s'était déjà prononcée sur la question posée dans l'arrêt "Marc-Antoine contre France" mais pas à propos du rapporteur public, juste envers son quasi homologue du côté de l'ordre juridictionnel judiciaire à savoir l'avocat général devant la Cour de cassation. La Cour avait alors condamné la France au motif que la transmission au seul avocat général du rapport et du projet d'arrêt du conseiller rapporteur "ne s'accorde pas avec les exigences du procès équitable" (7). La procédure a en ce sens été modifiée amenant à marginaliser, de fait, l'avocat général. Celui-ci n'ayant plus accès au projet d'arrêt et ne participant plus à la conférence préparatoire à l'audience. Pour la procédure administrative, et en dépit de l'identité de contenu du rapport devant les deux ordres de juridiction, la Cour avait rejeté le grief mais en décrivant le rapport juste comme "un simple résumé des pièces" en totale méconnaissance avec la réalité de son contenu (8). Il paraissait donc logique de transposer le raisonnement tenu pour l'avocat général au rapporteur public ce que n'a pas fait la Cour dans la dernière jurisprudence en date.

C'est donc fort de la dernière position du juge européen que le Conseil d'Etat vient consacrer et justifier dans les considérants de l'arrêt d'espèce le rôle du rapporteur public lui assurant par la même un avenir certain dans le procès administratif. La réponse du Conseil d'Etat était d'autant plus particulièrement attendue qu'une cour administrative d'appel avait déjà créé la surprise en prescrivant, à propos de la communication du sens des conclusions du rapporteur public, la communication non seulement du sens mais encore des moyens sur lesquels sont fondés, à titre principal, une potentielle annulation ou un hypothétique rejet d'acte administratif (9). Selon les juges d'appel, un rapporteur public qui se contenterait d'indiquer qu'il conclue à une annulation ou à un rejet sans préciser le ou les moyens sur lesquels il entend se fonder matérialisera une information "trop imprécise" pour permettre au requérant d'en discuter utilement le contenu lors de l'audience publique ce qui emportera le prononcé, en appel ou en cassation, d'une procédure irrégulière.

Le Conseil d'Etat, dans la décision d'espèce, va à l'encontre de cette prise de position visant à englober désormais l'énoncé des moyens principaux dans le "sens" des conclusions en affirmant clairement que le Code de justice administrative n'impose, à peine de régularité de la procédure, que la communication des seuls éléments du dispositif auquel le rapporteur propose d'aboutir. En l'espèce, c'est un arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône autorisant l'exploitation par la communauté d'agglomération du pays de Martigues d'un centre de stockage de déchets qui a été mis en cause. Le tribunal administratif et la cour administrative d'appel de Marseille ont annulé cet acte en tant qu'il autorisait le stockage de déchets "non ultimes". Ce contentieux a été confirmé par le Conseil d'Etat dans la mesure où il appartenait au préfet, dont l'acte a été régulièrement annulé, de préciser les restrictions relatives aux déchets non ultimes. Reste les éléments de procédure.

Le juge rappelle d'abord sa jurisprudence antérieure (10) et le rôle du rapporteur public en le mettant en perspective au regard de l'ensemble de la procédure et des principes qui la gouverne. Il indique ainsi que le rapporteur public n'est pas soumis au principe du contradictoire qui ne concerne que la phase d'instruction. Comme le rapporteur public intervient après sa clôture, ses conclusions n'ont pas à être communiquées aux parties, pas davantage que la note du rapporteur ou le projet de décision. Le rapporteur public, comme l'indique le Conseil d'Etat, "a pour mission d'exposer les questions que présente à juger le recours sur lequel il conclut et de faire connaître, en toute indépendance, son appréciation, qui doit être impartiale, sur les circonstances de fait de l'espèce et les règles de droit applicables ainsi que son opinion sur les solutions qu'appelle, suivant sa conscience, le litige soumis à la juridiction à laquelle il appartient". C'est un discours plein de louanges ainsi fait envers le rapporteur public. Les parties qui ont tout intérêt à être présentes à l'audience vont ainsi découvrir à cette occasion l'argumentaire juridique du rapporteur public et auront, en réaction à chaud, la possibilité de présenter des observations orales à l'audience ou de produire une note en délibéré (objectifs poursuivis par l'article R. 711-3 du Code de justice administrative N° Lexbase : L4863IRK).

C'est la découverte du "sens" des conclusions du rapporteur public qui a pour objet de mettre les parties en mesure d'apprécier l'opportunité d'assister ou pas à l'audience publique d'où l'importance de préciser concrètement ce que doit recouvrir la notion de "sens des conclusions". Le Conseil d'Etat rappelle donc, de façon assez solennelle, que le rapporteur public doit "préciser [...] les raisons qui déterminent la solution qu'appelle, selon lui, le litige" et même "indiquer, lorsqu'il propose le rejet de la requête, s'il se fonde sur un motif de recevabilité ou sur une raison de fond" puis "mentionner, lorsqu'il conclut à l'annulation d'une décision, les moyens qu'il propose d'accueillir". Cette dernière mention pourrait laisser croire à une prise de position équivalente à celle des juges d'appel évoquée précédemment mais les hauts magistrats ajoutent aussitôt une mention très importante selon laquelle "la communication de ces informations n'est [...] pas prescrite à peine d'irrégularité de la décision". En revanche, si le rapporteur public fait connaître ces informations et modifie par la suite sa position sans en avertir les parties, la décision est irrégulière. Quoi qu'il en soit, désormais, de façon certaine, la non-mention par un rapporteur public des motifs qui l'ont conduit à proposer le rejet d'une requête ne pourra entraîner de procédure irrégulière.

La décision ainsi rendue par le Conseil d'Etat a été largement saluée mais la question se pose de savoir si elle permet de sceller enfin définitivement le sort du rapporteur public à la suite notamment à la prise de position du juge européen. Si une sérieuse menace conventionnelle a ainsi pu être levée, la Cour européenne laisse néanmoins, comme le note Nicolas Hervieu, "planer l'incertitude sur sa jurisprudence, désormais contradictoire selon les formations de jugement" (11). En effet, il peut paraître "pour le moins curieux, voire surréaliste, qu'une simple décision d'irrecevabilité contredise frontalement au moins trois arrêts concordants adoptés en formation solennelle de Grande Chambre" (12). Néanmoins, la tendance serait plutôt à une clôture définitive de la saga interminable du rapporteur public devant le juge européen, mais des doutes persistent.

  • Le principe du contradictoire impose au juge la réouverture de l'instruction lorsqu'un revirement de jurisprudence intervient postérieurement près d'un an après la clôture de l'instruction (CE 3° et 8° s-s-r., 22 mai 2013, n° 350551, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9267KDL)

Devant les juridictions administratives, la clôture de l'instruction ferme les débats. L'article R. 613-3 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3134ALN) énonce, de façon très stricte, que les "mémoires produits après la clôture de l'instruction ne donnent pas lieu à communication et ne sont pas examinés par la juridiction". Pour autant, le Conseil d'Etat a, dans une très large mesure, neutralisé cette disposition et élaboré un véritable "statut jurisprudentiel des écritures tardives" qui confirme la portée qu'il entend réserver au respect du contradictoire. L'idée est de faciliter une meilleure prise en compte des productions intervenant après le terme officiel de l'instruction pour permettre au juge de remplir son office de "bien juger".

Il ressort des pièces du dossier qu'un titre de perception d'un montant correspondant à un trop perçu de supplément familial de traitement a été émis par l'inspecteur d'académie du Val-d'Oise à l'encontre d'un professeur des écoles. Le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ce titre de perception et au remboursement de la somme déjà reversée par voie de compensation sur ses rémunérations. Le requérant se pourvoit en cassation contre le jugement du tribunal. Dans un mémoire en réplique, le requérant soutenait que l'action en restitution du trop perçu engagée par le rectorat était prescrite en application des dispositions de l'article 2277 du Code civil (N° Lexbase : L7196IAR), dans leur rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile (13). Il s'appuyait sur cet argument compte tenu d'une règle énoncée peu avant la clôture de l'instruction par une décision juridictionnelle selon laquelle la prescription quinquennale prévue par l'article 2277 du Code civil s'applique à toutes les actions relatives aux rémunérations des agents publics, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon qu'il s'agit d'une action en paiement ou d'une action en restitution de ce paiement.

En agissant de la sorte, le Conseil d'Etat renversait la jurisprudence précédente (14) et considérait que toutes les actions relatives aux rémunérations des agents publics étaient soumises à la prescription quinquennale. Dans son arrêt du 12 mars 2010, le juge précise qu'en jugeant la prescription quinquennale inapplicable aux actions en répétition de l'indu exercées par les communes contre les agents publics à raison de rémunérations versées en l'absence de service fait, alors que cette prescription s'applique à toutes les actions relatives aux rémunérations des agents publics, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon qu'il s'agit d'une action en paiement ou en restitution de ce paiement, la cour administrative d'appel avait inexactement interprété la portée de ces dispositions.

Le seul souci concernant l'argument du requérant est que le mémoire en réplique a été produit près d'un an après la clôture de l'instruction. Pour le Conseil d'Etat, le tribunal administratif ne pouvait régler le litige dont il était saisi sans tenir compte du mémoire produit par le requérant, l'affaire étant de nouveau renvoyé au tribunal administratif de Poitiers après annulation du premier jugement. Cette prise de position confirme la jurisprudence antérieure concernant les effets de la clôture de l'instruction. Cette jurisprudence (15) fait, en principe, obligation au juge administratif, lorsqu'il est saisi d'un mémoire ou d'une note en délibéré postérieurement à la clôture de l'instruction et avant la lecture de la décision de rouvrir l'instruction. Les débats sont fermés à la clôture de l'instruction sauf si la production tardive expose une circonstance de fait qui ne pouvait être invoquée avant la clôture et dont l'ignorance conduirait le juge à fonder sa décision sur des motifs matériellement inexacts. Tout type de production est concerné, des notes en délibérés (16), voire l'ensemble des productions postérieures à la clôture de l'instruction (17). Un arrêt du 6 juin 2012 vient même conférer une portée étendue à ce régime en donnant à l'expression "productions" un sens très large (18). Sont concernés non seulement les mémoires, mais également l'ensemble des pièces produites tardivement par les parties, comme en l'espèce un article de journal.

L'instruction n'est pas close également si la production tardive expose une circonstance de droit, si celle-ci est nouvelle ou fait partie des moyens qu'il appartient au juge de relever d'office. Il y a bien en l'espèce une circonstance de droit nouvelle fondée sur l'interprétation différente d'un texte (l'article 2277 du Code civil relatif à la prescription quinquennale) par une décision juridictionnelle. L'instruction aurait donc dû être ouverte à nouveau quant a été enregistré le mémoire exposant la nouvelle interprétation jurisprudentielle du texte. La date d'enregistrement du mémoire importe peu, en l'occurrence plus d'un an après la clôture de l'instruction, cette date est indifférente à la solution du litige.

Il y a là encore, dans l'arrêt rapporté, un témoignage de ce qu'est devenue la procédure de réouverture de l'instruction. Destinée à demeurer exceptionnelle au regard du principe posé par l'article R. 613-3 précité, elle tend surtout à devenir un instrument de régulation de l'instruction confirmant la portée toujours plus marquée en la matière du principe du contradictoire et des exigences du procès équitable. Il faut bien relever qu'aux termes de l'article R. 611-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3096ALA), rien n'oblige le juge à communiquer aux parties les mémoires ou les pièces s'il estime qu'ils n'apportent rien de nouveau (19). Mais c'est une disposition qui est aujourd'hui contraire au droit européen pour qui toute production devrait être communiquée et c'est aux parties de juger de l'opportunité d'y répondre (20). Si la position du Conseil d'Etat peut s'expliquer en ce sens et au regard de la ligne directrice de sa jurisprudence, il convient cependant de s'interroger sur les limites d'un tel libéralisme procédural. Celui-ci peut se comprendre en l'espèce ou dans l'hypothèse où le juge statue en vertu d'une jurisprudence nouvelle postérieure à la date de la clôture de l'instruction. Il doit dans ce cas là en effet, au préalable inviter les parties à présenter leurs observations sauf à violer le principe de la contradiction (21). En revanche, il est plus difficile à comprendre lorsque la réouverture de l'instruction concerne le cas particulier où le mémoire produit après la clôture constitue en fait le premier et unique mémoire du défendeur (22). Il serait certainement préjudiciable si à l'avenir les parties négligentes devenaient maître du temps de l'instruction sous prétexte d'une prise en compte renforcée du principe du contradictoire.

  • Le juge administratif peut mettre à la charge de la partie perdante dans l'instance une somme globale au titre des frais exposés et non compris dans les dépens et au titre du remboursement de la contribution pour l'aide juridique (CE 2° et 7° s-s-r., 10 juin 2013, n° 361327, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5906KGT)

La décision en date du 10 juin 2013 concerne en priorité la situation des agents sportifs licenciés de la Fédération française de football (FFF) puisqu'elle annule la délibération du 25 mai 2012 du comité exécutif de la FFF modifiant l'article 6-2-2 du règlement des agents sportifs de cette fédération. Pour rappel, sur le fondement des dispositions issues de la loi n° 2012-158 du 1er février 2012, visant à renforcer l'éthique du sport et les droits des sportifs (23), le comité exécutif de la FFF avait décidé de modifier les dispositions de l'article 6-2-2 du règlement des agents sportifs de cette fédération pour "limiter la rémunération de l'agent sportif, lorsqu'elle est assise sur le contrat de travail du joueur ou de l'entraîneur, à 6 % du salaire brut du joueur ou de l'entraîneur quand ce salaire annuel est inférieur ou égal à 1 800 000 euros -cette rémunération demeurant plafonnée à 10 % du salaire brut lorsque le salaire brut annuel est supérieur à cette somme- et, lorsque la rémunération de l'agent est assise sur le contrat prévoyant la conclusion d'un contrat de travail, à 6 % du montant hors taxe de ce contrat".

L'association "Union des agents sportifs du football" et le Syndicat national des agents sportifs ont saisi une première fois le Conseil d'Etat en 2012 d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 6 de la loi précitée. Par décision du 29 octobre 2012, le Conseil d'Etat a refusé de renvoyer cette question au Conseil constitutionnel en considérant que la baisse de rémunération des agents était "une mesure qui ne portait pas d'atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle, à la liberté d'entreprendre, ni, en tout état de cause, à la liberté du commerce et de l'industrie" (24). Par mémoire enregistré en juillet 2012, l'association et le syndicat ont de nouveau saisi le Conseil d'Etat pour voir annuler pour excès de pouvoir la décision ayant modifié les dispositions de ce même article 6.2.2 du règlement des agents sportifs de cette fédération. Sans se prononcer sur le fond de la requête qui lui était présentée, le Conseil, par la décision d'espèce du 10 juin 2013, va constater que la procédure de modification du règlement des agents sportifs n'avait pas été respectée par la FFF. En conséquence, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, l'association et le syndicat étaient, selon le Conseil d'Etat, fondés à demander l'annulation pour excès de pouvoir de la délibération attaquée. Concrètement, cela signifie que les agents dans le football vont pouvoir à nouveau bénéficier comme cela était le cas avant à hauteur maximale de 10 % du salaire brut du joueur ou de l'entraîneur quand ce salaire annuel est inférieur ou égal à 1 800 000 euros ou du montant hors taxe du transfert.

Mais l'un des intérêts de l'arrêt se situe ailleurs et plus précisément sur un aspect particulier de la procédure. Le Conseil d'Etat a mis à la charge de la partie perdante dans l'instance une somme globale au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative relatives aux frais exposés et non compris dans les dépens et de l'article R. 761-1 du même code (N° Lexbase : L1544IRM), relatives au remboursement de la contribution pour l'aide juridique (25), a fédération devant verser aux associations requérantes une somme globale de 1 500 euros chacune. Pour apprécier le montant des frais non compris dans les dépens, le juge bénéficie d'une grande liberté, il peut se livrer à une estimation forfaitaire mais, surtout, l'absence d'obligation pour le concluant de justifier de sa demande aboutit souvent à ce que le juge ne fasse que partiellement droit à la condamnation sollicitée (ce qui est le cas en l'espèce dans la mesure où une somme de 10 000 euros était demandée). Le juge préférera en effet éviter d'octroyer une somme supérieure à celle déboursée effectivement, et il est donc dans l'intérêt du justiciable qu'il démontre la vraisemblance de ses prétentions, sauf à encourir le risque d'obtenir une somme proche de la "norme" officieuse qu'immanquablement le juge cherche à définir par type d'affaire.

Si la mise en place de cette somme globale au titre des frais irrépétibles et des dépens peut apparaître originale, il faut relever, de manière générale, que le juge est très libre dans la fixation de l'ensemble. Le droit d'obtenir la prise en considération des frais irrépétibles est de principe très largement ouvert même s'il n'est pas un droit à remboursement de dépenses justifiées. Les textes, comme la jurisprudence, ont prévu et reconnu une très grande marge d'appréciation aux magistrats autant pour statuer sur le bien fondé d'une demande au titre des frais non compris dans les dépens, que pour évaluer le montant de la somme allouée à ce titre. Les paramètres qu'ils peuvent, officieusement, prendre en compte pour évaluer le montant des frais irrépétibles qu'il accorde à la partie victorieuse sont nombreux : qualité des écritures, "mérite" du recours, attitude des parties, et notification du défendeur, etc.

Au titre de l'équité, le juge peut tenir compte de l'attitude respective des parties, ou du fondement de leur demande. Il pourra notamment refuser d'accorder des frais irrépétibles lorsque le requérant obtient l'annulation de la décision attaquée pour des raisons de légalité externe, alors qu'il aurait succombé au fond. Les deux seules limites à l'office du juge sont constituées de l'impossibilité d'une part de condamner une partie à verser une somme alors qu'aucune conclusion n'a été formée en ce sens et d'autre part, à une somme d'un montant supérieur à celle demandée par la ou les parties adverses. Les conclusions formées au titre de l'article L. 761-1 ne constituent donc pas un moyen d'ordre public pouvant être soulevé d'office par le juge.

Enfin de même, les frais exposés durant l'instance sont mis à la charge de la partie tenue aux dépens ou, à défaut, de la partie perdante. En revanche, elles ne l'autorisent pas, comme peut le rappeler le juge, à mettre ces frais à la charge d'une partie qui n'est ni tenue aux dépens, ni partie perdante. Et le motif du rejet de la requête importe peu. Il s'agissait en l'espèce d'un litige qui avait été porté devant un ordre de juridiction incompétent. Le défendeur, qui n'était pas la partie perdante, ni tenue aux dépens, n'avait pas à être condamné à payer des frais (26). Dans le même ordre d'idées, il a déjà été jugé que la réponse par le Conseil d'Etat à une demande d'avis n'impliquait aucune partie perdante. Les dispositions de l'article L. 761-1 ne sont donc pas applicables (27). La même solution est retenue quand le pourvoi principal est rejeté. Le défendeur n'étant pas la partie perdante et ceci même si son pourvoi incident est rejeté (28).

Lorsque l'on est étudiant en droit, on apprend que l'on pourra quasiment toujours exclure d'un commentaire de décision juridictionnelle en droit administratif les considérants relatifs à l'application mécanique de l'article L. 761-1. Peut-être qu'à l'avenir d'autres décisions comme celle de l'espèce amèneront plus de discussion et de réflexion dans l'application de cet article bien connu des praticiens du contentieux administratif. La liberté d'appréciation du juge en la matière peut apparaître, à bien des égards, comme l'un des premiers objets de ces nouvelles discussions et réflexions.


(1) CEDH, 4 juin 2013, Req. 54984/09 (N° Lexbase : A4711KGL).
(2) CEDH, 7 juin 2001, req. 39594/98 (N° Lexbase : A2964AUC).
(3) CEDH, 12 avril 2006, Req. 58675/00 (N° Lexbase : A0126DPD).
(4) Décret n° 2006-964 du 1er août 2006, modifiant la partie réglementaire du Code de justice administrative (N° Lexbase : L4521HKN), JO, 3 août 2006, p. 11570.
(5) CEDH, 30 juin 2009, Req 39699/03 (N° Lexbase : A0133KK7).
(6) Décret n° 2009-14 du 7 janvier 2009, relatif au rapporteur public des juridictions administratives et au déroulement de l'audience devant ces juridictions (N° Lexbase : L4344ICU), JO, 8 janvier 2009, p. 479.
(7) CEDH, 31 mars 1998, Req. 23043/93 (N° Lexbase : A0979KKH), § 98.
(8) CEDH, 14 février 2008, Req. 13324/04 (N° Lexbase : A8254D4H).
(9) CAA Nantes, 14 décembre 2012, n° 11NT02797, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7146IZP), AJDA, 2013, p. 534, concl. A.-C. Wunderlich.
(10) CE, 10 juillet 1957, n° 26517 (N° Lexbase : A1569AM3), Rec. CE, p. 466 ; CE, 29 juillet 1998, Mme Esclatine, n° 179635 et n°180208, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8031ASA), Rec. CE, p. 320, GACA n° 59, note Jean-Claude Bonichot.
(11) N. Hervieu, Le rapporteur public français finalement sauvé des eaux européennes, in Lettre "Actualités Droits-Libertés du CREDOF", 13 juin 2013.
(12) Ibid.
(13) Loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile (N° Lexbase : L9102H3I), JO, 18 juin 2008, p.9856.
(14) CE, 1° et 4° s-s-r., 15 octobre 1986, n° 27752, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A6702AM8) ; CE, Ass., 12 avril 1972, n° 82194, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8602B7Q).
(15) CE 5° et 7° s-s-r., 12 juillet 2002, n° 236125, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1581AZL), Rec. CE, Tables, p. 309 ; CE, S., 27 février 2004, n° 252988, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3647DBP), Rec. CE, p. 94.
(16) CE 5° et 7° s-s-r., 12 juillet 2002, n° 236125, publié au recueil Lebon, préc..
(17) CE, S., 27 février 2004, n° 252988, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3647DBP).
(18) CE 1° et 6° s-s-r., 6 juin 2012, n° 342328, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4023INC).
(19) Voir, pour une illustration récente, CE 3° et 8° s-s-r., 1er février 2012, n° 338665, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6848IBA).
(20) Cf., CEDH, 18 octobre 2007, Req. 12316/04 (N° Lexbase : A7585DYL). La Cour européenne des droits de l'Homme constate alors en l'espèce, par six voix contre une, la violation de l'article 6 § 1 de la Convention (N° Lexbase : L7558AIR). Elle considère en effet que si le mémoire du ministre de l'Economie n'avait a priori aucune incidence sur la solution du litige, il n'en va pas de même en ce qui concerne celui du ministre de l'Education dans la mesure où ledit mémoire contenait un avis motivé sur le bien-fondé des prétentions du requérant. Ce dernier, selon la Cour européenne, aurait dû avoir la possibilité de soumettre ses commentaires à cette pièce ou qu'il en soit informé pour décider, le cas échéant, d'y répondre. Partant, le respect du droit à un procès équitable, sous l'angle du principe du contradictoire a été méconnu en l'espèce.
(21) CE, S., 19 avril 2013, n° 340093, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4174KCL).
(22) CAA Marseille, 6ème ch., 18 juin 2012, n° 09MA04785, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9795IPH).
(23) Loi n° 2012-158 du 1er février 2012, visant à renforcer l'éthique du sport et les droits des sportifs (N° Lexbase : L0065IS9), JO, 2 février 2012, p.1906.
(24) CE 2° et 7° s-s-r., 29 octobre 2012, n° 361327, mentionné dans les tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2193IW7).
(25) Depuis octobre 2011, une contribution de 35 euros doit être acquittée par la personne qui engage une action en justice pour un problème civil, commercial, prud'homal, social ou rural, devant une juridiction judiciaire. C'est également le cas devant une juridiction administrative par exemple, le tribunal administratif. La contribution doit être payée également lors du procès en appel et en cas de pourvoi en cassation.
(26) CE 8° s-s., 14 février 2013, n° 362256, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1774I89).
(27) CE, S., 26 juillet 2006, n° 292750, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8074DQ4), Rec. CE, p. 377.
(28) CE 2° et 7° s-s-r., 24 novembre 2010, n° 330648, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4345GLI), Rec. CE, Tables, p. 915.

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