Lexbase Social n°844 du 19 novembre 2020 : Syndicats

[Jurisprudence] Droit syndical : n’est pas interprofessionnel qui veut !

Réf. : Cass. soc., 21 octobre 2020, n° 20-18.669, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A31953YY)

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par Alexis Bugada, Professeur à l’Université d’Aix-Marseille, Directeur du centre de droit social UR 901

le 20 Novembre 2020

La mesure de la représentativité des organisations syndicales prend en compte la situation des très petites entreprises (de moins de onze salariés) [1]. Pour chaque cycle de 4 ans, un scrutin est organisé au niveau régional. Il s’agit d’un scrutin sur sigle qui permet de mesurer l’audience des syndicats auprès des salariés travaillant dans ces TPE [2]. Encore faut-il que les candidatures émanent d’organisations qui satisfont aux exigences légales. Celles-ci doivent remplir des conditions minimales pour se déclarer auprès de l’administration du travail [3]. La possibilité de candidater à un scrutin aussi ample constitue une opportunité pour certaines d’entre elles. La liberté d’élaborer et de modifier leurs statuts peut inciter à quelques ajustements opportunistes. Reste à déterminer les limites de cette liberté. Une organisation professionnelle peut-elle, d’un trait de plume, réviser ses statuts pour pouvoir se présenter nationalement et dans tous les secteurs d’activité ? Ce fut la démarche du SAMUP devenu « le syndicat des artistes interprètes et enseignants de la musique de la danse et des arts dramatiques et de tous salariés sans exclusive (les cadres compris) ». Bref, le syndicat professionnel originel (artistes interprètes) fut ici tenté par un excès de générosité. Mal lui en a pris.

L’organisation a donc eu, dans la perspective de ce scrutin [4], une ambition nationale, intercatégorielle et interprofessionnelle. Peu de temps avant le dépôt de sa candidature, elle a modifié ses statuts fondateurs pour les mettre en correspondance avec cette ambition nouvelle [5]. Le SAMUP a ajouté à son sigle, son objet et ses conditions d’adhésion, la possibilité de représenter « tous » les salariés sans exclusive, quel que fussent leurs secteurs d’activité. La modification statutaire était donc « all inclusive », sans aucune distinction professionnelle autre que celle résultant d’un travail subordonné.  La chronologie des faits révèle une manœuvre opportuniste. Disons-le d’emblée, le droit de modifier les statuts, à l’échelle d’un tel changement et à l’aube du scrutin, permettait de convoquer l’abus de droit ou la fraude à la loi. Du reste, l’objet nouvellement poursuivi par cette organisation consacrait une modification si substantielle que l’on aurait pu envisager ce changement statutaire comme affectant l’ancienneté minimale de deux ans conditionnant la recevabilité de la candidature [6]. Mais la Cour de cassation, approuvant le tribunal judiciaire, se fonde finalement sur des arguments et une motivation autrement plus radicaux.

La Haute juridiction considère qu’en raison du changement statutaire, le SAMUP ne peut plus être qualifié d’organisation dite « primaire », donc de syndicat professionnel. Lui réfutant aussi la qualification d’union de syndicats, ladite organisation ne pouvait pas concourir au scrutin. Ni syndicat, ni union de syndicats : le SAMUP est projeté dans un no man’s land juridique le faisant sortir, d’un trait de plume judiciaire, du champ du droit syndical [7]. L’arrêt est majeur sous l’angle de la liberté syndicale, spécialement dans la perspective historique héritée des lois de 1884 et de 1920. Si la contestation d’une candidature peut inviter le juge judiciaire à contrôler les statuts de l’organisation candidate, il convient de se demander dans quelle mesure ce contrôle peut conduire à la disqualifier en des termes aussi généraux, sans exiger un examen concret de son activité par les juges du fond. Dit autrement, si le rejet de la candidature fondé sur l’objet statutaire interroge (I.), la motivation retenue apparaît discutable en ce qu’elle s’arrête à une analyse abstraite des statuts sans s’attacher à l’activité réelle du groupement (II.).

I. Le rejet de la candidature fondé sur les statuts

L’article L. 2122-10-6 du Code du travail fixe des conditions minimalistes pour le dépôt des candidatures (respect des valeurs républicaines, transparence financière, ancienneté statutaire de deux ans), au demeurant facilitées pour les syndicats simplement affiliés à une organisation syndicale représentative au niveau national et interprofessionnel. Le texte fait aussi référence au périmètre statutaire des organisations puisque l’ancienneté est appréciée par rapport à la vocation des organisations à être présente dans le champ géographique concerné. Le dépôt des candidatures est instruit soit par une Direccte (si l’organisation a statutairement vocation à être présente dans le ressort d’une Direccte) soit par la DGT (si l’organisation a statutairement vocation à être présente dans plusieurs ressorts) [8]. En l’espèce, la candidature avait été déclarée recevable par la DGT elle-même. A l’instar des contentieux pré-électoraux, la contestation relève de la compétence judiciaire [9]. Et ce sont trois grandes confédérations interprofessionnelles (la CGT, la CFE-CGC et la CFTC) qui vont poser, sous couvert de cette contestation, leur principe d’action : seules les unions peuvent se prévaloir de la défense des intérêts interprofessionnels.

Pour satisfaire cette demande, et concéder l’irrecevabilité de la candidature, le tribunal retient l’aspiration interprofessionnelle du SAMUP, excluant ainsi le fondement professionnel (devenu incompatible). Constatant que le SAMUP n’est pas une union, il n’est pas un groupement syndical apte à déposer une candidature. Sa structure est inadéquate au regard de ses ambitions. A ce stade de l’analyse, il s’en déduit que l’article L. 2122-10-6 du Code du travail, qui détermine les candidatures au scrutin des TPE, n’autorise pas la création d’un nouveau type d’organisation hybride susceptible de couvrir, d’une part, des professions et des métiers déterminés mais aussi, d’autre part, l’ensemble des activités des TPE de moins de onze salariés. La Cour de cassation approuve cette analyse et ajoute un fondement supplémentaire. Elle rappelle que le Code du travail ne connaît que deux groupements, à partir de deux textes fondateurs qui sont, aujourd’hui, les articles L. 2131-2 (N° Lexbase : L2110H9Z) et L. 2133-1 (N° Lexbase : L2129H9Q) mais qui trouvent leurs sources historiques dans la loi de 1884, prolongée par celle 1920. En synthétisant la formule [10], il s’agit d’abord des syndicats (ou associations) professionnels [11], les syndicats de métiers [12] et des syndicats d’industrie [13] . On doit voir dans cette déclinaison historique, l’expression du principe de spécialité qui gouverne l’ensemble du droit syndical [14]. Il s’agit, ensuite, des unions de syndicats qui permettent aux syndicats professionnels régulièrement constitués de se « concerter » pour l’étude et la défense de leurs intérêts matériels et moraux. Les unions de syndicats ont ainsi été admises dans l’élan de la loi « Waldeck-Rousseau », non sans crispation, en raison d’une méfiance à l’égard du mouvement fédératif. La crainte n’était pas celle de la résurgence de corporations puissantes, au demeurant anéanties depuis près d’un siècle. C’était celle issue du souvenir des sociétés ouvrières et d’un mouvement ouvrier de nature politique et révolutionnaire d’où un objet limité (initialement) à la concertation [15]. Mais à cette réserve près, ce fut davantage la volonté de concéder une liberté d’organisation correspondant à un ordre spontané que celle d’imposer un mode d’organisation binaire du mouvement ouvrier (ou patronal) qui guida cette réforme libérale. L’union faisant la force, la concertation permettait de mutualiser des moyens que ne peuvent se permettre les syndicats « primaires ».

Et c’est ainsi, qu’en l’espèce, la Cour de cassation consacre expressément la notion de syndicat primaire [16], par contraste avec les unions de syndicats [17], c’est-à-dire les unions locales, départementales, les fédérations et les confédérations selon le mode d’organisation choisi à partir de leurs statuts. Entre ces deux modes de structuration, point d’amalgame ni d’hybridation : le SAMUP a perdu la possibilité d’être reconnu, en l’espèce, comme un syndicat au sens des deux textes précités. Par suite, sa candidature au scrutin des TPE est judiciairement rejetée. Outre sa radicalité, la motivation retenue est cependant discutable et maladroite : « si les unions de syndicats peuvent être intercatégorielles (sic), les syndicats professionnels primaires doivent respecter dans leurs statuts les prescriptions de l’article L. 2131-2 et ne peuvent, dès lors, prétendre représenter tous les salariés et tous les secteurs d’activité ». Deux remarques s’imposent à ce stade de l’analyse.

La première remarque vise à constater que cette solution prolonge un précédent. En 1996, la Cour de cassation [18] avait refusé le pouvoir de représentation en matière prud’homale à un « délégué » d’une « association », accueillant parmi ses membres « tout salarié, quel que soit le type de son travail ou sa branche d’activité ». Ainsi, il ne pouvait exercer les prérogatives judiciaires d’un délégué syndical. Son organisation était, en effet, une association sans finalité professionnelle. L’absence d’identité professionnelle était dirimante, peu important que l’on puisse ranger (non sans discussion) la liberté syndicale dans le sillage de la liberté d’association [19]. La seconde remarque porte sur la référence, dans la motivation, à l’action « intercatégorielle » des unions qui, prise au mot, laisserait penser que seules les unions puissent la pratiquer. Apparait alors une forme de confusion entre l’intercatégoriel et l’interprofessionnel, ce qui s’avère gênant pour une décision aussi importante. Rien n’empêche, en effet, en l’état du droit positif, à un syndicat primaire d’être catégoriel ou intercatégoriel. Il est vrai que certains le sont notamment en visant les cadres ou des catégories professionnelles en particulier, mais en procédant par voie d’affiliation à une confédération, ce qui facilite l’accès à la reconnaissance et à la représentativité [20]. Mais, sur le plan des principes, l’affiliation n’a rien d’obligatoire. Non, ce qui était en cause en l’espèce, c’était qu’un syndicat professionnel cède à la tentation de l’interprofessionnalité, qu’elle fut ou non intercatégorielle.

Pour refuser le mélange des genres, la Cour de cassation reprend donc une distinction historique, au profit des unions de syndicats qui mirent pourtant plus de temps à accéder à l’ensemble des prérogatives syndicales accordées aux organisations professionnelles (cf. supra). Sous l’angle contemporain de l’aptitude à candidater aux scrutins permettant d’apprécier la représentativité, cela conduit à conférer un monopole aux confédérations pour représenter et défendre l’interprofession. Il faut cependant convenir que la loi ne définit ni la profession, ni le métier, ni l’interprofession [21] ; celles-ci sont davantage des notions économiques et fonctionnelles que des catégories juridiques fermées [22]. De plus, à l’instar de la liberté d’association [23], les syndicats disposent de la liberté d’élaborer leurs statuts, sous réserve de respecter le principe de spécialité et les dispositions d’ordre public. On pourrait en déduire qu’un statut hybride méconnait ces impératifs. Entre ces deux échelons (syndicat primaire/union de syndicat), il n’y a donc pas d’espace pour une évolution structurelle du syndicalisme. Les grands gagnants d’une telle analyse sont les confédérations nationales qui conservent un monopole d’autant plus décisif que les organisations « entrantes » ont intérêt à rechercher un adoubement par voie d’affiliation préalable [24].

Ce conservatisme interroge. La création de cycles électoraux par la loi de 2008 [25], avait pour ambition de rénover le syndicalisme en mettant en concurrence les idées et les structures afin de les adapter aux enjeux contemporains de la participation des collectivités de travail (fin de la présomption irréfragable de représentativité). La loi de 2010 prolonge naturellement cet objectif en visant les travailleurs des TPE. En considérant qu’un syndicat professionnel se disqualifie s’il aspire l’interprofession, la solution révèle un paradoxe. L’interprofession contient la profession, mais la profession ne peut s’organiser pour ouvrir ses actions vers l’interprofession, même à l’occasion du scrutin ciblé sur les TPE. De bas en haut, l’intérêt collectif d’une profession ne se mélange pas avec celui de l’interprofession. En revanche, de haut en bas, les unions de syndicats jouissent, en vertu de la loi [26] et de la jurisprudence [27], des droits conférés aux syndicats professionnels. Il est vrai qu’une confédération couvre plusieurs professions, selon ce qu’indiquent ses statuts mais aussi et surtout ce que révèlent ceux de ses adhérents (syndicats professionnels, unions locales ou fédérations). La Cour de cassation choisi donc le statu quo historique. Elle conserve ainsi, à la demande des confédérations elles-mêmes (qui ont saisi le danger d’une concurrence par le bas), une mesure restrictive de l’accès au « marché syndical » [28] de l’interprofession. Cette lecture stricte de la loi, voire exégétique, bien qu’elle interroge la liberté statutaire, se conçoit pourtant. Mais rapporté au cas d’espèce, le problème est ailleurs. Il porte sur la motivation même de l’arrêt : l’ouverture des statuts du SAMUP vers l’interprofession contamine sa qualification originelle. Que le SAMUP ne soit pas une union, soit [29] ; mais qu’il ne soit pas non plus un syndicat professionnel, cela méritait une discussion convoquant aussi les faits pour dépasser l’analyse de principe propre à la dogmatique juridique.

II. Une disqualification sans analyse concrète de l’activité du groupement

L’analyse de l’arrêt permet de considérer que la Cour de cassation admet que les premiers juges aient pu, en l’espèce, statuer in abstracto. La solution contraste avec celle du contentieux relatif au contrôle du respect des valeurs républicaines (contentieux de la représentativité).  L’office du juge y est pourtant très clair : il appartient au juge du fond, indépendamment des mentions figurant dans les statuts, d’apprécier si un syndicat poursuit dans son action un objectif illicite, contraire aux valeurs républicaines [30]. La preuve nécessite la production d’éléments relatifs à l’action du syndicat, ce qui suggère une appréciation in concreto. Les statuts se lisent à la lumière de l’action. Ce n’est pourtant pas le traitement qui a été réservé au SAMUP. Son empiètement sur l’interprofession a produit une conséquence majeure : celle de ne pouvoir « plus » être qualifié d’organisation professionnelle. Qu’en déduire ?  La réponse est la suivante : il est plus grave qu’une organisation primaire s’aventure sur le terrain gardé des confédérations que de proclamer, pour d’autres, la volonté de remplacer l’Etat (CNT) [31] ou de favoriser l’emploi fondé sur l’origine (STC) [32] ! Pour ceux-là, une analyse concrète est requise pour être sûr que la proclamation statutaire correspond bien à la réalité. Un peu comme s’il fallait s’en frotter les yeux. Deux poids, deux mesures ? Allons plus loin dans le traitement différencié. Comment la Haute juridiction traite l’objet statutaire des grandes confédérations ? Réponse : avec prudence, et dans le respect de la liberté syndicale, ce qui se conçoit. Ainsi une confédération jouit des règles applicables aux organisations syndicales même si certains de ses membres n’ont pas eux-mêmes la qualité de syndicat. L’adhésion d’associations non professionnelles ne disqualifie pas la confédération syndicale [33].

Dans l’affaire rapportée, ce réalisme ne l’a pas emporté. Faut-il y voir l’amorce d’un revirement ou une différence de traitement difficilement justifiable ? Que le SAMUP n’ait pas eu d’activité réellement interprofessionnelle est facile à admettre. Mais qu’il ne soit « plus » une organisation professionnelle consiste à renier la réalité des corps de métier représentés (artistes interprètes et enseignants des arts). Ceux-ci sont bien destinataires de conventions collectives de branche ; il y a bien un intérêt collectif au cœur de cette organisation de professionnels. On s’étonne alors que l’objet principal ou déterminant de ce groupement, par-delà un abus de droit dans la modification des statuts, n’ait pas conduit à une motivation plus respectueuse de la liberté syndicale. Il ne s’agit pas ici de faire l’inventaire des textes fondamentaux qui la garantissent. Mais on peut souligner que le droit constitutionnel français n’oppose pas les syndicats primaires aux unions de syndicats (cette distinction lui est étrangère) [34]. Au plan supra national, tant le comité de la liberté syndicale de l’OIT [35] que le Comité européen des droit sociaux se révèlent très vigilants à l’égard des interventions de nature à limiter la liberté d’élaboration statutaire. Tous les travailleurs ont le droit de s’associer librement pour la protection de leurs « intérêts économiques et sociaux » [36], ce qui est d’ailleurs plus large que le métier ou la profession. On peut aussi rappeler que, des mots mêmes de Waldeck-Rousseau, la loi de 1884 était avant tout un texte de liberté : « nous avons choisi la liberté, faisons lui confiance » [37]. Cette perspective aurait dû conduire à retenir cette motivation, focalisée sur l’incompatibilité des objets poursuivis par le groupement, pour se recentrer sur son objet principal et déterminant.

Il est certes possible de considérer que la Cour de cassation était tenue par les moyens du pourvoi pour justifier du résultat. Pour autant, le rejet du pourvoi aurait pu, au minimum, convoquer la technique de substitution de motifs [38]. L’objet du litige n’était pas celui d’une demande d’annulation du groupement mais bien celui de sa disqualification en tant qu’union. Cela suffisait pour en conclure à l’irrégularité de la candidature déposée auprès de la DGT, par référence au texte de l’article L. 2122-10-6 du Code du travail. Au regard de l’objet déterminant du SAMUP, la candidature ne pouvait être portée que dans la branche d’activité, et auprès de la Direccte territorialement compétente, afin de respecter le principe de correspondance entre le domaine d’action matériel et territorial du syndicat. Mais en reprenant mot pour mot la motivation discutable du tribunal, cet arrêt majeur bénéficiant de la plus large publicité (FS-P+B+R+I), prête le flan à la critique.

Qu’en conclure ? Trois enseignements principaux. D’abord, sur le fond : n’est pas interprofessionnel qui veux ! On l’aura bien compris. Une organisation primaire doit le rester et garantir l’exclusivité de ses racines professionnelles. C’est l’apport direct de l’arrêt. Sur le plan processuel, ensuite, il s’en déduit que ces contentieux rapides (électoraux, pré-électoraux et désignatifs), sans accès à la voie d’appel, exposent une liberté fondamentale à des jugements discutables s’ils se contentent d’une analyse abstraite. En tant que gardienne des libertés, l’autorité judiciaire doit pourtant demeurer vigilante dans ses motivations. Elle en a d’autant plus les moyens que le contentieux du scrutin TPE entre expressément dans la catégorie de ceux pour lesquels, à des fins de bonne administration de la justice, la Haute juridiction peut statuer au fond après cassation [39]. Enfin, au regard des principes, l’arrêt témoigne d’une porosité malicieuse entre les contentieux portant sur les prérogatives syndicales (candidatures et représentativité) et ceux portant sur la dissolution d’un groupement dont l’objet est illicite [40]. Ces deux types de litige conduisent à apprécier l’objet juridique de l’organisation contesté, mais les procédures et leurs effets diffèrent grandement. Cette porosité s’explique, en partie, par la codification qui place les règles relatives à la représentativité avant celles concernant l’objet juridique des syndicats [41]. Si bien que les processus de sélection des groupements les plus « aptes » [42] à représenter les communautés professionnelles (élections, cycles, scrutins), se confondent dans l’esprit de bien des acteurs, avec celui conduisant au contrôle de la licéité de l’objet juridique permettant d’atteindre le groupement dans son existence même. C’est là une confusion néfaste qui peut conduire à rejeter les formes innovantes de représentation desquelles un renouveau social est pourtant attendu [43]. Cette mécanique présente le danger de maintenir, au 21ème siècle, un type de contrôle sur l’ordre spontané du mouvement syndical, ce qui fut, il est vrai, le marqueur originel de son histoire.   


[1] Loi n° 2010-1215 du 15 octobre 2010 (N° Lexbase : L1846INP) ; C. trav., art. L. 2122-10-1 (N° Lexbase : L1872INN) et s..

[2] F. Petit, Les scrutins sur sigles dans les très petites entreprises, Dr. soc., 2012, p. 48.

[3] C. trav., art. R. 2122-33 (N° Lexbase : L4064LXS).

[4] Initialement prévu fin 2020, le scrutin a été reporté courant 2021 (mars-avril) en raison de la crise sanitaire.

[5] Le dépôt et le renouvellement des statuts se font en mairie : C. trav., art. L. 2131-3 (N° Lexbase : L2112H94) et R. 2131-1 (N° Lexbase : L0712IAM).

[6] C. trav., art. L. 2122-10-6 (N° Lexbase : L6615IZZ).

[7] L’objet du litige est limité à la recevabilité de la candidature. Mais la motivation interroge sur la qualification qu’il faudrait alors retenir pour cette organisation : est-ce une association (mais les statuts sont déposés en mairie et non en préfecture) ? Une association non déclarée ou de fait ?

[8] C. trav., art. R. 2122-33 (N° Lexbase : L4064LXS).

[9] La compétence du tribunal judiciaire dépend du ressort duquel la Direccte, qui a émis l’avis de recevabilité, a son siège. C’est cependant le tribunal judiciaire de Paris qui est compétent pour statuer sur les recours formés par le Directeur général du travail (C. trav., art. R. 2122-39 N° Lexbase : L8094LX3).

[10] « Les syndicats ou associations professionnels de personnes exerçant la même profession, des métiers similaires ou des métiers connexes concourant à l’établissement de produits déterminés ou la même profession libérale peuvent se constituer librement ».

[11] C’est-à dire qui regroupent des personnes exerçant la même profession, y compris libérale.

[12] C’est-à-dire qui regroupent des personnes exerçant des métiers similaires.

[13] C’est-à dire, qui regroupent des personnes exerçant des métiers connexes, concourant à l’établissement de produits déterminés.

[14]  C. trav., art. L. 2131-1 (N° Lexbase : L2109H9Y) : « les syndicats professionnels ont exclusivement pour objet l’étude et la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu’individuels, des personnes mentionnées dans leurs statuts ».

[15] N. Olszak, Histoire du droit du travail, Economica, 2011, p. 94 ; E. Dolléans et G. Dehove, Histoire du travail en France, t. 1, éd. Domat-Monchestien, 1953, p. 355 et s..

[16] Au sens de l’article L. 2121-2 du Code du travail (N° Lexbase : L2105H9T).

[17] Au sens de l’article L. 2133-1 du Code du travail (N° Lexbase : L2129H9Q).

[18] Cass. soc., 8 octobre 1996, n° 95-40.521, publié (N° Lexbase : A0811ACZ).

[19] Cf. CEDH, art. 11 (N° Lexbase : L4744AQR).

[20] C. trav., art. L. 2122-2 (N° Lexbase : L8606LGT).

[21] P. Langlois, Qu’est-ce que l’interprofession ?, Dr. soc., 2005, p. 640. Le sujet est abordé par la doctrine à partir de la négociation collective : J. Barthélémy, Les accords nationaux interprofessionnels, Dr. soc., 2008, p. 566 ; Ch. Radé, L’accord national interprofessionnel, ibid., 2010, p. 284 ; A. Bugada, Contribution à l’étude de l’interprofession, JCP éd. S, 2010, 1039.

[22] Cf. L. Thomas, La défense de l’intérêt collectif en droit du travail, Th. Univ. Paris Nanterre, dir. C. Wolmark, n° 58 et s..

[23] Cons. const., décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971 (N° Lexbase : A7886AC3), § 2.

[24] Y compris s’agissant du scrutin à destination des TPE : C. trav., art. R. 2122-33 (N° Lexbase : L4064LXS).

[25] Loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ).

[26] C. trav., art. L. 2133-3 (N° Lexbase : L2133H9U) : les unions de syndicats jouissent de tous les droits conférés par le présent titre.

[27] Ass. plén., 30 juin 1995, n° 93-60.026 (N° Lexbase : A2100AAZ), JCP éd. E, 1995, II, 74, note Y. Saint-Jours.

[28] Sur le rapport entre l’offre et la demande syndicale, v. Serge Schweitzer, Le syndicaliste est-il un entrepreneur ?, in Les forces syndicales françaises, dir. G. Bernard et J.-P. Deschodt, PUF, 2010, p. 370.

[29] En l’espèce, cependant, rien ne transparaît dans l’arrêt sur l’incompatibilité entre les statuts examinés et la possibilité pour d’autres syndicats d’adhérer au SAMUP.

[30] Cass. soc., 12 décembre 2016, n° 16-25.793, FS-P+B+I (N° Lexbase : A4983SPA), JCP éd. S, 2017, 1034, note Y. Pagnerre.

[31] Cass. soc., 13 octobre 2010, n° 10-60.130, FS-P+B (N° Lexbase : A8744GBH), JCP éd. S, 2010, 1493, note Y. Pagnerre.

[32] Cass. soc., 12 décembre 2016, préc. - Rappr. Cass. soc., 9 septembre 2016, n° 16-20.605, FS-P+B (N° Lexbase : A5078RZ4).

[33] Cass. soc., 15 novembre 2012, n° 12-27.315, FS-P+B+I (N° Lexbase : A9795IWP) : la CGT n’est donc pas une simple association tenue de déposer ses statuts en préfecture.

[34] Préambule de 1946, al. 6 : « tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l’action syndicale et adhérer au syndicat de son choix ».

[35] Cf. Convention OIT n° 87, art. 3 : « les organisations de travailleurs et d’employeurs ont le droit d’élaborer leurs statuts […]. Les autorités publiques doivent s’abstenir de toute intervention de nature à limiter ce droit ou à en entraver l’exercice légal ».

[36] V. Digest des décisions et des conclusions du CEDS, p. 94, qui résume sa doctrine quant à l’application de l’article 5 de la Charte sociale européenne.

[37] Citation rapportée par E. Dolléans et G. Dehove, préc., p. 362.

[39] L’article R. 2122-43 du Code du travail (N° Lexbase : L0272K8L) le rappelle et renvoie expressément à l’article L. 411-3 du Code de l’organisation judiciaire (N° Lexbase : L2546LBW).

[40] Toute personne justifiant d’un intérêt à agir peut contester la qualité de syndicat professionnel d’un groupement dont l’objet ne satisfait pas aux exigences des articles L. 2131-1 et L. 2131-2 du Code du travail. A ce titre, le groupement ne peut être l’instrument d’un parti politique ni avoir des objectifs discriminatoires : Ch. mixte, 10 avril 1998, n° 97-13.137, publié (N° Lexbase : A9003CGK), Dr. soc., 1998, p. 565, rapp. J. Merlin.

[41] Le statut juridique des syndicats professionnels figure au titre III, après le titre II consacré à la représentativité au sein du Livre premier (Les syndicats professionnels) de la deuxième partie du Code du travail, traitant des relations collectives de travail.

[42] Cass. soc., 14 avril 2010, n° 09-60.426, FS-P+B+R (N° Lexbase : A9981EU9), Dr. soc., 2011, p. 414, note F. Petit.

[43] C’est pourquoi le pluralisme syndical est nécessaire pour alimenter la sélection par la représentativité.

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