La lettre juridique n°310 du 26 juin 2008 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Liberté des représentants du personnel pour l'utilisation des crédits d'heures

Réf. : Cass. soc., 11 juin 2008, n° 07-40.823, Société DPSA Ile-de-France c/ M. Koukoui, F-P+B (1er moyen) (N° Lexbase : A0632D9B)

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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

Tout salarié titulaire d'un mandat représentatif (DP, membre du CE, représentant syndical au CE, délégués syndicaux, membre du CHSCT) au sein de l'entreprise dans laquelle il travaille, bénéficie d'un crédit d'heures pour l'exercice de son mandat. Le nombre d'heures dont dispose chaque représentant varie en fonction du mandat dont il est investi et de l'effectif de l'entreprise. Le crédit d'heures peut être dépassé par le représentant s'il justifie de circonstances exceptionnelles (1) ou si une convention collective vient augmenter le contingent d'heures fixé par le législateur (Cass. soc., 23 juin 1999, n° 96-44.717, Société Motorola c/ Syndicat CFDT N° Lexbase : A4664AGT ; Cass. soc., 26 septembre 1990, n° 87-40.970, M. Delord et autres c/ Société Wanner Isofi Isolation N° Lexbase : A4272AC9).
De quelle latitude dispose le représentant pour utiliser les heures à l'intérieur du contingent ? Ces heures doivent-elles obligatoirement être prises sur le temps de travail effectif du salarié, ou peut-il les utiliser en dehors de son temps de travail habituel ? Le cas échéant doit-il prouver préalablement à tout paiement les circonstances justifiant l'utilisation des heures de délégation en dehors du temps de travail ?
C'est à ces questions que répond la Haute juridiction dans une décision du 11 juin 2008. Elle considère que les heures à l'intérieur du crédit d'heures de délégation peuvent être utilisées en dehors de l'horaire de travail et en sus du temps de travail effectif et que ces heures bénéficient d'une présomption d'utilisation conforme à leur objet.
Cette solution n'est pas nouvelle, mais la Haute juridiction vient la généraliser et, partant, élargir le champ de la présomption.
Résumé
Le crédit d'heures d'un représentant du personnel peut être pris en dehors de l'horaire normal de travail, en sus du temps de travail effectif, lorsque les nécessités du mandat le justifient. L'utilisation du crédit d'heures est présumée conforme à son objet.

Commentaire


I - Présomption de bonne utilisation des heures de délégation


  • Régime des heures de délégation


Les heures de délégations permettent aux représentants du personnel d'exercer leur mission sur leur temps de travail habituel.

Ces heures sont considérées comme du temps de travail effectif et rémunérées comme tel. Elles ne peuvent donc faire perdre au salarié une partie de sa rémunération. Un salarié qui travaillerait de nuit et percevrait, pour cette raison, une rémunération majorée bénéficierait de la rémunération de ses heures de délégations au même taux (Cass. soc., 14 mars 1989, n° 86-41.648, M. Denaetie c/ Etablissements Tiberghien N° Lexbase : A1330AAI).

Lorsque ces heures sont prises en dehors du temps de travail habituel, le salarié est fondé à obtenir le paiement d'heures supplémentaires (Cass. soc., 26 septembre 1990, n° 87-40.866, Ecole active bilingue Monceau c/ Mlle Guillochon N° Lexbase : A1434AAD).


  • Présomption de bonne utilisation des heures de délégation


Il existe pour les heures de délégation contenues à l'intérieur du contingent, une présomption de bonne utilisation des heures par le représentant. Le représentant est, ainsi, présumé utiliser les heures de délégations légales mais, également, conventionnelles conformément à leur objet ; donc pour l'exercice de son mandat de représentation.

La présomption ne joue pas pour les heures effectuées au-delà du contingent légal ou conventionnel en cas de circonstances exceptionnelles (Cass. soc., 26 juin 2001, n° 98-46.387, M. Fabrice Pône c/ Société ITT composants et instruments N° Lexbase : A7894ATK). Il appartient, dans ce cas, au salarié d'établir qu'il a utilisé les heures conformément à leur objet et l'existence de circonstances exceptionnelles justifiant le dépassement du contingent, préalablement à tout paiement (Cass. soc., 29 janvier 1992, n° 88-44.227, Compagnie des Produits Industriels de l'Ouest c/ M. Boudigou et autres, P N° Lexbase : A9324AAL,Bull. civ. V, n° 56).


La présomption de bonne utilisation des heures à l'intérieur du contingent est une présomption simple. Ceci signifie que l'employeur qui conteste la bonne utilisation de ces heures devra les rémunérer (Cass. soc. 30 mai 1990, n° 86-43.583, Société Larive c/ M. Rodoreda N° Lexbase : A2526AHZ) et, ensuite, saisir le tribunal d'une contestation portant sur leur bonne utilisation (2). Le refus par l'employeur de payer les heures de délégation, est constitutif d'une faute pouvant justifier l'allocation de dommages et intérêts au profit du salarié (Cass. soc., 18 juin 1997, n° 94-43.415, Madame X... c/ Société Polyclinique Le Languedoc N° Lexbase : A1636ACL).


La jurisprudence considère qu'à l'intérieur du contingent, le salarié reste libre d'utiliser ces heures comme il l'entend. Il peut en faire usage pendant ou en dehors de son temps de travail lorsque les nécessités du mandat le justifie (Cass. soc., 26 septembre 1990, n°8740.866, Ecole active bilingue Monceau c/ Mlle Guillochon, préc.). L'employeur ne peut aucunement imposer au salarié d'effectuer ses heures pendant son temps de travail ni s'opposer à leur paiement pour quelque motif que ce soit. Dans la mesure où ces heures restent à l'intérieur du contingent (Cass. soc., 20 mars 2002, n° 99.45.516, Société Eurodif c/ M. Hugues Moutou, FS-P+B N° Lexbase : A3021AYK et les obs. de D. Baugard, "Paiement des heures de délégation d'un représentant du personnel en préretraite", Lexbase Hebdo n° 17 du 4 avril 2002 édition sociale N° Lexbase : N2447AAU), elles sont présumées avoir été bien utilisées comme vient l'affirmer la Haute juridiction dans la décision commentée.


  • Espèce


Dans cette espèce, un salarié titulaire de divers mandats de représentation avait saisi le conseil de prud'hommes d'une contestation portant sur l'utilisation et le paiement de ces heures.

La société établissait, en effet, des plannings mensuels faisant état des heures de délégation du salarié. La société arguait qu'il s'agissait simplement de plannings prévisionnels permettant d'anticiper la durée pendant laquelle le salarié ne serait pas en mesure de fournir un travail effectif.

Pour le salarié, ces plannings faisaient obstacle à la libre utilisation des heures de délégation.


La cour d'appel avait condamné la société. Elle lui avait imposé d'établir des plannings sans inclure les heures de délégation et l'avait condamnée à verser au salarié une somme au titre de dommages et intérêts pour réparer le préjudice occasionné par les restrictions portées aux fonctions représentatives du salarié.


La Cour de cassation confirme la solution retenue par la cour d'appel. Elle affirme que le crédit d'heures d'un représentant du personnel peut être pris en dehors de l'horaire normal de travail et en sus du temps de travail effectif, lorsque les nécessités du mandat le justifient, l'utilisation de ces heures étant présumée conforme à son objet.

Elle confirme donc la solution de la cour d'appel qui avait considéré que le fait pour l'employeur d'imputer par avance le contingent d'heures de délégations d'un représentant du personnel travaillant exclusivement la nuit sur la durée du travail en vigueur dans l'entreprise limitait sa liberté d'utilisation de son crédit d'heures de jour et de nuit.


Cette solution n'est pas totalement nouvelle. L'apport de cet arrêt est d'avoir permis sa généralisation à tout représentant quelle que soit la nature du contrat de travail qui le lie à l'employeur.


II - Elargissement de la portée de la présomption de bonne utilisation des heures de délégation


  • Une solution traditionnelle


La Haute juridiction a déjà eu l'occasion de se pencher sur la question et d'y apporter une réponse. Toutefois dans ces décisions, la particularité de la situation du salarié amenait à s'interroger sur la généralité de la solution.


Dans un arrêt du 20 mars 2002, la Cour de cassation avait, ainsi, affirmé pour les heures de délégations prises par un salarié en préretraite que "si le crédit d'heures dépasse le tiers du temps de travail mensuel, les heures de délégation qui sont prises en dehors de son temps de travail par le représentant du personnel pour l'exercice de son ou de ses mandats, doivent être considérées de plein droit comme temps de travail et payées comme tel, peu important que l'intéressé reçoive, en outre, une allocation au titre de la préretraite progressive, le temps de délégation étant un accessoire nécessaire du contrat de travail en cours et impliquant des contraintes qui doivent être spécialement rémunérées, lorsque les heures de délégation ne s'imputent pas sur le temps de travail effectif" (Cass. soc., 20 mars 2002, n° 99-45.516, Société Eurodif c/ M. Hugues Moutou, FS-P+B, préc.).

Toutefois, pour cette espèce, c'est la loi qui imposait au salarié de venir prendre ses heures de délégation en dehors de son temps de travail. L'article L. 212-4-10 du Code du travail (N° Lexbase : L7956AII, art. L. 3123-29, recod. N° Lexbase : L1261HXY), en effet, limite, pour les salariés à temps partiels, le nombre d'heures de délégation qui peuvent être prises sur le temps de travail. Ce texte prévoit que, dans la mesure où le salarié à temps partiel compte un nombre d'heures de délégation supérieur au tiers de son temps de travail, celui-ci peut les prendre en dehors de son temps de travail. L'utilisation des heures en dehors du temps de travail était donc pour ce type de salarié une "obligation" légale.


Quid du salarié titulaire d'un contrat de travail à temps plein ? L'absence de précision du législateur emportait-elle l'obligation pour ce dernier d'utiliser toutes ses heures sur son temps de travail effectif ?


  • Une liberté généralisée


C'est ce vide que comble la Haute juridiction dans la décision commentée. Il résulte de cette décision trois règles générales :

-les crédits d'heures peuvent être pris en dehors de l'horaire normal de travail.

-les heures peuvent être prises en plus du temps de travail effectif, lorsque les nécessités du mandat le justifient. Le représentant bénéficie, ainsi, de toute liberté pour utiliser les heures de délégation comme il l'entend, quand il l'entend et pour apprécier la nécessité d'utiliser ces heures en dehors de son temps de travail effectif.

-ces deux règles se voient appliquer la présomption d'utilisation des heures en conformité avec leur objet.

L'employeur est, alors, tenu de rémunérer le salarié pour les heures effectuées quel que soit le moment où elles sont prises et même si l'utilisation de ces heures en dehors des heures de travail conduit le salarié à faire des heures supplémentaires.

Il ne pourra que demander au salarié, une fois les heures payées des explications sur l'utilisation des heures et, notamment, les circonstances ayant justifié leur utilisation en dehors de son temps de travail.

Cette solution se situe dans la droite ligne des décisions rendues en matières de bons de délégations qui restent un moyen d'information pour l'employeur et non un moyen de contrôle de l'utilisation des heures (3). Si l'employeur peut demander à être informé du moment où les heures sont utilisées, il ne peut en aucun cas imposer au salarié de les effectuer quand il l'a décidé voire même les lui suggérer...


Un salarié représentant du personnel pourra donc, tout à fait, prendre l'intégralité de ses heures de délégation en dehors de son temps de travail, sans que l'employeur ne puisse s'y opposer a priori, celui-ci devra les payer et, éventuellement, contester si cette utilisation en dehors du temps de travail n'est pas justifiée...



(1) C. trav., art. L. 2315-1, recod. , C. trav., art. L. 2315-2, recod. (N° Lexbase : L0684HXM), C. trav., art. L. 2315-3, recod. , C. trav., art. L. 2315-4, recod. ; voir, également, Cass. crim., 3 juin 1986, n° 84-94.424 ; Cass. soc., 26 octobre 1977, n° 76-40058, Société Sarrion et Scida c/ Mayonove, Serres, P ([LXB=1139CKE]), Bull. civ. V, n° 568 ; Cass. soc., 28 octobre 2003, n° 02-42.067, Société Mon Logis c/ M. Dominique Duval, FS-P (N° Lexbase : A0105DA7) et les obs. de S. Koleck-Desautel, "Les circonstances exceptionnelles ouvrant droit à dépassement de crédit d'heures", Lexbase Hebdo n° 95 du 20 novembre 1993 édition sociale (N° Lexbase : N9417AAZ).
(2) C. trav., art. L. 2143-13, recod. , art. L. 2143-14, recod. , art. L. 2143-15, recod. (N° Lexbase : L0445HXR), art. L. 2143-16, recod. , art. L. 2143-17, recod. , art. L. 2143-18, recod. , art. L. 2143-19, recod. ; sur ce point, voir, également, Cass. crim. 22 novembre 1988, n° 87-84.669, Mme Thérèse Villez (N° Lexbase : A1314AAW) et Cass. soc., 28 février 1989, n° 85-45.488, M. Martinez c/ Société Yokogawa Electrofact (N° Lexbase : A3752AA9).
(3) Cass. crim., 25 mai 1982, n° 81-93.443, Guggenheim, Juglar, Becart, Société Locatel (N° Lexbase : A3300ABT) ; Cass. soc., 10 mai 2006, n° 05-40.802, M. Eric Guillemot c/ Société Ti Group-Automotive Systems, FS-P+B (N° Lexbase : A3652DPX) et les obs. de G. Auzero, "Du bon usage des bons de délégation", Lexbase Hebdo n° 216 du 25 mai 2006 édition sociale (N° Lexbase : N8610AK4).
Décision


Cass. soc., 11 juin 2008, n° 07-40.823, Société DPSA Ile-de-France c/ M. Koukoui, F-P+B (1er moyen) (N° Lexbase : A0632D9B)


Cassation partielle sans renvoi de CA Versailles, 5ème ch., sect. B, 14 décembre 2006


Mots clefs : représentant du personnel ; heures de délégation ; utilisation des heures ; présomption de bonne utilisation des heures de délégation ; heures imputées sur le temps de travail effectif ; heures prises en dehors du temps de travail effectif ; application de la présomption à toutes les heures prises à l'intérieur du contingent.


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