La lettre juridique n°310 du 26 juin 2008 : Sociétés

[Jurisprudence] Absence de personnalité morale d'une société en participation : celle-ci ne peut être créancière d'une obligation

Réf. : Cass. com., 20 mai 2008, n° 07-13.202, Société Eiffage construction Ile-de-France Paris, venant aux droits de la société en nom collectif Entreprise Fougerolle, F-P+B (N° Lexbase : A7076D8L)

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par Anne Lebescond - SGR Droit des affaires

le 28 Août 2014

Aux termes de l'article 1871 du Code civil (N° Lexbase : L2069ABA), "les associés peuvent convenir que la société ne sera point immatriculée. La société est dite, alors, 'société en participation'. Elle n'est pas une personne morale et n'est pas soumise à publicité". La société en participation n'étant pas une personne juridique -alors, pourtant, qu'elle se doit de réunir toutes les conditions propres aux contrats de société (C. Civ., art. 1871 N° Lexbase : L2069ABA)-, elle n'en possède aucun des attributs. Elle n'a, en effet, ni raison sociale (bien que cette règle connaisse un tempérament depuis la loi n° 78-9 du 4 janvier 1978 N° Lexbase : L1471AIC, cette société n'étant plus nécessairement occulte et pouvant, dès lors, être "nommée"), ni siège social (bien que les associés peuvent choisir de "localiser" leur activité commune), ni nationalité. De la même façon, parce que la société en participation n'est pas une personne juridique, elle ne peut être soumise à une procédure collective, agir en justice (1), ou faire l'objet d'une condamnation (2). A ce sujet, la cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 5 mars 1946 (3), s'est penchée sur la question de savoir comment un associé de la société en participation, titulaire d'une créance née dans le cadre du contrat de société, qui souhaite la voir régler, doit procéder. Elle décide que "lorsque l'un des participants s'estime créancier à l'encontre de la société en participation, il doit assigner tous les participants, et non le seul gérant qui ne saurait représenter un être moral inexistant".

La société en participation n'a pas, non plus, de patrimoine social et ne peut, en conséquence, souscrire aucun engagement personnel, que ce soit en qualité de débiteur ou de créancier. Notamment, elle ne peut ni détenir des biens, ni contracter un emprunt, ni consentir un prêt à une société (4). La cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 4 avril 1997 (5), a énoncé à ce sujet qu'"une société en participation, dépourvue de la personnalité morale, ne souscrit aucun engagement personnel et ne peut être titulaire d'un compte courant". De la même façon, cette cour (6) a énoncé que "la société en participation, n'ayant pas la personnalité morale, n'a pas de patrimoine et ne peut s'engager envers des tiers par un acte de cautionnement". C'est cette règle qu'est récemment venue confirmer la Chambre commerciale de la Cour de cassation, dans un arret du 20 mai 2008.

Dans les faits rapportés, une société en participation a été constituée pour la réalisation d'un ensemble immobilier, entre deux entreprises, la société E. et la société B.. Celle-ci, après avoir fourni à ce titre certaines prestations, a cédé les créances correspondantes, selon les modalités des articles L. 313-23 (N° Lexbase : L9256DYH) et suivants du Code monétaire et financier, à une banque, la société L., qui a notifié ces cessions à la société E., associée et gérante de la société en participation. Toutefois, se prévalant des clauses du contrat de société, la société E. a refusé de payer, invoquant l'inexécution par la société B. de son obligation de fournir une caution bancaire de garantie de bonne fin, ainsi que la compensation avec une somme due par la société B. à la société en participation, au titre d'un appel de fonds lui ayant été adressé. La société L., cessionnaire des créances, assigne, alors, la société E. en paiement de celles-ci, demande accueillie en appel. Les juges du fond retiennent, en effet, pour écarter la compensation, que l'obligation invoquée ne bénéficie qu'à la société en participation, même s'il appartient à la société gérante de la mettre en oeuvre, de sorte que la société E. n'est pas créancière au titre de l'appel de fonds et ne peut, en conséquence, invoquer la compensation qui suppose des créances réciproques entre les deux mêmes personnes. L'arrêt retient, encore, pour écarter l'exception d'inexécution, que la société B. avait l'obligation de fournir une caution de garantie de bonne fin à la société en participation, privée de personnalité morale et, donc, inopposable aux tiers. En conséquence, selon la cour d'appel, l'inexécution d'une obligation bénéficiant à cette société n'est pas opposable au cessionnaire, la société L.. La Cour de cassation casse cette décision, énonçant que "la société en participation n'étant pas une personne morale, elle ne peut être créancière d'une obligation".

La Cour de cassation remet, ici, en cause le raisonnement de la cour d'appel qui, rappelant que la société en participation n'est pas dotée de la personnalité morale, n'en tire pas les conséquences. Les juges ont, d'abord, considéré que la société gérante de la société en participation n'était pas créancière des sommes devant être versées par la société B., "l'obligation invoquée ne bénéfic[iant] qu'à la société en participation". En réalité, l'obligation ne bénéficie pas à la société en participation, qui n'est qu'un contrat, et non une personne juridique, mais bien aux associés, qui sont en participation via un contrat de société. La cour d'appel réitère cette erreur et se place sur le terrain de l'inopposabilité, concernant l'argumentation lui permettant d'écarter l'exception d'inexécution, "l'inexécution d'une obligation bénéficiant à cette société [en participation] n'est donc pas opposable au Crédit Lyonnais". Ainsi, pour les juges du fond, la société en participation n'étant pas une personne morale, elle est inopposable aux tiers, et de la même façon, les actes y relatifs leur sont inopposables également.

Il ne s'agit, pourtant, pas, ici, d'un problème d'opposabilité des obligations bénéficiant à la société en participation, ceci, en premier lieu, car il existe des cas où ce contrat de société leur sera opposable.

A la différence d'une société en participation, une société immatriculée au registre du commerce et des sociétés (ou au répertoire des métiers) est forcément opposable au tiers, en tant que personne juridique, puisqu'elle est dotée, à compter de son immatriculation, de la personnalité morale, et que les tiers ont été informés de la naissance de cette personne juridique via les diverses formalités auxquelles les fondateurs sont tenus de procéder, dont la plupart ont trait à la publicité (publicité dans un journal d'annonces légales et publicité au greffe du tribunal de commerce qui émet un extrait K-bis, à la disposition du public).

Une société en participation, parce qu'elle n'est pas immatriculée au registre du commerce et des sociétés et n'a, donc, de ce fait, pas la personnalité morale, ne sera jamais opposable au tiers en tant que personne juridique, ce en quoi les juges du fond n'avaient pas tort. Cela ne signifie pas, pour autant, que le contrat de société en participation passé entre les associés est inopposable au tiers du fait de cette absence d'immatriculation. Pour que le contrat de société ne soit pas opposable aux tiers, il doit demeurer occulte, ce qui n'est plus une obligation depuis la loi n° 78-9 du 4 janvier 1978. Comme le précise le Professeur Chartier, "l'absence d'immatriculation était déjà une caractéristique de la société en participation ; mais elle n'était qu'un effet secondaire de son caractère occulte, alors qu'elle en constitue aujourd'hui le trait dominant" (7), le caractère occulte, désormais facultatif, ne l'étant plus. Ainsi, si les associés décident que le contrat de société en participation est occulte, et tant que ce contrat n'est pas révélé, il sera inopposable aux tiers et chaque associé sera tenu personnellement des actes qu'il aura accomplis dans le cadre de la société en participation. Au contraire, si les associés décident de révéler le contrat de société aux tiers, ceux-ci seront en droit de s'en prévaloir. Dans l'espèce rapportée, si la société est demeurée occulte, le défaut de versement des fonds par la société B. sera inopposable, en effet, à la banque cessionnaire. Par contre, si le contrat de société lui a été révélé, ce même appel de fonds lui serait opposable et l'exception d'inexécution pourra être plus aisément invoquée.

Quoi qu'il en soit, que l'appel de fonds soit opposable ou non à la banque cessionnaire des créances n'a aucune incidence sur l'issue du procès. Parce que la société en participation n'a pas la personnalité morale, elle ne peut souscrire des engagements, ni avoir de patrimoine et de ce fait être titulaire d'une créance. Une partie de la doctrine estime que cette règle se déduit implicitement du texte de l'article 1872-1, alinéa 1er, du Code civil (N° Lexbase : L2072ABD), qui dispose que "chaque associé contracte en son nom personnel et est seul engagé à l'égard des tiers".

En termes de responsabilité, cela signifie que là où la société dotée de la personnalité morale fait écran entre les associés et les tiers, voire, dans certains cas, entre les associés entre eux, dans le cas des sociétés en participation, cet écran n'existe pas. Ou, du moins, il a une nature différente : ce sont, ici, les associés qui font écran, puisqu'ils sont personnellement responsables des actes qu'ils accomplissent dans le cadre du contrat de société. De cette façon, la société n'est jamais tenue par ces actes passés par le gérant ou les associés. Il n'en va, toutefois, pas de même, si les autres associés révèlent -par une attitude positive (8)- leur participation dans la société, auquel cas, ils sont responsables -solidairement, si la société a un objet commercial, sans solidarité, si elle a un objet civil-. Leur responsabilité sera pareillement reconnue en cas d'immixtion de leur part dans l'opération, laissant croire qu'ils entendent s'engager à l'égard du tiers ou en tirer profit (C. civ., art. 1872-1, al. 3, N° Lexbase : L2072ABD). Une troisième exception a été introduite par la loi du 4 janvier 1978 (C. civ., art. 1872-1, al. 3, (9)) -rompant avec une jurisprudence antérieure (10)- qui reconnaît la responsabilité de l'associé, lorsque l'engagement litigieux a tourné à son profit.

Puisque la société n'a pas de patrimoine social, elle ne peut détenir en propre aucune créance, ni être débitrice d'aucune dette, mais ce sont bien les associés qui détiennent ces créances ou sont débiteurs de ces dettes. Le régime juridique de biens "apportés" à la société lors de la signature du contrat et par la suite est fixé à l'article 1872 du Code civil (N° Lexbase : L2071ABC) qui dispose qu'"à l'égard des tiers, chaque associé reste propriétaire des biens qu'il met à la disposition de la société". Les associés ne concèdent, donc, que la jouissance des biens, l'apport à la société en participation n'étant pas translatif de propriété (11). La jurisprudence est, rapidement, venue préciser à ce sujet que les associés ne conférant que la jouissance, ils peuvent disposer de ces biens (12), si bien que les créanciers peuvent, également, les saisir.

Les associés peuvent, toutefois, convenir que les biens apportés ou acquis pendant la durée de vie du contrat de société seront indivis, comme le précise le troisième alinéa de l'article 1872. A côté de cette indivision conventionnelle, il existe une indivision légale prévue au deuxième alinéa de cet article, les biens qui se trouvaient indivis avant d'être mis à la disposition de la société étant réputés indivis entre les associés. Enfin, le quatrième alinéa du texte, dispose qu'"il peut être convenu que l'un des associés est, à l'égard des tiers, propriétaire de tout ou partie des biens qu'il acquiert en vue de la réalisation de l'objet social", cette disposition permettant de préserver, si les associés le souhaitent, le caractère occulte de la société.

Les associés restant propriétaires des biens qu'ils apportent au contrat de société, c'est donc à leur encontre qu'il convient d'agir en paiement d'une créance résultant du contrat de société et détenue par un tiers. 


(1) Cass. civ. 2, 26 mars 1997, n° 94-15.528, Société Languedoc consultant c/ Société Pontus de la Gardie (N° Lexbase : A9875ABD) : "la société en participation n'est pas une personne morale et ne peut donc ester en justice : l'irrégularité d'une procédure engagée par une partie dépourvue de personnalité juridique est une irrégularité de fond qui ne peut être couverte".
(2) Cass. com., 22 avril 1977, n° 75-13.438, SA Neyrac Films c/ Hebey (N° Lexbase : A8443AYD) : "la société en participation étant dépourvue de personnalité morale, elle ne peut faire l'objet d'une condamnation. Elle n'est, en effet, pas tenue des actes accomplis par son gérant".
(3) CA Paris, 5 mars 1946, Gaz. Pal., 1946, I, p. 303.
(4) Bull. CNCC, 1994, n° 93, p. 149.
(5) CA Paris, 15ème ch., sect. B, 4 avril 1997, n° 95/18792, Monsieur Galy Jacques c/ Société Banque Française (N° Lexbase : A2331A44).
(6) CA Versailles, 16ème ch., 28 octobre 1999, n° 530/97, Monsieur Antoine Ricour c/ Banque Nationale de Paris (BNP) (N° Lexbase : A4431DET).
(7) Professeur Chartier, La société dans le Code civil après la loi du 4 janvier 1978, JCP éd. G, 1978, I, n° 2917, n° 356.
(8) Cass. com., 15 juillet 1987, n° 86-10.787, M. Grégoire c/ Société CGIB et autres (N° Lexbase : A3944AG8).
(9) C. civ., art. 1872-1, al. 3 : "l'associé dont il est prouvé que l'acte a tourné à son profit engage sa responsabilité conjointe ou solidaire à l'égard des tiers selon que la société est civile ou commerciale".
(10) Cass. civ., 26 août 1879, DP, 1880, I, p. 120.
(11) TGI Carpentras, 22 mai 2001, n° RG 1250/99, Monsieur Gérald Fallecker c/ Madame Annie Courtade (N° Lexbase : A9255A4K) : "une société en participation, n'ayant pas la personnalité morale, n'a pas de patrimoine propre : ainsi, les apports faits par les associés ne sont jamais translatifs de propriété" et CA Paris, 4ème ch., sect. A, 4 juin 1991, n° 89/022555, Mme Christine Grimault épouse Corbin c/ Société Ezil CFB Communication (N° Lexbase : A9574A7Q) : "en l'absence de personnalité morale de la société en participation, chaque associé est réputé demeurer propriétaire des biens apportés : ainsi, en cas de dissolution de la société, les biens doivent revenir à l'associé qui les lui a remis".
(12) Cass. civ., 5 mai 1859, DP, 1859, I, 222 et Cass. req., 27 juin 1893, DP, 1893, I, 488.

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