La lettre juridique n°310 du 26 juin 2008 : Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] Les aides aux succursales d'une filiale étrangère : une possibilité limitée

Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 11 avril 2008, n° 281033, Société anonyme Guerlain (N° Lexbase : A8668D78)

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par Frédéric Dieu, Commissaire du Gouvernement près le tribunal administratif de Nice (1ère ch.)

le 07 Octobre 2010

Par une décision en date du 11 avril 2008, le Conseil d'Etat s'est prononcé sur l'intérêt pour une société mère de consentir des abandons de créances aux succursales de sa filiale étrangère. Il a, en particulier, fondé son appréciation sur l'intérêt commercial de la mère au développement de ses succursales, mais prend également en compte les capacités de financement de sa filiale. Il a ainsi jugé que les abandons de créance consentis aux succursales de Singapour et d'Australie de la société française Guerlain, succursales dépourvues de personnalité juridique, l'avaient été nécessairement à la filiale Guerlain Pacific Asia Ltd à laquelle ces succursales appartenaient. C'est ainsi au regard des relations entre la société française et sa filiale, et non au regard des relations entre cette société et les succursales de cette dernière, que doit s'apprécier le caractère déductible ou non des abandons de créance. Le Conseil d'Etat a donc expressément tenu compte, pour déterminer si les abandons de créance consentis constituaient ou non un transfert indirect de bénéfices au sens de l'article 57 du CGI (N° Lexbase : L1594HLM), de l'intérêt stratégique et commercial que pouvaient représenter les marchés d'Australie et de Singapour pour la distribution des produits de la société Guerlain ainsi que les besoins allégués de la filiale Guerlain Pacific Asia Ltd de disposer de fonds propres nécessaires au développement d'autres marchés en Asie pour ces mêmes produits. Même si, en l'espèce, les abandons de créance litigieux pouvaient légitimement être considérés comme constitutifs d'un transfert indirect de bénéfices au sens de l'article 57 du CGI, la décision du 11 avril 2008 tend à élargir la catégorie des abandons de créance non constitutifs d'un tel transfert puisque le Conseil d'Etat apprécie le caractère normal ou non des abandons de créances consentis aux succursales d'une filiale étrangère en prenant en compte non plus seulement l'intérêt commercial de la société mère au développement de ces structures mais également les besoins de financement de la filiale pour mener à bien son développement dans d'autres pays.

1. S'inscrivant dans le régime classique des avantages consentis par des sociétés mères à leurs filiales...

1.1. Le régime des avantages consentis par une société à ses filiales

Ce régime juridique est souvent appelé régime des abandons de créance, mais il s'étend, au-delà des abandons de créance proprement dits, à toutes les aides financières ponctuelles permettant à une société de venir en aide à des filiales en difficulté. Les sommes dont la déductibilité est demandée peuvent donc être de simples subventions ou bien, comme en l'espèce, une provision pour risque de non-recouvrement d'avances consenties à une filiale. La jurisprudence, établie avec beaucoup de fermeté au début des années quatre-vingts, distingue les aides accordées selon qu'elles ont une finalité commerciale ou financière. L'objectif recherché est qualifié de commercial lorsque les difficultés de la filiale risquent de compromettre le volume des ventes de la société mère, de financier lorsque celle-ci cherche à maintenir la valeur de son portefeuille de participations.

Une société mère peut donc venir en aide à une filiale en difficulté sans commettre d'acte anormal de gestion. L'aide accordée (abandon de créances, subvention, avances sans intérêts...) est jugée normale lorsqu'elle répond à l'intérêt commercial de la société mère (cas notamment où celle-ci entretient des relations commerciales avec sa filiale et entend maintenir ses sources d'approvisionnement ou débouchés) ou à son intérêt financier (cas où les difficultés financières de la filiale sont de nature à porter atteinte à son renom ou à entraîner la mise en jeu de sa responsabilité). Il peut également être de l'intérêt financier d'une société mère de consentir une aide à une sous-filiale en difficulté indépendamment du point de savoir si la filiale interposée avait pu elle-même réaliser l'opération (CE 3° et 8° s-s-r., 10 mars 2006, n° 263183, Société SEPT N° Lexbase : A4850DNX : RJF, 6/06, n° 678).

Dans le cas d'une aide à caractère financier, l'aide apportée à la filiale est normalement déductible si elle intervient dans le cadre d'une gestion normale mais elle est souvent compensée par la revalorisation des titres de participation. La jurisprudence considère en effet qu'une partie de l'aide se traduit par un accroissement d'une valeur d'actif, à condition que ce qu'elle appelle l'actif net de la filiale ne soit pas négatif, c'est-à-dire que le montant des créances détenues par des tiers, y compris celles de la société mère, ne soit pas supérieur à la valeur de réalisation de l'actif social.

Tout autre est le régime de la subvention motivée par un intérêt commercial, dont l'hypothèse classique est l'abandon de créance destiné à éviter le dépôt de bilan d'une filiale de distribution. Dans ce cas, la jurisprudence admet que la solution ne soit pas différente de celle qui s'appliquerait à une pratique similaire relevant de relations commerciales normales entre des sociétés juridiquement indépendantes. La charge est alors déductible, sans que l'on ait à s'interroger sur une éventuelle revalorisation des titres de participation (CE Contentieux, 27 novembre 1981, n° 16814 N° Lexbase : A5457AKC : RJF, 1/82, n° 7 avec conclusions J.-F. Verny p. 8 ; CE, 4 décembre 1985, n° 44323 : RJF, 2/86, n° 153). Notons que, dans la première de ces deux espèces, la filiale bénéficiaire de l'aide était implantée à l'étranger, ce qui selon le commissaire du Gouvernement ne modifiait pas sensiblement les règles applicables. Le régime est ici entièrement distinct de celui de l'aide à finalité financière. Non seulement la subvention est intégralement déductible, mais elle est prise en compte dans le calcul du bénéfice imposable de la filiale.

Pour apprécier le caractère normal ou non de l'aide accordée à une filiale, il n'y a pas lieu de distinguer selon qu'elle est française ou étrangère (CE Contentieux, 9 octobre 1991 n° 67642 et 69503, SA du laboratoire Goupil et ministre du Budget N° Lexbase : A8992AQ4 : RJF, 1991, n° 1355 ; CE Contentieux, 11 février 1994, n° 119726, SA Les Editions Jean-Claude Lattès N° Lexbase : A9752ARM : RJF, 1994, n° 396). La jurisprudence a par exemple reconnu le caractère normal des subventions versées par une société mère à des filiales en difficulté dont les déficits n'étaient pas de nature à exclure tout espoir de redressement (CE Contentieux, 12 juillet 1978, n° 2138 et n° 2769 N° Lexbase : A5131AIU : RJF, 1978, n° 401), des subventions d'équilibre versées par une société à des filiales qui étaient ses fournisseurs exclusifs et à qui elle imposait des normes strictes de fabrication et des contraintes de prix (CE Contentieux, 16 février 1983, n° 37868 N° Lexbase : A1931AMH : RJF, 1983, n° 492) et des aides accordées par une société à sa filiale afin qu'elle puisse assurer le financement de certains investissements décidés au niveau du groupe (CE Contentieux, 22 mars 1999, n° 163282, SA Alphamed N° Lexbase : A4538AXD : RJF, 1999, n° 534).

1.2. Le régime spécifique applicable aux relations entre les sociétés mères établies en France et leurs filiales établies à l'étranger

L'article 57 du CGI, rendu applicable en matière d'impôt sur les sociétés par l'article 209 (N° Lexbase : L2719HWM), prévoit que les bénéfices indirectement transférés par une entreprise française à une entreprise qu'elle contrôle et qui est située hors de France, doivent être réintégrés dans les résultats imposables de l'entreprise française. Un abandon de créance, ou plus généralement toute aide accordée par une société mère à l'une de ses filiales à l'étranger, peut constituer un transfert de bénéfices au sens de l'article 57. Cependant, il n'y a transfert de bénéfices que si l'aide n'a pas été consentie dans le cadre d'une gestion commerciale normale : la jurisprudence admet ainsi qu'une une société mère puisse accorder une aide à caractère commercial à sa filiale à l'étranger, afin de maintenir et de développer ses débouchés (CE Plénière, n° 52754, 30 mars 1987, SA Labo-Industries N° Lexbase : A2341APE : RJF, 5/87, n° 589, conclusions B. Martin-Laprade). Elle peut également accorder une aide à caractère financier, afin d'éviter la défaillance de sa filiale et préserver son propre renom (CE Contentieux, 11 février 1994, n° 119726, SA Les Editions Jean-Claude Lattès, précité : RJF, 1994, n° 396, chron. G. Goulard). Dans les deux cas, l'aide doit répondre à l'intérêt propre de l'entreprise exploitée en France.

Le caractère normal de ces aides est apprécié dans les mêmes conditions que s'il s'agissait d'avantages de même nature consentis à des filiales françaises. En revanche, l'application de l'article 57 fait jouer des règles de charge de la preuve différentes de celles applicables en matière d'acte anormal de gestion : dès lors que l'administration établit l'existence d'un lien de dépendance entre la société française et la société bénéficiaire de l'aide et l'existence d'un avantage accordé par la première à la seconde, il découle de l'article 57 une présomption de transfert de bénéfice, qu'il appartient à la société requérante de combattre en apportant la preuve que les avantages consentis ont été justifiés par l'obtention de contreparties favorables à sa propre exploitation (CE Contentieux, 27 juillet 1988, n° 50020, Société Boutique 2M N° Lexbase : A6610API : RJF, 10/88, n° 1139, conclusions O. Fouquet ; CE, 8 juillet 2005, SA Vetter : RJF, 8-9/05, n° 893, conclusions L. Vallée au BDCF 8-9/05, n° 108).

Dès lors qu'existe cette présomption, l'administration fiscale n'a donc pas à apporter la preuve de ce que les abandons de créance consentis ne relèvent pas d'une gestion commerciale normale.

2. ... la décision du 11 avril 2008 apporte cependant d'importantes précisions sur les relations complexes existant entre les sociétés mères, leurs filiales et les succursales de ces dernières

2.1. Le Conseil d'Etat refuse d'apprécier l'intérêt de la société mère à octroyer une aide aux succursales en se fondant sur ses seules relations avec elles

Dans la décision du 11 avril 2008, le Conseil d'Etat considère que le caractère normal des abandons de créances consentis par une société à des succursales de sa filiale établie à Hong-Kong doit être apprécié au regard des relations entre l'entreprise aidante et cette filiale, dès lors que les succursales sont dépourvues de personnalité juridique. Or, en l'espèce, la société mère ne justifie pas de son intérêt propre à consentir de tels abandons aux succursales situées en Australie et à Singapour. En effet, même si les marchés en cause présentent un intérêt stratégique et commercial pour la distribution de ses produits et si la filiale souhaite développer d'autres marchés en Asie pour ces mêmes produits, elle n'établit pas l'existence de besoins de financement répondant à l'intérêt du développement commercial de sa société mère. La filiale, dont les résultats sont bénéficiaires malgré les difficultés financières de ses deux succursales, a en effet versé à sa société mère des dividendes significatifs non soumis à l'impôt sur les sociétés.

Certes, la Haute assemblée avait déjà jugé qu'une société mère pouvait déduire de ses résultats imposables les pertes résultant des aides apportées à une succursale située à l'étranger avec laquelle elle entretenait des relations commerciales (CE Contentieux, 16 mai 2003, n° 222956, Société Télécoise N° Lexbase : A1629B99 : RJF, 2003, n° 823, chronique L. Olléon ; BDCF, 2003, n° 91, conclusions M.-H. de Mitjavile). Toutefois, elle n'étend pas cette solution au cas de succursales détenues par l'intermédiaire d'une filiale étrangère.

La portée de l'arrêt "Société Télécoise" est d'admettre qu'un abandon de créance puisse être accordé à une succursale implantée à l'étranger alors même que celle-ci n'a pas une personnalité juridique distincte de la société qui accorde l'abandon. Par rapport à la configuration particulière de l'arrêt "Société Télécoise", l'espèce jugée par le Conseil d'Etat le 11 avril 2008 se présentait de manière beaucoup plus simple, puisqu'il ne s'agissait pas d'un abandon à soi-même, mais d'un abandon consenti à une filiale. Sur le plan économique et sur le plan comptable, les succursales d'Australie et de Singapour formaient avec la filiale de Hong-Kong une société unique dont les résultats étaient consolidés. Ainsi, les deux abandons de créance consentis directement par la SA Guerlain aux succursales, constituaient en fait des aides accordées à la filiale qui détenait les succursales.

La société Guerlain soutenait, néanmoins, que la normalité de l'aide devait s'apprécier au niveau des succursales dans la mesure où celles-ci étaient dotées de la personnalité fiscale. Effectivement, les deux succursales constituaient des établissements stables fiscalement indépendants de la filiale de Hong-Kong où s'appliquait apparemment un principe de territorialité de l'impôt similaire à celui en vigueur en France. Fiscalement, les abandons de créance consentis aux succursales avaient probablement été intégrés dans les résultats des succursales taxés dans leur pays d'implantation.

Cependant, il n'en demeurait pas moins que ces aides étaient venues abonder les résultats de la filiale hongkongaise et que la nécessité de ces aides, donc leur normalité, devait être appréciée au niveau de l'entité économique que constituait la filiale. Des considérations d'optimisation fiscale, comme par exemple le fait que l'autonomie fiscale des deux succursales n'autorisait peut-être pas la filiale à leur accorder des aides en franchise de l'impôt dû à Hong-Kong, ne sauraient ainsi suffire à justifier l'octroi d'une aide par la mère française si la filiale disposait de ressources suffisantes pour soutenir ses propres succursales. Le juge de l'impôt doit donc prendre en compte la situation financière de la filiale pour apprécier la normalité des aides consenties par la mère.

Au total, les abandons de créances consentis aux succursales constituent en fait des aides accordées à la filiale qui les détient, et avec laquelle elles forment une société unique, alors que dans l'arrêt précité, il s'agissait d'un abandon de créance consenti "à soi-même", la succursale n'ayant pas de personnalité juridique distincte de celle de la société mère. Ainsi, le Conseil d'Etat refuse d'apprécier l'intérêt de la société mère à octroyer une aide aux succursales en se fondant sur ses seules relations avec elles, sans tenir compte de la situation financière de la filiale à laquelle elles appartiennent. La circonstance que les deux succursales sont les distributeurs exclusifs de ses produits en Australie et à Singapour, bénéficient d'un chiffre d'affaires important et en forte croissance mais connaissent des difficultés financières qui menacent leur pérennité n'est donc pas suffisante pour justifier les abandons de créances en cause.

2.2. Néanmoins, il prend en compte l'intérêt commercial que présentent les succursales pour la société mère et les besoins de financement de sa filiale

Le Conseil d'Etat ne se limite pas à prendre en considération la seule situation de la filiale. On rappelle, à cet égard, que le caractère normal des aides accordées à des filiales étrangères est apprécié dans les mêmes conditions que pour les filiales françaises.

La Haute assemblée retient une troisième approche. Si elle se fonde effectivement sur l'absence de personnalité juridique des succursales pour juger que les abandons de créances que leur a consentis la société française l'ont été nécessairement à sa filiale étrangère, elle prend en compte l'intérêt commercial que présentent les succursales pour la société mère et les besoins de financement de sa filiale.

Ainsi, le Conseil d'Etat apprécie en l'espèce l'aide en considérant, d'une part, l'intérêt stratégique et commercial des marchés d'Australie et de Singapour pour la distribution des produits de la société française et, d'autre part, l'intérêt que présente pour elle le développement commercial de sa filiale sur d'autres marchés en Asie. Effectivement, il est bien de l'intérêt commercial de la société de maintenir ses distributeurs en Australie et à Singapour et de permettre à sa filiale d'ouvrir de nouvelles succursales dans d'autres pays pour créer de nouveaux débouchés. Toutefois, ayant relevé que la filiale n'avait en réalité pas besoin de l'intervention de la société mère pour aider ses succursales en difficultés puisqu'elle a été en mesure de lui verser des dividendes significatifs, le Conseil d'Etat juge en définitive que les abandons de créances ne répondent pas à l'intérêt de la société mère. Sans cet élément de fait -qui, selon le commissaire du Gouvernement, ôte toute crédibilité à l'argument selon lequel la filiale ne pouvait combler les pertes de ses succursales parce qu'elle devait conserver ses fonds propres pour ses projets de développement dans la région- il aurait sans doute été admis que les abandons de créances consentis aux succursales relevaient d'une gestion normale, sans que la filiale n'ait elle-même à faire état de difficultés financières.

En effet, à la différence des aides à caractère financier, l'octroi d'une aide à caractère commercial n'est pas subordonnée à un péril financier du côté de la société qui en bénéficie. Les aides commerciales doivent surtout apporter des contreparties commerciales suffisantes pour la société qui les accorde. Dans ses conclusions sous l'arrêt du 30 mars 1987 précité, "Société Labo-Industries" (RJF, 1987, n° 589, conclusions B. Martin-Laprade, p. 262), arrêt qui a consacré la possibilité de déduire une aide à caractère commercial versée par une société mère française à une filiale étrangère, B. Martin-Laprade avait tenté de théoriser les cas dans lesquels une telle aide pourrait être regardée comme déductible. Il proposait d'admettre en déduction les aides versées à une filiale assurant la distribution des produits de la mère, dès lors que les avantages accordés n'excéderaient pas ce qui aurait normalement été consenti à un client extérieur au groupe pour maintenir ce débouché. Selon lui, un producteur français ne commettrait jamais un acte de gestion anormal en accordant à son distributeur étranger des avantages lui permettant d'équilibrer une activité de distribution qui, sinon, aurait connu un déficit d'exploitation. La nécessité d'une aide pour équilibrer chez la fille l'activité de commercialisation des produits de la mère pourrait être établie par des éléments de comptabilité analytique si la filiale exerçait d'autres activités que celle intéressant directement la mère.

L'hypothèse envisagée par B. Martin-Laprade est très proche de l'affaire jugée par le Conseil d'Etat le 11 avril 2008. En effet, la filiale de Hong-Kong assurait, par l'intermédiaire de ses deux succursales, une activité de commercialisation des produits de la mère qui subissait des pertes d'exploitation. Cette activité était stratégique sur le plan commercial pour la mère à laquelle elle rapportait un chiffre d'affaires substantiel et en forte croissance. La mère avait donc un intérêt commercial à soutenir sa filiale pour qu'elle continue à assumer cette activité qui n'était, pour cette dernière, pas profitable. Par ailleurs, la création par la filiale de nouvelles succursales dans d'autres pays de la région était susceptible d'ouvrir pour la mère de nouveaux débouchés et répondait donc aussi à son intérêt commercial.

Ainsi, dans la mesure où la SA Guerlain aurait été capable de démontrer, grâce à des éléments financiers appropriés, la nécessité d'accorder des aides à sa filiale pour lui permettre de préserver l'activité de distribution des deux succursales et en même temps de se développer dans d'autres pays, il nous semble que les abandons de créance auraient pu être regardés comme répondant à une gestion normale pour la société mère. A cet égard, la seule circonstance que la filiale n'était pas elle-même en situation de difficulté financière n'aurait pas suffi à justifier la solution retenue par la cour.

Cependant, dans l'arrêt confirmé par le Conseil d'Etat, la cour administrative d'appel de Paris avait également retenu que la filiale avait versé des dividendes à la société mère d'un montant de 3,4 millions de francs (soit 518 326 euros) en 1989 et 6,5 millions de francs (soit 990 918 euros) en 1992. Ce versement de dividendes ôtait toute crédibilité à l'argument selon lequel la filiale ne pouvait combler les pertes des succursales parce qu'elle devait conserver ses fonds propres pour ses projets de développement dans la région. Dans ces conditions, la cour n'aurait pu se fonder à la fois sur l'absence de difficultés financières de la filiale et sur le versement de ces dividendes sans commettre d'erreur de qualification juridique des faits ou de contradiction de motifs.


Conclusion

La décision du 11 avril 2008 révèle que, malgré l'effort important de clarification qui a été à l'origine de la distinction fondamentale entre aide à caractère commercial et aide à caractère financier, l'application de principes pourtant anciens et stabilisés se révèle délicate dans certains cas particuliers. En effet, cette décision n'est pas une décision sur le problème des succursales (la question se serait posée dans les mêmes termes pour des filiales), ni sur la frontière entre intérêt commercial ou financier (puisque tout le monde s'accorde à reconnaître le caractère indéniable de l'intérêt commercial de la société mère française). Il s'agit d'une décision qui pose une nouvelle condition de déductibilité des charges à l'intérieur des groupes.

Ainsi, si la société de Hong-Kong était une société tierce, elle pourrait souhaiter fermer ses exploitations d'Australie et de Singapour même si ses ressources sont suffisantes pour verser des dividendes et financer son développement, dès lors qu'elle estime que la perspective d'un retour aux bénéfices est trop lointaine ou que ces deux exploitations ne s'inscrivent plus dans sa stratégie. Son fournisseur pourrait alors lui verser une subvention déductible, tenant compte des difficultés rencontrées en Australie et à Singapour, pour éviter la fermeture de ces deux exploitations. La déductibilité d'un tel versement suppose simplement qu'elle corresponde bien à l'intérêt du fournisseur et nullement au fait que le client en ait "besoin". Que cette subvention se matérialise par un abandon de créance ou un versement n'est alors qu'une modalité pratique de mise en oeuvre d'une réduction forfaitaire du coût des marchandises livrées.

Toutefois, le fait que la société de Hong-Kong soit détenue à 100 % par le fournisseur français modifie l'approche du Conseil d'Etat. En effet, l'actionnaire qui reçoit le dividende est aussi le fournisseur qui octroie l'aide commerciale et les deux flux de sens inverse sont du même ordre de grandeur. Le fait donc que l'actionnaire soit le fournisseur doit aboutir à ce que l'aide du fournisseur prenne obligatoirement la forme d'une renonciation au dividende pour que la base imposable correspondante reste en France. En d'autres termes, alors que la logique de l'article 57 du CGI consiste à localiser les bases imposables résultant de transactions intragroupe au même endroit que pour des transactions entre tiers, il faut déroger à ce principe lorsque le traitement fiscal en résultant se révélerait favorable au groupe.

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