La lettre juridique n°286 du 20 décembre 2007 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Contrat de travail saisonnier : les juges resserrent les rangs

Réf. : Cass. soc., 5 décembre 2007, n° 06-41.313, Mme Véra Canet, F-P+B (N° Lexbase : A0414D3Q)

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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

Une société produisant toute l'année peut-elle conclure des contrats de travail à durée déterminée saisonniers ? Telle était, notamment, la question posée à la Cour de cassation dans une décision rendue le 5 décembre dernier. Pour refuser ce motif de conclusion de contrat de travail à durée déterminée à une entreprise de pizzas, elle rappelle que le caractère saisonnier d'un emploi concerne des tâches normalement appelées à se répéter chaque année à des dates à peu près fixes, en fonction du rythme des saisons ou des modes de vie collectifs. Ayant relevé que la production de l'entreprise s'effectuait toute l'année et connaissait seulement un accroissement périodique de production, elle casse la décision des juges du second degré qui avaient admis le caractère saisonnier de l'activité de l'entreprise. Cette solution doit, sur le principe, être approuvée.

Résumé

Il résulte de la combinaison des articles L. 122-3-10, alinéa 1er (N° Lexbase : L9643GQ9), et L. 122-3-13 (N° Lexbase : L5469ACK) du Code du travail que, lorsque le contrat de travail à durée déterminée devient un contrat de travail à durée indéterminée du seul fait de la poursuite de la relation contractuelle après l'échéance du terme, le salarié ne peut prétendre à une indemnité de requalification, hors les cas où sa demande en requalification s'appuie sur une irrégularité du contrat de travail à durée déterminée initial ou de ceux qui lui ont fait suite.

Le salarié qui a occupé son emploi sans discontinuer jusqu'à la date de son licenciement au titre de contrats de travail à durée déterminée, puis d'un contrat de travail à durée indéterminée qui en avait été la suite dès l'échéance du terme, peut prétendre à la requalification de ses contrats successifs en un contrat de travail à durée indéterminée. La date de requalification à prendre en considération est celle depuis laquelle le salarié n'a connu aucune période chômée.

Le caractère saisonnier d'un emploi concerne les tâches normalement appelées à se répéter chaque année à des dates à peu près fixes, en fonction du rythme des saisons ou des modes de vie collectifs.

1. Encadrement du recours au contrat saisonnier

  • Caractère strict des règles entourant le recours au contrat de travail à durée déterminée

Le contrat de travail à durée déterminée est un contrat par lequel un salarié engage ses services pour une durée limitée et, en principe, prédéterminée. Dans la mesure où ce type de contrat déroge au droit commun du contrat de travail à durée indéterminée, il ne peut être conclu que dans les cas (C. trav., art. L. 122-1-1 N° Lexbase : L9607GQU), pour les durées (C. trav., art. L. 122-1-2 N° Lexbase : L9608GQW) et selon la forme prescrits par le législateur (C. trav., art. L. 122-3-1 N° Lexbase : L9625GQK).

L'article L. 122-1-1 du Code du travail énumère, limitativement, les cas dans lesquels il est possible de recourir au contrat de travail à durée déterminée : remplacement d'un salarié absent, accroissement temporaire d'activité, emplois à caractère saisonnier ou pour lesquels il est d'usage de ne pas recourir au CDI. Cette dernière hypothèse contient deux cas indépendants : le contrat de travail à durée déterminée d'usage (dans certains secteurs d'activité énumérés par le législateur ou les conventions et accords collectifs de travail) et le contrat de travail à durée déterminée saisonnier.

C'est la jurisprudence, reprenant une circulaire (circulaire DRT n° 90-18 du 30 octobre 1990 N° Lexbase : L2859AIQ), qui a donné une définition du contrat de travail saisonnier.

  • Caractère limitatif des hypothèses de recours au contrat de travail saisonnier

Les juges considèrent, ainsi, que le caractère saisonnier ne peut être retenu que lorsque l'emploi concerne des tâches normalement appelées à se répéter chaque année au rythme des saisons ou des modes de vie collectifs, qualification régulièrement admise en présence d'une activité touristique (Cass. soc., 12 octobre 1999, n° 97-40.915, Société nouvelle d'exploitation de la Tour Eiffel c/ Mme Gimbert, publié N° Lexbase : A4714AGP ; Bull. civ. V, n° 373) mais rejetée lorsque l'entreprise produit en toute saison (Cass. soc., 26 octobre 1999, n° 97-42.776, Etablissements Georges David c/ Mme Rondier, publié N° Lexbase : A4771AGS ; Bull. civ. V, n° 400).

L'élément déterminant, outre l'indépendance de la volonté de l'employeur, est le caractère cyclique de l'activité. D'après cette définition, c'est, théoriquement, la régularité du cycle (d'accroissement de l'activité, de production) qui permet de conclure un contrat de travail saisonnier (Cass. soc., 9 mars 2005, n° 02-44.706, FS-P+B N° Lexbase : A2507DHC).

Cette affirmation semble devoir, désormais, être nuancée à la lecture de la décision commentée.

  • Espèce

Dans cette espèce, une salariée avait été embauchée en 1997 par contrats de travail à durée déterminée successifs. Le terme du dernier contrat conclu ayant été dépassé, la relation de travail s'était poursuivie en une relation à durée indéterminée, relation à laquelle l'employeur avait mis un terme en procédant au licenciement de la salariée. Cette dernière, contestant la rupture de son contrat, avait saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes.

La Cour de cassation confirme la décision de la cour d'appel en ce qu'elle a condamné l'employeur à verser à la salariée une indemnité de requalification. Elle rappelle que, lorsque le contrat de travail à durée déterminée devient un contrat de travail à durée indéterminée du seul fait de la poursuite de la relation contractuelle après l'échéance de son terme, le salarié ne peut plus prétendre à une indemnité de requalification, hors les cas où sa demande en requalification s'appuie sur une irrégularité du contrat de travail à durée déterminée initial ou de ceux qui ont fait suite. Or, dans l'espèce commentée, la requalification trouvait son fondement dans la violation des dispositions de l'article L. 122-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5451ACU). L'indemnité de requalification était donc due.

La Haute juridiction confirme, également, la décision des juges du fond de ne pas requalifier l'intégralité de la relation de travail refusant, par là même, de prendre en considération la date de conclusion du premier contrat de travail à durée déterminée.

Elle considère, en effet, que la salariée avait été employée sans discontinuer uniquement de 2001 à la date de son licenciement, au titre de deux contrats de travail à durée déterminée, en premier lieu, et au titre d'un contrat de travail à durée indéterminée, en second lieu. La requalification ne pouvait, donc, prendre effet qu'à partir de 2001 et non de 1997, date de conclusion du premier contrat à durée déterminée.

La salariée avait, également, demandé la requalification de ses contrats de travail à durée déterminée en portant sa contestation sur l'irrégularité de leur motif et, singulièrement, ceux à caractère saisonnier.

La Cour de cassation refuse de suivre les juges du second degré sur ce point. Après avoir rappelé que le caractère saisonnier d'un emploi concerne des tâches normalement appelées à se répéter chaque année à des dates à peu près fixes, en fonction du rythme des saisons ou des modes de vie collectifs, elle souligne que la société de pizzas employant la salariée n'avait pas d'activité saisonnière, mais devait seulement faire face à un accroissement périodique de production.

Cette dernière solution ne peut qu'être approuvée, même si elle est de nature à privilégier la qualification d'accroissement temporaire d'activité par rapport à celle de contrat saisonnier.

2. Cloisonnement du contrat de travail saisonnier

  • Distinction contrat de travail saisonnier/accroissement temporaire d'activité

Le contrat de travail saisonnier ne peut être conclu que pour pourvoir des tâches appelées à se répéter chaque année à des dates à peu près fixes, en fonction d'un cycle à peu près prévisible. Cette régularité du cycle et la prévisibilité de l'activité de l'entreprise sont traditionnellement les éléments relevés par la doctrine et retenus par les juges, comme permettant de distinguer le contrat saisonnier du contrat conclu pour faire face à un accroissement temporaire d'activité.

L'intervention de l'employeur dans le cycle doit, également, être prise en compte puisqu'elle est exclusive de cette qualification. Lorsque la répétition du surcroît d'activité résulte de la volonté de l'employeur (ce qui est, par exemple, le cas lorsque celui-ci fait des publicités ou des promotions), il y a lieu de justifier le recours au contrat de travail à durée déterminée par un accroissement temporaire d'activité, le caractère saisonnier ne pouvant être retenu sous peine de requalification (Cass. soc., 4 mai 1993, n° 89-43.379, SPMA c/ Mme Dubois, inédit N° Lexbase : A1702AAB).

Ce dernier élément était, d'ailleurs, mis en avant dans la décision commentée. Les juges du fond avaient, en effet, relevé que la périodicité de l'activité tenait aux habitudes de la clientèle, ce qui tendait à montrer que l'employeur y était extérieur. Cette extériorité, si elle participait à la régularité du caractère saisonnier des contrats de travail à durée déterminée conclus, n'était pas suffisante.

La question se pose de la cause du refus de la Cour de cassation de reconnaître la qualification de contrat saisonnier au contrat de travail à durée déterminée conclu par la salariée. Les statistiques versées au débat ne confirmaient-elles pas des accroissements ponctuels en janvier, mars et mai et juillet à septembre ? Ces cycles n'étaient-ils pas suffisants pour autoriser la qualification de contrat saisonnier ? Est-ce le caractère plus ou moins important de l'accroissement d'activité qui a fait obstacle à cette qualification ?

  • Une solution attendue

Il semble que non, et une telle solution était annoncée. Dans une décision, la Haute juridiction avait refusé l'existence d'une activité saisonnière à une entreprise productrice, en toute saison, de produits plastiques correspondant à divers et multiples usages (Cass. soc., 26 octobre 1999, précité). C'est, dans cette espèce, le fait que l'activité de l'entreprise ait lieu tout au long de l'année qui avait fait obstacle à la qualification.

La confirmation de cette limite portée aux hypothèses d'admission du recours au contrat de travail à durée déterminée n'est pas sans inconvénient. Elle n'est pas, en effet, de nature à rendre aisée la distinction, que l'on croyait bien établie, entre contrats de travail saisonniers et contrats de travail pour accroissement temporaire d'activité. Elle est, en outre, de nature à limiter le recours au contrat saisonnier.

Dans le doute, mieux vaut conclure un contrat de travail à durée déterminée pour accroissement temporaire d'activité. Cette qualification vaut que l'activité soit ou non saisonnière ; elle dépend seulement d'un surcroît temporaire de travail, alors que l'inverse emporte la requalification de la relation en une relation à durée indéterminée.

Décision

Cass. soc., 5 décembre 2007, n° 06-41.313, Mme Véra Canet, F-P+B (N° Lexbase : A0414D3Q)

Rejet (CA Aix-en-Provence, 9ème ch., sect. B, 30 octobre 2007)

Textes concernés : C. trav., art. L. 122-3-10 (N° Lexbase : L9643GQ9), L. 122-3-13 (N° Lexbase : L5469ACK), L. 122-1-1 (N° Lexbase : L9607GQU) et L. 122-1 (N° Lexbase : L5451ACU).

Mots-clefs : contrat de travail à durée déterminée ; contrat saisonnier ; refus de qualification ; activité annuelle de la société.

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