La lettre juridique n°286 du 20 décembre 2007

La lettre juridique - Édition n°286

Éditorial

Maternité pour autrui : une reconnaissance à pas forcés

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N5589BDD

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

Le 27 Mars 2014


En vertu des principes de confiance et de réciprocité sur lesquels se fondent les relations internationales, les actes de l'état civil étrangers produisent leurs effets de plein droit en France, qu'ils concernent des Français ou des étrangers, à la triple condition d'avoir été établis conformément à la loi locale, traduits et authentifiés. Cependant, ils ne peuvent être mentionnés en marge d'un acte français qu'avec l'autorisation du procureur de la République territorialement compétent. La preuve du respect de la loi locale incombe à la personne qui produit une copie ou un extrait de l'acte étranger. Elle est le plus souvent établie par un certificat de coutume, attestation délivrée par toute personne paraissant posséder une connaissance juridique suffisante.

Le service civil du parquet du tribunal de grande instance de Nantes assure un contrôle rigoureux de la validité non seulement des actes de l'état civil établis par le service central et les postes diplomatiques ou consulaires français, mais aussi des actes de l'état civil étrangers. Le contrôle de la validité des actes de l'état civil étrangers occupe une part croissante de l'activité de ce tribunal, qu'il s'agisse du service civil du parquet ou de la première chambre civile. Le parquet du tribunal de grande instance de Nantes est saisi par les consulats pour valider ou invalider leurs décisions de refus de transcription fondées sur l'irrégularité d'actes de l'état civil étrangers, leur caractère apocryphe, ou l'inexactitude des événements d'état civil qu'ils relatent. Il a ainsi reçu environ 1 500 dossiers de ce type en 2006, qui concernaient pour la plupart des actes de naissance. Ces dossiers sont complexes.

En témoigne encore, cette décision fortement médiatisée, rendue le 25 octobre 2007 par la cour d'appel de Nantes, qui ouvre une brèche et apporte une première solution au douloureux problème de l'interdiction de recourir, en France, à la maternité pour autrui. En effet, comme l'analyse, cette semaine Nathalie Baillon-Wirtz, Maître de conférences à l'université de Reims Champagne Ardenne, la cour accepte de transcrire dans les registres de l'état civil français, une décision de justice américaine conférant à des époux français la qualité de père et mère de deux enfants à naître portés par la gestatrice et issus d'une fécondation in vitro des gamètes de celle-ci et de l'époux, après avoir constaté que les énonciations des actes transcrits sont exactes au regard des termes du jugement étranger. La cour relève, en outre, que la non-transcription des actes de naissance aurait des conséquences contraires à l'intérêt supérieur des enfants qui, au regard du droit français, se verraient priver d'actes d'état civil indiquant leur lien de filiation, y compris à l'égard de leur père biologique.

Exit la loi bioéthique du 29 juillet 1994 instaurant une prohibition de la maternité de substitution et de la gestation pour le compte d'autrui au sein du Code civil ? Exit la décision de l'Assemblée du 31 mai 1991, par laquelle une convention qui prévoit l'accueil à son foyer d'un enfant conçu en exécution d'un contrat tendant à l'abandon à sa naissance par sa mère porte atteinte au principe d'ordre public de l'indisponibilité du corps humain et à celui de l'état des personnes et constitue un détournement de l'institution de l'adoption ?

Certes, pas encore. Mais, l'intérêt supérieur de l'enfant, consacré par la Convention de La Haye, obligerait, ainsi, le législateur français à se confronter non seulement aux droits internationaux de l'enfant, mais, de manière plus pragmatique, le confronterait à son isolement progressif sur cette question. A partir du moment où, mondialisation aidant, des candidats à "l'expatriation gestatrice" se rendent aux Etats-Unis, en Grèce, en Israël, en Russie, en Argentine, au Chili ou au Canada, et recourent à la maternité pour autrui, pour avoir, enfin, un enfant, et peuvent voir leur parenté reconnue en Afrique du Sud, en Australie, au Brésil, en Belgique, au Danemark et aux Pays-Bas... Quelle force et quelle légitimité internationale peut bien recouvrir la prohibition française du recours aux mères porteuses (terme impropre, mais ainsi communément admis) ?

"La mère porteuse ne prostitue pas plus son corps que la nourrice ne prostitue son lait", avait déclaré la pédiatre et psychanalyste française Françoise Dolto en 1984. Face à un défaut congénital (comme dans le syndrome de Rokitansky), à une hystérectomie, à un syndrome d'Asherman ou à des léiomyomes, comment empêcher des couples de recourir à cette voie de procréation et comment leur dénier tout lien de parenté/filiation avec l'enfant tant désiré et qui vit, au terme d'une procédure contentieuse longue, depuis des années avec les parents qu'une autorité légale étrangère a reconnus comme tels ?

Le débat entre intérêt supérieur de l'enfant menacé "d'amatrie", à l'image de ses apatrides dépourvus de Mère-Patrie, et marchandisation du corps humain risque d'alimenter, encore, la société et les prétoires en attendant une prochaine loi bioéthique prévue en 2009 ?

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Fiscalité des entreprises

[Chronique] Chronique de fiscalité des entreprises

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N5615BDC

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par Frédéric Dal Vecchio, Juriste-Fiscaliste et Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines

Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité en droit fiscal des entreprises réalisée par Frédéric Dal Vecchio, Juriste-Fiscaliste, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. Cette chronique débute par la question du droit au report des déficits et de la règle de l'identité de l'entreprise dans l'hypothèse d'un recentrage d'activité : la question est d'autant plus épineuse qu'elle s'inscrit dans le cadre de la restructuration d'une entreprise. Puis, en matière d'amortissements réputés différés, régime aujourd'hui abrogé, sont abordées les questions relatives à leurs modalités d'imputation. Enfin, il sera traité de la mutation occulte d'un fonds de commerce et de l'application des droits d'enregistrement proportionnels lors de la cession d'une marque notoire et renommée.
  • Droit au report des déficits et règle de l'identité de l'entreprise (CE 3° et 8° s-s-r., 30 novembre 2007, n° 284621, Société Marché actif N° Lexbase : A9628DZM)

Les entreprises soumises à l'IS peuvent reporter les déficits subis pendant un exercice sur le bénéfice des exercices suivants, sauf à opter pour le régime du report en arrière (carry-back) : pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2004, le législateur a consacré le droit au report illimité des déficits des sociétés soumises à un tel régime d'imposition.

Mais le droit fiscal est une discipline réaliste : la règle dite de l'identité de l'entreprise en est l'illustration. Certains événements sont susceptibles d'entraîner l'application du régime de la cessation d'entreprise. Ainsi, aux termes de l'article 221-5 du CGI : "Le changement de l'objet social ou de l'activité réelle d'une société emporte cessation d'entreprise" (CGI, art. 221-5 N° Lexbase : L4150HLB). Des conséquences apocalyptiques s'ensuivent : imposition immédiate des plus-values latentes et des provisions, sauf application du régime de l'article 221 bis du CGI (N° Lexbase : L2497HNS), interdiction du report des déficits générés par l'activité initiale.

Apparue durant les seventies, la règle de l'identité d'entreprise, qui fut à la base une création prétorienne (CE 9° et 7° s-s-r., 26 novembre 1971, n° 79981, Société X c/ Ministre des Finances N° Lexbase : A8151B8E), vise à permettre le report des déficits uniquement sur les résultats ultérieurement constatés d'une entreprise économiquement semblable.

Cette notion, qui ne relève pas du droit, est difficile à appréhender : comment reconnaître à coup sûr une entreprise qui n'aurait pas "subi, dans son activité, des transformations telles qu'elle [ne serait] plus, en réalité, la même" ? On relèvera, par ailleurs, que cette notion de "réalité" économique semble renvoyer à l'illusionnisme du droit...

Confronté à ces interrogations métaphysiques, le juriste français n'est cependant pas seul dans l'univers : cette question se joue des frontières puisqu'elle taraude également nos voisins allemands, qui connaissent un régime équivalent à celui de l'identité d'entreprise, générateur d'infinis questionnements (J. Viegener, La réforme fiscale 2008 en Allemagne, Dr. fisc. 2007, 6 décembre 2007, comm. 1020, p. 10 (1)).

Par étapes successives, le juge de l'impôt a apporté sa touche et les décisions qu'il a adoptées démontrent qu'il a su faire preuve de discernement : il eût été paradoxal, et particulièrement dommageable, d'empêcher les entreprises françaises de se restructurer pour des motifs tenant à leur coût fiscal.

Ainsi, dans la décision "SARL Sophie B" (CE 3° et 8° s-s-r., 18 mai 2005, n° 259275, SARL Sophie B N° Lexbase : A3450DIM), le Conseil d'Etat a estimé qu'un commerce de prêt-à-porter proposant à sa clientèle des articles de la marque "Benetton" laissant place, après plusieurs années d'interruption, à un commerce d'habillement et d'articles de sport sous l'enseigne "Sport 2000", ne pouvait être regardé comme un changement d'entreprise. Censurant les juges du fond (CAA Douai, 3ème ch., 4 juin 2003, n° 02DA00781, SARL Sophie B N° Lexbase : A4754C9X), la requérante voit alors son droit reconnu à imputer les déficits générés par la vente des vêtements de prêt-à-porter sur les bénéfices issus de l'exploitation de l'enseigne de sport (comp. : CAA Lyon, 2ème ch., 28 décembre 2006, n° 02LY02391, Société Becton Dickinson and Compagny N° Lexbase : A5925DTM ; CAA Nantes, 1ère ch., 13 mars 2006, n° 03NT00846, SARL MK N° Lexbase : A9051DPW).

En revanche, la règle de l'identité d'entreprise entraîne des conséquences particulièrement sensibles lors de changements substantiels de l'activité de l'entreprise. Il en est ainsi dans l'hypothèse d'une fusion-absorption d'une filiale par une société-mère holding dont l'activité de gestion de portefeuilles disparaît au profit d'une nouvelle activité : en conséquence, la société absorbante perd le droit au report de ses déficits (CAA Douai, 18 mars 2004, n° 01DA01065, SA Sodeleg N° Lexbase : A8988DBI ; v. également : CAA Nantes, 1ère ch., 30 juin 2000, n° 96NT01323, Ministre de l'Economie et des Finances c/ SA La Fourmi N° Lexbase : A6409BHT). La solution est également la même lorsque l'entreprise a filialisé ses activités de production et de commercialisation au moyen de deux apports partiels d'actifs (CAA Nancy, 2ème ch., 1er avril 2004, n° 99NC02308, Société Depreux Systems N° Lexbase : A8203DBG).

Au cas particulier, les faits exposés dans la décision rendue par le Conseil d'Etat sont relatifs à l'acquisition, lors de la création de la société requérante, de dix supermarchés afin d'y implanter des points de vente au détail de produits de boucherie-charcuterie. Après avoir exploité les supermarchés en question pendant une à deux années, le contribuable les a progressivement revendus tout en conservant les points de vente de produits de boucherie-charcuterie.

L'administration fiscale, à la suite d'une vérification de comptabilité, a regardé la société requérante comme ayant subi des transformations telles qu'elle ne pouvait plus être considérée comme étant la même.

Cette analyse a été confirmée par la juridiction d'appel (CAA Nancy, 2ème ch., 30 juin 2005, n° 02NC00293, SARL Marché actif N° Lexbase : A6534DLL) qui s'appuyait sur les éléments de fait suivants :

- vente des supermarchés exploités depuis 1991 afin de se consacrer exclusivement à la vente de produits de boucherie, de charcuterie et de traiteur d'origine industrielle ;

- chute du chiffre d'affaires de 80 % et réduction du nombre des employés des deux tiers à la suite de la restructuration.

Pour les juges du fond, la date du changement d'activité correspondait à la modification statutaire à la suite de la vente du dernier fonds de commerce en avril 1993.

Cette décision est censurée pour erreur de qualification juridique par le Conseil d'Etat dès lors que "l'activité préexistante sur laquelle la société s'était recentrée représentait une part minoritaire mais non marginale de son activité initiale".

Se fondant sur les dispositions de l'article L. 821-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3298ALQ), la Haute juridiction administrative règle l'affaire au fond en prononçant la décharge de l'imposition car la société requérante "s'est bornée, abandonnant une partie de son activité initiale, à poursuivre l'exploitation de la partie de cette activité qu'elle a conservée".

Heureuse issue pour le contribuable mais des interrogations subsistent : quels sont les critères permettant de distinguer à coup sûr une activité "marginale" ?

Ne faudrait-il pas considérer, en présence d'une activité qui paraîtrait être marginale, que le niveau de chiffre d'affaires, aussi insignifiant semblerait-il être, ne devrait pas constituer un critère absolu dès lors que l'entreprise aurait déployé une intense activité qui n'aurait peut-être pas (encore) généré tous ses effets ?

  • Amortissements réputés différés : modalités d'imputation (CE 9° et 10° s-s-r., 12 novembre 2007, n° 266206, M. Guiraud N° Lexbase : A5792DZK ; CAA Bordeaux, 4ème ch., 4 septembre 2007, n° 05BX00999, M. Borgel N° Lexbase : A7634DYE)

Les amortissements sont une grande famille : certains sont qualifiés d'amortissements réellement différés, ce qui signifie qu'ils n'ont pas fait l'objet d'un enregistrement comptable. D'autres, pour les exercices ouverts jusqu'au 31 décembre 2003, reposaient sur une notion purement fiscale et étaient alors qualifiés d'amortissements réputés différés (ARD) : faisant l'objet d'une option, ils étaient régulièrement constatés en comptabilité lors d'un exercice fiscalement déficitaire. Les ARD permettaient à une entreprise de voir une partie de ses déficits reportés indéfiniment : cette conséquence était importante si l'on prend l'exemple des sociétés relevant de l'IS dont les déficits ne pouvaient, jusqu'alors, être compensés qu'avec des bénéfices constatés jusqu'au cinquième exercice qui suivait l'exercice déficitaire. Ainsi, ces ARD relevaient d'une gestion fine : pour éviter la "banalisation" des amortissements réputés différés, c'est-à-dire l'application du régime de droit commun des déficits, l'entreprise soumise à l'IS devait prendre un certain nombre de précautions avant toute opération de restructuration se traduisant par le transfert ou la reprise d'activités, dont le "rajeunissement" des ARD consistant à déduire du résultat imposable les ARD avant les amortissements de l'exercice (2).

Cette gymnastique des déficits n'est plus de mise puisque, d'une part, les ARD ont été supprimés et que, d'autre part, pour les entreprises relevant de l'IS, la limitation à cinq exercices du droit au report en avant des déficits a laissé place, à compter des exercices ouverts à partir du 1er janvier 2004 (3), à un régime de report illimité dans le temps (CGI, art. 209 N° Lexbase : L2719HWM).

En revanche, s'agissant des entreprises relevant de l'IR, la suppression du régime des ARD n'est pas une bonne nouvelle, dès lors que le déficit est considéré comme une charge du revenu global de l'associé ou de l'entrepreneur individuel reportable sur six ans uniquement.

Malgré leur disparition de l'ordonnancement juridique, les ARD laissent dans leur sillage un contentieux quant à leur application.

1. ARD et exercice d'une option (CAA Bordeaux, 5 février 2004, n° 00BX00105, M. Pierre Guiraud N° Lexbase : A5016DBE)

Le régime des amortissements réputés suppose l'exercice d'une option par le contribuable qui ne peut être qu'expresse. C'est ce que rappelle la juridiction du fond en décidant que le contribuable, qui exerçait une activité individuelle, devait mentionner les amortissements qu'il réputait différés dans les tableaux de la liasse fiscale afin de les individualiser.

Cette jurisprudence est conforme à celle élaborée par le Conseil d'Etat pour les sociétés (CE Contentieux, 12 février 1992, n° 78401, Société hôtelière Lutetia Concorde N° Lexbase : A5227ARZ) et à la doctrine administrative (DB 4 D 154, 26 novembre 1996, § 5).

L'option exercée emportait d'importantes conséquences en particulier quant à la situation des associés de sociétés de personnes qui en était l'illustration la plus topique : "l'exercice de cette faculté [faisait] obstacle à la transformation ultérieure des amortissements réputés différés en déficits ordinaires" imputables sur les résultats des associés (TA Dijon 10 mars 1998, n° 96-7605 et 96-7606, 2ème ch., SNC Logidis-Sud-Est : RJF juin 1998 n° 647 ; TA Paris 10 décembre 1998, n° 94-7465, 1ère sect., 2ème ch, Société NMB Lease International BV : RJF juin 1998 n° 678 ; v. pour une SA membre d'un GIE : CE Contentieux, 10 janvier 1992, n° 80158, Société anonyme Bernard N° Lexbase : A5174AR3).

En d'autres termes, s'agissant des sociétés de personnes relevant de l'IR, les déficits ordinaires étaient répartis entre les associés alors que les ARD ne pouvaient s'imputer que sur les résultats bénéficiaires ultérieurement constatés par l'entreprise : comme toute décision de gestion, il s'agissait alors de bien en mesurer les conséquences.

2. ARD et modalités d'imputation

- ARD et société de personnes (CAA Bordeaux, 4ème ch., 4 septembre 2007, n° 05BX00999, M. Jean-Claude Borgel)

A la question relative aux modalités d'imputation des ARD constitués par une société de personnes, la jurisprudence répond qu'ils ne peuvent être imputés sur des résultats autres que bénéficiaires. Ainsi, les juges du fond ont approuvé l'administration fiscale d'avoir remis en cause l'imputation d'ARD constatés par une société en nom collectif majorant ainsi son déficit fiscal. Cette décision est comparable à celle adoptée par la juridiction d'appel nantaise dans une récente affaire (CAA Nantes, 1ère ch., 29 juin 2006, n° 05NT01335, M. Raymond Sauvage N° Lexbase : A3924DRR).

- ARD et entreprise individuelle (CE 9° et 10° s-s-r., 12 novembre 2007, n° 266206, M. Guiraud N° Lexbase : A5792DZK)

Les faits de l'espèce soumis au Conseil d'Etat rapportent qu'un contribuable, exerçant une activité d'entrepreneur de maçonnerie, avait limité l'imputation des ARD sur son bénéfice commercial à un montant de 74 910 francs (11 420 euros), sur un total de 198 772 francs (30 303 euros), alors que le bénéfice s'élevait à 159 145 francs (24 109 euros), pour imputer sur un revenu global de 177 139 francs (27 005 euros) son déficit global de 58 640 francs (8 940 euros). L'administration fiscale, après contrôle sur pièces, a contesté les modalités d'imputation des ARD pour l'exercice concerné ; ce qui a entraîné une diminution des ARD imputés sur l'exercice suivant et, corrélativement, un rehaussement du bénéfice de l'entreprise individuelle.

Le juge de cassation considère alors que "le déficit constaté dans une catégorie de revenus est exclusivement déductible du revenu global et que les amortissements réputés différés en période déficitaire doivent être portés en charges du premier exercice venant à être bénéficiaire à concurrence du montant intégral du bénéfice de cet exercice avant imputation des amortissements réputés différés, le solde éventuel desdits amortissements étant déductible, successivement et dans les mêmes conditions, des exercices bénéficiaires suivants" (CE 9° et 10° s-s-r., 12 novembre 2007, n° 266206, M. Guiraud N° Lexbase : A5792DZK).

Pour le Haut Conseil, l'administration est alors bien fondée à considérer que les ARD venaient en compensation avec l'entier bénéfice pour l'exercice N de sorte qu'elle pouvait réduire le solde des ARD imputable pour l'exercice N+1 et rehausser le bénéfice imposable en conséquence.

  • Mutation occulte de l'universalité d'un fonds de commerce (Cass. com., 23 octobre 2007, n° 06-18.570, F-P+B N° Lexbase : A8518DY7)

La décision "Société Bongrain" rendue par la Cour de cassation nous offre l'opportunité de mettre, à nouveau, en valeur l'importance des qualifications juridiques de droit privé quant à la solution fiscale adoptée et plus spécialement le droit de la propriété industrielle.

Le 30 juin 2000, la société Boursin a conclu deux conventions, au profit de la société Bongrain, ayant pour objet la cession de droits de possession industrielle (4) afférents à la fabrication du fromage "Boursault" ainsi que la marque "Boursault" ; toutes deux soumises au droit fixe de 75 euros (5) (CGI, art. 731 N° Lexbase : L7993HLM). Puis, le même jour, un troisième acte fut conclu entre la société Boursin et la société Nouvelle commerciale Boursin, en qualité de cédantes, et la SAS Bongrain Gérard, en tant que cessionnaire, portant sur la cession de la clientèle, le matériel et les objets mobiliers servant à l'exploitation de la marque "Boursault" soumis aux droits proportionnels d'enregistrement (CGI art. 719 N° Lexbase : L2557HNZ).

L'administration fiscale ne l'a pas entendu ainsi : elle a remis en cause l'assujettissement de la cession des droits de possession industrielle et de la marque au droit fixe en notifiant un redressement au titre des droits proportionnels d'enregistrement.

Au contraire, la société requérante estimait que les droits proportionnels d'enregistrement ne pouvaient être applicables qu'aux seuls droits de possession industrielle cédés en même temps que le fonds de commerce dont ils dépendaient ou, s'agissant des marques, lorsque la clientèle qui leur était attachée était également transmise au cessionnaire. Or, si la société requérante, la société Bongrain, a bien acquis la marque "Boursault" et les droits de possession industrielle au moyen de deux contrats, la clientèle attachée à la marque et les éléments nécessaires à l'exploitation ont été acquis par une société tierce, la SAS Bongrain Gérard, au moyen d'une troisième convention.

Précisons qu'il existe une distinction à opérer entre la cession d'une marque de fabrique ou de commerce non exploitée (6) ou exploitée : cette dernière relève alors des droits d'enregistrement proportionnels de l'article 719 du CGI (7). Mais il a été jugé, à l'orée des années 90, que la cession d'une marque (de fromage...) ne pouvait relever du champ d'application de l'article 719 du CGI dès lors que le cédant n'était titulaire d'aucune clientèle attachée à ladite marque (Cass. com., 30 octobre 1989, n° 88-13.824, Directeur général des Impôts c/ Société des Fromageries Lutin Sofrol N° Lexbase : A9749AYQ). Il en est de même quant à la cession d'autorisations de mise sur le marché et de visas d'une spécialité pharmaceutique qui ne pouvait relever des dispositions de l'article 719 du CGI, dès lors qu'il n'y avait pas de clientèle attachée aux éléments cédés (CA Paris, 1ère ch., sect. B, 25 mai 2007, n° 05/03183, SAS Rambaxy Pharmacie Génériques N° Lexbase : A1003DXG).

En réponse, le raisonnement de la Cour de cassation s'appuie à la fois sur la doctrine administrative et sur le droit de la propriété industrielle.

D'une part, la Cour de cassation reprend à la lettre la doctrine administrative précisant que le droit fixe n'est pas applicable "lorsque la marque est cédée en même temps que le fonds qui l'exploite, elle constitue [alors] un élément du fonds de commerce et supporte avec l'ensemble des autres éléments, le droit de mutation applicable aux cessions de fonds de commerce" (8).

D'autre part, la Cour régulatrice retient que la marque a fait l'objet d'une exploitation antérieure par le cédant : bénéficiant ainsi "d'une renommée et d'une notoriété certaines", qualifications découlant du droit de la propriété industrielle, une clientèle propre lui était nécessairement attachée.

En effet, la notoriété signifie que la marque est connue d'une large fraction du public (CA Paris, 4ème ch., sect. A, 15 décembre 1992, Société de droit italien Guccio Gucci c/ Guccio Gucci et autre : RJDA mars 1993 n° 272) car, par essence, la marque notoire induit nécessairement une exploitation auprès d'une clientèle. Et l'élément essentiel caractérisant le fonds de commerce (9) est... la clientèle (10) : sans elle, il n'y a point de fonds de commerce (dans ce sens : E. du Pontavice et J. Dupichot, Traité de droit commercial, Tome premier, Montchrestien, 4ème édition, 1988, p. 551 (11) ; comp. : L. Vogel, Traité de droit commercial, M. Germain (dir.), LGDJ, Tome 1 volume 1, 2002, p. 329 (12) ; A. Reygrobellet, Fonds de commerce, Dalloz Action, 2005-2006, § 12.13 (13)).

Par conséquent, la cession litigieuse relevait bien du champ d'application de l'article 719 du CGI dès lors que la marque était le support d'une clientèle.

La Cour de cassation écarte, également, l'argumentation relative à l'existence de plusieurs conventions conclues par différentes parties, dès lors qu'il s'agissait d'une mutation occulte du fonds de commerce (comp. : CA Paris, 1ère ch., sect. B, 3 octobre 2002, n° 008972, Dr. fisc. 2003 comm. 170 : "l'opération réalisée par les parties a [...] revêtu un caractère global permettant d'estimer que les différentes cessions intervenues concomitamment étaient indivisibles et a caractérisé une mutation à titre onéreux de fonds de commerce avec transfert effectif de clientèle" justifiant, en l'espèce, l'assujettissement au droit proportionnel de l'article 719 du CGI ; v. également l'hypothèse de cessions successives séparées dans le temps analysées comme une seule opération qualifiée de mutation occulte : Cass. com., 21 octobre 1997, n° 95-19.911, M. Jean-Pierre Chauvière c/ M. Le Directeur général des Impôts N° Lexbase : A6655BL3).

Sur le plan procédural, l'abus de droit rampant ne pouvait être soulevé par le contribuable (LPF, art. L. 64 N° Lexbase : L5565G4U ; CE Contentieux, 21 juillet 1989, n° 59970, Ministre du budget c/ Bendjador N° Lexbase : A0784AQ4), l'administration fiscale n'invoquant aucune dissimulation (Cass. com., 19 septembre 2006, n° 04-17.843, F-D N° Lexbase : A2976DRN ; comp. : cassation pour refus d'application de l'article L. 64 du LPF à une mutation secrète de fonds de commerce "déguisé" sous forme de contrat de concession de licence : Cass. com., 9 juin 2004, n° 01-11.964, Société Prominox (14) c/ Directeur général des Impôts, F-P+B N° Lexbase : A6061DCH).

Rendons grâce à l'un des fleurons de la fromagerie industrielle française de nous avoir offert une nouvelle illustration du caractère de superposition du droit fiscal puisque la qualification de marque notoire ou renommée, qualification de droit privé relevant du droit des signes distinctifs, a déterminé le sens de la présente solution rendue par la Cour de cassation.


(1) "[En Allemagne,] cette définition de l'identité économique de l'entreprise, introduite en 1990, a donné lieu à un vaste contentieux, en raison des difficultés d'interprétation des critères légaux. La disposition risque même d'être considérée comme contraire à la Constitution, une question préjudicielle étant posée par la Cour fédérale des finances à la Cour constitutionnelle fédérale".
(2) D. adm. 4 D-1542 n° 13 à 16, 26 novembre 1996.
(3) Loi n° 2003-1311 du 30 décembre 2003, art. 89 (N° Lexbase : L6348DM3).
(4) "La pratique a mis en oeuvre, à coté des droits de propriété industrielle (brevets d'invention, marques de fabrique, etc.) des droits de possession industrielle' qui concernent des éléments brevetables ou non, maintenus secrets, tels que savoir-faire ou manière de faire (know-how), secrets de fabrication, tours de main, etc.. Les droits en cause sont généralement représentés par des cahiers-journaux, rapports d'essai, plans d'appareillage, schémas de fabrication, dessins industriels, etc., qui peuvent être insérés dans des plis cachetés (enveloppes Soleau) et déposés à l'Institut national de la propriété industrielle. Les titulaires des droits sont ainsi en mesure d'établir leur priorité de connaissance ou d'utilisation des procédés, ce qui leur permet de continuer à les exercer personnellement malgré une prise de brevet. Les droits de possession industrielle ne bénéficient pas de la protection juridique attachée aux brevets d'invention et ils confèrent à leurs détenteurs des droits moins étendus que ceux qui appartiennent aux brevetés, notamment quant aux possibilités de cession ou de concession. Ils constituent, néanmoins, des droits incorporels mobiliers s'apparentant étroitement, par leur nature aux brevets d'invention proprement dits" : D. adm. 7 D-2613 n° 1 et 2, 15 juin 2000.
(5) A compter du 1er janvier 2006, le montant du droit fixe visé à l'article 731 du CGI est de 125 euros.
(6) La cession d'une marque non exploitée "donne lieu au paiement de la TVA au vu de la déclaration de taxes sur le chiffre d'affaires du cédant déposée dans les conditions habituelles. Cette règle ne s'oppose pas cependant à la perception d'un droit fixe d'enregistrement (cas des actes sous seing privé présentés volontairement à la formalité ou des actes notariés)" : D. adm. 7 D-2612 n° 4, 15 juin 2000.
(7) A l'exclusion de la TVA : D. adm. 7 D-2612 n° 2, 15 juin 2000.
(8) D. adm. 7 D-2612 n° 3, 15 juin 2000.
(9) La notion de fonds de commerce apparaît pour la première fois dans notre législation dans la loi fiscale du 28 février 1872 : L. Vogel, Traité de droit commercial, M. Germain (dir.), LGDJ, Tome 1 volume 1, 2002, p. 326.
(10) Pour une illustration en matière de mutation secrète et déguisée de fonds de commerce, soulevée par l'administration fiscale, mais ne pouvant relever des droits proportionnels d'enregistrement (CGI, art. 719) en l'absence, imposée par les clauses du bail conclu par les parties, d'une clientèle attachée au fonds de commerce d'une entreprise exploitée dans un centre commercial : "Attendu qu'en statuant ainsi, alors que ne constitue pas un fonds de commerce un établissement sans clientèle propre, le tribunal a violé l'article [1er de la loi du 17 mars 1909]" : Cass. com., 16 janvier 1990, n° 87-20.156, Société Bijouterie Horlogerie Garde c/ M. le Directeur Général des Impôts (N° Lexbase : A9481CTC).
(11) "La clientèle est une donnée de fait laquelle consiste, pour le commerçant, dans la possibilité d'attirer et d'exploiter un certain nombre de clients. C'est l'élément nécessaire du fonds de commerce et il n'y a pas de fonds sans clientèle" [nous soulignons].
(12) "Beaucoup d'auteurs considèrent la clientèle comme un des éléments du fonds de commerce. L'erreur nous paraît certaine. Le fonds n'est pas autre chose que le droit à une clientèle. S'il n'y avait pas de clientèle, il n'y aurait pas de fonds de commerce".
(13) "L'analyse doctrinale classique et la jurisprudence dominante voient, dans la clientèle, l'élément essentiel du fonds de commerce [...]. En réaction, la majorité de la doctrine contemporaine s'accorde pour considérer que la clientèle n'est pas un élément du fonds : elle n'en serait qu'une qualité. De grands commercialistes en ont tiré la conséquence que le fonds de commerce s'analyse comme une propriété incorporelle consistant dans le droit à la clientèle qui est attachée au fonds par les éléments servant à l'exploitation'. [...] La portée pratique de la controverse apparaît toutefois fort limitée. En effet, les partisans de l'une et l'autre des deux thèses en présence clientèle comme résultante ou comme élément privilégié s'accordent pour affirmer l'importance décisive de la clientèle : l'existence du fonds étant liée à l'existence de la clientèle. [...] Au-delà, on peut même se demander si le débat a véritablement un sens, dès lors qu'on admet que la notion vise non pas un ensemble de personnes, plus ou moins identifiables, mais une potentialité de contrats futurs et renouvelés".
(14) Le commentaire anonyme à la RJF précise un point important : "Le redressement de l'espèce était donc différent de ceux dans lesquels l'administration qualifie un acte ou un groupe d'actes selon leur teneur exacte, mais apparente, sans faire appel à la notion de dissimulation. On en a maints exemples en matière de cession occulte de fonds de commerce [Cass. com., 16 juin 1998, n° 96-19.101, M. Roland Tarance c/ M. le Directeur général des Impôts, Ministère de l'Economie et des Finances N° Lexbase : A2690CU8]. Il suffit alors d'établir que les actes réalisent la cession de tous les éléments qui constituent l'universalité mobilière" (RJF novembre 2004, n° 1202).

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Famille et personnes

[Jurisprudence] L'intérêt supérieur de l'enfant et la maternité pour autrui

Réf. : CA Paris, 1ère ch., sect. C, 25 octobre 2007, n° 06/00507, Ministère Public c/ M. M. (N° Lexbase : A4624DZB)

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par Nathalie Baillon-Wirtz, Maître de conférences à l'université de Reims Champagne Ardenne

Le 07 Octobre 2010

Les conventions ayant pour objet la procréation comme la simple gestation pour le compte d'autrui sont prohibées en France et nulles d'une nullité d'ordre public, en application des articles 16-7 (N° Lexbase : L1695ABE) et 16-9 (N° Lexbase : L1697ABH) du Code civil. Absolue et générale, cette interdiction s'applique que la mère porteuse soit également génitrice ou seulement gestatrice, que la convention soit conclue à titre gratuit ou à titre onéreux. Une telle illicéité n'empêche, toutefois, pas des couples en attente d'un enfant de se rendre à l'étranger, notamment dans certains Etats des Etats-Unis, dont la Californie, ou encore au Royaume-Uni, afin de recourir aux techniques de maternité pour autrui. Une fois l'enfant né -ce dernier étant généralement considéré dans le pays étranger comme l'enfant de la femme qui n'a pas accouché-, se pose le problème de la régularisation et de la transcription sur les registres français d'état civil de l'acte de naissance. Le présent arrêt de la cour d'appel du 25 octobre 2007, fortement médiatisé, résout cette interrogation en validant, contre toute attente, la transcription des actes de naissance de deux enfants au motif qu'un refus contreviendrait à leur "intérêt supérieur". "Rachel, voyant qu'elle ne donnait point d'enfant à Jacob, [...] dit : 'Voici ma servante Bilha ; viens vers elle, et elle enfantera sur mes genoux, et j'aurai, moi aussi, des enfants par elle'" (Genèse, 30).

La "maternité pour autrui", expression générale, désigne deux types de pratiques qui ont, néanmoins, pour point commun d'aboutir à ce qu'une femme accouche d'un enfant qu'elle a préalablement accepté d'abandonner au profit d'une autre qui ne peut ou exceptionnellement ne veut pas assurer le processus de procréation et/ou de gestation.

La première de ces techniques, appelée "maternité de substitution", désigne le fait pour une femme d'être inséminée artificiellement avec le sperme d'un homme dont la femme ou compagne est stérile. La mère porteuse est donc, ici, mère à double titre, en tant que génitrice et gestatrice.

La seconde technique, qualifiée de "gestation pour autrui", désigne, en revanche, le fait pour une femme d'assurer la gestation d'un embryon qui lui est génétiquement étranger dans la mesure où il est conçu in vitro avec les gamètes du couple. Dans ce cas, les maternités génétique et "sociologique" correspondent.

Les faits de l'arrêt rapporté mettent en avant la première de ces deux techniques. Par un jugement rendu le 14 juillet 2000, la Cour suprême de Californie confère à des époux français la qualité de père et mère de deux enfants à naître portés par la gestatrice et issus d'une fécondation in vitro des gamètes de celle-ci et de l'époux. Le 25 octobre 2000, deux petites filles naissent dans le comté de San Diego. Conformément à la loi de l'Etat de Californie qui autorise la maternité pour autrui, les certificats et actes de naissance désignent le couple français comme les parents des deux enfants. Si le ministère public n'a pas contesté l'état des enfants et l'opposabilité en France du jugement américain conférant au couple les qualités de père génétique et de mère légale des enfants, il a, en revanche, sollicité l'annulation des actes transcrits sur les registres du service central de l'état civil de Nantes au motif qu'ils contrariaient l'ordre public international.

L'arrêt de la cour d'appel du 25 octobre 2007 juge cette requête irrecevable au motif que les énonciations des actes transcrits sur les registres du service central de l'état civil sont exactes au regard des termes du jugement étranger. Il relève, en outre, que la non-transcription des actes de naissance aurait des conséquences contraires à l'intérêt supérieur des enfants qui, au regard du droit français, se verraient priver d'actes d'état civil indiquant leur lien de filiation, y compris à l'égard de leur père biologique.

Les juges de la cour d'appel retiennent donc deux arguments.

En premier lieu, on ne peut affirmer que les énonciations des actes retranscrits sont inexactes dans la mesure où elles résultent d'un arrêt de la Cour suprême de l'Etat de Californie, lui-même conforme au Code de la famille californien, section 7630 et 7650. A ce titre, l'article 47 du Code civil (N° Lexbase : L1215HWW) dispose que "tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité". Or, tel n'était pas le cas en l'espèce selon la cour d'appel : "le ministère public, qui ne conteste ni l'opposabilité en France du jugement américain ni la foi à accorder, au sens de l'article 47 du Code civil, aux actes dressés en Californie dans les formes usitées dans cet Etat, est irrecevable, au regard de l'ordre public international, à solliciter l'annulation des actes transcrits sur les registres du service central de l'état civil de Nantes".

En second lieu, l'annulation des actes transcrits sur les registres de l'état civil aurait pour conséquence, jugée contraire à l'intérêt supérieur des enfants, de les priver d'un lien de filiation et, plus exactement, d'effacer le lien biologique avec leur père. Les juges se réfèrent ainsi à la Convention internationale des droits de l'enfant (N° Lexbase : L6807BHL), dont l'applicabilité directe en droit interne a été, récemment, reconnue par la Cour de cassation (1). L'article 3-1 dispose, en effet, que "dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale".

L'intérêt supérieur de l'enfant aboutit donc à donner effet à une convention de mère porteuse pourtant interdite en droit français. Sur le fondement des articles 6 (N° Lexbase : L2231ABA), 1128 (N° Lexbase : L1228AB4) et 353 (N° Lexbase : L3988C34) du Code civil, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation a posé en principe, dans un arrêt du 31 mai 1991 (2), que la convention qui prévoit l'accueil à son foyer d'un enfant conçu en exécution d'un contrat tendant à l'abandon à sa naissance par sa mère porte atteinte au principe d'ordre public de l'indisponibilité du corps humain et à celui de l'état des personnes et constitue un détournement de l'institution de l'adoption. Cette jurisprudence a encouragé le législateur à inscrire, à l'occasion du vote de la loi bioéthique du 29 juillet 1994 (loi n° 94-653, relative au respect du corps humain N° Lexbase : L3102AIQ), la prohibition de la maternité de substitution et de la gestation pour le compte d'autrui au sein des Codes civil (C. civ., art. 16-7 et art. 16-9) et pénal (C. pén., art. 227-12 N° Lexbase : L1787AM7).

L'interdiction est, depuis lors, rappelée par les juges. Ainsi, ayant à juger de la requête d'une femme en adoption plénière d'un enfant né douze ans plus tôt d'une maternité de substitution, la première chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt du 9 décembre 2003, a rejeté le pourvoi au motif que "la maternité pour autrui, dont le caractère illicite se déduit des principes généraux du Code civil et, aujourd'hui, de son article 16-7, réalise un détournement de l'adoption" (3).

La voie de l'adoption, tant simple (4) que plénière, ayant été définitivement fermée par la jurisprudence, certains couples ont tenté, une fois revenus en France, de reconnaître l'enfant ou de recourir, comme l'a suggéré la doctrine (5), à la possession d'état aux fins d'établir le lien de filiation. Leurs tentatives ont fréquemment échoué. Ainsi, par un arrêt du 4 juillet 2002 (6), la cour d'appel de Rennes a confirmé la décision du Parquet de contester la reconnaissance maternelle. En l'espèce, un couple, dont la femme ne pouvait assurer la gestation en raison d'une malformation congénitale, s'était rendu en Californie pour y conclure une convention portant sur la gestation d'un embryon issu de ses propres gamètes. A la naissance des deux enfants, la concubine fut inscrite comme la mère sur les registres de naissance de Californie. Quelques semaines plus tard, elle et son compagnon reconnurent les enfants en France. Après avoir été averti de la situation par le consulat général de France à San Francisco, le parquet de Nantes contesta l'acte de reconnaissance maternelle, le considérant comme une fraude à la loi qui interdit l'adoption conjointe par les concubins. En dépit du fondement biologique de la filiation et de la conformité des reconnaissances tant paternelle que maternelle, à la réalité génétique, les juges du fond ont fait droit à la demande de contestation.

S'agissant du recours à la possession d'état, un jugement du tribunal de grande instance de Lille (7) a, récemment, considéré que le ministère public n'a pas commis une voie de fait en refusant de mentionner en marge de l'acte de naissance de l'enfant né d'une mère porteuse la filiation établie par acte de notoriété à l'égard de la femme du couple stérile. En effet, selon l'article 311-2 du Code civil (N° Lexbase : L8857G9W), issu de l'ordonnance du 4 juillet 2005 (ordonnance n° 2005-759, portant réforme de la filiation N° Lexbase : L8392G9P), la possession d'état doit être "continue, paisible, publique et non équivoque". La circulaire du 30 juin 2006 prise en application de l'ordonnance de 2005 affirmant, en outre, que le caractère équivoque de la possession d'état peut résulter d'une fraude ou d'une violation de la loi, notamment en cas de gestation pour le compte d'autrui, le tribunal de grande instance en a conclu que la possession d'état était viciée.

Les demandes d'établissement du lien de filiation tant sur le terrain de l'adoption, "filiation élective", que sur le terrain de la filiation "par procréation" (8) ne pouvant aboutir, l'enfant subit finalement les circonstances de sa conception en se voyant privé d'un droit à la reconnaissance juridique d'une parenté qui serait admise pour tout autre enfant. C'est précisément cet argument qui a convaincu les juges de la cour d'appel de Paris de rejeter la demande en annulation des actes d'état civil ainsi que, dernièrement, la commission des affaires sociales et la commission des lois du Sénat de réfléchir "au problème de la maternité pour autrui" (9). Suivant, notamment, un sondage réalisé en février 2007 selon lequel 53 % des Français sont, aujourd'hui, favorables à la gestation pour autrui (10), MM. les sénateurs About et Hyest ont proposé la création d'un groupe de travail qui pourrait engager ses travaux avant la fin de l'année.


(1) Cass. civ. 1, 22 novembre 2005, n° 03-17.912, M. Olivier Serylo c/ Mme Frédérique Bruno, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7437DLZ), RTD. civ. 2006, p.101, obs. J. Hauser.
(2) Cass. Ass. plén., 31 mai 1991, n° 90-20.105, Procureur général près la Cour de Cassation (N° Lexbase : A7573AHX), G.A.J.C., Dalloz, 11ème éd., t. 1, p. 264, n° 49.
(3) Cass. civ. 1, 9 décembre 2003, n° 01-03.927, Mme Denise Morvan, épouse Dangles c/ Procureur général près la cour d'appel de Paris, F-P (N° Lexbase : A4225DAQ), RTD. civ. 2004, p. 75, obs. J. Hauser.
(4) Cass. civ. 1, 29 juin 1994, n° 92-13563, M. X c/ Mme Y (N° Lexbase : A4713CKR), JCP éd. G, 1995, II, 22362, note J. Rubellin-Devichi.
(5) Fr. Terré et D. Fenouillet, Droit civil, les personnes, la famille, les incapacités, Dalloz, 2005, 7ème éd., n° 931, p.880.
(6) CA Rennes, 4 juillet 2002, D. 2002, p. 2902, note F. Granet.
(7) TGI Lille, 22 mars 2007, Dr. fam. 2007, comm. n° 122, note P. Murat ; D. 2007, p.1251, note X. Labbée.
(8) P. Murat, note précitée.
(9) Communiqué du Sénat du 3 décembre 2007 : "L'évolution des pratiques et des moeurs ainsi qu'une récente décision de justice reconnaissant la filiation entre un couple et des jumelles nées d'une mère porteuse américaine justifient, à leur sens, cette réflexion. Celle-ci pourrait déboucher sur une proposition d'évolution des textes législatifs, sachant que plusieurs Etats-membres de l'Union européenne autorisent désormais la gestation pour autrui - ou simplement ne l'interdisent pas".
(10) Première enquête sur la bioéthique avant la prochaine révision législative, Dr. fam. 2007, Alerte n° 28 : 44 % des personnes interrogées croient également que la pratique est, d'ores et déjà, admise légalement en France.

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Environnement - Bulletin d'actualités n° 6

[Jurisprudence] Bulletin droit de l'environnement du Cabinet Savin Martinet Associés : actualités "la jurisprudence 2007 dans le domaine du droit de l'environnement (jurisprudence administrative, civile, pénale et/ou constitutionnelle)"

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Le 07 Octobre 2010

La jurisprudence de l'année 2007 en matière environnementale fut particulièrement riche, notamment, devant le juge administratif qui a précisé la répartition des compétences entre maire et préfet en matière de police des déchets. Des décisions intéressantes ont, également, été rendues en matière civile et pénale où respectivement, l'application des clauses exonératoires en matière de garantie des vices cachés (pollution) a été précisée, et le principe de la liberté de la preuve en matière de pollution marine consacré. I - Les jurisprudences 2007 en matière civile
  • Limites à l'application des clauses exonératoires de garantie des vices cachés : Cass. civ. 3, 27 mars 2007, n° 06-12.889, M. Michel Picard, F-D (N° Lexbase : A8061DU4)

En principe, tout vendeur garantit les vices que l'acheteur ne pouvait connaître.

Le vendeur peut, néanmoins, s'exonérer de cette obligation en insérant une clause le prévoyant, sauf à avoir eu connaissance du vice caché, auquel cas il ne peut se prévaloir d'aucune exonération.

En l'espèce, le contrat de vente d'une maison construite sur un terrain contaminé par de la radioactivité résultant de l'ancienne affectation des lieux prévoyait une telle clause d'exonération. Mais les vendeurs, ayant affirmé à des journalistes avoir eu connaissance de la contamination à l'achat du bien quelques années plus tôt, et ayant refusé de réaliser lors de la vente les mesures de contrôle préconisées en raison de l'ancienne affectation des lieux, ne pouvaient se prévaloir d'aucune exonération.

L'apport de l'arrêt de la Cour de cassation est de préciser qu'il n'est pas nécessaire d'être un vendeur professionnel, et donc compétent dans le domaine immobilier, pour voir engager sa responsabilité malgré une clause d'exonération de garantie des vices cachés.

  • Interprétation stricte des dispositions de l'article L. 514-16 du Code de l'environnement : Cass. civ. 3, 23 mai 2007, n° 06-11.647, Service départemental d'incendie et de secours de Meurthe-et-Moselle, représentant légal, FS-P+B (N° Lexbase : A5222DWC)

L'article L. 514-16 du Code de l'environnement (N° Lexbase : L2667AN4) prévoit que, lorsque les personnes morales de droit public interviennent, matériellement ou financièrement, pour atténuer les dommages résultant d'un incident ou d'un accident causé par une installation classée pour la protection de l'environnement ou pour éviter l'aggravation de ces dommages, elles ont droit au remboursement, par les personnes responsables de l'incident ou de l'accident, des frais qu'elles ont engagés, sans préjudice de l'indemnisation des autres dommages subis.

En l'espèce, un incendie s'était produit dans les locaux de la société Rimma, exploitante d'un centre de tri de déchets. Le Service départemental d'incendie et de secours de Meurthe-et-Moselle (SDIS), qui était intervenu pour stopper l'incident, a demandé, sur la base de l'article L. 514-16 du Code de l'environnement, le remboursement des frais engagés pour l'intervention à la société Rimma.

La société Rimma, estimant ne pas être responsable de l'incendie en question, demandait au juge que sa créance soit déclarée non-fondée. La Cour de cassation lui donne raison, en considérant que l'article L. 514-16 visait à permettre aux personnes publiques intervenues pour éviter ou atténuer les dommages causés par une installation classée de se constituer partie civile devant les juridictions pénales. Il ne mettait, en revanche, en aucun cas à la charge de l'exploitant de l'installation une obligation de remboursement des frais de secours uniquement fondés sur la nature de l'installation et les risques qu'elle génère, sauf à démontrer la responsabilité de l'exploitant, ce qui n'était pas le cas en l'espèce.

  • Intérêt à agir des associations de protection de l'environnement : Cass. civ. 3, 26 septembre 2007, n° 04-20.636, Société civile immobilière (SCI) Les Chênes, FS P+B+I+R (N° Lexbase : A5754DYR)

La société civile immobilière Les Chênes (la SCI) avait obtenu un permis de construire une maison d'habitation et une piscine.

Ces constructions avaient, selon l'Union départementale pour la sauvegarde de la vie et de la nature (UDVN), été réalisées dans une zone non constructible du plan d'occupation des sols. L'UDVN a alors assigné la SCI en démolition et en remise en état des lieux. Saisie d'une question préjudicielle sur la légalité du permis de construire, la juridiction administrative avait alors déclaré que l'arrêté du maire de la commune était entaché d'illégalité en ce qu'il avait accordé un permis de construire à la SCI dans une zone du plan d'occupation des sols où les constructions étaient interdites.

La SCI contestait le recours de l'UDVN au motif qu'une association ne subirait pas, du fait de la violation d'une règle d'urbanisme portant atteinte à l'intérêt collectif qu'elle s'est donnée pour mission de défendre, un préjudice personnel en relation directe avec l'infraction à ces règles.

De façon attendue, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la SCI au motif "qu'une association peut agir en justice au nom d'intérêts collectifs, dès lors que ceux-ci entrent dans son objet social", l'UDVN étant en l'espèce une association agréée ayant pour objet statutaire la protection de l'environnement.

  • Réticence dolosive et proximité d'une installation classée pour la protection de l'environnement (ICPE) : Cass. civ. 3, 7 novembre 2007, n° 06-18.617, M. Tristan Charroing-Patane, FS-D (N° Lexbase : A4216DZ8)

En vertu de l'article 1116 du Code civil (N° Lexbase : L1204AB9), un acte de vente peut être annulé en cas de dol. A ce titre, le dol peut être constitué par le silence d'une partie dissimulant à son cocontractant un fait qui, s'il avait été connu de lui, l'aurait empêché de contracter.

En l'espèce, des époux avaient acheté à une société un appartement en l'état futur d'achèvement. Ils ont, par la suite, assigné la société venderesse en paiement de dommages et intérêts au motif qu'elle leur aurait dissimulé la présence à proximité de leur logement d'une ICPE dont l'activité venait de débuter.

La Cour de cassation fait droit à la demande des acheteurs en considérant que la dissimulation volontaire par le vendeur de l'existence de l'usine soumise à autorisation ICPE à proximité du bien vendu par le vendeur constituait une réticence dolosive. Le dol existe alors même que les acheteurs, semblait-il, avait eu connaissance de l'existence de l'installation par leurs propres moyens.

Il en ressort que tout vendeur ayant connaissance de l'existence d'une ICPE à proximité d'un bien vendu doit impérativement en informer l'acheteur.

II - Les jurisprudences 2007 en matière pénale

  • Exception à la Convention Marpol et distinction entre navires pétroliers et non pétroliers : Cass. crim., 16 janvier 2007, n° 05-86.580, M. M. , F-P+F (N° Lexbase : A9577DTU)

Un officier de la marine nationale avait constaté, par des observations aériennes, la présence d'une nappe de pétrole dans le sillage du navire portugais l'Arroyofrio Dios, alors qu'il se trouvait au large des côtes bretonnes.

Le commandant du navire se défendait en prétendant qu'il se trouvait dans une des exceptions au principe d'interdiction du rejet d'hydrocarbure prévue par la Convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires du 2 novembre 1973, dite Convention Marpol. Celle-ci prévoit, en effet, que les effluents d'un pétrolier provenant de la salle des machines ne sont pas concernés par l'interdiction par opposition aux effluents en provenance des cales à cargaison.

La Cour de cassation rejette le pourvoi en considérant que "l'interdiction du rejet tient à la teneur des effluents en hydrocarbures et non à la provenance de telle ou telle soute". Cette décision s'explique par le fait qu'il s'agissait en l'espèce d'un navire autre que pétroliers, qui ne sont pas visés par l'exception formulée dans la convention internationale.

  • Non collecte des déchets et infraction pénale : Cass. crim., 30 janvier 2007, n° 06-87.537, inédit (N° Lexbase : A0868D3K)

L'article R. 2224-26 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L1724ALG) dispose que "les déchets volumineux des ménages sont, dans des conditions fixées par le maire, soit collectés porte à porte à date fixe ou sur rendez-vous, soit déposés dans des centres de réception mis à la disposition du public à poste fixe ou périodiquement, soit reçus directement dans une installation de traitement ou de récupération". Le maire définit les conditions de la collecte que les usagers se doivent de respecter.

En l'espèce, la police municipale de Montgeron (Essonne) avait constaté, devant le domicile d'un habitant de la commune, un amoncellement de branchages qui obstruait le trottoir et débordait sur la chaussée. L'enlèvement n'avait pu avoir lieu par les services municipaux faute pour les branchages d'êtres ficelés conformément aux instructions données par le maire. L'intéressé a, alors, été poursuivi pour avoir déposé sans nécessité des objets embarrassant la voie publique.

Sa condamnation est confirmée par la Cour de cassation, en sa qualité de producteur de déchets, dès lors qu'il n'a pas démontré en quoi le dépôt des déchets aurait répondu aux conditions fixées par l'autorité municipale.

Aux termes de l'article L. 218-10 du Code de l'environnement (N° Lexbase : L3414DY4), est puni de dix ans d'emprisonnement et de 1 000 000 d'euros d'amende tout capitaine d'un navire français soumis aux dispositions de la Convention Marpol, se rendant coupable d'infraction aux dispositions des règles 9 et 10 de l'annexe I de la Convention, qui interdisent en principe les rejets d'hydrocarbures.

En l'espèce, deux navires, le Concordia I et le Cimil naviguaient dans l'océan Atlantique pour l'un et dans la mer Méditerranée pour l'autre. Les services de la Marine nationale avaient constaté depuis des aéronefs des traînées irisées derrière les deux navires et leurs capitaines furent poursuivis et condamnés. Les prévenus invoquaient pour leur défense l'absence de mise en place par les autorités françaises d'une procédure obligatoire de recherches et de constatation d'infraction.

La Cour de cassation a rejeté les pourvois en considérant que, "aucun instrument international n'impose qu'il soit dérogé, en matière de rejets illicites d'hydrocarbures, au principe de liberté de la preuve ; que, dès lors, les juges ont pu fonder leur conviction sur un faisceau d'indices tirés de l'aspect de la nappe polluée, de sa position par rapport au navire".

Il ressort de ces arrêts que les observations visuelles de nappes de pétrole suffisent à établir la preuve d'une pollution marine et que le procès-verbal des services de la Marine nationale consignant ces observations font foi jusqu'à preuve contraire.

III - Les jurisprudences 2007 en matière administrative

  • Compétence de principe du maire en matière de déchets : CE 1° et 6° s-s-r., 11 janvier 2007, n° 287674, Ministre de l'Ecologie et du développement durable (N° Lexbase : A4774DTY)

L'article L. 541-3 du Code de l'environnement (N° Lexbase : L1727DK8) prévoit que, "en cas de pollution des sols, de risque de pollution des sols, ou au cas où des déchets sont abandonnés, déposés ou traités contrairement aux prescriptions du présent chapitre et des règlements pris pour leur application, l'autorité titulaire du pouvoir de police peut, après mise en demeure, assurer d'office l'exécution des travaux nécessaires aux frais du responsable".

Le préfet de Loire-Atlantique avait, par arrêté, mis en demeure la société Barbazanges Tri Ouest d'assurer ou de faire assurer l'élimination de 443 tonnes de pneumatiques usagés stockés sur un dépôt situé dans une zone industrielle. Cet arrêté avait été suspendu par ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nantes en raison du doute sérieux sur la légalité de cette décision, née de l'incompétence présumée du préfet pour mettre en oeuvre les pouvoirs prévus à l'article L. 541-3.

La juridiction administrative avait déjà eu l'occasion de préciser que l'autorité titulaire du pouvoir de police des déchets était le maire (CE contentieux, 18 novembre 1998, Jaeger, n° 161612 N° Lexbase : A9030ASA ; CE contentieux, 17 novembre 2004, SGA, n° 252514 N° Lexbase : A9176DD9). Dans l'arrêt du 11 janvier 2007, le Conseil d'Etat précise les conditions d'intervention éventuelle du préfet, en considérant que ce dernier ne peut intervenir, en matière de police des déchets, qu'à titre subsidiaire, en cas de carence de l'autorité municipale, ce qui n'avait pas été établie, ni même alléguée devant le juge des référés nantais.

En vertu de l'article L. 227-4 du Code de l'aviation civile (N° Lexbase : L9054G8T), l'Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires (ACNUSA) peut prononcer des sanctions à l'encontre, notamment, des transporteurs aériens dont les aéronefs ne respectent pas les normes imposées par la règlementation.

La société Corsair s'était vue infliger, par l'ACNUSA, 22 amendes pour un montant total de 33 000 euros pour ne pas avoir respecté certaines mesures prises par le ministre chargé de l'Aviation civile. Elle contestait ces sanctions au motif que leur prononcé n'aurait pas fait l'objet d'une procédure contradictoire devant l'autorité administrative indépendante.

Le Conseil d'Etat a jugé que la personne concernée par les sanctions doit avoir connaissance de l'ensemble des éléments de son dossier durant toute la procédure qui se déroule successivement devant deux organismes collégiaux, la Commission nationale de prévention des nuisances puis l'ACNUSA. Ainsi, afin de garantir le respect des droits de la défense, la personne intéressée doit avoir connaissance de la proposition de sanction de la Commission nationale pour être en mesure de présenter des observations devant l'ACNUSA.

En l'espèce, Corsair n'a pas eu communication de la proposition de sanction formulée par la Commission et n'a pas été mise en mesure de présenter ses observations lors de la réunion au cours de laquelle l'ACNUSA a statué sur la sanction. En conséquence, le Conseil d'Etat a annulé la décision de l'ACNUSA.

  • Sites et sols pollués, propriétaire / détenteur responsable : CAA Bordeaux, 7 mai 2007, n° 03BX01955, SCI CVG Immobilier (N° Lexbase : A8047DXC)

Le 7 mai 2007, la cour administrative d'appel de Bordeaux a jugé que le préfet peut imposer des travaux de réhabilitation au propriétaire d'un terrain pollué par l'exploitation passée d'une installation classée pour la protection de l'environnement (ICPE).

Dans cette affaire, une société civile immobilière (SCI) était devenue propriétaire d'un site sur lequel avaient été exploitées dans le passé, par un tiers, des activités relevant du régime des ICPE. Du fait de la liquidation judiciaire de la société exploitante, le préfet avait adressé à la SCI en sa seule qualité de détentrice de l'installation un arrêté préfectoral lui demandant "de recenser tous les déchets et résidus présents sur le site, de faire procéder à leur élimination par des établissements autorisés, d'établir un mémoire relatif aux conditions de remise en état du site et de faire établir un diagnostic indiquant notamment la nature des mesures prévues en vue de procéder à sa réhabilitation". La SCI avait demandé l'annulation de cet arrêté au motif qu'elle n'avait pas la qualité d'exploitante des activités à l'origine de la pollution.

La cour administrative d'appel ne lui a pas donné raison, jugeant que "ni le principe pollueur-payeur posé par l'article L. 110-1 du Code de l'environnement (N° Lexbase : L2175ANU), ni les dispositions de l'article L. 512-17 du Code de l'environnement (N° Lexbase : L1740DKN) ne font obstacle à ce que soient mises en oeuvre de telles mesures à l'encontre du détenteur de l'installation".

Cet arrêt n'a pas fait l'objet d'un pourvoi devant le Conseil d'Etat.

  • Légalité d'une mise en demeure sans procédure contradictoire : CE 1° et 6° s-s-r., 9 juillet 2007, n° 288367, Ministre de l'Ecologie et du Développement durable c/ Coopérative agricole Vienne - Anjou Loire (N° Lexbase : A2851DXU)

L'arrêté du 4 janvier 2001 du préfet de la Vienne avait mis en demeure la coopérative agricole Vienne - Anjou Loire (CAVAL) de respecter la distance d'isolement par rapport aux tiers de son établissement conformément aux prescriptions de son arrêté d'autorisation d'exploiter une installation classée pour la protection de l'environnement.

Le tribunal administratif de Poitiers et la cour administrative d'appel de Bordeaux ont annulé l'arrêté au motif que la mise en demeure n'avait pas été précédée d'une procédure contradictoire conformément à l'article 24 de la loi du 12 avril 2000, relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations (loi n° 2000-321 N° Lexbase : L0420AIE) aux termes duquel certaines décisions individuelles de l'administration ne doivent intervenir qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites. Or en l'espèce, la CAVAL ne s'était pas vu communiquer le projet d'arrêté de mise en demeure pour observations.

Le Conseil d'Etat revient sur la position prise par les juridictions inférieures en considérant qu'un arrêté de mise en demeure n'a pas à faire l'objet d'une procédure contradictoire dès lors que la mise en demeure n'emporte pas par elle-même le prononcé d'une sanction.

Une circulaire du 3 août 2007 vient appuyer cette jurisprudence en considérant que "le moyen tiré de l'absence de procédure contradictoire préalable ne devrait donc plus pouvoir être valablement invoqué devant le juge administratif à l'appui d'une demande d'annulation d'une mise en demeure dès lors que l'inobservation de prescriptions légalement imposées a été constatée".

  • Légalité du refus d'instaurer un couvre-feu sur l'aéroport de Roissy-Charles-De-Gaulle : CE 2° et 7° s-s-r., 26 octobre 2007, n° 297301, Association de défense contre les nuisances aériennes (N° Lexbase : A8429DYT)

Par une décision implicite en date du 12 juillet 2006, le ministre des Transports avait refusé de prendre une mesure d'interdiction de tout décollage ou tout atterrissage d'aéronef sur l'aéroport de Roissy-Charles-De-Gaulle. L'Association de défense contre les nuisances aériennes (Advocnar), qui poursuit l'objectif de défendre la tranquillité, la santé et la sécurité des habitants d'Ile-de-France, en demandait l'annulation.

Par son arrêt en date du 26 octobre 2007, le Conseil d'Etat a rejeté la requête de l'association au motif que les mesures prises par l'administration pour limiter les nuisances sonores nocturnes pour les riverains à travers le plan d'exposition au bruit et le plan de gêne sonore étaient suffisantes.

En effectuant par ailleurs un bilan coûts-avantages, le juge administratif considère qu'une "interdiction complète des mouvements nocturnes d'aéronefs sur cette plate-forme aurait des conséquences négatives importantes à la fois sur l'activité de l'aéroport et sur l'activité économique nationale, compte tenu notamment de l'importante activité de fret express et des vols intercontinentaux, difficilement transférables sur un autre aérodrome national".

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Social général

[Jurisprudence] Epargne salariale et assurance garantie des salaires : des rapports délicats

Réf. : Cass. soc., 28 novembre 2007, n° 05-45.354, Mme Nicole Aguire, FS-P+B (N° Lexbase : A0281D3S)

Lecture: 9 min

N5459BDK

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

Les sommes issues de l'intéressement et de la participation peuvent, sous certaines conditions, être recueillies par un plan d'épargne d'entreprise. Elles peuvent, alors, faire l'objet de différentes affectations. Parmi celles-ci, figure en bonne place l'acquisition de parts d'un fonds commun de placement d'entreprise dont l'actif est constitué de valeurs mobilières émises par la société employeur. Pour être intéressant, un tel placement est, par définition, risqué, nonobstant les garanties posées par le législateur en la matière. En effet, si la société vient à disparaître à la suite de sa mise en liquidation judiciaire, le salarié perdra, outre son emploi, l'épargne qu'il s'était constituée. Ce dernier se doit donc de bien réfléchir avant de procéder à un tel placement, d'autant plus qu'il ne pourra bénéficier, ici, de la garantie de l'AGS, ainsi qu'en témoigne un important arrêt rendu par la Chambre sociale le 28 novembre dernier.

Résumé

L'article L. 143-11-3 du Code du travail (N° Lexbase : L0052HDB), d'une part, ne prévoit pas que la garantie de l'AGS s'applique aux versements de sommes effectuées par les salariés sur un plan d'épargne d'entreprise du seul fait de l'affectation de ces sommes à ce plan, et, d'autre part, ne fait bénéficier de cette garantie les sommes dues au titre de la participation des salariés aux fruits de l'expansion que si elles revêtent la forme d'un droit de créance sur l'entreprise, ce qui n'est pas le cas de celles qui, en application d'un accord de participation, ont été employées à l'acquisition de part d'un fonds commun de placement dont les salariés sont devenus copropriétaires.

1. Les limites légales au bénéfice de l'AGS en matière d'épargne salariale

  • Les règles applicables

Ainsi que l'exige l'article L. 143-11-1 du Code du travail, l'employeur est tenu d'assurer ses salariés contre le risque de non-paiement des sommes qui leur sont dues en exécution du contrat de travail, en cas de procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaires.

S'agissant des créances garanties (1), une place particulière doit être faite aux sommes dues au titre de l'intéressement et de la participation. En effet, contrairement à ce que l'on pourrait penser, la garantie de l'AGS n'a pas vocation à couvrir l'ensemble de ces sommes. Plus précisément, il résulte de l'alinéa 1er de l'article L. 143-11-3 du Code du travail que ces sommes ne sont couvertes par l'assurance précitée que "lorsqu'elles revêtent la forme d'un droit de créance sur l'entreprise". Cette dernière entité étant dépourvue de la personnalité juridique, il va de soi qu'elle ne saurait être, en aucune façon, débitrice d'une quelconque obligation. Il faut donc comprendre qu'il ne peut y avoir de créance des salariés qu'à l'égard de la société qui lui sert de vêtement juridique.

Il convient d'ajouter que, en vertu de l'article L. 143-11-3, la couverture de l'AGS suppose que les créances en cause soient exigibles à la date du jugement d'ouverture de la procédure ou le deviennent du fait de la rupture du contrat de travail en rapport avec un plan de sauvegarde ou de redressement, ou bien qu'intervienne un jugement de liquidation ou un jugement arrêtant un plan de cession totale de l'entreprise.

  • Les faits de la cause

Cette dernière condition était bien remplie en l'espèce. En effet, la société Groupe RDC et ses filiales avaient institué un plan d'épargne en 1995. Celui-ci avait vocation à recueillir des versements volontaires des salariés et, en particulier, les sommes qui leur seraient attribuées au titre de l'intéressement, des versements complémentaires des entreprises, des sommes attribuées, le cas échéant, en application d'un accord de participation des salariés aux résultats de l'entreprise. Les sommes collectées pouvaient être affectées à l'acquisition de parts de deux fonds communs de placements. Les actifs du premier comprenaient des valeurs mobilières diversifiées, tandis que les actifs du second étaient constitués de valeurs mobilières émises par la société Groupe RDC. Les avoirs de ces fonds, déposés au CIC, étaient gérés par une société de gestion filiale de cet établissement bancaire.

La société Groupe RDC et ses filiales ayant été mises en liquidation judiciaire, plusieurs salariés, qui avaient été employés par ces sociétés, ont saisi la juridiction prud'homale d'une demande tendant à ce qu'il soit dit que les sommes qu'ils avaient investies dans le fonds commun de placement RDC soient fixées au passif des sociétés et garanties par l'AGS en vertu de l'article L. 141-11-3 du Code du travail.

Un jugement de liquidation judiciaire étant intervenu, toute la question était de savoir si les sommes en cause relevaient de la garantie de l'AGS, en vertu de l'article L. 143-11-3.

2. Détermination des sommes garanties par l'AGS en matière d'épargne salariale

  • Une mise au point salutaire

Ainsi qu'il a été souligné précédemment, les sommes issues de la participation et de l'intéressement ne sont garanties par l'AGS que lorsqu'elles revêtent la forme d'un droit de créance sur l'entreprise. La mise en oeuvre de cette garantie ne fait aucune difficulté lorsque l'employeur ne s'est pas libéré de son obligation de verser les sommes en cause alors qu'elles sont exigibles à la date du jugement de liquidation judiciaire, par exemple.

Le problème surgit quand les sommes versées au titre de l'intéressement et de la participation ont fait l'objet d'une affectation à un plan d'épargne et ont ensuite été placées. Constituent-elles, encore, dans ce cas, un droit de créance sur l'entreprise ?

Un arrêt rendu le 30 septembre 2004 pouvait le laisser à penser, la Cour de cassation ayant considéré qu'"il résulte des articles L. 442-1 et suivants du Code du travail (N° Lexbase : L4590DZZ) que les droits constitués au profit des salariés au titre de la participation aux résultats de l'entreprise en exécution du contrat de travail et du statut collectif qu'il implique revêtent la forme d'un droit de créance sur l'entreprise quel que soit leur emploi pendant le temps de leur indisponibilité" (2) (Cass. soc., 30 septembre 2004, n° 02-16.439, Association pour la gestion du régime d'assurances des créances des salariés (AGS) c/ Mme Eliane Landreau, FS-P+B N° Lexbase : A4661DDY ; Bull. civ. V, n° 242 ; Dr. soc. 2004, p. 1149, obs. J. Savatier).

Eu égard à la généralité de la formule retenue par la Chambre sociale, cette décision pouvait être critiquée. En effet, et ainsi que l'avait, à juste titre, relevé un auteur (3), "elle paraît analyser les droits des salariés après la répartition entre eux de la réserve de participation comme étant toujours des droits de créance du salarié sur l'entreprise, devenus exigibles lors de la liquidation judiciaire de l'entreprise, et dont le paiement est garanti par l'AGS en application de l'article L. 143-11-1 du Code du travail". Or, l'article L. 143-11-3 laisse clairement entendre que les sommes dues au titre de l'intéressement ou de la participation des salariés aux fruits de l'expansion ne revêtent pas nécessairement la forme d'un droit de créance sur l'entreprise. Partant, on ne saurait affirmer, ainsi que le faisait la Cour de cassation dans l'arrêt précité, que ces sommes revêtent une telle forme "quel que soit leur emploi pendant le temps de leur indisponibilité". En réalité, c'est précisément l'emploi qui est fait de ces sommes en cause qui permet de déterminer si elles conservent ou pas la qualification de droit de créance sur l'entreprise.

De ce point de vue, la décision sous examen constitue, sinon un revirement, du moins une salutaire mise au point de la part de la Cour de cassation. Ainsi qu'elle l'affirme, "l'article L. 143-11-3 du Code du travail, d'une part, ne prévoit pas que la garantie de l'AGS s'applique aux versements de sommes effectuées par les salariés sur un plan d'épargne d'entreprise du seul fait de l'affectation de ces sommes à ce plan, d'autre part, ne fait bénéficier de cette garantie les sommes dues au titre de la participation des salariés aux fruits de l'expansion que si elles revêtent la forme d'un droit de créance sur l'entreprise, ce qui n'est pas le cas de celles qui, en application d'un accord de participation, ont été employées à l'acquisition de parts d'un fonds commun de placement dont les salariés sont devenus copropriétaires".

Ainsi, les sommes issues de la participation ne constituent plus nécessairement un droit de créance. Il importe, donc, contrairement à ce qu'avait pu affirmer la Cour de cassation en 2004, de s'attacher à leur emploi pendant la période d'indisponibilité. A ce stade, on peut faire état de deux certitudes. Tout d'abord, et cela découle directement de l'arrêt rapporté, lorsque les sommes issues de la participation sont employées à l'acquisition de parts d'un fonds commun de placement, elles ne constituent plus un droit de créance du salarié à l'égard de l'entreprise. De ce fait, elles ne bénéficient pas de la garantie de l'AGS. Ensuite, celle-ci peut, en revanche, être mise en cause lorsque les sommes constituant la réserve spéciale de participation sont affectées à un compte que l'entreprise doit consacrer à des investissements. Dans ce cas, en effet, l'article L. 442-5 du Code du travail (N° Lexbase : L7761HB3) dispose expressément que "les salariés ont sur l'entreprise un droit de créance égal au montant des sommes versées". La qualification de droit de créance ne fait ici, à l'évidence, aucune difficulté.

  • Les incertitudes

Mais, il faut alors se demander s'il est d'autres cas dans lesquels les sommes issues de la participation conservent la forme d'un droit de créance sur l'entreprise au regard de leur affectation. A lire la circulaire du 14 septembre 2005 relative à l'épargne salariale (N° Lexbase : L1463HDK), une réponse négative doit être apportée à cette question, ce texte ne visant, en la matière, que le placement des sommes issues de la participation sur des comptes courants bloqués (4). En d'autres termes, dès lors que les sommes en cause feraient l'objet d'un placement sur un plan d'épargne d'entreprise, elles n'auraient plus la forme d'un droit de créance sur l'entreprise et ne seraient plus couvertes par la garantie de l'AGS (5).

On est en droit de se demander si cette position rigoureuse sera retenue par la Cour de cassation. Pour en revenir à l'arrêt commenté, elle affirme que l'article L. 143-11-3 du Code du travail "ne prévoit pas que la garantie de l'AGS s'applique aux versements de sommes effectués par les salariés sur un plan d'épargne d'entreprise du seul fait de l'affectation de ces sommes à ce plan". On peut, certes, déduire de cette formule que les sommes versées sur un PEE ne peuvent jamais être garanties par l'AGS. Mais, on peut tout aussi bien considérer que la Chambre sociale entend, ainsi, signifier qu'il importe, au-delà du seul versement des sommes sur le plan, de rechercher quelle est leur affectation exacte, afin de vérifier qu'elles ne conservent pas la forme d'un droit de créance du salarié sur l'entreprise (6).

Les placements qui peuvent être effectués dans le cadre d'un PEE sont divers. Il s'agit, principalement, de l'acquisition de parts d'organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPVCM) régis par le Code monétaire et financier et de l'acquisition de valeurs mobilières émises par l'entreprise ou par une entreprise liée (7).

S'agissant de l'acquisition de parts d'OPVCM, au rang desquels doivent être rangés les Sicav et les fonds commun de placement, il résulte clairement de l'arrêt rapporté que la garantie de l'AGS est exclue. Cette solution est logique car, dans ce dispositif, les salariés deviennent copropriétaires du fonds, ce qui exclut qu'ils puissent continuer à revendiquer un quelconque droit de créance sur l'entreprise.

En revanche, pour ce qui est des valeurs mobilières émises par la société, on se doit d'être plus prudent. Il convient, en effet, de rappeler que l'article L. 211-2 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L7230HZS) définit les valeurs mobilières comme "les titres émis par des personnes morales, publiques ou privées, transmissibles par inscription en compte ou tradition, qui confèrent des droits identiques par catégorie et donnent accès, directement ou indirectement, à une quotité du capital de la personne morale émettrice ou à un droit de créance général sur son patrimoine". On l'aura donc compris, dès lors que les valeurs mobilières émises par la société employeur correspondent à des titres donnant accès à un droit de créance général sur son patrimoine, il y a tout lieu de penser que la garantie de l'AGS doit s'appliquer, conformément à l'article L. 143-11-3 du Code du travail.

Sans doute, cette idée doit-elle être avancée avec prudence, dans l'attente d'une éventuelle confirmation de la Cour de cassation. Ce qui est, en revanche, certain, c'est que les salariés doivent être bien informés sur les possibilités d'affectation des sommes issues de l'intéressement et de la participation et, surtout, sur les risques que comporte chacun des placements en cause.


(1) Sur l'ensemble de cette question, v., notamment, J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Précis Dalloz, 23ème éd., 2006, pp. 1201 et s..
(2) Souligné par l'auteur.
(3) J. Savatier, op. et loc. cit.
(4) Circulaire du 14 septembre 2005, relative à l'épargne salariale (N° Lexbase : L1463HDK), Dossier Droits des salariés actionnaires, Fiche 4, Epargne salariale et assurance garantie des salaires : "Lorsqu'elles revêtent la forme d'un droit de créance sur l'entreprise, c'est-à-dire lorsqu'elles sont placées en comptes courants bloqués, les sommes dues au titre de la participation sont couvertes par l'assurance prévue à l'article L. 143-11-1 [...]". Soulignons que l'on est toujours dans l'attente d'une circulaire de remplacement, prenant en compte les modifications législatives intervenues depuis lors. Celles-ci ne concernent pas, toutefois, le problème qui nous préoccupe ici.
(5) Il est important de souligner que la loi n° 2006-1770 du 30 décembre 2006, pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié et portant diverses dispositions d'ordre économique et social (N° Lexbase : L9268HTG), a modifié l'article L. 442-5 du Code du travail (N° Lexbase : L7761HB3), afin de limiter les possibilités d'affectation des sommes issues de la participation. Les accords conclus à compter de la publication de la réforme ne peuvent opter qu'entre l'affectation à des comptes ouverts au nom des intéressés en application d'un plan d'épargne ou l'affectation à un compte que l'entreprise doit consacrer à des investissements. Mais, l'accord ne peut prévoir l'affectation des sommes constituant la réserve spéciale de participation uniquement à un compte courant bloqué.
(6) Rappelons que seules les sommes issues de la participation ou de l'intéressement peuvent être concernées. Par suite, ni les versements volontaires du salarié, ni l'abondement de l'entreprise ne peuvent, par définition, relever de cette catégorie.
(7) Il s'agit, ici, d'une détention directe, le PEE pouvant recueillir ces valeurs mobilières sans que l'institution d'un fonds commun de placement soit imposée.
Décision

Cass. soc., 28 novembre 2007, n° 05-45.354, Mme Nicole Aguire, FS-P+B (N° Lexbase : A0281D3S)

Rejet (CA Rennes, 5ème chambre prud'homale, 27 septembre 2005)

Texte concerné : C. trav., art. L. 143-11-3 (N° Lexbase : L0052HDB)

Mots-clefs : assurance garantie des salaires (AGS) ; participation ; intéressement ; plan d'épargne d'entreprise ; droit de créance.

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Baux commerciaux

[Jurisprudence] La portée de l'exigence de l'immatriculation du preneur d'un bail commercial

Réf. : Cass. civ. 3, 11 décembre 2007, n° 06-21.926, Mme Danielle Touche, divorcée Brocher, F-D (N° Lexbase : A0805D39)

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N5598BDP

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par Julien Prigent, Avocat à la cour d'appel de Paris

Le 07 Octobre 2010

Le défaut d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés ne peut avoir pour effet que de priver le locataire du droit au renouvellement de son bail. Tel est le rappel opéré par la Cour de cassation dans un arrêt du 11 décembre 2007. En l'espèce, le propriétaire de locaux à usage commercial les avait donnés à bail le 1er juillet 1986. Le 7 août 2001, il avait délivré congé à son preneur pour le 31 octobre 2001 puis l'avait assigné en validité du congé. Les juges du fond ayant fait droit à cette demande, le preneur s'était alors pourvu en cassation, amenant la Haute juridiction à rappeler la portée de l'exigence de la condition de l'immatriculation du preneur d'un bail commercial.

I - La nécessité d'une immatriculation - principe et exceptions

Aux termes de l'article L. 145-1, I, du Code de commerce (N° Lexbase : L5729AIZ), "les dispositions du présent chapitre s'appliquent aux baux des immeubles ou locaux dans lesquels un fonds est exploité, que ce fonds appartienne, soit à un commerçant ou à un industriel immatriculé au registre du commerce et des sociétés, soit à un chef d'une entreprise immatriculée au répertoire des métiers, accomplissant ou non des actes de commerce [...]".

Le chapitre visé à cet article est le chapitre V du titre IV du livre Ier du Code de commerce, c'est-à-dire celui relatif au bail commercial.

Le statut des baux commerciaux envisage également son application à certains baux sans évoquer expressément la nécessité d'une immatriculation du preneur. Sont ainsi concernés, notamment :

- les baux de locaux ou d'immeubles accessoires à l'exploitation d'un fonds de commerce quand leur privation est de nature à compromettre l'exploitation du fonds et lorsqu'ils appartiennent au propriétaire du local ou de l'immeuble où est situé l'établissement principal. En cas de pluralité de propriétaires, les locaux accessoires doivent avoir été loués au vu et au su du bailleur en vue de l'utilisation jointe (C. com., art. L. 145-1). Dans cette hypothèse, il n'est pas nécessaire que le preneur soit immatriculé du chef des lieux accessoires (Cass. civ. 3, 30 nov. 1988, n° 87-13.487, Société Hôtel de Lisbonne c/ Société Usit voyages N° Lexbase : A7777AG7). Il doit, en revanche, être immatriculé du chef des lieux constituant un établissement secondaire (Cass. civ. 3, 13 octobre 1999, n° 97-22.258, M. Henri Maillebuau et autres c/ Société Copitherm GMS, société anonyme et autres N° Lexbase : A8955AGR) ;

- les baux des locaux ou immeubles abritant des établissements d'enseignement (C. com., art. L. 145-2 N° Lexbase : L3989HBD), la Cour de cassation ayant précisé que le statut des baux commerciaux est alors applicable quelle que soit la forme juridique sous laquelle le preneur exerce son activité et sans qu'il soit nécessaire qu'il soit immatriculé (Cass. civ. 3, 21 février 2007, n° 06-11.832, FS-P+B N° Lexbase : A4188DUN).

- les baux consentis à des artistes admis à cotiser à la caisse de Sécurité sociale de la maison des artistes et reconnus auteurs d'oeuvres graphiques et plastiques, tels que définis par l'article 98 A de l'annexe III du Code général des impôts (N° Lexbase : L2271HM3) (C. com., art. L. 145-2), la Haute juridiction ayant précisé qu'une activité de création devait être développée dans les lieux loués et qu'il n'était également pas nécessaire, dans ce cas, que le preneur soit immatriculé (Cass. civ. 3, 21 février 2007, n° 06-12.491, FS-P+B+I N° Lexbase : A2689DU7).

La question se pose en dehors de ces cas, lorsque l'immatriculation du preneur pour les lieux loués est exigée, de la portée de cette exigence.

II - Les effets de l'absence d'immatriculation

Les termes de l'article L. 145-1 du Code de commerce semblent ériger l'immatriculation du preneur au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers en une condition de l'application du statut des baux commerciaux.

L'absence d'immatriculation ne peut donc être sanctionnée par la résiliation du bail, sauf stipulation contraire (Cass. civ. 3, 15 mai 1996, n° 94-16.908, Epoux Hulin c/ Mme Deluard N° Lexbase : A9941ABS et Cass. civ. 3, 29 avril 1997, n° 95-11.785, Mme Rebiha Hassani. c/ Mme Germaine Bertrand, née Lecuir N° Lexbase : A6891AHP).

En revanche, il aurait pu être déduit des termes de l'article L. 145-1 du Code de commerce qu'en l'absence d'immatriculation, le bail, bien que non susceptible d'être résilié pour cette raison, ne devait pas être soumis aux dispositions du statut des baux commerciaux.

Il serait alors régi par ses propres stipulations et par le seul droit commun (C. civ., art. 1708 et suiv. N° Lexbase : L1831ABG).

La durée de neuf ans ne serait plus impérative et il pourrait être mis fin à tout moment au bail ou au terme contractuellement prévu, s'il existe, sans avoir à respecter les formes requises par le statut des baux commerciaux (C. com., art. L. 145-9 N° Lexbase : L5737AIC).

Sauf si le bail le stipule, il ne deviendrait plus nécessaire d'impartir un délai d'un mois minimum au preneur pour régulariser un manquement à une obligation contractuelle sous peine d'acquisition de la clause résolutoire (C. com., art. L. 145-41 N° Lexbase : L5769AII) ou l'ouverture d'une procédure collective à l'égard du preneur ne devrait plus faire obstacle à la pleine efficacité de clause résolutoire, même en l'absence d'une décision de justice en constatant l'acquisition ayant acquis force de chose jugée avant le jugement d'ouverture (Cass. com., 3 juillet 2007, n° 05-20.519, F-D N° Lexbase : A0732DXE).

Ce n'est toutefois pas la position de la Cour de cassation, réitérée dans l'arrêt rapporté.

La Haute juridiction avait ainsi jugé que la résiliation du bail par lettre recommandée à la suite de la délivrance d'un commandement était inefficace, même si le preneur n'était pas immatriculé, au motif que l'immatriculation n'est "une condition du bénéfice du statut des baux commerciaux que pour le renouvellement du bail"  (Cass. civ. 3, 1er octobre 1997, n° 95-15.842, Syndicat mixte pour l'aménagement touristique de la montagne c/ Epoux Mathot N° Lexbase : A1903ACH).

Dans le même sens, elle avait ensuite affirmé que le défaut d'immatriculation ne pouvait avoir pour effet que de priver le preneur de son droit au renouvellement (Cass. civ. 3, 1er octobre 2003, n° 02-10.381, FS-P+B N° Lexbase : A6682C9D).

L'arrêt rapporté se situe dans la droite ligne de ces décisions.

En l'espèce, le bailleur soutenait qu'en raison du défaut d'immatriculation du preneur, le droit commun du bail devait s'appliquer au contrat. Le bail étant verbal, il se prévalait, en conséquence, de la possibilité de délivrer congé à tout moment en respectant un délai de préavis raisonnable. Cette argumentation est rejetée par la Cour de cassation qui rappelle, selon la formule employée dans l'arrêt précité du 1er octobre 2003, que "le défaut d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés ne peut avoir pour effet que de priver la locataire du droit au renouvellement de son bail". Le bail étant verbal, le bailleur ne pouvait donc délivrer congé qu'à l'expiration d'un délai de neuf ans (C. com., art. L. 145-12 N° Lexbase : L5740AIG) ou à tout moment en cours de tacite prorogation sous réserve du respect d'un délai de préavis de six mois et suivant les usages locaux (Cass. civ. 3, 7 décembre 2004, n° 03-19.226, Société La Belle Bleue c/ Société civile immobilière (SCI) Billancourt, F-P+B N° Lexbase : A3705DEX).

Si cette solution se justifie difficilement au regard de la lettre de l'article L. 145-1 du Code de commerce, ses conséquences doivent être relativisées puisque le droit au renouvellement est le droit essentiel conféré par le statut des baux commerciaux au preneur et que le défaut d'immatriculation le privera de ce droit. Elle a, par ailleurs, le mérite de la simplicité puisque l'immatriculation est une condition "dynamique", susceptible de varier dans le temps, et que la question se poserait alors de savoir à quel moment elle doit être appréciée en fonction du droit en cause. S'agissant du droit au renouvellement, la jurisprudence semble fixée : le preneur devra être immatriculé à la date de délivrance du congé (Cass. civ. 3, 18 octobre 2005, n° 04-15.348, F-D N° Lexbase : A0309DLZ) ou de sa demande de renouvellement (Cass. civ. 3, 12 juillet 2000, n° 99-10.455, Société Continent Hypermarchés c/ Société Lenault N° Lexbase : A9131AGB) et jusqu'à la date d'expiration du bail, mais non pendant le cours de la procédure en fixation du loyer du bail renouvelé (Cass. civ. 3, 29 septembre 2004, n° 03-13.997, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A4861DDE).

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] L'application des règles relatives au harcèlement moral dans le temps

Réf. : Cass. soc., 13 décembre 2007, n° 06-45.818, Société Groupe Pierre le Goff Normandie c/ Mme Nadine Fouque, FS-P+B (N° Lexbase : A0824D3W) ; Cass. soc., 13 décembre 2007, n° 06-44.080, M. Gérard Tauleigne c/ M. Yvan Martin et a., FS P+B (N° Lexbase : A0815D3L)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

Après de longues années de silence, le législateur est intervenu à deux reprises, en 2002 et 2003, pour introduire en droit du travail des dispositions destinées à lutter contre le harcèlement moral et à faciliter le travail probatoire des victimes. Deux arrêts rendus le 13 décembre 2007 par la Chambre sociale de la Cour de cassation (n° 06-45.818 et n° 06-44.080) précisent les modalités d'entrée en vigueur de ces textes et, paradoxalement, que les changements intervenus n'ont pas nécessairement révolutionné le travail des juges qui disposaient déjà d'instruments efficaces pour lutter contre ces pratiques. C'est ce qui ressort de la première décision qui donne raison à un salarié qui ne pouvait bénéficier des dispositions de la loi du 17 janvier 2002 (loi n° 2002-73 de modernisation sociale N° Lexbase : L1304AW9), mais qui a tout de même fait condamner son employeur responsable de l'état d'inaptitude professionnelle auquel le harcèlement l'avait conduit (1). Pareillement, il ne semble pas que la modification intervenue en 2003 (loi n° 2003-6 du 3 janvier 2003, portant relance de la négociation collective en matière de licenciements économiques N° Lexbase : L9374A8P) dans l'écriture de l'article L. 122-52 du Code du travail (N° Lexbase : L0584AZN) soit de nature à bouleverser le régime probatoire introduit en 2002 (2).
Résumés

Pourvoi n° 06-45.818 : la cour d'appel, qui a constaté, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, que le licenciement avait été prononcé pour une inaptitude physique résultant d'agissements fautifs de l'employeur, commis antérieurement à la date d'application de la loi du 17 janvier 2002 ayant institué l'article L. 122-49 du Code du travail (N° Lexbase : L0579AZH) relatif au harcèlement moral, peut valablement considérer le licenciement d'un salarié sans cause réelle et sérieuse.

Pourvoi n° 06-44.080 : si les règles relatives à la charge de la preuve ne constituent pas des règles de procédure applicables aux instances en cours mais touchent le fond du droit, de sorte que le harcèlement moral allégué devait, en l'espèce, être examiné au regard des dispositions de l'article L. 122-52 du Code du travail dans sa rédaction antérieure à la loi du 3 janvier 2003, l'arrêt attaqué n'encourt pas la censure dès lors que les juges du fond, d'une part, ont estimé que la décision de licenciement était justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement et, d'autre part, sur la demande de dommages intérêts en réparation d'un préjudice résultant d'agissements fautifs de harcèlement, ont retenu que les faits allégués n'étaient pas susceptibles de revêtir la qualification de harcèlement moral.

Commentaire

1. L'application dans le temps de la loi du 17 janvier 2002 introduisant un dispositif de lutte contre le harcèlement moral

  • Le harcèlement moral avant la loi du 17 janvier 2002

Le phénomène du harcèlement moral au travail a, tout d'abord, été mis en évidence par des psychiatres. Ainsi, selon Heinz Leymann (1), le mobbing (terme anglais de harcèlement moral) "définit l'enchaînement, sur une assez longue période, de propos et d'agissements hostiles, exprimés ou manifestés par une ou plusieurs personnes envers une tierce personne (la cible)". Pour Marie-France Hirigoyen (2), la notion de harcèlement moral recouvre "toute conduite abusive se manifestant notamment par des comportements, des paroles, des actes, des gestes, des écrits, pouvant porter atteinte à la personnalité, à la dignité ou à l'intégrité physique ou psychique d'une personne, afin de mettre en péril l'emploi de celle-ci ou dégrader le climat de travail".

  • L'apport de la loi du 17 janvier 2002

Le harcèlement moral a fait une irruption remarquée sur la scène juridique avec la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 qui a introduit dans le Code du travail plusieurs dispositions relatives au harcèlement moral. L'article L. 122-49 du Code du travail vise, ainsi, depuis cette date, des "agissements répétés [...] qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel".

Parmi les éléments du dispositif de lutte contre le harcèlement au travail, figurent la possibilité de sanctionner disciplinairement le salarié harceleur (art. L. 122-50 N° Lexbase : L0581AZK), l'obligation de prévention du chef d'entreprise (art. L. 122-51 N° Lexbase : L0582AZL), un régime probatoire destiné à faciliter la preuve du harcèlement (art. L. 122-52 N° Lexbase : L0584AZN), l'action en substitution des syndicats (art. L. 122-53 N° Lexbase : L0585AZP), ainsi que le recours à une procédure de médiation (art. L. 122-54 N° Lexbase : L0587AZR).

  • L'application dans le temps de la loi du 17 janvier 2002

Restent à déterminer les modalités d'application dans le temps de ces dispositions.

Dans la mesure où elles mettent en place un régime d'obligations et de sanctions, les dispositions de la loi nouvelle ne doivent s'appliquer qu'aux faits commis à compter de l'entrée en vigueur de celle-ci. C'est ce qui avait été jugé par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans une série de décisions inédites rendues à partir de 2005 (3).

C'est, donc, le premier intérêt du premier arrêt rendu le 13 décembre 2007 (n° 06-45.818) que de confirmer, cette fois-ci dans une décision publiée, l'inapplicabilité de la loi du 17 janvier 2002 à des faits commis antérieurement à son entrée en vigueur.

  • La protection des victimes ne bénéficiant pas des dispositions de la loi du 17 janvier 2002

Mais l'intérêt de cet arrêt réside ailleurs, singulièrement dans le fait qu'en dépit de cette impossibilité d'appliquer la loi du 17 janvier 2002 à des faits antérieurs à son entrée en vigueur, les juges disposent, par ailleurs, des moyens de condamner les employeurs indélicats.

L'examen de la jurisprudence, tant des juridictions du fond que de la Cour de cassation, montre qu'avant 2002 de nombreuses possibilités existaient pour sanctionner des faits de harcèlement, bien avant la consécration par la loi de la spécificité de ces comportements scandaleux.

De nombreuses décisions du fond avaient ainsi stigmatisé "l'imagination démoniaque de certains pervers" (4) et sanctionné des employeurs ayant infligé à certains des brimades, des bureaux placés sous un escalier, le retrait de véhicules de fonction, des mutations à répétition, etc. (5).

Pour décrire ces phénomènes, les juges se référaient soit expressément à la notion de harcèlement (6), soit à la notion de "conditions de travail incompatibles avec la dignité humaine" (7).

Pour que les agissements soient répréhensibles, il fallait qu'ils soient répétitifs, une action isolée ne constituant pas une attitude de harcèlement (8). En 2003, la Chambre sociale de la Cour de cassation avait considéré comme établi le harcèlement d'une salariée victime de "procédés vexatoires, abusifs et pénibles la poussant à démissionner" (9).

En 2004, et s'agissant de faits antérieurs à la loi du 17 janvier 2002, la Cour de cassation avait, d'ailleurs, donné une définition du harcèlement moral en visant certains faits tels que le fait qu'une salariée "avait fait l'objet d'un retrait sans motif de son téléphone portable à usage professionnel, de l'instauration d'une obligation nouvelle et sans justification de se présenter tous les matins au bureau de sa supérieure hiérarchique, de l'attribution de tâches sans rapport avec ses fonctions", ces "faits" ayant été les "générateurs d'un état dépressif médicalement constaté nécessitant des arrêts de travail" (10).

Parmi les textes mobilisés, figuraient l'article 1134, alinéa 3, du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC), consacrant l'exigence de bonne foi dans l'exécution du contrat de travail (11), l'article L. 122-45 du Code du travail (N° Lexbase : L3114HI8) qui constitue le siège des applications du principe de non-discrimination (12), ou, encore, l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ) (13). Certains salariés obtenaient, également, des dommages-intérêts à l'occasion du prononcé de la résiliation judiciaire de leur contrat de travail pour faits de harcèlements (14), le juge des référés prenant même, parfois, des mesures provisoires destinées à autoriser le salarié à quitter l'entreprise (15).

D'autres salariés prenaient, enfin, acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur et obtenaient des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (16).

Enfin, la jurisprudence avait admis la qualification d'accident du travail pour des dépressions intervenues postérieurement à des faits établis de harcèlement, voire pour des suicides directement induits par des faits de harcèlement (17).

  • Le sort du salarié inapte à la suite de harcèlements

La Cour de cassation avait même considéré que l'employeur ne pouvait pas invoquer à son profit le motif pris de l'inaptitude du salarié, régulièrement constatée par le médecin du travail, dès lors que l'état du salarié résultait directement de faits de harcèlement (18).

C'est cette solution qui se trouve également confirmée par le premier arrêt rendu le 13 décembre 2007, ce qui est parfaitement justifiée puisque l'inaptitude n'est pas imputable au salarié, mais bien au harcèlement.

Cette solution s'inscrit, ainsi, dans un ensemble plus large interdisant, par exemple, à l'employeur d'invoquer l'insuffisance professionnelle du salarié lorsque celle-ci lui est imputable, notamment, lorsqu'il n'a pas fait les efforts nécessaires de formation et d'adaptation à l'emploi (19).

2. L'application dans le temps de la loi du 3 janvier 2003 modifiant les modalités de preuve du harcèlement moral

  • Les dispositions favorisant la preuve du harcèlement

L'article L. 122-52 du Code du travail, issu de la loi du 17 janvier 2002, visait à favoriser la preuve du harcèlement par le salarié. Ce texte disposait, en effet, qu'"en cas de litige relatif à l'application des articles L. 122-46 (N° Lexbase : L5584ACS) et L. 122-49, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ses agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles".

Ce texte constituait un incontestable progrès pour les salariés. Il apparaît, d'ailleurs, que ceux qui ne peuvent invoquer la loi nouvelle en raison de l'antériorité des faits succombent généralement lorsqu'il leur est fait application des règles du droit. Ainsi, dans un arrêt inédit rendu le 13 juillet 2005, la Cour a considéré que "l'article L. 122-52 du Code du travail visant notamment un litige relatif à l'application de l'article L. 122-49 de ce Code, ne saurait s'appliquer à des faits antérieurs à la loi du 17 janvier 2002 ayant institué ce dernier texte", avant de confirmer une cour d'appel qui, "sans inverser la charge de la preuve, souverainement apprécié la portée des éléments de preuve produits devant elle en retenant que les faits invoqués par la salariée ne caractérisent pas de la part de l'employeur un manquement à son obligation d'exécuter loyalement le contrat de travail et ne démontrent pas que l'arrêt de travail et les prolongations successives auraient trouvé leur origine dans le comportement fautif de l'employeur" (20). Dans un autre arrêt en date du 9 novembre 2005, la Cour a également confirmé que "l'article L. 122-52 du Code du travail, visant notamment un litige relatif à l'application de l'article L. 122-49 du même code, ne saurait s'appliquer à des faits antérieurs à la loi du 17 janvier 2002 ayant institué ce dernier texte ; [...] la cour d'appel a souverainement apprécié la portée des éléments de preuve produits devant elle en retenant que n'était pas établie l'existence, à la charge de l'employeur, d'un comportement revêtant les caractères d'un harcèlement moral et de nature à justifier la résiliation du contrat de travail à ses torts" (21).

  • La modification rédactionnelle opérée par la loi du 3 janvier 2003

Ces dispositions ont été modifiées par la loi du 3 janvier 2003, le Gouvernement ayant souhaité remplacer la référence jugée trop imprécise à des éléments de fait laissant "supposer" l'existence d'un harcèlement, par celle, jugée plus adéquate, de faits "qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement".

Certains auteurs ont vu, dans cette réécriture de l'article L. 122-52 du Code du travail, la volonté de restreindre la portée de la règle en se montrant plus exigeant avec les salariés et ce afin d'éviter un effet d'aubaine qui placerait les employeurs en fâcheuse posture.

Cette crainte ne nous paraît pas fondée dans la mesure où les deux versions du texte s'appuient sur la technique de la présomption du fait de l'homme qui fait partie de la culture historique du juge ; on ne voit pas, dès lors, comment le passage du "supposer" au "présumer" pourrait être de nature à modifier l'analyse que le juge fera des éléments de faits, présentés par le salarié, et qui doivent rendre l'hypothèse d'un harcèlement plausible.

Pour le vérifier, il convient, par conséquent, d'observer l'application de l'article L. 122-52, dans sa version d'origine, et celle issue de la loi du 3 janvier 2003, pour vérifier si la situation des salariés a varié, ou non.

Une première difficulté résulte de la nature même de la loi du 3 janvier 2003 ; compte tenu du caractère minime de la modification intervenue dans la rédaction de l'article L. 122-52 du Code du travail, il semblait, en effet, possible de considérer ce texte comme interprétatif de la loi du 17 janvier 2002, ce qui aurait conduit à appliquer la loi de 2003 à la même date que celle de 2002.

Ce n'est pas ainsi qu'a statué la Cour de cassation pour qui il s'agit bien d'une loi nouvelle qui ne peut s'appliquer qu'à des faits postérieurs à son entrée en vigueur (n° 06-44.080), la Cour affirmant que "les règles relatives à la charge de la preuve ne constituent pas des règles de procédure applicables aux instances en cours mais touchent le fond du droit", "de sorte que le harcèlement moral allégué devait en l'espèce être examiné au regard des dispositions de l'article L. 122-52 du Code du travail dans sa rédaction antérieure à la loi du 3 janvier 2003" (22).

  • L'absence d'incidence de la modification rédactionnelle intervenue avec la loi du 3 janvier 2003 sur la situation des salariés

Ce qui est particulièrement intéressant dans cette décision rendue le 13 décembre 2007 (n° 06-44.080) tient à l'absence de répercussion de ce principe de survie de la loi ancienne sur le règlement du litige.

Dans cette affaire, en effet, les juges du fond avaient considéré le licenciement du salarié justifié par une cause réelle et sérieuse et les griefs de harcèlement non établis.

Ils avaient, pourtant, fait une application erronée de la nouvelle rédaction de l'article L. 122-52 du Code du travail, dans sa version issue de la loi du 27 janvier 2003. Or, l'application de l'ancienne version est sans incidence ici sur l'issue du litige, la Cour de cassation considérant, au contraire, que "l'arrêt attaqué n'encourt pas la censure dès lors que les juges du fond, d'une part, ont estimé que la décision de licenciement était justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement et, d'autre part, sur la demande de dommages intérêts en réparation d'un préjudice résultant d'agissements fautifs de harcèlement, ont retenu que les faits allégués n'étaient pas susceptibles de revêtir la qualification de harcèlement moral".

La Cour de cassation ne fait donc aucune allusion au passage du "supposer" au "présumer ", marquant ainsi très certainement son indifférence au changement de vocabulaire. Il conviendra, toutefois, d'attendre que, pour des faits antérieurs au 5 janvier 2005, des salariés ayant obtenu gains de cause en se voyant appliquer par erreur la loi nouvelle, se verront confirmés dans leurs droits par application de la loi du 17 janvier 2002. Alors il sera possible d'affirmer que la loi du 3 janvier 2003 n'a constitué qu'une simple péripétie dans l'édification d'une protection véritable des salariés contre le harcèlement.


(1) Heinz Leymann, Mobbing, la persécution au travail, Seuil, 1996.
(2) Marie-France Hirigoyen, Le harcèlement moral, la violence perverse au quotidien, Editions Syros, 1998.
(3) Cass. soc., 13 juillet 2005, n° 03-44.980, Mme Myriam d'Estève de Pradel, F-P+B (N° Lexbase : A9259DIR) ; Cass. soc., 9 novembre 2005, n° 03-47.861, Mme Sylvie Labrousse c/ Société Etablissements Monteil et fils, F-D (N° Lexbase : A5951DLY) ; Cass. soc., 24 janvier 2006, n° 04-40.487, Association des paralysés de France, service éducation soins spécialisés à domicile 71 c/ Mme Eliane Dalloz, F-D (N° Lexbase : A5570DMA) ; Cass. soc., 15 février 2006, n° 04-43.114, Mlle Angélique Quilici c/ Fédération des caves coopératives de l'Hérault, F-D (N° Lexbase : A9864DMB) ; Cass. soc., 25 octobre 2006, n° 04-47.332, Société Garage du Bac, F-D (N° Lexbase : A0268DSQ) ; Cass. soc., 8 mars 2007, n° 05-44.905, M. Laurent Outrebon, F-D (N° Lexbase : A6935DUE).
(4) TGI de Bobigny, 1ère ch., sect. B, 7 décembre 1999, Chapet c/ Société Hella : Dr. ouvrier 2000, p. 194, chron. P. Bouaziz : un salarié avait reçu des avertissements à répétition en raison de baisses dans ses ventes, sans avoir jamais eu le temps de prendre les mesures réclamées par l'employeur pour améliorer ses performances et alors, au contraire, que les chiffres de ses ventes étaient en hausse.
(5) CA Aix-en-Provence, 17ème chbre soc., 18 décembre 2001 : Dr. soc. 2002, p. 701, chron. C. Bouty.
(6) TASS Epinal, 28 février 2000, Mme Rousseaux c/ CPAM des Vosges.
(7) TGI de Caen (correctionnelle), 10 février 1998, Legrand c/ Robichon ; Cass. soc., 16 juillet 1998, n° 96-41.480, M. Yves Bringel c/ Société Bronzes Strassacker (N° Lexbase : A0162AUK).
(8) CA Poitiers, 26 mars 1996, Marchix c/ Goudeau ; CA Montpellier, 17 juin 1998, SA Deli c/ Standinguer.
(9) Cass. soc., 19 novembre 2003, n° 02-41.530, Mme Natacha Azaïs c/ Société Salans Hertzfeld et Heilbronn, F-D (N° Lexbase : A3236DA4).
(10) Cass. soc., 27 octobre 2004, n° 04-41.008, Société Mât de Misaine c/ Mme Claudie Pouvreau, F-P+B (N° Lexbase : A7443DDZ) ; et nos obs., Harcèlement moral : la Cour de cassation livre une première définition, Lexbase Hebdo n° 141 du 4 novembre 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N3379ABR).
(11) Cass. soc., 16 juin 2004, n° 02-41.795, Société des Taxis de la Seine c/ M. Mohamed Aouidad, F-D (N° Lexbase : A7402DC7).
(12) Cass. soc., 8 janvier 2003, n° 00-46.824, Société Jeumont c/ M. Michel Blondeau, F-D (N° Lexbase : A5971A4W).
(13) Cass. soc., 8 mars 2007, n° 05-44.905, préc. : "abstraction faite d'une référence erronée à l'article L. 122-49 du Code du travail qui n'était pas applicable en raison de la date de survenance des faits, la cour d'appel a caractérisé à la charge de l'employeur un comportement fautif préjudiciable au salarié".
(14) Cass. soc., 15 mars 2000, n° 97-45.916, Société France Restauration Rapide c/ Mlle Gemma Gavin (N° Lexbase : A9006AGN) ; Cass. soc., 25 octobre 2006, n° 04-47.332, préc. : "l'article L. 122-49 du Code du travail ne s'applique pas à des faits antérieurs à la loi du 17 janvier 2002 dont il est issu ; [...] la cour d'appel, appréciant souverainement les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, a constaté que l'employeur avait commis des actes dommageables caractérisant un harcèlement à l'égard de la salariée" ; Cass. soc., 27 mars 2007, n° 04-44.624, Société SAEP diffusion, FS-D (N° Lexbase : A7907DUE) : "la Cour considère comme erroné' le motif pris de l'application de la loi du 17 janvier 2002 à des faits antérieurs à son entrée en vigueur' mais l'écarte car ce grief est dépourvu d'incidence sur la solution' dès lors que la cour d'appel, qui, par une décision motivée, a caractérisé des manquements de l'employeur justifiant la rupture du contrat de travail à ses torts et l'allocation de dommages-intérêts, a légalement justifié sa décision'".
(15) Ordonnance de référé du conseil de prud'hommes de Mont-de-Marsan, 8 septembre 1998, Beziat c/ SARL Eurocamp.
(16) Cass. soc., 16 juillet 1998, préc..
(17) CA Versailles, 23 mars 2000 ; TASS Epinal, 28 février 2000 ; CA Riom, ch. soc., 25 février 2000 ; TGI Bobigny,1ère ch., sect. B, 7 décembre 1999.
(18) Cass. soc., 24 janvier 2006, n° 04-40.487, préc. : "l'article L. 122-49 du Code du travail ne peut s'appliquer à des faits antérieurs à la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 qui l'a institué ; [...] la cour d'appel, justifiant sa décision, a caractérisé par motifs propres et adoptés des agissements de l'employeur ayant préjudicié à la santé de la salariée, et a souverainement évalué le dommage en résultant".
(19) Dans cette dernière hypothèse, d'ailleurs, le salarié pourra obtenir des dommages et intérêts sanctionnant l'absence de cause réelle et sérieuse, mais également le manquement à l'obligation d'adaptation : Cass. soc., 23 octobre 2007, n° 06-40.950, Syndicat professionnel l'Union des opticiens (UDO), FS-P+B (N° Lexbase : A8560DYP).
(20) Cass. soc., 13 juillet 2005, n° 03-44.980, préc..
(21) Cass. soc., 9 novembre 2005, n° 03-47.861, préc..
(22) Dans le même sens, Cass. com., 7 novembre 1989, n° 88-14283, Directeur général des Impôts c/ M. Feldain, publié au bulletin (N° Lexbase : A5259CGU), Bull. civ. IV, n° 281.
Décisions

Cass. soc., 13 décembre 2007, n° 06-45.818, Société Groupe Pierre le Goff Normandie c/ Mme Nadine Fouque (N° Lexbase : A0824D3W)

Rejet (cour d'appel de Rouen, chambre sociale, 26 septembre 2006)

Textes concernés : C. trav., art. L. 122-24-4 (N° Lexbase : L1401G9R), L. 122-14-3 (N° Lexbase : L5568AC9), L. 122-14-4 (N° Lexbase : L8990G74) et L. 122-49 (N° Lexbase : L0579AZH)

Mots clef : licenciement ; inaptitude ; fautes de l'employeur ; licenciement privé de cause réelle et sérieuse

Cass. soc., 13 décembre 2007, n° 06-44.080, M. Gérard Tauleigne c/ M. Yvan Martin et a. (N° Lexbase : A0815D3L)

Rejet (cour d'appel de Paris, 21e chambre, section C, 23 mai 2006)

Mots clef : harcèlement ; preuve ; application de la loi du 3 janvier 2003

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Contrats et obligations

[Jurisprudence] Conséquences attachées à la restitution de la chose après résolution de la vente pour défaut de conformité

Réf. : Cass. com., 30 octobre 2007, n° 05-17.882, Société Anciens Etablissements Branger (AEB), FS-P+B (N° Lexbase : A2281DZI)

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N5513BDK

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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

Le 07 Octobre 2010

L'occasion a été donnée, à plusieurs reprises, d'insister sur l'une des difficultés essentielles du droit de la vente tenant à la distinction de l'obligation de délivrance du vendeur, d'une part, définie par l'article 1604 du Code civil (N° Lexbase : L1704ABQ) comme "le transport de la chose vendue en la puissance et possession de l'acheteur", et qui suppose, précisément, que le vendeur lui délivre une chose conforme à ce à quoi il s'est engagé, et, d'autre part, de l'obligation de garantie des vices cachés de l'article 1641 (N° Lexbase : L1743AB8) du même code, aux termes duquel "le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminue tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus". Et nul n'ignore que les enjeux pratiques attachés à la distinction sont considérables, ne serait-ce que parce que, s'agissant du délai de prescription de l'action, l'action en garantie des vices cachés, qui, autrefois, devait être engagée à "bref délai", doit, depuis une ordonnance n° 2005-136 du 17 février 2005, relative à la garantie de la conformité du bien au contrat due par le vendeur au consommateur (N° Lexbase : L9672G7D), être exercée dans les "deux ans à compter de la découverte du vice" (C. civ., art. 1648 N° Lexbase : L8779G8N), délai distinct du délai de droit commun applicable à l'action en défaut de conformité. Tout cela est parfaitement entendu. Moins classique peut-être, mais tout aussi essentielle, la question se pose, également, en jurisprudence de savoir quelles sont les conséquences attachées aux restitutions consécutives soit à la rédhibition dans l'action en garantie des vices cachés, soit à la résolution dans l'action en défaut de conformité ? Un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 30 octobre dernier, à paraître au Bulletin, mérite d'y insister. En l'espèce, une société avait acheté à une autre un ensemble constitué d'une pelle et d'une pince, le montage de la pince sur la pelle étant effectué par le vendeur, après acquisition des deux éléments. Faisant valoir un défaut de conformité du matériel fourni à la commande (autrement dit une non-conformité de la chose aux spécifications contractuelles), l'acquéreur a assigné le vendeur en résolution de la vente. Si l'existence d'un défaut de conformité ne faisait pas réellement débat, et donc, par suite, le principe d'une action en responsabilité contractuelle contre le vendeur pour manquement à son obligation de délivrance, les conséquences attachées à la restitution du bien vendu étaient, elles, plus discutées. Le vendeur, auquel le bien était restitué en contrepartie du prix, réclamait, en effet, à l'acquéreur une indemnité correspondant à la dépréciation subie par la chose à raison de l'utilisation qu'il en avait faite. Or, sur ce point, la Cour de cassation approuve les juges du fond d'avoir rejeté la demande, et fait valoir "qu'en raison de l'effet rétroactif de la résolution de la vente, le vendeur n'est pas fondé à obtenir une indemnité correspondant à la seule utilisation de la chose ; qu'ayant relevé que le bien vendu n'avait fait l'objet d'aucune dégradation, la cour d'appel a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision".

La Chambre commerciale confirme, ainsi, la solution retenue par un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 21 mars 2006, arrêt dans lequel la Haute juridiction avait considéré que "si l'effet rétroactif de la résolution d'une vente pour défaut de conformité permet au vendeur de réclamer à l'acquéreur une indemnité correspondant à la dépréciation subie par la chose en raison de l'utilisation que ce dernier en a faite, il incombe au vendeur de rapporter la preuve de l'existence et de l'étendue de cette dépréciation" (1). Autrement dit, comme le relève justement la Chambre commerciale dans l'arrêt du 30 octobre dernier et, peut-être, d'ailleurs, plus nettement encore que ne l'avait fait la première chambre civile, ce n'est pas la "seule utilisation de la chose" par l'acquéreur qui peut autoriser le vendeur à lui réclamer, après la résolution de la vente et, donc, les restitutions croisées auxquelles procèdent les parties, une indemnité ; encore faut-il, pour que le vendeur ait droit à cette indemnité, que l'utilisation de la chose faite par l'acquéreur avant la restitution ait entraîné une dégradation de la chose et, donc, une dépréciation. Et, bien entendu, l'acquéreur ne peut prétendre à ladite indemnité qu'à la condition qu'il rapporte la preuve de l'existence et de l'étendue de cette dépréciation, ce qu'il n'a pas fait en l'espèce, pas plus d'ailleurs qu'il n'était parvenu à le faire dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt précité de la première chambre civile du 21 mars 2006.

On rappellera, pour terminer, qu'une différence subsiste selon que l'action de l'acquéreur est une action en défaut de conformité, comme en l'espèce, ou une action rédhibitoire en garantie des vices cachés : alors, en effet, on vient de le rappeler, que la résolution de la vente pour défaut de conformité peut permettre au vendeur qui démontrerait l'existence et l'étendue de la dépréciation subie d'obtenir une indemnité de l'acquéreur, la solution est inverse en cas de rédhibition consécutive à l'exercice d'une action en garantie des vices. On a pu s'étonner de cette distinction, d'autant que, comme la résolution, la rédhibition entraîne, elle aussi, l'anéantissement rétroactif de la vente. Nous pensons, après d'autres, que cette différence peut pourtant s'expliquer par des considérations concrètes tenant à la cause de l'anéantissement du contrat, distincte d'un cas à l'autre. La mise en oeuvre de la garantie des vices cachés supposant un défaut de la chose la rendant impropre à l'usage auquel elle est destinée (C. civ. art. 1641), on peut assez légitimement considérer que le fait "que l'utilisation de cette chose l'ait éventuellement en outre usée importe peu puisqu'elle est de toute façon viciée et impropre à son usage" (2), alors qu'il en va autrement en cas de défaut de conformité, la chose, certes non-conforme aux spécifications convenues, pouvant parfaitement convenir à un autre acquéreur, de telle sorte qu'il peut paraître juste de tenir compte de la dépréciation qu'elle a pu subir et d'indemniser, dans ce cas, le vendeur.


(1) Cass. civ. 1, 21 mars 2006, n° 02-19.236, Safirauto c/ Société Sonauto-Hyundaï, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A6388DNW), Contrats, conc., consom. 2006, n° 130, obs. L. Leveneur.
(2) L. Leveneur, obs. préc..

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Contrats et obligations

[Jurisprudence] Devoir de mise en garde du banquier : la première chambre civile de la Cour de cassation enfonce le clou

Réf. : Cass. civ. 1, 6 décembre 2007, n° 06-15.258, M. Paul Briquet, FS-P+B (N° Lexbase : A0307D3R)

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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

Le 07 Octobre 2010

On se souvient peut-être que, par deux arrêts du 12 juillet 2005 (1), la première chambre civile de la Cour de cassation avait apporté quelques précisions sur la mise en oeuvre de la responsabilité du banquier dispensateur de crédit, réaffirmant le principe de la responsabilité civile du banquier pour avoir consenti des crédits excessifs, tout en tenant compte de la qualité de l'emprunteur, selon qu'il était, ou non, un emprunteur profane. On avait pu en déduire que, si l'emprunteur avait la qualité de profane, alors le caractère excessif du prêt faisait présumer, sinon établissait, un manquement de l'établissement de crédit à son devoir de mise en garde ; au contraire, si l'emprunteur était un professionnel, la jurisprudence entendait se montrer bien plus indulgente à l'égard de l'établissement de crédit dont la responsabilité ne pouvait alors être engagée, quand bien même le caractère excessif du prêt serait avéré, mais à la condition qu'il soit démontré qu'il avait, sur les revenus et les facultés de remboursement raisonnablement prévisibles de l'emprunteur, des informations que lui-même auraient ignorées (2). Plus récemment, la Cour de cassation, à la faveur de deux arrêts rendus en Chambre mixte le 29 juin 2007 (3), était venue affiner ces solutions en y apportant quelques éclaircissements, mais aussi quelques modifications, ce qu'un arrêt de la première chambre civile du 6 décembre confirme assez nettement.

En l'espèce, une banque avait consenti un prêt d'un an à des époux pour régler des droits dus par l'épouse, héritière dans une succession en licitation. En l'absence de remboursement, faute de régularisation, d'une part, du partage et, d'autre part, de la vente effective de l'immeuble attribué, la banque avait ensuite, successivement, consenti solidairement aux époux deux nouveaux prêts, d'un an également, chacun devant couvrir la dette du précédent. Une décision de la cour d'appel de Rouen avait condamné les époux à acquitter la dette du dernier d'entre eux, non remboursée à l'échéance, décision contre laquelle les époux se sont pourvus en cassation. Alors que le premier moyen, ainsi que le second pris en sa première branche, ne présentaient pas réellement d'intérêt, ce qui explique d'ailleurs que la Cour de cassation les écarte assez rapidement, et qu'il ne soit pas utile d'y revenir ici, les deuxième et troisième branches du second moyen, qui justifient la cassation, méritent d'être examinés plus attentivement. Les juges du fond avaient, en effet, pour écarter le grief, aujourd'hui classiquement invoqué en la matière, d'un manquement de la banque à ses obligations, retenu qu'il n'était pas soutenu qu'elle aurait eu sur les difficultés de règlement de la succession, sur les possibilités de vente de la maison ou sur la situation financière de l'époux, pharmacien, connaissance d'éléments que les emprunteurs auraient eux-mêmes ignorés, qu'elle n'avait pas commis de faute en renouvelant le crédit relais, les époux ne prétendant pas l'avoir prévenue de ce que la vente ne pourrait se réaliser dans le délai du prêt, la série de ceux-ci n'ayant pas aggravé leur situation de débiteurs. La Cour de cassation, pour exercer sa censure, sous le visa de l'article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT), fait valoir "qu'en statuant ainsi, sans préciser si les époux [...] étaient emprunteurs avertis et, dans la négative, si la banque avait satisfait à son devoir de mise en garde eu égard à leurs capacités financières et aux risques de l'endettement né de l'octroi des prêts, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision".

Manifestement, la Cour confirme, d'abord, ici, la solution issue des arrêts de Chambre mixte précités qui avaient substitué à la notion d'emprunteur "profane" celle d'emprunteur "non averti". Comme l'a fort justement relevé un auteur, la différence n'est pas que de vocabulaire, dès lors que l'on a à l'esprit que la notion de profane est souvent opposée à celle de professionnel, et qu'un professionnel n'est pas forcément averti. A cet égard, la solution de la première chambre civile consacrerait la volonté de la Chambre mixte d'opérer "une déconnexion radicale" entre les qualités de "professionnel" et de "non averti" (4). L'arrêt rappelle, ensuite, quant à l'objet de l'obligation du banquier, et comme l'avaient fait les arrêts de Chambre mixte, qu'il est tenu d'un devoir de mise en garde eu égard aux "capacités financières" de l'emprunteur et "aux risques de l'endettement né de l'octroi des prêts", ce qui conduit le juge à apprécier la bonne exécution de cette obligation, non seulement, au regard du patrimoine et des revenus de l'emprunteur, mais aussi, des risques d'endettement généré par l'octroi du ou des prêts, le devoir de mise en garde du banquier se trouvant, fort logiquement d'ailleurs, limité aux risques qu'il contribue à créer. On remarquera, enfin, sur le terrain de la charge de la preuve, que la première chambre civile confirme l'idée selon laquelle c'est au banquier qu'il appartient alors de prouver qu'il a satisfait à son devoir de mise en garde, ce qui, à vrai dire, n'est plus une surprise, tant il est aujourd'hui acquis que c'est à celui qui est légalement ou contractuellement tenus d'une obligation particulière d'information qu'il revient de rapporter la preuve de l'exécution de leur obligation (5).


(1) Cass. civ. 1, 12 juillet 2005, trois arrêts, n° 03-10.770, M. Franck Guigan c/ Crédit lyonnais, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A9139DIC), n° 02-13.155, M. Joël Seydoux c/ Société BNP Paribas, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A0277DKH) et n° 03-10.921, M. Simon Jauleski c/ Société BNP Paribas, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A9140DID) : D. 2005, AJ p. 2276, obs. X. Delpech ; Jur. p. 3094, note B. Parance ; D. 2006, Pan. p. 167, obs. D-R. Martin et H. Synvet ; Banque, n° 673, octobre 2005, p. 94, note J.-L. Guillot, M. Boccara Segal ; JCP éd. G, 2005, II, 10140, note A. Gourio, et JCP éd. E, 2005, p. 1359, note D Legeais ; Banque et droit 2005, n° 104, p. 80, obs. T. Bonneau ; RLDC 2005, n° 21, p. 15, note S. Piedelièvre ; RD bancaire et fin., septembre-octobre 2005, p. 20, obs. D. Legeais, et novembre-décembre, p. 14, obs. F.-J. Crédot et Y. Gérard ; Resp. civ. et assur. n° 10/2005, p. 22 ; BRDA 2005, n° 20, p. 11 ; Dr. et patr., 2005, n° 143, p. 98, obs. J.-P. Mattout et A. Prüm, et 2006, n° 145, p. 123, obs. L. Aynes et P. Dupichot ; RTD com. 2005, p. 829, obs. D. Legeais.
(2) Voir déjà, en ce sens, Cass. com., 26 mars 2002, n° 99-13.810, M. Patrick Thiery c/ Banque régionale d'escompte et de dépôt (BRED), FS-P+B (N° Lexbase : A3794AY8), Bull. civ. IV, n° 57 ; comp., en matière de cautionnement, Cass. com., 8 octobre 2002, n° 99-18.619, M. David Nahoum c/ Banque CGER France, FP-P (N° Lexbase : A9624AZH), Bull. civ. IV, n° 136 : JCP éd. G, 2003, II, 10017, note Y. Picod.
(3) Cass. mixte, 29 juin 2007, deux arrêts, n° 05-21.104, Epoux X. c/ Société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Centre-Est (CRCAMCE) (N° Lexbase : A9645DW7) et n° 06-11.673, Mme Régine X., épouse Y. c/ Société Union bancaire du Nord (UBN) (N° Lexbase : A9646DW8) ; et les observations de Richard Routier, Professeur à l'Université de Clermont-Ferrand 1, Devoir de mise en garde : les précisions de la Chambre mixte, Lexbase Hebdo n° 268 du 12 juillet 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N7831BBN).
(4) Voir en ce sens Richard Routier, note préc., et les références citées par l'auteur.
(5) Cass. civ. 1, 25 février 1997, n° 94-19.685, M. Hédreul c/ M. Cousin et autres (N° Lexbase : A0061ACA), Bull. civ. I, n° 75 : D. 1997, Somm. p. 319, obs. M. Penneau ; Gaz. Pal., 1997, 1, p. 274, rapp. P. Sargos, note J. Guigue ; JCP éd. G, 1997, I 4025, n° 7 obs. G. Viney ; LPA 16 juillet 1997, n° 85, p. 17, note A. Dorsner-Dolivet ; Contrats concur. consom. 5/1997, p. 4, note L. Leveneur ; RTD civ. 1997, p. 434, note P. Jourdain ; Rev. Lamy droit des aff. 1998, n° 6, p. 3, note Y. Chartier ; Defrénois 1997, p. 751, obs. J-L. Aubert (médecins) - Cass. civ. 1, 29 avril 1997, n° 94-21.217, M. X c/ Mme Y (N° Lexbase : A0136ACZ), Bull. civ. I, n° 132 ; JCP éd. G, 1997, II 22948, note R. Martin ; LPA 15 août 1997, n° 98, p. 15, note M.-H. et V. Maleville (avocat) - Cass. civ. 1, 9 décembre 1997, n° 95-16.923, Monsieur Dumin c/ Société d'Assurances Crédit Mutuel et autre (N° Lexbase : A0574ACA), Bull. civ. I n° 356 ; Cass. civ. 2, 8 avril 2004, n° 03-11.485, M. Patrice Abadie c/ Société Axa assurances, FS-P+B (N° Lexbase : A8469DBB), Bull. civ. II n° 163, Dr et patr., juillet-août 2004, p. 95, obs. P. Chauvel (assureur). ; et, bien entendu, s'agissant du banquier : Cass. civ. 1, 6 novembre 2001, n° 98-20.518, M. André Jaume c/ Caisse nationale de prévoyance, FS-P (N° Lexbase : A0594AXB), Bull. civ. I, n° 271.

newsid:305511

Fonction publique

[Jurisprudence] Les francs-maçons sont-ils des fonctionnaires comme les autres ?

Réf. : CEDH, 31 mai 2007, req. 26740/02, Grande Oriente d'Italia Palazzo Giustiniani c/ Italie (N° Lexbase : A0867D3I)

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N5502BD7

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par Olivier Dubos, Professeur de droit public à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

Les fonctionnaires français ont acquis le droit à communication de leur dossier en cas de procédures disciplinaires grâce à l'article 65 de la loi du 22 avril 1905. "Son vote est lié à l'un des principaux scandales de la IIIème République : 'l'affaire des fiches', un des événements marquants de la période 1902-1904, pendant laquelle s'est maintenu le long ministère radical du 'petit père' Combes. Le général André étant ministre de la Guerre, un système de délation avait été organisé avec l'aide d'une organisation maçonnique (le Grand Orient de France), en vue de répertorier les officiers 'mal-pensants' c'est-à-dire essentiellement ceux, qui allant à la messe, ou autorisant leur femme à y aller, ou assistant à la première communion de leur fils, devaient être considérés comme de mauvais républicains. Des indiscrétions provoquèrent le scandale. On parlait de deux dossiers qui se trouvaient (ou se seraient trouvés) sur le bureau du ministre, l'un contenant les fiches relatives aux bons officiers, ceux qui ne fréquentent pas les églises et qui étaient promis à un avancement rapide comme à des affectations intéressantes : c'était le dossier 'Corinthe' (car 'non licet omnibus adire Corinthum') ; l'autre contenant des fiches de ceux dont la carrière serait moins brillante : ce dossier des 'cléricaux', des 'jésuites', était le dossier 'Carthage' (parce que : 'Carthago delenda est')" (R. Chapus, Droit administratif général, tome 2, Paris, Montchrestien, quinzième édition 2001, n° 69). L'Italie contemporaine, pour sa part, se méfie des sociétés francs-maçonnes. Le 15 février 2000, la région autonome du Frioul Vénétie Julienne a adopté une loi régionale qui détermine les règles relatives aux charges publiques régionales. Cette loi impose aux candidats de déclarer leur éventuelle appartenance à une loge maçonnique ou à une association à caractère secret. Le Grande Oriente d'Italia Palazzo Giustiniani a, donc, introduit un recours devant la Cour européenne des droits de l'Homme. Il est vrai qu'il avait obtenu, d'ores et déjà, raison devant la Cour dans une affaire où était en cause une loi de la région des Marches qui poursuivait le même objectif (CEDH, 2 août 2001, req. 35972/97, Grande Oriente d'Italia di Palazzo Giustiniani c/ Italie N° Lexbase : A6998AW4). La République italienne avait, alors, été condamnée sur le seul fondement de l'article 11 de la CESDH (N° Lexbase : L4744AQR) (liberté de réunion et d'association).

Le dispositif de loi du Frioul Vénétie Julienne n'était, toutefois, pas totalement analogue à celui de la région des Marches. La Cour, suivant la démonstration du requérant, s'est donc fondée sur l'article 11 combiné à l'article 14 de la même convention (N° Lexbase : L4747AQU) (principe de non-discrimination). Au fond, cet arrêt consolide donc la liberté d'association des fonctionnaires et, indirectement, leur liberté de conscience (I). Sur le plan procédural, il démontre la conception extensive de la notion de victime et témoigne du statut ambiguë des collectivités territoriales au regard de la CESDH (II).

I - La liberté d'association et de conscience des fonctionnaires

A. Dans l'affaire jugée en 2001, la Cour avait conclu à la violation de l'article 11 de la CESDH car la loi des Marches interdisait, purement et simplement, la nomination des francs-maçons à des charges publiques. Il existait donc une atteinte à la liberté d'association. Avec un sens de l'ellipse remarquable, la Cour avait, alors, souligné que "pour 'rassurer' l'opinion publique à un moment où il était fortement question du rôle que certains membres de la franc-maçonnerie avaient eu dans la vie du pays. La Cour admet donc que l'ingérence litigieuse tendait à la protection de la sécurité nationale et à la défense de l'ordre" (n° 21). Toutefois, elle avait estimé que cette limitation n'était pas nécessaire dans une société démocratique, autrement dit, qu'elle était disproportionnée.

La loi du Frioul Vénétie Julienne faisait simplement obligation aux candidats de déclarer leur appartenance à des associations maçonniques ou, en tout cas, à caractère secret. Cette loi pose donc une différence de traitement selon la nature des associations, d'où la nécessité de combiner les articles 11 et 14 de la CESDH. La Cour a donc examiné si cette différence de traitement pouvait se réclamer d'une justification objective et raisonnable. Elle note qu'elle "ne saurait souscrire à la thèse de la requérante selon laquelle ces impératifs, valables en 1996, avaient cessé d'exister en 2000. A cet égard, elle se borne à observer que des répercussions sociales de grande envergure, telles que celles liées aux activités des loges maçonniques déviées', ne sauraient disparaître rapidement ou par la simple raison que pendant quelques années aucun membre de la franc-maçonnerie n'a été accusé de crimes très graves". Il existait donc une justification objective, mais était-elle raisonnable ? Le rejet d'une candidature d'une personne franc-maçonne n'est pas automatique puisque, parmi tous les candidats recrutés depuis l'entrée en vigueur de la loi, un seul a déclaré appartenir à une loge et a été retenu pour remplir les fonctions de conseiller d'administration dans une société à participation régionale. La Cour estime, cependant, que de nombreuses autres associations peuvent présenter un danger pour la sécurité nationale et la défense de l'ordre, notamment les associations racistes ou xénophobes ou les sectes et, pourtant, leurs membres ne sont pas assujettis à une obligation de déclaration. La différence de traitement n'est pas raisonnable. La Cour conclut alors à la violation des articles 11 et 14 de la CESDH.

B. Indirectement, la Cour européenne des droits de l'Homme protège, ainsi, la liberté de conscience des agents publics. L'on se souviendra que, selon l'article 13 de la loi "Le Pors" du 13 juillet 1983 (loi n° 83-634, 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires N° Lexbase : L6938AG3), "la liberté d'opinion est garantie aux fonctionnaires. Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses, de leur origine, de leur orientation sexuelle, de leur âge, de leur patronyme, de leur état de santé, de leur apparence physique, de leur handicap ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race". L'article 18 de la même loi précise qu'il ne peut être fait état dans le dossier d'un fonctionnaire de ses activités politiques, syndicales, religieuses ou philosophiques. Le fonctionnaire peut en demander la suppression (CE 4° et 6° s-s-r., 25 juin 2003, n° 251833, Mme Calvet N° Lexbase : A2213C9T, Rec., p. 291). Dans un très célèbre arrêt, le Conseil d'Etat avait annulé un refus d'inscription au concours d'entrée à l'Ecole nationale d'administration de candidats appartenant au parti communiste (CE Contentieux, 28 mai 1954, n° 28238, Barel et autres N° Lexbase : A9107B8S, Rec., p. 308, conclusions Letourneur). L'Allemagne a un dispositif plus restrictif, puisqu'un individu ne saurait avoir la qualité de fonctionnaire s'il ne déclare pas adhérer aux valeurs de la République fédérale.

La seule incertitude qui subsiste, aujourd'hui, en droit français concerne l'accès des ecclésiastiques aux postes de l'enseignement public. Dans un arrêt classique, le Conseil d'Etat avait admis la légalité, "dans l'intérêt du service", d'un refus d'admettre à concourir en vue de l'obtention de l'agrégation de philosophie d'un ministre du culte (CE Contentieux, 10 mai 1912, n° 46027, Abbé Bouteyre N° Lexbase : A7183B78, Rec., p. 553). Il n'est, toutefois, pas certain que cette jurisprudence soit toujours en vigueur. Le tribunal administratif de Paris a jugé illégal le refus d'admettre un prêtre à participer au concours d'agrégation d'anglais (TA Paris, 7 juillet 1970, Spagnol, Rec., p. 851). Dans un avis rendu dans ses fonctions non-contentieuses, le Conseil d'Etat a estimé que "si les dispositions constitutionnelles qui ont établi la laïcité de l'Etat et celle de l'enseignement imposent la neutralité de l'ensemble des services publics et en particulier la neutralité du service de l'enseignement à l'égard de toutes les religions, elles ne mettent pas obstacle par elles-mêmes à ce que des fonctions de ces services soient confiées à des membres du clergé" (avis du 21 septembre 1972, EDCE, n° 55, p. 422). Pour Jean-Paul Costa, cet avis ne conduit, toutefois, pas à un abandon pur et simple de la jurisprudence "Bouteyre", car "le ministre peut toujours apprécier, sous le contrôle du juge, si l'accès à certaines fonctions peut être refusé à un membre du clergé" (Y. Gaudemet et alii, Les Grands avis du Conseil d'Etat, Paris, Dalloz, 1997, p. 108). Une telle solution est-elle, cependant, encore conforme à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme ?

II - La notion de victime et le statut des collectivités territoriales dans la procédure devant la Cour

A. Cette affaire démontre que la Cour retient une conception extensive de la notion de victime au sens de la Convention. Dans l'arrêt de 2001, la Cour avait jugé "que l'article 11 s'applique aux associations, y compris aux partis politiques [CEDH, 30 janvier 1998, req. n° 133/1996/752/951, Parti communiste unifié de Turquie et autres c/ Turquie N° Lexbase : A7800AWS, Recueil des arrêts et décisions 1998-I ; CEDH, 25 mai 1998, req. n° 20/1997/804/1007, Parti socialiste et autres c/ Turquie N° Lexbase : A7801AWT, Recueil 1998-III]. Elle a, d'une manière générale, indiqué 'qu'une association, fût-ce un parti politique, ne se trouve pas soustraite à l'empire de la Convention par cela seul que ses activités passent aux yeux des autorités nationales pour porter atteinte aux structures constitutionnelles d'un Etat et appelé des mesures restrictives' [Parti communiste unifié de Turquie et autres, précité, p. 17, § 2]). La Cour est d'avis que ce raisonnement vaut d'autant plus pour une association qui, comme la requérante, n'était pas soupçonnée de porter atteinte aux structures constitutionnelles. En outre et surtout, la Cour reconnaît que la mesure litigieuse peut, comme la requérante l'affirme, lui causer un préjudice, à savoir le départ d'un certain nombre de membres et une perte de prestige" (n° 15). Elle concluait, alors, que l'association avait bien la qualité de victime au sens de la convention.

Dans l'affaire de 2007, le raisonnement est évidemment identique. Le Grande Oriente d'Italia Palazzo Giustiniani appartient, ainsi, à la catégorie des victimes potentielles qui a été admise par la Cour grâce à une interprétation extensive de la notion de victime de l'article 34 de la CESDH (N° Lexbase : L4769AQP).

B. Cette affaire est, également, intéressante sur le plan procédural car la partie défenderesse devant la Cour européenne est la République italienne, alors que l'acte en cause est une loi d'une région autonome, dans une matière qui ne relève pas de la compétence du Gouvernement central. Cette solution est, en apparence, parfaitement logique, puisque c'est l'Etat italien, en tant que sujet de droit international qui est lié par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et non pas son Gouvernement central. Il doit donc répondre du comportement des collectivités infra-étatiques, y compris lorsqu'elles sont constitutionnellement autonomes. Il s'agit là de l'application d'un principe classique du droit international (article 4 du projet de codification relatif à la responsabilité de l'Etat pour fait internationalement illicite, élaboré par la Commission du droit international). Le droit communautaire adopte la même solution (CJCE, 14 janvier 1988, aff. C-230/85, Commission des Communautés européennes c/ Royaume de Belgique N° Lexbase : A7623AUU, Rec., p. 1).

Sans revenir sur cette solution qui a pour elle le mérite d'une certaine cohérence, ne faudrait-il pas admettre, au moins, que les collectivités publiques infra-étatiques puissent intervenir sans obstacle devant la Cour européenne de sauvegarde des droits de l'Homme afin de défendre leur point de vue ? Cette possibilité n'est de lege lata que prévue de manière assez restrictive par l'article 36, paragraphe 2 de la Convention (N° Lexbase : L4771AQR), "dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, le président de la Cour peut inviter toute Haute Partie contractante qui n'est pas partie à l'instance ou toute personne intéressée autre que le requérant à présenter des observations écrites ou à prendre part aux audiences".

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Entreprises en difficulté

[Chronique] Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté

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N4170BDS

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Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, la chronique de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures collectives. Se trouve, au premier plan de cette actualité, une décision rendue le 13 novembre 2007, par laquelle la Cour de cassation a apporté un éclairage sur le jeu des nullités de la période suspecte en présence de l'ouverture d'une seconde procédure collective prononcée après la résolution du plan. Un arrêt du même jour, se prononçant sur l'incidence de l'absence de déclaration de créances des cotisations d'assurance vieillesse sur le droit à pension de retraite, mérite, également, une attention toute particulière.
  • Résolution du plan, ouverture d'une seconde procédure collective et jeu des nullités de la période suspecte (Cass. com., 13 novembre 2007, n° 05-13.248, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A5843DZG)

On croyait tout savoir sur la notion de période suspecte. Mais, comme toujours, en poussant un peu l'analyse, de nouveaux champs d'investigation s'ouvrent. La succession de procédures collectives en est, dans l'arrêt ici commenté, l'occasion.

En l'espèce, M. B. est déclaré en redressement judiciaire le 19 février 1992, avec fixation de la date de cessation des paiements au 19 août 1990. Un plan de continuation est arrêté le 6 octobre 1993 et résolu le 15 mars 1995. Il y a, alors, ouverture d'une nouvelle procédure de redressement judiciaire. Un jugement du 5 avril 1995 arrête le plan de cession et nomme, en qualité de commissaire à l'exécution du plan, Me M.. Mme B. et son commissaire à l'exécution du plan demandent alors l'annulation des paiements reçus de M. B. par la Banque de Savoie pendant la période suspecte de la procédure initiale.

La question, inédite, posée à la Cour de cassation était de savoir si, après résolution d'un plan de continuation, l'ouverture d'une nouvelle procédure collective consécutive à cette résolution permettait d'atteindre, par le jeu des nullités de la période suspecte, des actes accomplis dans la période suspecte ayant précédé le jugement d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire initial.

A cette question, la Cour de cassation, par un arrêt de sa Chambre commerciale, va répondre par la négative. Elle énonce que "le commissaire à l'exécution du plan de cession, nommé après la résolution d'un précédent plan de redressement, n'a pas qualité pour engager une action en nullité des paiements ou des actes faits durant la période suspecte antérieure à l'ouverture de la procédure initiale".

Le pourvoi en cassation articulait des moyens autour de la qualité à agir du commissaire à l'exécution du plan. Il est symptomatique de remarquer que la Cour de cassation ne répond guère à ces arguments, préférant porter son attention sur la chronologie des faits. La Cour de cassation, ce faisant, ne précise pas le fondement de sa solution. Il importe, dès lors, à l'interprète de tenter de le déceler.

Cette recherche peut partir d'une réflexion très simple : puisqu'il est question du jeu des nullités de la période suspecte, il convient de définir cette notion.

La période suspecte désigne la période s'étendant de la date de cessation des paiements remontée jusqu'au jour du jugement d'ouverture. Les actes accomplis après le jugement d'ouverture ne peuvent, a priori, tomber sous le coup des nullités de la période suspecte (1).

La durée de la période suspecte est légalement limitée à dix-huit mois, pour le jeu des nullités de la période suspecte. Cette restriction du domaine d'application de la limitation de la durée de la période suspecte n'est pas sans importance en matière de poursuite pour banqueroute. En effet, la juridiction correctionnelle n'est pas liée par la date de cessation des paiements retenue par la juridiction de la faillite. Cette solution, posée sous l'empire de la législation antérieure à la loi du 26 juillet 2005 (2), "séquelles de l'autonomie autrefois reconnue au juge pénal en la matière" (3) -la faillite virtuelle- demeure inchangée sous l'empire de la législation du 26 juillet 2005 (4) (loi n° 2005-845, de sauvegarde des entreprises N° Lexbase : L5150HGT). A, en conséquence, été admise la possibilité pour le juge pénal de fixer la date de cessation plus de dix-huit mois avant le jugement d'ouverture. Cette solution, posée sous l'empire de la législation antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises (5), semble devoir être reconduite (6).

Un auteur a, toutefois, fait observer, à juste titre selon nous, que l'interdiction de remonter la date de cessation des paiements au-delà de la décision définitive homologuant l'accord de conciliation s'impose tant au juge civil qu'au juge pénal (7).

Si l'on excepte ces précisions, qui ne font qu'illustrer l'autonomie du droit pénal, le principe selon lequel la période suspecte ne peut dépasser le seuil temporel de dix-huit mois doit être fermement posé.

La jurisprudence avait déjà eu l'occasion de préciser que la résolution d'un plan de continuation ou de redressement et l'ouverture consécutive d'une nouvelle procédure de liquidation judiciaire n'autorisaient pas un changement de principe de solution. La date de cessation des paiements au titre de la seconde procédure, qui seule doit être prise en compte -autonomie des procédures oblige- ne peut être antérieure de plus de dix-huit mois au jugement d'ouverture de cette seconde procédure (8). L'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêté du plan de plan de continuation et présupposant l'absence de cessation des paiements à cette date, du fait des reports d'exigibilité des créances antérieures, y fera obstacle.

L'arrêt ici commenté ne constitue donc qu'une application de cette jurisprudence peu connue, car, il est vrai, à cette date, peu diffusée. L'arrêté du plan de continuation présuppose l'absence d'état de cessation des paiements à la date de son intervention, dans la mesure où il a pour effet de replacer le débiteur à la tête de ses biens, de le remettre in bonis, ce qui est évidemment inconcevable, s'il est encore en état de cessation des paiements. C'est donc, en fin de compte, l'autorité de la chose jugée attachée à la décision arrêtant le plan de continuation qui fait obstacle à ce qu'un organe de la seconde procédure, qu'il s'agisse du commissaire à l'exécution du plan ou du liquidateur, puisse, dans une action engagée au titre de la seconde procédure, rechercher l'annulation des actes antérieurs à l'ouverture de la première procédure sur le fondement des nullités de la période suspecte.

Cette jurisprudence, qui peut être reconduite sous l'empire de la loi de sauvegarde des entreprises, en cas d'arrêté, puis de résolution d'un plan de redressement, contribue évidemment à renforcer la sécurité des tiers, car il n'est pas sain que des actes puissent être annulés très longtemps après leur accomplissement, sauf évidemment le jeu de la fraude paulienne. Elle permet aussi de donner plus de corps à l'interdiction de fixer, pour le jeu des nullités de la période suspecte, la date de cessation des paiements plus de dix-huit mois avant son intervention.

Au principe de l'impossibilité de fixer une date de cessation plus de dix-huit mois avant le jugement d'ouverture de la personne placée sous redressement ou sous liquidation judiciaire, il faut toutefois, sous l'empire de la législation antérieure, apporter un tempérament, qui aura, d'ailleurs, vocation à jouer identiquement sous l'empire de la loi de sauvegarde des entreprises : il s'agit du cas de l'extension de la procédure sur le fondement de la confusion des patrimoines. La date de cessation des paiements retenue, en cas d'extension sur le fondement de la confusion des patrimoines, est identique pour toutes les structures (9), ce qui peut constituer une entorse à la règle selon laquelle la date de cessation des paiements ne peut être remontée de plus de dix-huit mois par rapport au jugement d'ouverture. En réalité, le seul jugement d'ouverture existant est celui de la première procédure, puisque l'extension n'entraîne pas ouverture d'une procédure autonome à l'encontre des autres structures (10). Logiquement, la caractérisation de l'état de cessation des paiements de chaque structure ne s'impose pas (11). Pour apprécier la date à laquelle il faut, dans le cadre d'une action en report de date de cessation des paiements, fixer la cessation des paiements, il convient de prendre en compte les actifs disponibles et le passif exigible de toutes les structures, qui constituent une même entreprise (12). Toutes ces solutions reposent sur l'effet d'unicité de masse active et passive qu'entraîne l'extension sur le fondement de la confusion des patrimoines.

Mais, on le voit, il ne s'agit pas là d'une véritable exception à l'interdiction de remonter la date de cessation de paiement plus de dix-huit mois avant le jugement d'ouverture, dans la mesure où le jugement d'extension, qui est certes assimilé sur le plan procédural à un jugement d'ouverture (13), s'en distingue néanmoins. Le jugement d'extension n'est pas une ouverture de procédure, de sorte que le seul jugement d'ouverture à prendre en compte pour la fixation de la date de cessation de paiement est bien celui de la personne la première placée sous procédure collective, dont la procédure est ensuite étendue.

Sous l'empire de la législation antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises, il est possible de faire état de véritables exceptions à l'impossibilité de fixer une date de cessation de paiement plus de dix-huit mois avant le jugement d'ouverture de la personne placée sous redressement ou liquidation judiciaire. Il s'agit des hypothèses d'extension sanction, plus justement dénommée action en redressement ou en liquidation judiciaire à titre personnel contre les dirigeants d'une personne morale sur le fondement des articles L. 624-4 et L. 624-5 du Code de commerce (anct L. 25 janv. 1985, art. 181 et 182). L'ouverture de la procédure collective à titre de sanction est ici indépendante de l'état de cessation des paiements de la personne sanctionnée (14). L'article L. 624-5, alinéa 9, du Code de commerce (anct L. 25 janv. 1985, art. 182, al. 9) prévoit que "la date de cessation des paiements est celle fixée par le jugement d'ouverture [...] de la personne morale". Le tribunal ne peut donc remonter la date de cessation des paiements, dans la procédure ouverte contre le dirigeant, à une date antérieure à celle retenue pour la personne morale (15). Du fait de l'identité de date de cessation de paiements de la personne morale débitrice et du dirigeant sanctionné, la période suspecte, dans la procédure collective de ce dernier, peut durer plus de dix-huit mois.

La solution est la même en cas d'ouverture de procédures sur le fondement de la solidarité à l'encontre des associés indéfiniment et solidairement responsables du passif de la personne morale débitrice, sur le fondement de l'article L. 624-1 du Code de commerce (anct L. 25 janv. 1985, art. 3, al. 178). La Cour de cassation, de manière analogique avec la solution posée en cas d'extension à un dirigeant fautif, décide que la date de cessation des paiements retenue contre les membres ou associés est celle de la personne morale, peu important que cette date soit antérieure de plus de dix-huit mois par rapport à l'ouverture de la procédure contre les membres ou associés (16).

Ces deux dernières solutions, constitutives de véritables exceptions à la règle de l'interdiction de fixer une période suspecte sur une durée supérieure à dix-huit mois, n'ont plus vocation à jouer sous l'empire de la loi de sauvegarde des entreprises, alors que, si ces procédures à titre de sanction ou au titre de la solidarité ont été valablement ouvertes avant le 1er janvier 2006, la loi de sauvegarde restera sur elles sans effet.

Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du CERDP (ex Crajefe)

  • L'incidence de l'absence de déclaration de créances des cotisations d'assurance vieillesse sur le droit à pension de retraite (Cass. com., 13 novembre 2007, n° 06-14.372, Caisse d'allocation vieillesse des agents généraux et des mandataires non salariés de l'assurance et de capitalisation (CAVAMAC), FS-P+B N° Lexbase : A5869DZE)

Sous l'empire de la législation antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises, l'absence de déclaration de créances de cotisations d'assurance vieillesse et de relevé de forclusion entraîne l'extinction de la créance. Du fait de l'extinction de la créance, l'affilié est à jour de ses cotisations, ce qui lui permet d'obtenir la liquidation de la pension de retraite.

Tout professionnel indépendant est soumis à un régime d'assurance vieillesse obligatoire. A l'occasion de la procédure collective du professionnel, la caisse d'assurance vieillesse doit procéder à la déclaration au passif des cotisations impayées au jour du jugement d'ouverture. Lorsque la créance est déclarée au passif mais qu'elle n'est pas payée en application de la règle de l'interdiction du paiement des créances antérieures, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a considéré que "l'absence de règlement intégral des cotisations antérieures ne prive pas l'assuré ou ses ayants droits de tout droit aux prestations, mais a seulement pour effet d'exclure la période pendant laquelle les cotisations n'ont pas été payées du calcul du montant des prestations" (17). Dans un arrêt du 13 novembre 2007, la Chambre commerciale vient, cette fois, s'intéresser à l'incidence de l'absence de déclaration de la créance de l'organisme social sur le droit à une retraite normale de l'adhérent.

En l'espèce, un affilié à une caisse d'assurance vieillesse avait fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire clôturée pour insuffisance d'actifs. La caisse de retraite envers laquelle l'affilié demeurait débiteur d'un arriéré de cotisations n'avait pas déclaré sa créance ni demandé à être relevée de la forclusion. Le débiteur avait alors ultérieurement sollicité la liquidation de ses droits à pension de retraite. La caisse lui ayant opposé que cette liquidation ne pourrait intervenir que si cet arriéré lui était réglé, le débiteur s'était, dans un premier temps, exécuté, puis avait présenté une demande en répétition de l'indu. La cour d'appel avait accueilli cette demande et condamné, en conséquence, la caisse à rembourser au débiteur les sommes que celui-ci avait réglées au titre de la créance d'arriéré de cotisations non déclarée au passif de sa procédure.

Se pourvoyant en cassation, la caisse soulevait deux moyens. Elle se prévalait, d'abord, de son omission sur la liste certifiée que le débiteur avait remise au représentant des créanciers, ce qui lui avait fait perdre le bénéfice de l'avertissement, en qualité de créancier connu, d'avoir à déclarer sa créance. Cette omission constituait, d'après la caisse, une fraude lui permettant de recouvrer, après clôture de la procédure, son droit de poursuites individuelles pour obtenir, à titre de dommages-intérêts, le paiement de l'équivalent de la créance éteinte par la fraude du débiteur. Dans un second moyen, la caisse faisait état de ce que la liquidation de la pension de retraite était, selon l'article 9 du titre 2 des statuts de la caisse, subordonnée à la condition que l'adhérent soit à jour du paiement de ses cotisations. Or, selon l'organisme social, l'extinction des cotisations en conséquence du défaut de déclaration de créance établissait, selon lui, que l'affilié n'était pas à jour de ses cotisations, ce qui devait donc lui fermer la liquidation de sa pension de retraite.

Ecartant ces arguments, la Chambre commerciale de la Cour de cassation rejette le pourvoi de la caisse d'allocation vieillesse. En réponse au premier moyen, elle considère que la cour d'appel, qui avait retenu que le débiteur pouvait légitimement croire que l'absence de règlement des cotisations avait pour seule conséquence l'annulation des points de retraite attribués en contrepartie, avait pu en déduire que la caisse, faute d'avoir démontré que le débiteur avait intentionnellement dissimulé sa dette, ne pouvait prétendre au paiement de dommages-intérêts.

Sur le second moyen, qui nous intéresse plus particulièrement, l'arrêt considère que, du fait de l'extinction de la créance de la caisse en l'absence de déclaration de créance, le débiteur était à jour de ses cotisations, de sorte que se trouvait remplie la condition posée à l'article 9 du titre 2 des statuts de la caisse, subordonnant la liquidation des droits à une retraite normale de l'adhérent au fait que ce dernier soit à jour du paiement de ses cotisations.
Cette position prise par la Chambre commerciale de la Cour de cassation doit être approuvée. On sait que, sous l'empire de la législation antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises, l'absence de déclaration de créance et de relevé de forclusion conduit à l'extinction de la créance (C. com., ancien art. L. 621-46 al. 4 N° Lexbase : L6898AIC). Cette disposition n'avait pas été considérée comme contraire à l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L7558AIR) (18). Cette extinction de la créance produit un effet radical : elle ne laisse pas même subsister une obligation naturelle susceptible d'une conversion en obligation civile (19). La Cour de cassation a, ainsi, clairement indiqué que ce n'est pas seulement l'action qui est fermée aux créanciers puisque c'est la créance elle-même qui est éteinte (20).

Les statuts des caisses de retraite prévoient classiquement que la liquidation de la pension de retraite est subordonnée à la condition que l'affilié soit à jour du paiement de ses cotisations. L'absence de déclaration de la créance, et donc l'extinction de celle-ci, doit-elle conduire à considérer l'adhérent comme étant à jour au titre desdites cotisations ? Dans l'arrêt rapporté, la Chambre commerciale répond à cette question par l'affirmative. La logique commande la solution : dès lors que l'on ne doit rien puisque la créance est éteinte, on doit être considéré comme étant à jour. Ainsi, en cas d'extinction de la créance de cotisations sociales antérieures non déclarées, l'affilié, dès lors qu'il a réglé toutes les créances postérieures, doit être considéré comme étant à jour de ses cotisations. Cela lui permettra donc la liquidation de ses droits à une retraite normale sous réserve, précise la Cour, de l'annulation des points de retraite attribués en contrepartie de la créance éteinte.

L'intérêt de cette décision ne se résume pas à l'hypothèse qu'elle évoque -celle de l'extinction d'une créance de cotisation de retraite-. Cette solution peut, en effet, être transposée en matière de contrat de crédit-bail. Une clause de style, insérée dans les contrats de crédit-bail et de location avec option d'achat, précise que la faculté de levée de l'option d'achat du bien en fin de contrat offerte au preneur est subordonnée au paiement de l'intégralité des sommes dues au titre du contrat. Se pose alors, dans des termes voisins de ceux que l'on vient d'évoquer, la question suivante : en l'absence de déclaration au passif de créances des loyers antérieurs à l'ouverture de la procédure collective du débiteur, ce dernier pourra-t-il lever l'option d'achat du bien objet du contrat nonobstant le défaut de règlement des loyers antérieurs ? Si l'on suit la position adoptée par la Cour de cassation en matière de cotisations de retraite, la réponse doit être affirmative. L'absence de déclaration de créances de loyers, sous l'empire de la législation antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises, conduit à l'extinction de cette créance. Il en résulte que l'établissement de crédit-bail ne pourra pas subordonner la faculté de lever l'option d'achat au paiement d'une créance de loyers non déclarée et donc éteinte.

La solution posée par l'arrêt du 13 novembre 2007 l'est sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985. A-t-elle vocation à demeurer sous l'empire de la législation de sauvegarde des entreprises ? Il n'en est rien. L'article L. 622-26, alinéa 1, du Code de commerce, issu de la loi de sauvegarde des entreprises (N° Lexbase : L3746HBD), dispose que, "à défaut de déclaration dans les délais fixés par décret en Conseil d'Etat, les créanciers ne sont pas admis dans les répartitions et les dividendes". La sanction du défaut de déclaration de créance n'est donc plus l'extinction de celle-ci mais, selon la doctrine, l'inopposabilité du droit de créance à la procédure collective (21). Il en résulte l'interdiction pour le créancier d'être payé pendant la procédure collective (22). Sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985, la Chambre commerciale avait considéré que l'interdiction de payer une créance antérieure ne valait pas paiement (23). Par analogie, il convient de considérer que l'interdiction de paiement résultant de l'absence de déclaration de la créance ne peut pas davantage être assimilée à un paiement. Il en résultera donc que, sous l'empire de la législation actuelle, nonobstant l'absence de déclaration au passif de loyers antérieurs au jugement d'ouverture, le débiteur ne pourra lever l'option d'achat que si cette créance de loyers est néanmoins payée. De même, dans le domaine de l'assurance vieillesse qui nous intéresse plus spécialement ici, l'affilié ne pourrait obtenir la liquidation de ses droits à une retraite normale que s'il est à jour de ses cotisations, y compris celles qui n'ont pas été déclarées au passif de sa procédure et qui ne sont plus désormais frappées d'extinction. Cependant, dans cette hypothèse, sera selon toute vraisemblance reprise la solution posée par la Chambre commerciale, selon laquelle "l'absence de règlement intégral des cotisations antérieures ne prive pas l'assuré [...] de tout droit aux prestations, mais a seulement pour effet d'exclure la période pendant laquelle des cotisations n'ont pas été payées du calcul du montant des prestations" -solution dont nous avions indiqué qu'elle violait pourtant ouvertement la règle de la législation sociale (24)-.

Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences des Universités, Directrice du Master 2 droit de la banque de la faculté de Toulon


(1) CA Toulouse, 4ème ch. soc., 1ère sect., 16 mars 2006, Rev. proc. coll. 2006/3, p. 276, n° 2, obs. G. Blanc.
(2) Cass. crim., 18 novembre 1991, n° 90-83.775, Pentoux Jean-Louis (N° Lexbase : A5381A43), Rev. proc. coll. 1992, 319, obs. J. Devèze ; JCP éd. E, 1992, I, 192, n° 17, obs. M. Cabrillac ; JCP éd. G, 1993, I, 3686, n° 11, obs. C. Gavalda et J. Stoufflet ; JCP éd. G, 1993, II, 22102, note M.-C. Sordino ; RTD com. 1992, p. 878, obs. P. Bouzat ; Cass. crim., 21 juin 1993, n° 92-84.526 (N° Lexbase : A4145ACI), RJ com. 1994, 16, note R. Bernardini et A. Honorat.
(3) Ph. Pétel, Procédures collectives, 5ème éd., Cours Dalloz, 2006, n° 427.
(4) Rapp. Xavier de Roux, n° 2095, p. 448 et 449.
(5) Cass. com., 20 octobre 1992, n° 90-20.964, M. Avenier c/ M. Chevrier, ès qualités de mandataire-liquidateur de la liquidation judiciaire de la Croissanterie 2000 et autre, publié (N° Lexbase : A4787ABW), Bull. Joly 1993, I, 298, n° 20, obs. M. Cabrillac ; LPA 26 janvier 1994, p. 20, note R. Bernardini et A. Honorat.
(6) D. Voinot, Droit économique des entreprises en difficulté, LGDJ 2007, n° 734.
(7) A. Jacquemont, Procédures collectives, Litec, 5ème éd., 2007, n° 950.
(8) Cass. com., 11 juin 2003, n° 00-15.676, Société Sedimab c/ M. Jean-Gilles Dutour, F-D (N° Lexbase : A7101C8I).
(9) Cass. com., 24 octobre 1995, n° 93-20.469, Société BVE, société en nom collectif c/ Société Lasseron et autres (N° Lexbase : A8026AHQ), Rev. proc. coll. 1996, p. 206, n° 12, obs. Calendini ; Cass. com., 8 juin 1999, n° 96-22.071, M. Raynaud c/ Caisse régionale de Crédit agricole mutuel de Centre France (N° Lexbase : A5386A4A), Act. proc. coll. 1999/12, n° 155 ; LPA 8 juillet 1999, n° 135, p. 5, note P. M..
(10) CA Bourges, 31 août 2004, n° 03/01035, M. Marc Augy c/ Me Axel Ponroy, mandataire judiciaire, membre de la SCP Ledeur & Ponroy, agissant ès qualités de mandataire liquidateur (N° Lexbase : A4310DH4), JCP éd. E, 2005, pan. 551, p. 604.
(11) Cass. com., 24 octobre 1995, précité ; Cass. com., 3 avril 2001, n° 98-14.195, M. Jacques Puyaubran       (N° Lexbase : A1899ATI), RJDA 2001/8-9, n° 874.
(12) Cass. com., 7 janvier 2003, n° 99-16.204, Société civile professionnelle (SCP) Guérin Diesbecq c/ Société Le Moulage Technique, FS-P (N° Lexbase : A6034A4A), D. 2003, AJ p. 347 ; Act. proc. coll. 2003/3, n° 31, obs. J. Vallansan ; RTD com. 2003, p. 813, n° 5, obs. C. Saint-Alary-Houin ; Dr. et proc. 2003/4, p. 235, note P.-M. Le Corre ; Bull. Joly 2003, n° 78, p. 402, note F.-X. Lucas ; Rev. proc. coll. 2004, p. 273, n° 13, obs. M.-P. Dumont ; Cass. com., 17 décembre 2003, n° 02-16.029, Sociétés SMGT et SNC du Château Saint-Corneille c/ M. Claude Vayrac, F-D (N° Lexbase : A4935DAZ) ; Cass. com., 23 novembre 2004, n° 03-17.799, M. Jean-Pierre Abbadie, pris en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan des sociétés CLC International, CLC Location, CLC Transport et Coste c/ M. Francis Coste, F-D (N° Lexbase : A1350DEQ).
(13) Ce qui a justifié, par exemple, la recevabilité à son encontre de la tierce opposition : Cass. com., 4 juillet 2000, n° 98-12.117, Banque française de crédit coopératif c/ Epoux Gatterreet autres (N° Lexbase : A3601AUW), Act. proc. coll. 2000/14, n° 173 ; D. 2000, jur. p. 375, obs. A. Lienhard ; Cass. com., 8 octobre 2003, n° 00-19.730, Société Via banque c/ SCI Les Payots, F-D (N° Lexbase : A7124C9Q), lire P.-M. Le Corre, La voie de recours du créancier à l'encontre du jugement d'extension sur le fondement de la confusion des patrimoines, Lexbase Hebdo n° 93 du 6 novembre 2003 - édition affaires (N° Lexbase : N9274AAQ) ; D. 2003, AJ p. 2817, note P.-M. Le Corre ; LPA 16 février 2004, n° 33, p. 9, note H. Lécuyer ; Cass. com., 16 mai 2006, n° 05-14.595, M. Michel Sulmon c/ Société civile professionnelle (SCP) Perney Angel, F-P+B (N° Lexbase : A6782DPU), Gaz. proc. coll. 2006/3, p. 15, obs. Ch. Lebel ; Gaz. proc. coll. 2006/3, p. 18, obs. I. Rohart-Messager ; lire P.-M. Le Corre, Entreprises en difficulté : panorama bimestriel - mai/juin 2006 (1ère partie), Lexbase Hebdo n° 221 du 29 juin 2006 (N° Lexbase : N0179AL9).
(14) Cass. com., 8 juillet 2003, n° 00-14.045, M. Luigi Ferraro c/ Société civile professionnelle (SCP) Curé-Thiebaut, F-D (N° Lexbase : A0815C93) ; Cass. com., 12 octobre 2004, n° 03-15.335, M. Georges Seznec c/ Société Mutualité sociale du Finistère, F-D (N° Lexbase : A6168DDS) ; Cass. com., 7 juin 2005, n° 03-11.229, M. Yves Coudray, en sa qualité de liquidateur de la liquidation judiciaire de M. Van Themsche c/ M. Jean-Denis, F-P+B (N° Lexbase : A6436DI9), D. 2005, AJ p. 1697, obs. A. Lienhard ; D. 2006, somm. comm.. p. 87, obs. P.-M. Le Corre ; JCP éd. E, 2005, chron. 1274, p. 1427, n° 168, obs. Ph. Pétel ; Act. proc. coll. 2005/13, n° 161, note J. Vallansan ; Rev. sociétés 2005/4, p. 906, note P.-M. Le Corre ; lire Entreprises en difficulté : panorama de jurisprudence des mois de mai et juin 2005, la chronique de P.-M. Le Corre (première partie), Lexbase Hebdo n° 177 du 21 juillet 2005 - édition affaires (N° Lexbase : N6689AIL).
(15) Cass. com., 27 novembre 2007, n° 06-19.076, M. François Landreau, F-D (N° Lexbase : A9439DZM).
(16) Cass. com., 27 juin 2006, n° 05-16.200, M. Jacques Moyrand, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A1171DQG), D. 2006, AJ p. 1890, obs. A. Lienhard ; Gaz. proc. coll. 2006/4, p. 11, note Ch. Lebel ; Rev. sociétés 2007/1, p. 174, note Ph. Roussel Galle.
(17) Cass. com., 13 mars 2007, n° 05-20.396, Mme Maria Fernanda Da Cunha Rodrigues, épouse Guerra Frade Malheiro, F-P+B (N° Lexbase : A6879DUC), Act. proc. coll. 2007/8, n° 84, note C. Régnaut-Moutier ; JCP éd. E, 2007, chron. 2119, p. 23, n° 6, obs. Ph. Pétel ; note E. Le Corre-Broly, Lexbase Hebdo n° 257 du 26 avril 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N8867BAN).
(18) Cass. com., 3 octobre 2000, n° 98-12.275, M. Dominique Perbos c/ Mme Isabelle Barault, mandataire judiciaire (N° Lexbase : A2216AZ4), RD Banc. et fin. 2001/1, n° 18, obs. F.-X. Lucas.
(19) Cass. com., 31 mai 1994, n° 92-10.227, Société de crédit immobilier rural du Massif central c/ Mme Jacquet et autres (N° Lexbase : A6718ABG), Bull. civ. IV, n° 197 ; Rev. proc. coll. 1995, 56, n° 6, obs. B. Dureuil, D. 1995, somm. p. 25, obs. A. Honorat ; Cass. com., 1er octobre 2002, n° 99-17.876, Caisse de Crédit mutuel de Fontaine c/ M. Daniel Bourguignon, F-D (N° Lexbase : A9156AZ7), RD Banc. et fin. 2003/2, p. 100, n° 74, obs. F.-X. Lucas ; Cass. com., 13 mars 2007, n° 05-21.805, M. Hervé Menigoz, F-D (N° Lexbase : A6910DUH).
(20) Cass. com., 13 mars 2007, n° 05-21.805, précité.
(21) P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz Action 2006/2007, n° 665.75 ; partageant cette opinion : Ph. Pétel, Procédures collectives, 5ème éd., Dalloz, 2006, n° 382 ; A. Lienhard, Sauvegarde des entreprises en difficulté, 2ème éd., Delmas, 2007, n° 1108 ; F. Pérochon, Entreprises en difficulté - Instruments de crédit et de paiement, LGDJ, 7ème éd., 2006, n° 536.
(22) V. sur la question, P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz Action 2006/2007, n° 665.76.
(23) Cass. com., 26 novembre 2002, n° 00-13.710, Société Batimap c/ Banque populaire des pyrénées-Orientales, F-D (N° Lexbase : A1128A4K), D. 2003, jur. p. 22, note P.-M. Le Corre ; Act. proc. coll. 2003/2, n° 14, obs. J.-Ch. Boulay ; Dr. et proc. 2003/3, p. 161, obs. P. Crocq ; JCP éd. E, 2003, chron. 760, p. 852, n° 11, obs. Ph. Pétel ; D. 2003, jur. p. 22, note P.-M. Le Corre.
(24) Cass. com., 13 mars 2007, n° 05-20.396, précité ; note E. Le Corre-Broly précitée.

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Licenciement économique : appréciation du périmètre géographique du reclassement

Réf. : Cass. soc., 4 décembre 2007, n° 05-46.073, Mme Pascale Geoffroy, FS-P+B (N° Lexbase : A0284D3W)

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N5547BDS

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen

Le 07 Octobre 2010


On se souvient de l'instruction ministérielle de 2006 (instruction DGEFP n° 2006-01 du 23 janvier 2006, relative à l'appréciation de propositions de reclassement à l'étranger N° Lexbase : L6137HGE), par laquelle l'administration du travail tentait de compléter les solutions dégagées par le Conseil d'Etat et la Chambre sociale de la Cour de cassation pour tendre vers un corpus juridique cohérent. La question du reclassement à l'étranger, qui délimite les obligations de l'employeur, aussi bien dans le cadre d'un licenciement économique individuel (C. trav., art. L. 321-1 N° Lexbase : L8921G7K) que collectif (singulièrement, donnant lieu à la mise en place d'un plan de sauvegarde de l'emploi ; C. trav., art. L. 321-4-1 N° Lexbase : L8926G7Q), n'a donc pas été réglée par cette instruction ministérielle. En témoigne le contentieux qui continue de se développer et, notamment, un arrêt rendu le 4 décembre dernier par la Cour de cassation.


Résumé

Les possibilités de reclassement doivent s'apprécier à la date où les licenciements sont envisagés et être recherchées à l'intérieur du groupe, parmi les entreprises dont les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation leur permettent d'effectuer une permutation du personnel, même si certaines de ces entreprises sont situées à l'étranger, sauf à l'employeur à démontrer que la législation applicable localement aux salariés étrangers ne permet pas le reclassement.

La Cour de cassation, par sa décision du 4 décembre 2007, casse un arrêt rendu le 31 octobre 2005 par la cour d'appel de Nancy, qui avait décidé que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse, parce que, si le reclassement devait être recherché parmi les entreprises du groupe dont dépendait l'employeur, le fait que la Suisse, qui n'est pas membre de l'Union européenne, possède une législation contraignante en matière d'emploi de salariés étrangers et la circonstance que la société mère avait, elle-même, été amenée à réduire son personnel en 1993, ne permettaient pas d'envisager le reclassement de la salariée. Mais, la Cour de cassation énonce, au contraire, que les possibilités de reclassement doivent être recherchées à l'intérieur du groupe, même si certaines de ces entreprises sont situées à l'étranger, sauf à l'employeur à démontrer que la législation applicable localement aux salariés étrangers ne permet pas le reclassement. Les juges du fond devaient préciser en quoi la législation helvétique était de nature à empêcher le reclassement de la salariée. L'arrêt rapporté conforte certaines certitudes (relatives au périmètre international du reclassement), mais soulève des interrogations (relatives à la faculté pour l'employeur de se soustraire à ses obligations de reclassement).

1. Des certitudes : le périmètre international du reclassement

1.1. Jurisprudence judiciaire

Dès 1995, la Cour de cassation a admis que les possibilités de reclassement des salariés devaient être recherchées à l'intérieur du groupe, parmi les entreprises dont les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation leur permettent d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel (1). Il résulte de la fermeture d'un établissement de la société et de l'exercice de l'activité sur d'autres sites, notamment à l'étranger, dans un milieu différent, que les emplois des salariés de l'établissement en cause ont été supprimés. Dès lors, le licenciement de ceux de ces salariés, non protégés, qui ont refusé une mutation dans un autre établissement, repose sur une cause réelle et sérieuse.

Le périmètre du reclassement comprend l'entreprise, mais aussi le groupe, y compris les établissements situés à l'étranger. La solution est retenue depuis 1998 par la Cour de cassation (2). Selon une formule devenue de style, la Cour de cassation retient le principe selon lequel les possibilités de reclassement doivent être recherchées à l'intérieur du groupe, parmi les entreprises dont les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation leur permettent d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel, même si certaines de ces entreprises sont situées à l'étranger, dès l'instant que la législation applicable localement n'empêche pas l'emploi de salariés étrangers.

Cet arrêt revêt une certaine importance, en ce qu'il encadre et limite l'obligation de reclassement à la charge de l'employeur, y compris à l'étranger, parce que la Cour prend le soin de relever qu'en l'espèce, il n'a pas été allégué que le niveau hiérarchique du salarié excluait sa capacité à prendre un poste à l'étranger. La jurisprudence a été confirmée depuis (3).

L'obligation d'élargir l'emploi de reclassement à un poste situé à l'étranger s'inscrit dans un domaine très large, qui concerne la cause économique réelle et sérieuse, le licenciement économique, le plan de sauvegarde de l'emploi. La Cour de cassation entend de manière très extensive une telle obligation : dans le cadre du licenciement économique individuel, au titre de l'absence de cause réelle et sérieuse (4) ou du motif économique du licenciement (5) ; dans le cadre du licenciement économique collectif, donnant lieu à la mise en place d'un plan de sauvegarde de l'emploi (6).

1.2. Jurisprudence administrative

Dans un premier temps, les deux juridictions étaient en désaccord sur l'étendue géographique de l'obligation de l'employeur. Pour la Cour de cassation, la recherche ne devait pas se limiter au territoire national, dès l'instant que la législation applicable localement n'empêchait pas l'emploi de salariés étrangers (7). De son côté, le Conseil d'Etat limitait cette obligation de reclassement au territoire national. Lorsqu'une société appartenait à un groupe dont la société mère avait son siège à l'étranger, elle n'était tenue de faire porter son examen que sur les possibilités pouvant exister dans les sociétés du groupe ayant leur siège en France et dans les établissements de ce groupe situés sur le sol national (8).

Puis, le Conseil d'Etat a fait obligation à l'autorité administrative de contrôler la réalité du motif économique, en prenant en compte la situation économique de l'ensemble des entités du groupe, sans plus exclure celles situées à l'étranger (9).

Enfin, la jurisprudence administrative s'est inscrite dans la lignée de la jurisprudence élaborée par la Chambre sociale de la Cour de cassation, en matière d'obligation de reclassement de postes localisés à l'étranger, avec quelques nuances. Pour apprécier les possibilités de reclassement, l'autorité administrative ne peut se borner à prendre en considération la seule situation de la société où se trouve l'emploi du salarié protégé concerné par le licenciement ; elle est tenue, dans le cas où cette dernière relève d'un groupe, et pour ceux des salariés qui ont manifesté, à sa demande, leur intérêt de principe pour un reclassement à l'étranger, de faire porter son examen sur les possibilités de reclassement pouvant exister dans les sociétés du groupe, y compris celles ayant leur siège à l'étranger, dont les activités ou l'organisation offrent à l'intéressé, compte tenu de ses compétences et de la législation du pays d'accueil, la possibilité d'exercer des fonctions comparables (10).

Le critère posé par la jurisprudence administrative de la "législation du pays d'accueil" est identique à celui posé par la jurisprudence judiciaire. En revanche, la jurisprudence administrative, contrairement à la jurisprudence judiciaire, s'attache au profil du salarié à qui l'employeur propose un emploi de reclassement localisé à l'étranger, dans la mesure où il est tenu compte de ses compétences (expression vague et assez imprécise, au demeurant, il faut en convenir).

2. Des interrogations : la faculté pour l'employeur de se soustraire à ses obligations

2.1. Comment l'employeur peut-il se soustraire de ses obligations ?

Par l'arrêt rapporté, la Cour de cassation rappelle que les possibilités de reclassement doivent être recherchées à l'intérieur du groupe, même si certaines de ces entreprises sont situées à l'étranger, sauf à l'employeur à démontrer que la législation applicable localement aux salariés étrangers ne permet pas le reclassement. En l'espèce, les juges du fond devaient préciser en quoi la législation helvétique était de nature à empêcher le reclassement de la salariée.

La solution n'est pas inédite car, en 2006, la Cour de cassation avait déjà décidé que le licenciement économique ne pouvait intervenir, en cas de suppression d'emploi, que si le reclassement de l'intéressé n'était pas possible (Cass. soc., 15 novembre 2006, n° 05-40.935, F-D N° Lexbase : A3449DSK). Les possibilités de reclassement doivent être recherchées à l'intérieur du groupe, parmi les entreprises dont les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation leur permettent d'affecter tout ou partie du personnel, même si certaines de ces entreprises sont situées à l'étranger, dès l'instant que la législation applicable localement n'empêche pas l'emploi de salarié étranger et, qu'à la demande de l'employeur, le salarié a accepté son affectation.

En l'espèce, la société Maisonmag appartenait à un groupe de dimension internationale se développant sur toute l'Europe et n'avait pas élargi ses recherches de reclassement à ce groupe, alors qu'il appartenait à l'employeur de s'assurer de la législation applicable localement.

2.2. Un critère assez imprécis : "législation applicable localement"

Selon la jurisprudence élaborée par la Cour de cassation, l'employeur peut limiter le périmètre de son obligation de reclassement à la France (aux établissements et filiales situés sur le territoire français), lorsqu'une législation européenne ou située hors périmètre communautaire ne rend pas possible le reclassement d'un salarié dans une filiale ou un établissement de l'entreprise. Cette cause justificative évoquée par la Cour de cassation, permettant à l'employeur de limiter le périmètre de reclassement, n'est pas critiquable en soi. A l'impossible nul n'est tenu, et il ne saurait être reproché à un employeur de n'avoir pas proposé de poste dans une de ses filiales situées à l'étranger parce que la législation locale, relative à l'entrée et au séjour des étrangers ou au travail des étrangers, rend impossible tout reclassement dans une filiale ou établissement situé à l'étranger.

Cependant, cette position manque singulièrement de nuances, parce qu'elle passe sous silence la situation particulière des ressortissants des Etats membres, pour lesquels il n'existe, précisément, aucune difficulté de quelque nature que ce soit, en matière d'entrée, séjour et travail des ressortissants. La libre circulation des travailleurs signifie que le travailleur ressortissant d'un Etat membre ne peut, sur le territoire des autres Etats membres, être, en raison de sa nationalité, traité différemment des travailleurs nationaux, pour toutes conditions d'emploi et de travail, notamment en matière d'embauche, de rémunération, de licenciement et de réintégration professionnelle ou de réemploi s'il est tombé au chômage. Il y bénéficie des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux (Règlement (CE) n° 1612/68 du Conseil du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté, art. 7 § 1 et 2 N° Lexbase : L9271BHT ; Directive (CE) 2004/38 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres N° Lexbase : L2090DY3).

La Commission européenne (11) a relevé, elle-même, qu'il subsiste de nombreuses entraves pratiques, administratives et juridiques qui empêchent, encore, les citoyens de l'Union d'exercer leur droit à la libre circulation. Ces obstacles empêchent les salariés et les employeurs d'exploiter pleinement les avantages et les potentialités de la mobilité géographique.

  • Accès au marché du travail

Tout ressortissant d'un Etat membre a le droit de travailler dans un autre Etat membre. Le terme "travailleur" n'a pas été défini dans le Traité, mais il a été interprété par la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) comme désignant toute personne qui entreprend un travail réel et effectif, sous la direction d'une autre personne, pour lequel elle est rémunérée. Comme la définition du terme "travailleur" détermine le champ d'application du principe fondamental de la liberté de circulation. La CJCE a décidé qu'elle ne doit pas être interprétée d'une manière restrictive. Aussi, il importe peu de s'interroger sur le cadre juridique dans lequel sera opérée l'opération de reclassement par l'employeur (reclassement interne, se traduisant juridiquement par un simple avenant au contrat de travail, ou ne se traduisant par aucune modification, si le salarié est lié par une clause de mobilité ; reclassement externe, se traduisant par une rupture du contrat de travail suivie d'une embauche).

  • Droit de séjour

De même, la Commission a rappelé que les Etats membres doivent délivrer aux travailleurs migrants une carte de séjour comme preuve de ce droit de séjour. La Commission reçoit, encore, de très nombreuses plaintes émanant de citoyens auxquels il est demandé de fournir des documents (comme des déclarations fiscales, des attestations médicales, des fiches de salaire, des factures d'électricité, etc.) autres que ceux autorisés par la législation communautaire (carte d'identité ou passeport et attestation patronale). Les Etats membres ne sont pas autorisés à délivrer des cartes temporaires payantes avant d'émettre une carte de séjour. Sous réserve, bien sûr, de la règle des trois mois, selon laquelle les citoyens de l'Union devraient avoir le droit de séjourner dans l'Etat membre d'accueil pendant une période ne dépassant pas trois mois sans être soumis à aucune condition ni à aucune formalité autre que l'obligation de posséder une carte d'identité ou un passeport en cours de validité, sans préjudice d'un traitement plus favorable applicable aux demandeurs d'emploi, selon la jurisprudence de la CJCE.

Mais, le droit communautaire s'est montré soucieux d'éviter que les personnes exerçant leur droit de séjour ne deviennent une charge déraisonnable pour le système d'assistance sociale de l'Etat membre d'accueil pendant une première période de séjour. L'exercice du droit de séjour des citoyens de l'Union et des membres de leur famille, pour des périodes supérieures à trois mois, devrait, dès lors, rester soumis à certaines conditions (Directive 2004/38/CE du 29 avril 2004, préc.). Le droit communautaire admet que, pour des périodes de séjour supérieures à trois mois, les Etats membres devraient pouvoir requérir l'enregistrement des citoyens de l'Union auprès des autorités compétentes du lieu de résidence, certifié par une attestation d'enregistrement délivrée à cet effet.


(1) Cass. soc., 5 avril 1995, n° 93-43.866, Société TRW Repa c/ Mme Mabon et autres, publié (N° Lexbase : A4026AAD) ; Bull. civ. V n° 123 p. 89.
(2) Cass. soc., 7 octobre 1998, n° 96-42.812, Société Landis et Gyr Building Control c/ M. Bellanger, publié (N° Lexbase : A5643ACY) ; Bull. civ. V, n° 407 p. 307 ; D. 1999, juris. p. 310, note K. Adom ; Cass. soc., 30 mars 1999, n° 97-40.304, M. Henri Jean Aimetti c/ Société Hudig Langeveldt SECA, actuellement société Aon France, inédit (N° Lexbase : A3686C7N).
(3) Cass. soc., 27 avril 2000, n° 98-42.521, M. Brian Smith c/ Société Qantas Airways, inédit (N° Lexbase : A0830C4I) ; Cass. soc., 12 février 2003, n° 01-40.343, Société Sonauto, F-D (N° Lexbase : A0032A7C).
(4) Cass. soc., 6 février 2002, n° 99-46.050, Société Shell direct c/ M. Hubert Nuss, F-D (N° Lexbase : A9099AXB) ; Cass. soc., 21 mars 2001, n° 99-41.357, Société Goodyear c/ M. Alex Breniaux, inédit (N° Lexbase : A1303ATG) ; Cass. soc., 19 décembre 2000, n° 98-42.919, Société Fromageries Bel - Groupe Bel c/ M. Vasseur, publié (N° Lexbase : A2027AIW), Bull. civ. V n° 435 p. 335 ; Cass. soc., 9 février 2000, n° 97-44.023, Mme Sidonie Correia c/ Agence Office du tourisme et du commerce du Portugal, inédit (N° Lexbase : A1244CQ7) ; Cass. soc., 27 avril 2000, n° 98-42.521, M. Brian Smith c/ Société Qantas Airways, inédit (N° Lexbase : A0830C4I).
(5) Cass. soc., 30 mars 1999, n° 97-40.460, Société Roth, société anonyme c/ M. Roger Dury et autres, inédit (N° Lexbase : A3687C7P).
(6) Cass. soc., 12 février 2003, n° 01-40.342, Société Sonauto c/ Antoine Baro, F-D (N° Lexbase : A0073A7T).
(7) Cass. soc., 7 octobre 1998, n° 96-42.812, préc..
(8) CE Contentieux, 22 mai 1995, n° 157427, Société Rimoldi France (N° Lexbase : A4208AN8).
(9) CE 3° et 8° s-s-r., 8 juillet 2002, n° 226471, MM. Kerninon et autres (N° Lexbase : A1502AZN).
(10) CAA Douai, 1ère ch., 4 novembre 2004, n° 01DA00826, M. Ben Sadik et autres (N° Lexbase : A9687DEI) ; CAA Douai, 1ère ch., 8 juillet 2004, n° 03DA00817, Société La Voix du Nord c/ M. Frédéric Wallaert (N° Lexbase : A2276DDN) ; CAA Nancy, 1ère ch., 10 mai 2004, n° 02NC00599, Mme Edwige Michel (N° Lexbase : A1407DET) ; CE Contentieux, 17 novembre 2000, n° 206976, Mme Marie-Louise Goursolas et autres (N° Lexbase : A9603AH7) ; CE 3° et 8° s-s-r., 4 février 2004, n° 255956, Société Owens Corning Fiberglass France (N° Lexbase : A2593DBN) ; CAA Paris, 3ème ch., 7 juin 2007, n° 05PA00514, Société Sofirad (N° Lexbase : A1645DX9).
(11) Communication de la Commission "Libre circulation des travailleurs : en tirer pleinement les avantages et les potentialités", 11 décembre 2002, Com (2002) 694 final.
Décision

Cass. soc., 4 décembre 2007, n° 05-46.073, Mme Pascale Geoffroy, FS-P+B (N° Lexbase : A0284D3W)

Cassation (CA Nancy, chambre sociale, 31 octobre 2005)

Texte visé : C. trav., art. L. 321-1 (N° Lexbase : L8921G7K)

Mots-clefs : licenciement pour motif économique ; reclassement ; périmètre géographique ; appréciation ; critères.

Lien bases :

newsid:305547

Social général

[Jurisprudence] De la charge de la preuve de la réalité du motif de recours au travail temporaire

Réf. : Cass. soc., 28 novembre 2007, n° 06-44.843, M. Djamel Yahiaoui, FS-P+B (N° Lexbase : A0477D33)

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N5464BDQ

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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

Le recours au travail temporaire dans l'entreprise est enserré dans des règles strictes, spécialement s'agissant des motifs permettant d'engager un salarié intérimaire. Le Code du travail est particulièrement explicite quant à ces différents cas de recours, tout comme sur les sanctions civiles ou pénales qui pourront intervenir en cas de manquement à ces dispositions. En revanche, le législateur est demeuré bien discret concernant le régime probatoire de la réalité de ce motif. Ainsi, en cas de litige sur la légitimité du motif invoqué, est-ce l'employeur ou le salarié qui doit supporter la charge et donc le risque de cette preuve ? La Chambre sociale de la Cour de cassation, par un arrêt du 28 novembre 2007, répond à cette question et tranche, ainsi, un problème jusqu'alors inédit. Cela nous donne l'occasion de revenir sur les causes justifiant le recours à l'intérim (1) et d'établir les règles gouvernant la preuve de la réalité de celles-ci (2).

Résumé

En cas de litige sur le motif du recours au travail temporaire, il incombe à l'entreprise utilisatrice de rapporter la preuve de la réalité du motif énoncé dans le contrat.

1. La règle de l'interdiction de pourvoir un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise

  • Le recours au travail temporaire strictement encadré

Le Code du travail a, très strictement, encadré l'utilisation par les entreprises du travail temporaire. Ainsi, l'article L. 124-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5598ACC) prévoit que "le contrat de travail, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise".

Cette règle est, dans un deuxième temps, précisée par l'article L. 124-2-1 (N° Lexbase : L9584GQZ), qui énumère les cas dans lesquels il est loisible à l'employeur de recourir au travail temporaire. L'ensemble de ces hypothèses se caractérise, évidemment, par le caractère temporaire de l'activité à pourvoir par le salarié intérimaire.

Les juges distinguent, de manière très nette, les nécessités provisoires, imposant à l'entreprise de recourir au travail temporaire, et son activité normale et permanente. Ainsi accepte-t-il, par exemple, qu'un surcroît temporaire d'activité, tel que prévu à l'article L. 124-2-1, 2°, rendant nécessaire un "renfort ponctuel et temporaire de personnel pour pallier des circonstances passagères", permette d'avoir recours au travail temporaire (1). En revanche, dès que le juge se trouve en face d'une situation "d'accroissement temporaire qui dure", il n'hésite pas à prononcer la requalification de la relation en contrat de travail à durée indéterminée, comme cela avait été le cas dans la retentissante affaire des salariés intérimaires du groupe Renault (2).

  • La requalification, sanction civile

La sanction relative à la violation de ces règles est, elle aussi, prévue par le Code du travail. Ainsi, l'article L. 124-7, alinéa 2 (N° Lexbase : L7797HBE) emporte la requalification du contrat conclu pour pourvoir une activité normale et permanente de l'entreprise en contrat de travail à durée indéterminée. Le texte précise qu'il doit s'agir d'une "violation caractérisée" des dispositions des articles L. 124-2 et L. 124-2-1 sans, pour autant, apporter d'éléments clairs quant à la charge de la preuve de la violation de ces obligations.

  • L'hypothèse d'une sanction pénale

A côté de la requalification qui constitue une sanction civile aux yeux de l'Administration (3), il est, également, possible que l'entreprise utilisatrice ayant recours à des travailleurs intérimaires, dans l'objectif d'effectuer des tâches normales et permanentes dans l'entreprise soit sanctionnée pénalement. En effet, l'article L. 152-2, 2,° du Code du travail (N° Lexbase : L5804ACX) qualifie un tel comportement de délictuel.

Si l'action publique est mise en marche, les questions relatives à la preuve de la violation de ces textes seront grandement facilitées pour les parties du fait du caractère inquisitoire de la procédure pénale. Mais, à défaut, on pouvait se demander sur qui reposait la charge de la preuve du caractère justifié ou injustifié du recours au travail temporaire.

2. La preuve de l'interdiction de pourvoir un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise

  • La preuve en l'absence d'action publique

D'un côté, c'est le salarié qui demande la requalification du contrat de travail. On pouvait donc estimer qu'il devait supporter la charge de la preuve du caractère illicite du recours au travail temporaire en application de l'adage "actori incumbit probatio", lui-même illustré par le premier alinéa de l'article 1315 du Code civil (N° Lexbase : L1426ABG).

Cependant, l'existence de l'obligation ne fait aucun doute. Cette obligation est légale, il s'agit d'une obligation de ne pas faire, de ne pas engager un salarié intérimaire pour un emploi permanent. Dès lors, d'un autre côté, la preuve pouvait reposer sur les épaules de celui qui prétend avoir convenablement exécuté son obligation, c'est-à-dire l'employeur.

  • Le respect des règles de preuve de droit commun

La Chambre sociale se prononce, pour la première fois nous semble-t-il, sur le régime probatoire attaché au cas de recours au travail temporaire.

Au visa des articles L. 124-2 et L. 124-2-1 du Code du travail, mais surtout de l'article 1315 du Code civil, la Cour de cassation estime "qu'en cas de litige sur le motif du recours au travail temporaire, il incombe à l'entreprise utilisatrice de rapporter la preuve de la réalité du motif énoncé dans le contrat". C'est donc, tout particulièrement, le second alinéa de l'article 1315 qui est utilisé. Le salarié, quoique demandeur, n'a pas à démontrer l'existence de l'obligation puisqu'il s'agit d'une obligation légale. En revanche, l'employeur, à qui il est reproché de ne pas avoir exécuté cette obligation, doit faire la preuve de ce qu'il s'en est convenablement acquitté.

La solution semble donc en parfaite concordance avec les règles de preuve du droit commun des obligations. L'employeur supportant la charge de la preuve de la réalité du motif, il en supportera, également, le risque et succombera s'il ne parvient pas à démontrer que le recours invoqué était légitime.

  • La concordance de la règle probatoire avec la réalité de la relation de travail

La solution rendue s'avère, en outre, tout à fait conforme à la logique de la relation de travail entre entreprise utilisatrice et salarié intérimaire. En effet, si l'on peut penser qu'il serait délicat, pour un salarié de l'entreprise, d'apprécier si tel ou tel emploi dépend de l'activité normale et permanente d'une entreprise, la tâche paraît encore plus ardue pour un salarié intérimaire qui, par définition, ne connaît que très peu l'entreprise. Le travailleur temporaire est un itinérant qui va d'entreprise en entreprise et qui ne dispose, donc, que de bien peu d'informations sur la qualité temporaire ou permanente de l'emploi sur lequel il intervient.

En revanche, l'employeur dispose de tous les éléments entre ses mains. La preuve de la réalité du cas de recours devrait lui poser bien moins de difficultés, à moins, bien sûr, qu'il n'ait été de mauvaise foi et, qu'en réalité, le motif invoqué n'existe pas.

  • L'éventuel conflit entre preuve de droit commun et preuve du droit du travail

Le doute pouvait, néanmoins, provenir des termes de l'article L. 124-7, alinéa 2, du Code du travail. En effet, ce texte prévoit la requalification de la relation de travail en contrat de travail à durée indéterminée lorsque l'entreprise utilisatrice a employé le salarié "en violation caractérisée" des dispositions relatives, notamment, au cas de recours. On aurait pu entendre par cette idée de violation caractérisée que devait être nettement apportée la preuve de cette violation. Or, par sa solution, la Cour exige, au contraire, que l'employeur fasse la preuve que cette violation n'était pas caractérisée.

On aurait donc pu imaginer qu'un conflit existait quant au régime probatoire du manquement aux obligations des articles L. 124-2 et L. 124-2-1 du Code du travail. Ce conflit opposerait la règle de droit commun de l'article 1315, alinéa 2, et la règle d'exception de l'article L. 124-7, alinéa 2. On sait qu'en matière de conflit de lois en droit du travail, l'usage du principe selon lequel c'est la norme la plus favorable au salarié qui doit s'appliquer est exclu (4). Il aurait, alors, été légitime de penser que la règle générale, celle du Code civil, devait s'incliner devant la règle spéciale, celle du Code du travail, en accord avec l'adage "specialia generalibus derogant".

Les juges ont probablement estimé qu'il se serait agi, là, d'une interprétation trop extensive des termes de "violation caractérisée". En effet, il était, également, possible de se contenter d'une interprétation a minima de cette mention et d'estimer que, si par application des règles classiques de preuve, l'employeur ne parvenait pas à démontrer qu'il avait invoqué un cas de recours légitime au travail temporaire, la violation des articles L. 124-2 et L. 124-2-1 du Code du travail se trouvait "caractérisée". Cette interprétation souple pouvait, néanmoins, surprendre quand on sait à quel point la Cour est rigoureuse quant au champ couvert par l'article L. 124-7, alinéa 2, et refuse, ainsi, la requalification pour manquement au délai de carence prévu par le troisième alinéa du même texte (5).

Quoi qu'il en soit, cette solution semble s'inscrire harmonieusement dans les règles qui guident le plus souvent la preuve quand un litige s'élève au sujet de contrats spéciaux. Ainsi, l'absence de contrat de travail écrit suffit à obtenir la requalification en contrat de travail à durée indéterminée (6). De la même manière, s'agissant d'une "requalification-sanction", seul le salarié peut demander que cette sanction intervienne. On le sent bien, cette solution s'inscrit donc dans une optique générale suivant laquelle le juge se pose, en matière de travail précaire, comme protecteur des intérêts des salariés.


(1) Cass. soc., 18 janvier 1995, n° 90-46.031, Société à responsabilité limitée Asgarde c/ M. Ezzedine Yacoubi, inédit (N° Lexbase : A2174AGM). V., également, Cass. soc., 9 avril 1996, n° 92-43.458, M. Thibault c/ Mme Fildier, ès qualités de liquidateur amiable de la Société Icad, publié (N° Lexbase : A2000AAC).
(2) Cass. soc., 21 janvier 2004, n° 03-42.754, Société Sovab c/ M. Ahmet Akin, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8845DAT) et les obs. de Ch. Radé, Abus d'intérim : attention à la requalification !, Lexbase Hebdo n° 105 du 29 janvier 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N0307ABY) ; Dr. soc. 2004, p. 892, obs. Cl. Roy-Loustaunau ; RJS 2004, p. 243, n° 352.
(3) V. l'article 5.1.2 de la circulaire de la DRT n° 90-18 du 30 octobre 1990 (N° Lexbase : L2859AIQ).
(4) V. J. Pélissier, Existe-t-il un principe de faveur en droit du travail, Mélanges dédiés à M. Despax, p. 289.
(5) V. Cass. soc., 23 février 2005, n° 02-44.098, M. Rejeb Farh c/ Société Spie Batignolles Sud-Est, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8599DGL) et les obs. de S. Martin-Cuenot, Admission limitative de la requalification : deux illustrations en matière de contrat de travail temporaire, Lexbase Hebdo n° 158 du 10 mars 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N4892ABS). V., également, pour l'absence d'une mention obligatoire n'emportant pas la requalification en raison de l'absence de renvoi au texte par l'article L. 124-7, alinéa 2 ; Cass. soc., 19 juin 2002, n° 00-41.354, M. Georges Ambiehl c/ Société Eurolabor, FS-P+B (N° Lexbase : A9585AYN) et les obs. de S. Koleck-Desautel, Travail temporaire : rappel des règles relatives à la requalification du contrat en CDI, Lexbase Hebdo n° 30 du 4 juillet 2002 - édition sociale (N° Lexbase : N3353AAG).
(6) Cass. soc., 7 mars 2000, n° 97-41.463, M. Beleknaoui c/ Société Groupe Elan travail temporaire, publié (N° Lexbase : A6361AGP).
Décision

Cass. soc., 28 novembre 2007, n° 06-44.843, M. Djamel Yahiaoui, FS-P+B (N° Lexbase : A0477D33)

Cassation (CA Nancy, chambre sociale, 20 juin 2006)

Textes visés : C. trav., art. L. 124-2 (N° Lexbase : L5598ACC) et L. 124-2-1 (N° Lexbase : L9584GQZ) ; C. civ., art. 1315 (N° Lexbase : L1426ABG)

Mots-clés : contrat de travail temporaire ; preuve du motif de recours ; requalification.

Lien bases :

newsid:305464

Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Contrat de travail saisonnier : les juges resserrent les rangs

Réf. : Cass. soc., 5 décembre 2007, n° 06-41.313, Mme Véra Canet, F-P+B (N° Lexbase : A0414D3Q)

Lecture: 7 min

N5541BDL

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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

Une société produisant toute l'année peut-elle conclure des contrats de travail à durée déterminée saisonniers ? Telle était, notamment, la question posée à la Cour de cassation dans une décision rendue le 5 décembre dernier. Pour refuser ce motif de conclusion de contrat de travail à durée déterminée à une entreprise de pizzas, elle rappelle que le caractère saisonnier d'un emploi concerne des tâches normalement appelées à se répéter chaque année à des dates à peu près fixes, en fonction du rythme des saisons ou des modes de vie collectifs. Ayant relevé que la production de l'entreprise s'effectuait toute l'année et connaissait seulement un accroissement périodique de production, elle casse la décision des juges du second degré qui avaient admis le caractère saisonnier de l'activité de l'entreprise. Cette solution doit, sur le principe, être approuvée.

Résumé

Il résulte de la combinaison des articles L. 122-3-10, alinéa 1er (N° Lexbase : L9643GQ9), et L. 122-3-13 (N° Lexbase : L5469ACK) du Code du travail que, lorsque le contrat de travail à durée déterminée devient un contrat de travail à durée indéterminée du seul fait de la poursuite de la relation contractuelle après l'échéance du terme, le salarié ne peut prétendre à une indemnité de requalification, hors les cas où sa demande en requalification s'appuie sur une irrégularité du contrat de travail à durée déterminée initial ou de ceux qui lui ont fait suite.

Le salarié qui a occupé son emploi sans discontinuer jusqu'à la date de son licenciement au titre de contrats de travail à durée déterminée, puis d'un contrat de travail à durée indéterminée qui en avait été la suite dès l'échéance du terme, peut prétendre à la requalification de ses contrats successifs en un contrat de travail à durée indéterminée. La date de requalification à prendre en considération est celle depuis laquelle le salarié n'a connu aucune période chômée.

Le caractère saisonnier d'un emploi concerne les tâches normalement appelées à se répéter chaque année à des dates à peu près fixes, en fonction du rythme des saisons ou des modes de vie collectifs.

1. Encadrement du recours au contrat saisonnier

  • Caractère strict des règles entourant le recours au contrat de travail à durée déterminée

Le contrat de travail à durée déterminée est un contrat par lequel un salarié engage ses services pour une durée limitée et, en principe, prédéterminée. Dans la mesure où ce type de contrat déroge au droit commun du contrat de travail à durée indéterminée, il ne peut être conclu que dans les cas (C. trav., art. L. 122-1-1 N° Lexbase : L9607GQU), pour les durées (C. trav., art. L. 122-1-2 N° Lexbase : L9608GQW) et selon la forme prescrits par le législateur (C. trav., art. L. 122-3-1 N° Lexbase : L9625GQK).

L'article L. 122-1-1 du Code du travail énumère, limitativement, les cas dans lesquels il est possible de recourir au contrat de travail à durée déterminée : remplacement d'un salarié absent, accroissement temporaire d'activité, emplois à caractère saisonnier ou pour lesquels il est d'usage de ne pas recourir au CDI. Cette dernière hypothèse contient deux cas indépendants : le contrat de travail à durée déterminée d'usage (dans certains secteurs d'activité énumérés par le législateur ou les conventions et accords collectifs de travail) et le contrat de travail à durée déterminée saisonnier.

C'est la jurisprudence, reprenant une circulaire (circulaire DRT n° 90-18 du 30 octobre 1990 N° Lexbase : L2859AIQ), qui a donné une définition du contrat de travail saisonnier.

  • Caractère limitatif des hypothèses de recours au contrat de travail saisonnier

Les juges considèrent, ainsi, que le caractère saisonnier ne peut être retenu que lorsque l'emploi concerne des tâches normalement appelées à se répéter chaque année au rythme des saisons ou des modes de vie collectifs, qualification régulièrement admise en présence d'une activité touristique (Cass. soc., 12 octobre 1999, n° 97-40.915, Société nouvelle d'exploitation de la Tour Eiffel c/ Mme Gimbert, publié N° Lexbase : A4714AGP ; Bull. civ. V, n° 373) mais rejetée lorsque l'entreprise produit en toute saison (Cass. soc., 26 octobre 1999, n° 97-42.776, Etablissements Georges David c/ Mme Rondier, publié N° Lexbase : A4771AGS ; Bull. civ. V, n° 400).

L'élément déterminant, outre l'indépendance de la volonté de l'employeur, est le caractère cyclique de l'activité. D'après cette définition, c'est, théoriquement, la régularité du cycle (d'accroissement de l'activité, de production) qui permet de conclure un contrat de travail saisonnier (Cass. soc., 9 mars 2005, n° 02-44.706, FS-P+B N° Lexbase : A2507DHC).

Cette affirmation semble devoir, désormais, être nuancée à la lecture de la décision commentée.

  • Espèce

Dans cette espèce, une salariée avait été embauchée en 1997 par contrats de travail à durée déterminée successifs. Le terme du dernier contrat conclu ayant été dépassé, la relation de travail s'était poursuivie en une relation à durée indéterminée, relation à laquelle l'employeur avait mis un terme en procédant au licenciement de la salariée. Cette dernière, contestant la rupture de son contrat, avait saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes.

La Cour de cassation confirme la décision de la cour d'appel en ce qu'elle a condamné l'employeur à verser à la salariée une indemnité de requalification. Elle rappelle que, lorsque le contrat de travail à durée déterminée devient un contrat de travail à durée indéterminée du seul fait de la poursuite de la relation contractuelle après l'échéance de son terme, le salarié ne peut plus prétendre à une indemnité de requalification, hors les cas où sa demande en requalification s'appuie sur une irrégularité du contrat de travail à durée déterminée initial ou de ceux qui ont fait suite. Or, dans l'espèce commentée, la requalification trouvait son fondement dans la violation des dispositions de l'article L. 122-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5451ACU). L'indemnité de requalification était donc due.

La Haute juridiction confirme, également, la décision des juges du fond de ne pas requalifier l'intégralité de la relation de travail refusant, par là même, de prendre en considération la date de conclusion du premier contrat de travail à durée déterminée.

Elle considère, en effet, que la salariée avait été employée sans discontinuer uniquement de 2001 à la date de son licenciement, au titre de deux contrats de travail à durée déterminée, en premier lieu, et au titre d'un contrat de travail à durée indéterminée, en second lieu. La requalification ne pouvait, donc, prendre effet qu'à partir de 2001 et non de 1997, date de conclusion du premier contrat à durée déterminée.

La salariée avait, également, demandé la requalification de ses contrats de travail à durée déterminée en portant sa contestation sur l'irrégularité de leur motif et, singulièrement, ceux à caractère saisonnier.

La Cour de cassation refuse de suivre les juges du second degré sur ce point. Après avoir rappelé que le caractère saisonnier d'un emploi concerne des tâches normalement appelées à se répéter chaque année à des dates à peu près fixes, en fonction du rythme des saisons ou des modes de vie collectifs, elle souligne que la société de pizzas employant la salariée n'avait pas d'activité saisonnière, mais devait seulement faire face à un accroissement périodique de production.

Cette dernière solution ne peut qu'être approuvée, même si elle est de nature à privilégier la qualification d'accroissement temporaire d'activité par rapport à celle de contrat saisonnier.

2. Cloisonnement du contrat de travail saisonnier

  • Distinction contrat de travail saisonnier/accroissement temporaire d'activité

Le contrat de travail saisonnier ne peut être conclu que pour pourvoir des tâches appelées à se répéter chaque année à des dates à peu près fixes, en fonction d'un cycle à peu près prévisible. Cette régularité du cycle et la prévisibilité de l'activité de l'entreprise sont traditionnellement les éléments relevés par la doctrine et retenus par les juges, comme permettant de distinguer le contrat saisonnier du contrat conclu pour faire face à un accroissement temporaire d'activité.

L'intervention de l'employeur dans le cycle doit, également, être prise en compte puisqu'elle est exclusive de cette qualification. Lorsque la répétition du surcroît d'activité résulte de la volonté de l'employeur (ce qui est, par exemple, le cas lorsque celui-ci fait des publicités ou des promotions), il y a lieu de justifier le recours au contrat de travail à durée déterminée par un accroissement temporaire d'activité, le caractère saisonnier ne pouvant être retenu sous peine de requalification (Cass. soc., 4 mai 1993, n° 89-43.379, SPMA c/ Mme Dubois, inédit N° Lexbase : A1702AAB).

Ce dernier élément était, d'ailleurs, mis en avant dans la décision commentée. Les juges du fond avaient, en effet, relevé que la périodicité de l'activité tenait aux habitudes de la clientèle, ce qui tendait à montrer que l'employeur y était extérieur. Cette extériorité, si elle participait à la régularité du caractère saisonnier des contrats de travail à durée déterminée conclus, n'était pas suffisante.

La question se pose de la cause du refus de la Cour de cassation de reconnaître la qualification de contrat saisonnier au contrat de travail à durée déterminée conclu par la salariée. Les statistiques versées au débat ne confirmaient-elles pas des accroissements ponctuels en janvier, mars et mai et juillet à septembre ? Ces cycles n'étaient-ils pas suffisants pour autoriser la qualification de contrat saisonnier ? Est-ce le caractère plus ou moins important de l'accroissement d'activité qui a fait obstacle à cette qualification ?

  • Une solution attendue

Il semble que non, et une telle solution était annoncée. Dans une décision, la Haute juridiction avait refusé l'existence d'une activité saisonnière à une entreprise productrice, en toute saison, de produits plastiques correspondant à divers et multiples usages (Cass. soc., 26 octobre 1999, précité). C'est, dans cette espèce, le fait que l'activité de l'entreprise ait lieu tout au long de l'année qui avait fait obstacle à la qualification.

La confirmation de cette limite portée aux hypothèses d'admission du recours au contrat de travail à durée déterminée n'est pas sans inconvénient. Elle n'est pas, en effet, de nature à rendre aisée la distinction, que l'on croyait bien établie, entre contrats de travail saisonniers et contrats de travail pour accroissement temporaire d'activité. Elle est, en outre, de nature à limiter le recours au contrat saisonnier.

Dans le doute, mieux vaut conclure un contrat de travail à durée déterminée pour accroissement temporaire d'activité. Cette qualification vaut que l'activité soit ou non saisonnière ; elle dépend seulement d'un surcroît temporaire de travail, alors que l'inverse emporte la requalification de la relation en une relation à durée indéterminée.

Décision

Cass. soc., 5 décembre 2007, n° 06-41.313, Mme Véra Canet, F-P+B (N° Lexbase : A0414D3Q)

Rejet (CA Aix-en-Provence, 9ème ch., sect. B, 30 octobre 2007)

Textes concernés : C. trav., art. L. 122-3-10 (N° Lexbase : L9643GQ9), L. 122-3-13 (N° Lexbase : L5469ACK), L. 122-1-1 (N° Lexbase : L9607GQU) et L. 122-1 (N° Lexbase : L5451ACU).

Mots-clefs : contrat de travail à durée déterminée ; contrat saisonnier ; refus de qualification ; activité annuelle de la société.

Lien bases :

newsid:305541

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