La lettre juridique n°286 du 20 décembre 2007 : Contrats et obligations

[Jurisprudence] Devoir de mise en garde du banquier : la première chambre civile de la Cour de cassation enfonce le clou

Réf. : Cass. civ. 1, 6 décembre 2007, n° 06-15.258, M. Paul Briquet, FS-P+B (N° Lexbase : A0307D3R)

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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

le 07 Octobre 2010

On se souvient peut-être que, par deux arrêts du 12 juillet 2005 (1), la première chambre civile de la Cour de cassation avait apporté quelques précisions sur la mise en oeuvre de la responsabilité du banquier dispensateur de crédit, réaffirmant le principe de la responsabilité civile du banquier pour avoir consenti des crédits excessifs, tout en tenant compte de la qualité de l'emprunteur, selon qu'il était, ou non, un emprunteur profane. On avait pu en déduire que, si l'emprunteur avait la qualité de profane, alors le caractère excessif du prêt faisait présumer, sinon établissait, un manquement de l'établissement de crédit à son devoir de mise en garde ; au contraire, si l'emprunteur était un professionnel, la jurisprudence entendait se montrer bien plus indulgente à l'égard de l'établissement de crédit dont la responsabilité ne pouvait alors être engagée, quand bien même le caractère excessif du prêt serait avéré, mais à la condition qu'il soit démontré qu'il avait, sur les revenus et les facultés de remboursement raisonnablement prévisibles de l'emprunteur, des informations que lui-même auraient ignorées (2). Plus récemment, la Cour de cassation, à la faveur de deux arrêts rendus en Chambre mixte le 29 juin 2007 (3), était venue affiner ces solutions en y apportant quelques éclaircissements, mais aussi quelques modifications, ce qu'un arrêt de la première chambre civile du 6 décembre confirme assez nettement.

En l'espèce, une banque avait consenti un prêt d'un an à des époux pour régler des droits dus par l'épouse, héritière dans une succession en licitation. En l'absence de remboursement, faute de régularisation, d'une part, du partage et, d'autre part, de la vente effective de l'immeuble attribué, la banque avait ensuite, successivement, consenti solidairement aux époux deux nouveaux prêts, d'un an également, chacun devant couvrir la dette du précédent. Une décision de la cour d'appel de Rouen avait condamné les époux à acquitter la dette du dernier d'entre eux, non remboursée à l'échéance, décision contre laquelle les époux se sont pourvus en cassation. Alors que le premier moyen, ainsi que le second pris en sa première branche, ne présentaient pas réellement d'intérêt, ce qui explique d'ailleurs que la Cour de cassation les écarte assez rapidement, et qu'il ne soit pas utile d'y revenir ici, les deuxième et troisième branches du second moyen, qui justifient la cassation, méritent d'être examinés plus attentivement. Les juges du fond avaient, en effet, pour écarter le grief, aujourd'hui classiquement invoqué en la matière, d'un manquement de la banque à ses obligations, retenu qu'il n'était pas soutenu qu'elle aurait eu sur les difficultés de règlement de la succession, sur les possibilités de vente de la maison ou sur la situation financière de l'époux, pharmacien, connaissance d'éléments que les emprunteurs auraient eux-mêmes ignorés, qu'elle n'avait pas commis de faute en renouvelant le crédit relais, les époux ne prétendant pas l'avoir prévenue de ce que la vente ne pourrait se réaliser dans le délai du prêt, la série de ceux-ci n'ayant pas aggravé leur situation de débiteurs. La Cour de cassation, pour exercer sa censure, sous le visa de l'article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT), fait valoir "qu'en statuant ainsi, sans préciser si les époux [...] étaient emprunteurs avertis et, dans la négative, si la banque avait satisfait à son devoir de mise en garde eu égard à leurs capacités financières et aux risques de l'endettement né de l'octroi des prêts, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision".

Manifestement, la Cour confirme, d'abord, ici, la solution issue des arrêts de Chambre mixte précités qui avaient substitué à la notion d'emprunteur "profane" celle d'emprunteur "non averti". Comme l'a fort justement relevé un auteur, la différence n'est pas que de vocabulaire, dès lors que l'on a à l'esprit que la notion de profane est souvent opposée à celle de professionnel, et qu'un professionnel n'est pas forcément averti. A cet égard, la solution de la première chambre civile consacrerait la volonté de la Chambre mixte d'opérer "une déconnexion radicale" entre les qualités de "professionnel" et de "non averti" (4). L'arrêt rappelle, ensuite, quant à l'objet de l'obligation du banquier, et comme l'avaient fait les arrêts de Chambre mixte, qu'il est tenu d'un devoir de mise en garde eu égard aux "capacités financières" de l'emprunteur et "aux risques de l'endettement né de l'octroi des prêts", ce qui conduit le juge à apprécier la bonne exécution de cette obligation, non seulement, au regard du patrimoine et des revenus de l'emprunteur, mais aussi, des risques d'endettement généré par l'octroi du ou des prêts, le devoir de mise en garde du banquier se trouvant, fort logiquement d'ailleurs, limité aux risques qu'il contribue à créer. On remarquera, enfin, sur le terrain de la charge de la preuve, que la première chambre civile confirme l'idée selon laquelle c'est au banquier qu'il appartient alors de prouver qu'il a satisfait à son devoir de mise en garde, ce qui, à vrai dire, n'est plus une surprise, tant il est aujourd'hui acquis que c'est à celui qui est légalement ou contractuellement tenus d'une obligation particulière d'information qu'il revient de rapporter la preuve de l'exécution de leur obligation (5).


(1) Cass. civ. 1, 12 juillet 2005, trois arrêts, n° 03-10.770, M. Franck Guigan c/ Crédit lyonnais, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A9139DIC), n° 02-13.155, M. Joël Seydoux c/ Société BNP Paribas, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A0277DKH) et n° 03-10.921, M. Simon Jauleski c/ Société BNP Paribas, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A9140DID) : D. 2005, AJ p. 2276, obs. X. Delpech ; Jur. p. 3094, note B. Parance ; D. 2006, Pan. p. 167, obs. D-R. Martin et H. Synvet ; Banque, n° 673, octobre 2005, p. 94, note J.-L. Guillot, M. Boccara Segal ; JCP éd. G, 2005, II, 10140, note A. Gourio, et JCP éd. E, 2005, p. 1359, note D Legeais ; Banque et droit 2005, n° 104, p. 80, obs. T. Bonneau ; RLDC 2005, n° 21, p. 15, note S. Piedelièvre ; RD bancaire et fin., septembre-octobre 2005, p. 20, obs. D. Legeais, et novembre-décembre, p. 14, obs. F.-J. Crédot et Y. Gérard ; Resp. civ. et assur. n° 10/2005, p. 22 ; BRDA 2005, n° 20, p. 11 ; Dr. et patr., 2005, n° 143, p. 98, obs. J.-P. Mattout et A. Prüm, et 2006, n° 145, p. 123, obs. L. Aynes et P. Dupichot ; RTD com. 2005, p. 829, obs. D. Legeais.
(2) Voir déjà, en ce sens, Cass. com., 26 mars 2002, n° 99-13.810, M. Patrick Thiery c/ Banque régionale d'escompte et de dépôt (BRED), FS-P+B (N° Lexbase : A3794AY8), Bull. civ. IV, n° 57 ; comp., en matière de cautionnement, Cass. com., 8 octobre 2002, n° 99-18.619, M. David Nahoum c/ Banque CGER France, FP-P (N° Lexbase : A9624AZH), Bull. civ. IV, n° 136 : JCP éd. G, 2003, II, 10017, note Y. Picod.
(3) Cass. mixte, 29 juin 2007, deux arrêts, n° 05-21.104, Epoux X. c/ Société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Centre-Est (CRCAMCE) (N° Lexbase : A9645DW7) et n° 06-11.673, Mme Régine X., épouse Y. c/ Société Union bancaire du Nord (UBN) (N° Lexbase : A9646DW8) ; et les observations de Richard Routier, Professeur à l'Université de Clermont-Ferrand 1, Devoir de mise en garde : les précisions de la Chambre mixte, Lexbase Hebdo n° 268 du 12 juillet 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N7831BBN).
(4) Voir en ce sens Richard Routier, note préc., et les références citées par l'auteur.
(5) Cass. civ. 1, 25 février 1997, n° 94-19.685, M. Hédreul c/ M. Cousin et autres (N° Lexbase : A0061ACA), Bull. civ. I, n° 75 : D. 1997, Somm. p. 319, obs. M. Penneau ; Gaz. Pal., 1997, 1, p. 274, rapp. P. Sargos, note J. Guigue ; JCP éd. G, 1997, I 4025, n° 7 obs. G. Viney ; LPA 16 juillet 1997, n° 85, p. 17, note A. Dorsner-Dolivet ; Contrats concur. consom. 5/1997, p. 4, note L. Leveneur ; RTD civ. 1997, p. 434, note P. Jourdain ; Rev. Lamy droit des aff. 1998, n° 6, p. 3, note Y. Chartier ; Defrénois 1997, p. 751, obs. J-L. Aubert (médecins) - Cass. civ. 1, 29 avril 1997, n° 94-21.217, M. X c/ Mme Y (N° Lexbase : A0136ACZ), Bull. civ. I, n° 132 ; JCP éd. G, 1997, II 22948, note R. Martin ; LPA 15 août 1997, n° 98, p. 15, note M.-H. et V. Maleville (avocat) - Cass. civ. 1, 9 décembre 1997, n° 95-16.923, Monsieur Dumin c/ Société d'Assurances Crédit Mutuel et autre (N° Lexbase : A0574ACA), Bull. civ. I n° 356 ; Cass. civ. 2, 8 avril 2004, n° 03-11.485, M. Patrice Abadie c/ Société Axa assurances, FS-P+B (N° Lexbase : A8469DBB), Bull. civ. II n° 163, Dr et patr., juillet-août 2004, p. 95, obs. P. Chauvel (assureur). ; et, bien entendu, s'agissant du banquier : Cass. civ. 1, 6 novembre 2001, n° 98-20.518, M. André Jaume c/ Caisse nationale de prévoyance, FS-P (N° Lexbase : A0594AXB), Bull. civ. I, n° 271.

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