La lettre juridique n°265 du 21 juin 2007 : Pénal

[Jurisprudence] Contrôles d'identité effectués dans les endroits ouverts au trafic international de voyageurs

Réf. : Cass. crim., 3 mai 2007, n° 07-81.331, Djillali R., F-P+F (N° Lexbase : A5071DWQ)

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par Dorothée Bourgault-Coudevylle, Maître de conférences à la Faculté de droit de Douai - Université d'Artois

le 07 Octobre 2010

Parmi les domaines sensibles que compte la procédure pénale, les contrôles d'identité occupent indéniablement une place de choix, du fait de la nécessité de concilier deux impératifs aussi contradictoires que légitimes : la sauvegarde de l'ordre public et le respect des libertés individuelles. Après une période tourmentée pendant laquelle la matière a connu de multiples changements, au gré des alternances politiques (J. Buisson, Contrôles et vérification d'identité, R. Chapus, Droit administratif général, T. 1, Monchrestien, Domat Droit public, 15ème édition 2001, p. 740, n° 950), celle-ci apparaît relativement stable sur le plan législatif depuis la loi du 10 août 1993 (loi n° 93-992 du 10 août 1993, relative aux contrôles et vérifications d'identité N° Lexbase : L7427HXD). Ce qui ne signifie pas que toutes les difficultés soient nécessairement résolues pour autant. L'arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, le 3 mai dernier, en constitue une illustration d'autant plus intéressante qu'il contribue à clarifier utilement les conditions de mise en oeuvre du contrôle d'identité frontalier, institué à la suite de l'entrée en vigueur de la Convention de Schengen. Pour en prendre la mesure, il est nécessaire de revenir préalablement sur le cadre actuel de la pratique des contrôles d'identité. Si l'article 78-1, alinéa 2, du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7139A48) fait peser sur les personnes se trouvant sur le territoire français une obligation de se soumettre à un contrôle d'identité effectué par les autorités de police compétentes, de tels contrôles ne peuvent être pratiqués systématiquement en dehors des cas légalement prévus. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 5 août 1993 (décision n° 93-323 DC N° Lexbase : A8283ACR), a pris soin de préciser, en effet, que "la pratique de contrôles d'identité généralisées et discrétionnaires était incompatible avec le respect des libertés individuelles". Il en résulte que, non seulement, les autorités de police et de gendarmerie ne peuvent opérer en dehors des cas spécifiés mais qu'elles doivent, en outre, mentionner dans leur procès-verbal le motif qui a justifié ledit contrôle, et ce, afin de permettre à l'autorité judiciaire d'exercer le sien.

Parmi les contrôles d'identité autorisés, le Code de procédure pénale prévoit deux cas de contrôles d'identité, dits de police judiciaire. Ceux-ci se rattachent, par conséquent, à la commission d'une infraction et possèdent la particularité de s'adresser à une personne en particulier qui, par son comportement, se sera désignée à l'agent de la force publique (C. proc. pén., art. 78-2, al. 1 et s. N° Lexbase : L1333HP3). Les autres hypothèses prévues sont des contrôles d'identité, dits de police administrative, qui, à la différence des premiers, peuvent être opérés à l'égard de toute personne, quel que soit son comportement. Parmi eux, il convient de mentionner le contrôle d'identité préventif de l'article 78-2, alinéa 3, qui a pour finalité de prévenir une atteinte à l'ordre public et qui pourra donc être pratiqué assez largement sous réserve de la justification concrète des circonstances de fait qui ont motivé sa pratique. Le contrôle des étrangers visé à l'article 8, alinéa 2, de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifié (N° Lexbase : L4734AGG), qui est, quant à lui, avant tout un contrôle de titre, a pour finalité de vérifier la détention et le port, par les étrangers, des documents sous le couvert desquels ils sont autorisés à circuler et à séjourner en France. Enfin, la suppression des contrôles aux frontières intérieures de la France, en application de la Convention de Schengen entrée en vigueur le 25 mars 1995, a incité le législateur français à instituer un dernier cas de contrôle d'identité. Le dernier alinéa de l'article 78-2 prévoit ainsi que "dans une zone comprise entre la frontière terrestre de la France avec les états parties à ladite convention et une ligne tracée à 20 kilomètres en deçà ainsi que dans les zones accessibles au public des ports, aéroports et gares ferroviaires ou routières ouverts au trafic international et désignés par arrêté, l'identité de toute personne peut également être contrôlées en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévus par la loi". C'est précisément ce dernier cas dont il était question dans l'arrêt rendu par la Chambre criminelle, le 3 mai dernier.

Ledit cas n'est pas fondé sur des préoccupations judiciaires ou tenant à la sauvegarde de l'ordre public ou de la sécurité (commission des lois du Sénat, rapp. Sénat n° 381, p. 20). Légalement qualifié de contrôle d'identité, il se révèle être principalement un contrôle de titre d'entrée et de séjour en France des étrangers en zone frontalière, et seulement accessoirement un contrôle de leur identité. Conçu pour être un contrôle préventif aléatoire, il ne suppose donc pas que soit constaté préalablement un indice de commission d'une infraction ou un risque de trouble à l'ordre public. Il n'est pas non plus nécessaire de justifier, comme dans le contrôle des étrangers, de la présence de "circonstances extérieures à la personne même de l'intéressé, de nature à faire apparaître celui-ci comme étranger" (Cass. crim. 25 avril 1985, n° 84-92.916, Procureur général près la cour d'appel de Versailles, affaire Vuckovic N° Lexbase : A3586AA3 et n° 85-91.324, Procureur général près la cour d'appel de Paris, affaire Bogdan N° Lexbase : A9379CI9, JCP éd. G, 1985, II, 20465, concl. Dontenwille, note Jeandidier).

Se pose dès lors une difficulté de mise en oeuvre : faut-il considérer à partir du moment où l'on se trouve en zone frontalière, ou dans une gare ou un aéroport..., que les policiers et gendarmes peuvent s'affranchir des règles précédemment décrites pour contrôler toute personne se trouvant dans cette zone, et à d'autres fins que de vérifier la détention des titres de séjour ? Ou bien convient-il de réserver ce cas aux étrangers en zone frontalière aux seules fins de vérifier la détention de leurs papiers ? La question est importante d'autant que la loi du 23 janvier 2006 (loi n° 2006-64, 23 janvier 2006, relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers N° Lexbase : L4643HG3) a étendu les possibilités d'un tel contrôle d'identité à bord des trains effectuant une liaison internationale entre la frontière et le premier arrêt même s'il est situé au-delà de la bande des 20 kilomètres, ainsi que sur les sections autoroutières démarrant dans la zone des 20 kilomètres jusqu'au premier péage et les aires d'autoroutes attenantes.

Tel était précisément l'objet du pourvoi examiné par la Cour de cassation, dans l'arrêt susvisé. Les faits de l'espèce étaient les suivants : des policiers avaient été prévenus par un renseignement anonyme qu'un certain D. R., dont le signalement était précisé, prendrait le train en gare de Montpellier pour Toulouse où il se livrait habituellement à la revente de produits stupéfiants. Ils se sont rendus sur place, ont repéré l'intéressé en compagnie d'une femme, et ont procédé à un contrôle d'identité en lui demandant s'il était en possession de stupéfiants. D. R. leur a alors remis une boulette d'héroïne et une palpation de sécurité ayant permis de découvrir qu'il était porteur de nombreuses doses de ce produit, une enquête de flagrant délit a été ouverte. Dans le cadre de l'information suivie contre lui pour infractions à la législation sur les stupéfiants, D. R. a déposé une requête en annulation d'actes de procédure invoquant l'irrégularité du contrôle d'identité auquel il avait été soumis sur la base d'une simple dénonciation anonyme, non corroborée par d'autres éléments.

Mais la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Montpellier, par un arrêt du 14 décembre 2006, devait refuser de faire droit à sa demande, considérant que "ledit contrôle est régulier pour avoir été opéré, en application de l'article 78-2, alinéa 4, du Code de procédure pénale, dans la zone ouverte au public de la gare de Montpellier, laquelle figure sur la liste des gares ferroviaires ouvertes au trafic international définie par l'arrêté du 23 avril 2003".

Le pourvoi formé contre cette décision permet à la Chambre criminelle de clarifier la matière. Selon elle, "les dispositions de l'article 78-2, alinéa 4, du Code de procédure pénale, qui autorisent le contrôle de toute personne située dans une zone accessible au public d'un port, aéroport ou d'une gare ouverts au trafic international des voyageurs et désignés par arrêté, ne sauraient permettre d'éluder les conditions de fond et de forme applicables aux autres types de contrôle d'identité prévus par le même article, en ses alinéas 1er et 3, lorsque les opérations ne sont pas destinées à vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentations des titres et documents prévus par la loi mais relèvent, par leur objet d'une autre catégorie légalement définie de contrôle".

La Cour de cassation marque, ainsi, la volonté de cantonner ce cas de contrôle dans le domaine précis qui est le sien : à savoir un contrôle de titre des étrangers en zone frontalière.

On ne peut que saluer cette décision. Admettre la légalité d'un contrôle non motivée par la vérification des titres de séjour, en dehors de toute autre justification, reviendrait à considérer que, dans les zones frontalières, le contrôle d'identité peut être systématiquement réalisé à l'égard de toute personne, qu'elles soient françaises ou étrangères. Le risque étant d'aboutir à des contrôles d'identité généralisés, peu en accord avec la réserve formulée par le Conseil constitutionnel. D'autant que dans l'espèce considérée, il était clair que les policiers avaient trouvé là un moyen commode de contourner les règles du contrôle d'identité judiciaire de l'article 78-2, alinéa 1et, du Code de procédure pénale, non réunies en l'espèce, en l'absence d'indice autre que la dénonciation anonyme. La première chambre civile de la Cour de cassation est, en effet, venue affirmer dans une autre affaire "qu'une dénonciation anonyme non corroborée par d'autres éléments d'information, ni confortée par des vérifications apportant des éléments précis et concordants, ne constitue pas une raison plausible de soupçonner qu'une personne a commis ou tenté de commettre une infraction, permettant à des policiers de procéder à un contrôle d'identité sur le fondement de l'article 78-2, alinéa 1" (Cass. civ. 1, 31 mai 2005, n° 04-50.033, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A5649DI3, D. 2005, IR 1657 ; JCP éd. G, 2005, IV, 2619).

Au vu de l'arrêt du 3 mai 2007, il est donc, désormais, acquis que les policiers ne sauraient utiliser ce cas pour éluder les règles des autres contrôles d'identité légalement prévues.

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