La lettre juridique n°265 du 21 juin 2007 : Social général

[Jurisprudence] Inaptitude : l'articulation du "salaire d'inactivité" et de la rente complémentaire d'invalidité

Réf. : Cass. soc., 30 mai 2007, n° 06-12.275, M. Guy Brochard, FS-P+B sur la 2e branche (N° Lexbase : A5555DWN)

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[Jurisprudence] Inaptitude : l'articulation du "salaire d'inactivité" et de la rente complémentaire d'invalidité. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3209201-jurisprudence-inaptitude-larticulation-du-salaire-dinactivite-et-de-la-rente-complementaire-dinvalid
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par Olivier Pujolar, Maître de conférences à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010


L'inaptitude totale et définitive qui frappe certains salariés soulève souvent de nombreuses difficultés juridiques. Ainsi, on peut évoquer la récurrente question des incidences du classement en invalidité de deuxième catégorie par la Sécurité sociale sur le contrat de travail et, plus particulièrement, sur le régime de la rupture de ce contrat. A cet égard, la Cour de cassation a eu fréquemment l'occasion de préciser qu'un tel classement n'emporte pas automatiquement justification de la rupture du contrat de travail (v., notamment, Cass. soc., 13 janvier 1998, n° 95-45.439, M. Schaming c/ M. Bartsch, publié N° Lexbase : A2219AAG). La frontière entre droit de la Sécurité sociale et droit du travail semble être le principe retenu en la matière, invalidité et inaptitude ne sont pas synonymes.


Résumé

Aux termes de l'article L. 122-24-4 du Code du travail, l'employeur est tenu de reprendre le versement du salaire antérieur au bénéfice du salarié déclaré inapte qui n'est ni reclassé ni licencié dans le délai d'un mois à compter de la date de l'examen médical de reprise du travail.

Quand le salarié a bénéficié à la fois de ce salaire d'inactivité et d'une indemnité ou rente complémentaire servie par une institution de prévoyance, cette dernière peut opérer une réduction de ses versements. Cette réduction ne peut, cependant, intervenir qu'à la double condition qu'elle ait été prévue par le contrat qui lie l'institution de prévoyance et l'employeur et que ce contrat soit opposable au salarié.

L'arrêt commenté du 30 mai 2007 intervient dans une affaire où la frontière entre contrat de travail et protection sociale est également interrogée. Plus précisément, il s'agissait pour la Chambre sociale de décider si un salarié pouvait cumuler le bénéfice d'un salaire d'inactivité, versé sur le fondement de l'article L. 122-24-4 du Code du travail (N° Lexbase : L1401G9R), avec celui d'indemnités ou de rentes complémentaires versées par une institution de prévoyance. Il s'agissait, finalement, à nouveau de préciser les interactions éventuelles entre droit du travail et droit de la protection sociale. La Chambre sociale considère qu'un tel cumul n'est pas possible et peut donc donner lieu à réduction des indemnités ou rentes complémentaires dont le salarié a bénéficié, sous la réserve que l'action en réduction soit intentée par l'institution de prévoyance et non par l'employeur. Manifestement, la possibilité d'un cumul de sommes ayant pour fondement le droit du travail, d'une part, et de sommes relevant de la protection sociale, d'autre part, est mise de côté par les juges. La Chambre sociale n'écarte donc pas toujours l'articulation entre droit du travail et droit de la protection sociale. Cependant, avant de se prononcer sur ce point, la Chambre sociale de la Cour de cassation devait prendre position sur la qualification des sommes versées au salarié par l'employeur sur le fondement de l'article L. 122-24-4 du Code du travail.

1. La nature salariale des sommes versées sur le fondement de l'alinéa 3 de l'article L. 122-24-4 du Code du travail

Rappelons que les dispositions de l'alinéa 3 de l'article L. 122-24-4 du Code du travail prévoient que tout salarié ni licencié, ni reclassé dans le délai d'un mois à compter de la date de l'examen médical de reprise du travail, a droit à la reprise du versement du salaire qui lui était versé antérieurement à la suspension de son contrat de travail. Chacun s'accorde, aujourd'hui, à analyser ces dispositions comme n'imposant pas directement à l'employeur de licencier le salarié concerné, mais comme l'invitant à s'acquitter rapidement de son obligation de reclassement. Cependant, si le reclassement n'est pas réalisé dans le délai imparti, l'employeur est incité à prendre ses responsabilités et à recourir au licenciement, sauf à vouloir poursuivre le versement du salaire.

Dans la deuxième branche du moyen présenté au soutien de son pourvoi, le salarié arguait que "les sommes au paiement desquelles l'employeur est condamné en application des dispositions de l'article L. 122-24-4 du Code du travail n'ont pas la nature de salaire, mais ont pour objet d'indemniser le salarié du préjudice qu'il a subi du fait de l'inertie de l'employeur". Cette position n'était pas sans intérêt : il s'agissait, pour le salarié, de tenter de convaincre les juges de l'impossibilité de prendre en compte ces sommes dans le calcul des prestations complémentaires versées par l'institution de prévoyance (v. infra).

Sur le fond, la position du salarié pouvait être tentante : pourquoi retenir la qualification de salaire alors, notamment, que le salarié n'est plus apte à travailler ? Le législateur n'avait-il pas pour objectif, au moins en partie, de sanctionner l'employeur, laissant le salarié sans position précise quant à l'avenir ? On serait presque tenté par la qualification d'astreinte légalement prévue. Néanmoins, la position du salarié n'avait guère de chance d'être entendue : le texte légal prévoit expressément la reprise du versement du "salaire" antérieur à la suspension du contrat. La Chambre sociale retient une analyse exégétique des dispositions de l'article L. 122-24-4 : "l'employeur avait été condamné à payer au salarié non pas une indemnité mais des salaires pendant la période litigieuse". Tel n'aurait probablement pas été le cas si le législateur avait évoqué le versement de sommes égales au salaire antérieur...

2. L'opposabilité au salarié des dispositions du contrat signé entre l'employeur et l'institution de prévoyance complémentaire : la possibilité de réduction des indemnités ou rentes complémentaires

La question de la qualification des sommes que l'employeur avait été condamné à verser au salarié sur le fondement de l'article L. 122-24-4, alinéa 3, du Code du travail étant réglée, il appartenait aux juges de se prononcer sur la possibilité de leur cumul avec le bénéfice d'une rente complémentaire. En effet, le contrat conclu entre l'employeur et l'institution de prévoyance prévoyait la réduction des indemnités ou rentes complémentaires à due concurrence pour les cas dans lesquels le total de la rémunération perçue de l'employeur, des indemnités, rentes ou pensions versées par le régime de Sécurité sociale et des indemnités ou rentes complémentaires excéderait le traitement de base (éventuellement revalorisé) ayant servi au calcul des indemnités ou rentes complémentaires. Cependant, devait, tout d'abord, être levée la question de l'opposabilité de ces dispositions au salarié.

  • Un accord employeur-institution de prévoyance opposable au salarié

En l'espèce, le salarié considérait que les dispositions du contrat conclu entre l'employeur et l'institution de prévoyance ne lui étaient pas opposables. En effet, le salarié insistait sur le fait qu'il n'avait pas eu connaissance des clauses limitatives de garantie du contrat de prévoyance souscrit par l'employeur au profit de ses salariés, conformément aux dispositions des articles L. 932-6 (N° Lexbase : L2789HI7) et R. 932-1-4 (N° Lexbase : L8797AD8) du Code de la Sécurité sociale. Plus précisément, le salarié insistait sur le fait que la notice d'information dont il avait eu connaissance ne donnait pas de précisions concernant les clauses limitatives de garantie éventuellement présentes dans le contrat. Ce n'est qu'à l'occasion de l'instance prud'homale que le salarié aurait eu connaissance de ces dernières, qui ne pouvaient donc lui être opposées antérieurement.

L'argumentation du salarié est, à nouveau, mise à l'écart par la Chambre sociale qui retient que la notice d'information litigieuse reprenait les termes de l'article 47 du contrat signé entre l'employeur et l'institution de prévoyance. Or, cet article prévoyait expressément la réduction à due concurrence des indemnités ou rentes complémentaires versées par l'institution de prévoyance lorsque le total de la rémunération perçue de l'employeur et des autres indemnités excéderait le traitement de base antérieur du salarié. L'obstacle d'une éventuelle inopposabilité au salarié de l'accord entre employeur et institution de prévoyance étant levé, restait à la Chambre sociale à se prononcer sur la question de fond.

  • L'impossible cumul du salaire d'inactivité et des indemnités ou rentes complémentaires

En réalité, le suspens n'était guère plus grand sur ce dernier point. Certes, la lecture rapide d'une décision antérieure de la Cour de cassation rendue à son profit aurait pu faire croire au salarié qu'il obtiendrait gain de cause, mais cette décision contenait déjà les germes de celle aujourd'hui commentée.

Le 16 février 2005, la Chambre sociale rendait, en effet, une décision (Cass. soc., 16 février 2005, n° 02-43.792, FS-P+B+R+I sur le pourvoi principal N° Lexbase : A7051DGA) qui fit l'objet de nombreux commentaires (v., notamment, les observations de S. Martin-Cuneot, Percevoir ou agir, il faut choisir : affirmation du principe du non-cumul de la rente et du "salaire d'inactivité" perçu par le salarié inapte non reclassé non licencié, Lexbase Hebdo n° 157 du 3 mars 2005 - édition sociale N° Lexbase : N4817ABZ) et qui eut même les honneurs du Rapport annuel de la Cour de cassation (v. rapport annuel 2005, La documentation française, pp. 248-249). A cette époque, on insistait beaucoup sur le fait que l'employeur ne pouvait déduire des salaires qu'il était condamné à verser sur le fondement de l'article L. 122-24-4, les prestations que le salarié avait reçu des institutions de prévoyance. Et, en effet, la Chambre sociale rejetait les demandes de l'employeur présentées en ce sens. Mais, la décision précisait, également, que "la question de la conservation des avantages reçus au titre des prestations versées par une institution de prévoyance" relève des seuls rapports entre le salarié et une telle institution. Une instance à ce propos avait d'ailleurs été introduite par l'institution de prévoyance à l'encontre du salarié. L'arrêt commenté en est l'aboutissement.

Sans aucune surprise, la Chambre sociale construit son argumentation sur la première pierre posée en 2005 : conformément aux dispositions du contrat (et, plus précisément, de l'article 47) conclu entre l'employeur et l'institution de prévoyance, cette dernière "était en droit d'obtenir le remboursement de la rente complémentaire d'invalidité qu'elle avait servie à l'intéressé". Le principe du non-cumul du salaire d'inactivité avec les indemnités ou rentes complémentaires était en germe dans la décision de 2005, il est mis en application dans la décision objet de ce commentaire. L'équité n'y gagne peut-être pas, mais la clarté est sauve : le cumul est possible dans les rapports avec l'employeur, il est écarté à l'égard des institutions de prévoyance... Finalement, comme certains l'ont observé à l'occasion de commentaires relatifs à la décision de 2005 (v., op. cit., S. Martin-Cuenot), la logique de la sanction l'emporte clairement à l'encontre de l'employeur qui ne peut se dégager de l'obligation issue l'article L. 122-24-4 en arguant des indemnités complémentaires perçues par le salarié. Mais, alors, pourquoi maintenir la qualification de salaire à l'égard des sommes versées par l'employeur ? On ne peut se détacher de cette contradiction.

Décision

Cass. soc., 30 mai 2007, n° 06-12.275, FS-P+B sur la 2e branche (N° Lexbase : A5555DWN)

Rejet (CA Aix-en-Provence, 18 octobre 2005, 1ère chambre civile A).

Textes concernés : C. trav., art. L. 122-24-4 (N° Lexbase : L1401G9R) ; CSS, art. L. 932-6 (N° Lexbase : L2789HI7) ; CSS., art. R. 932-1-4 (N° Lexbase : L8797AD8).

Mots-clefs : inaptitude totale et définitive ; invalidité ; pension annuelle d 'invalidité ; rente complémentaire ; prévoyance ; salaire d'inactivité ; maintien de la rémunération.

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